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La mère de Jean

Chapitre 15

Voisin-Voisine

Divers
Durant des jours, des semaines, la jolie rousse prit un soin tout particulier à éviter son voisin. Elle sortait rarement, et n’avait plus rencontré qu’un ou deux habitués. Seulement pour leur signifier son désir de ne plus continuer. Certains l’avaient bien pris, d’autres moins, mais dans l’ensemble, Adèle s’en trouvait mieux. Le vide autour d’elle, créé par sa décision, n’avait pas affecté sa copine Lucie. Celle-là resterait sans doute pour le reste de son existence une fidèle amie. Elles se voyaient régulièrement, allaient ensemble en courses, ou déjeunaient dans de bons restaurants. Rien entre elles ne semblait changer, les liens qui les unissaient ne se distordaient pas.
Mais la brune avait du flair. Elle avait compris que chez son amie, un tiraillement nouveau s’était fait jour. Et depuis qu’elle avait appris pour ce type qui était devenu le voisin de la rousse, elle s’attendait à ce qu’un moment ou à un autre, Adèle franchisse le pas avec ce type. Un soir de septembre en venant rendre visite à son amie, elle croisa la route d’un homme qui la suivit des yeux avec une insistance toute masculine. Elle ne connaissait pas ce gaillard qui lui montrait par ses regards qu’elle l’intéressait.
Ce type, elle le retrouva une fois encore, loin du domicile de sa potine, dans le centre-ville, un samedi matin. Tout naturellement avec sa faconde, elle engagea la conversation. Et l’autre bien sûr ne pouvait qu’entrer dans son jeu.
— Vous êtes donc du coin que nous nous rencontrons si souvent ? À moins que vous ne me suiviez ?— Pas du tout ! C’est fortuit je vous assure. Je réside… pas très loin d’ici.— Une coïncidence alors ?— Oui ! Je fais mes courses dans ce petit super marché, c’est pratique.— Vous vivez donc seul, que vous soyez dans l’obligation de pousser votre chariot ?— Une jolie manière de vous renseigner ? Oui je suis divorcé et mon Dieu, je refais des trucs dont j’avais oublié jusqu’à l’utilité. Mais j’aime aussi manger tous les jours… un petit péché quoi ! — Je m’appelle Lucie et vous ?— Julien ! Enchanté alors de vous connaitre Lucie. Et vous faites quoi dans la vie ?— Oh, c’est… compliqué à dire. Disons que je vends du rêve à des gens qui sont dans le besoin… mais parlez-moi plutôt de vous.— Il n’y a rien à en dire. Je suis seul, et ma foi, je m’en accommode par la force des choses. Je ne vais pas vous éclairer davantage sur ma situation de mâle solitaire. — Vous ne voulez pas que nous allions boire un pot tous les deux ? Histoire de nous découvrir quelques points communs ? Le feeling, les affinités, comme c’est à la mode maintenant.— Pourquoi pas ? Après tout personne ne m’attend à la maison et les soirées, même ensoleillées sont bien longues. Je passe en caisse et j’arrive. Vous connaissez apparemment le coin mieux que moi, vous me guiderez vers les endroits sympas ?— Oui… je vous attends vers l’accueil.
Ils s’étaient séparés pour payer leurs achats. Lucie se souvint d’une autre rencontre dans ce même magasin. Avec une femme qui était restée son amie. Ce type avait quelque chose qui l’attirait, et pas vraiment son portefeuille. Ça faisait si longtemps que ça ne lui était pas arrivé. Bizarre cette situation. Une fois ses courses réglées, elle se dirigea vers le mec qui lui souriait.
— Bon ! Alors où allons-nous boire ce fameux verre ?— Là ! J’aime cet endroit ! Et puis… j’y ai déjà de bons souvenirs. Vous voulez bien que nous allions là ?— Oh oui ! Je ne sais rien de cette ville et vous pourrez toujours me raconter…
— Vous raconter ? Mais vous raconter quoi ? — Ben… ces fameux souvenirs qui semblent faire briller vos yeux. Un amoureux sans doute avec qui vous êtes venue ? Je me trompe ?— … ! Allez savoir ! Mais bon je préfère vous entendre me parler de vous. Moi… je ne saurais trop quoi dire. — Eh bien… je suis…
Il avait commencé un récit assez stressant. Celui d’une existence avec une femme jalouse, qui l’avait étouffé totalement, et seul le divorce lui avait permis de retrouver une liberté perdue. Lucie buvait les paroles de cet homme qui avait dans la voix des accents de sincérité. De plus ses yeux clairs lui renvoyaient l’image d’un visage tourmenté par les émotions. Un instant, elle se posa la question de savoir s’il pleurait ou non. Ce Julien avait dû souffrir avant de se résoudre à quitter cette femme que de toute évidence, il aimait.
— Vous en êtes toujours amoureux, n’est-ce pas ?— Je ne sais plus, avec le temps… on oublie pas toujours les bons moments. Et puis c’est difficile de tirer un trait sur ces années, elles font partie de moi.— Ouais ! Combien j’aurais aimé entendre pour moi ces mots-là ? Elle avait toutes les chances du monde et gâcher tout par une jalousie maladive… c’est con !— Oui. Je me demande si je ne souffre pas autant de son absence… qu’avant de ses crises…— Oh, le temps calme tout…
Puis ils s’étaient quittés aux culs de leurs voitures respectives, sans trop oser se dire qu’ils voulaient se revoir. Les jours avaient passé et plusieurs fois ils avaient bu un café dans le même endroit. Un soir Lucie l’avait aussi invité à passer prendre l’apéro chez elle. De fil en aiguille Julien avait tissé une sorte d’amitié solide avec l’amie d’Adèle. Celle-ci du reste ne voyait plus qu’épisodiquement la brune. Si elle s’en inquiétait, elle ne voulait pas pour autant lui demander quoi que ce soit. Chacune avait sa route à tracer, et personne n’y pouvait rien.
— oooOOooo —
Julien était assis dans le salon de cette jolie brune, une femme avec des formes généreuses. Ils avaient trinqué et elle lui sembla plus entreprenante que lors de leurs rencontres en extérieur. Bien sûr, elle était sur son terrain et lorsqu’elle mit de la musique sur sa platine, dans le but évident de danser, la seule idée de cet homme c’était de filer. Quelque chose dans le comportement de la belle l’intriguait, et l’indisposait aussi. Il n’avait pas d’atomes crochus pour esquisser ce flirt auquel elle aspirait. Il voulut prendre congé, mais devant son air dépité, il se laissa entrainer dans une valse plutôt collante.
Lucie se serrait contre ce gars qui lui donnait chaud. Il ne tentait pas de se rapprocher et elle se demanda un long moment ce qui pouvait retenir ce gaillard. La formidable envie de l’embrasser qu’elle trimballait depuis leur première entrevue n’avait cessé de grandir. Mais elle avait beau se lover contre lui, se serrer outrageusement sur sa poitrine, il n’entrait pas dans son jeu. Alors avec une franchise toute particulière, elle lui posa carrément la question.
— Je ne te plais donc pas Julien ?— Ben… si Lucie, mais comme amie, pas comme maitresse ou amante. Je ne suis pas amoureux de toi.— Ah ! Ton ex-femme est donc toujours entre toi et moi ? Elle va t’empêcher de vivre toujours normalement ?— Non ! Je ne crois pas qu’elle y soit pour grand-chose… et puis… je ne t’ai pas tout raconté.— Ah ? Il y a donc une autre dame dans ta vie ?— Dans ma vie non ! Mais c’est vrai que le jour de mon divorce… j’ai fait une rencontre inattendue et depuis ce jour-là, cette femme occupe toutes mes pensées.— … ? Elle ne connait pas sa chance celle-là. Je t’avoue que je suis moi aussi tombée amoureuse de toi…— Je comprends, mais te donner un espoir serait coupable. Je ne suis pas amoureux de toi ma pauvre Lucie. Cette… elle est là, du lever au coucher et j’en rêve aussi la nuit parfois.— Mais… où est-elle cette diablesse qui te vole à moi ? Que je lui casse les dents.— Ne sois pas toi aussi jalouse… je t’assure que tu peux plaire à des tas d’hommes. Mais il se trouve que mon esprit est ailleurs. Et cette femme ne m’a jamais donné aucun espoir, un peu comme ce qui se passe entre toi et moi là, en ce moment.— Oui ? Mais nous pourrions faire l’amour, après tout, pas besoin d’être amoureux pour avoir envie l’un de l’autre, tu ne crois pas ?— Non ma belle ! J’aurais l’impression de la tromper.— Mais tu ne peux tromper que les gens qui savent, elle ne saura jamais… Et puis qui c’est, cette nana ? Dis m’en un peu plus !— Oh ! Elle vit dans la rue. La maison en face de la mienne. Je l’ai rencontrée en sortant de mon divorce, dans un bar. Elle s’appelle Adèle. Mais elle ne m’a jamais montré un signe de tendresse, jamais un pas dans ma direction. Je ne connais rien d’elle sauf qu’elle a un fils, c’est peu.— … !
Lucie venait de stopper sa danse. Elle regardait ce Julien d’un drôle d’air. Il prenait cela pour de la colère. La femme brune avait reculé de trois pas, le diable serait entré dans la pièce que son visage n’aurait pas été plus défait. Pourtant elle ne plus disait rien. Dans ses yeux, il se reflétait tout le désespoir du monde. Son désir charnel venait lui aussi de sombrer dans la vérité crue que l’homme lui assénait. Cette histoire, cette affaire, elle en connaissait l’autre version. Et le coup rude qu’elle prenait lui coupait presque le souffle.
Adèle… son Adèle, celle avec qui elle avait discuté de ce type. Et ils en étaient les deux au même résultat. Elle sans doute amoureuse dans son coin et ce Julien qui se pâmait d’amour pour elle. Chacun dans leur coin, en silence, sans se voir, sans se parler. Et comme une conne, elle arrivait entre les deux avec son petit béguin pour le divorcé. Marcher sur les platebandes de son amie, lui couper à demi l’herbe sous le pied n’avait jamais été son intention ! Non ! Elle se sentait du coup mal dans sa peau.
Elle ne raconterait jamais bien sur ce qu’elle apprenait là ! Mais un moment, dans la tête les idées les plus confuses se bousculaient. Balancée entre euphorie et abattement, elle ne récupérait pas de cette baffe que la vie venait une nouvelle fois de lui asséner. Mais d’un autre côté, l’image de son amie avec un sourire lui faisait un bien fou. Adèle aussi avait payé le prix fort. Et puis après tout, avec un peu de chance, peut-être serait-elle une fois encore partageuse. L’incroyable éventualité d’un ménage à trois effleurait l’esprit de Lucie.
— oooOOooo —
Il restait à Lucie à aller revoir sa copine qu’elle délaissait depuis trop longtemps. Alors battre le fer pendant qu’il était chaud redevenait à l’ordre du jour. Et cette idée d’une compétition entre les deux femmes, dont l’enjeu serait l’amour d’un homme… voilà qui n’était pas pour rebuter la brune. Mais encore fallait-il que son amie Adèle veuille bien écouter ce que Lucie proposerait, et en cela, rien n’était gagné. Elle se rendait donc chez la rousse avec tout un tas de questions sans réponse. L’autre avait pourtant l’air contente de la revoir après une période où elle ne s’était plus du tout manifestée.
— Ah Lucie ! Et bien j’ai cru que tu étais morte… je vois avec bonheur qu’il n’en est rien. Tant mieux.— Je reconnais que j’étais occupée ailleurs et que je t’ai délaissée trop longtemps. Je plaide coupable votre honneur !— Qu’est-ce que tu deviens ? Un mec là-dessous peut-être ?— Non ! Enfin à vrai dire, un peu quand même, mais… je crois qu’il est amoureux d’une autre.— On se casse toutes les dents parfois alors ? J’imagine que ça fait mal.— Et toi tu en es où, avec ton gentil voisin ? Ça évolue favorablement ?— Pas le moins du monde ! Je ne le croise plus et ne cherche vraiment pas non plus à le revoir.— Pourtant je t’aurais cru plus accro à ce type. Et je suis certaine que là, c’est moi qui ai raison, bien que tu ne veuilles pas l’admettre. Sinon, nos amis vont tous bien ? — Tu sais, j’ai commencé à m’éloigner de certains d’entre eux. Je n’en vois plus beaucoup non plus.— Oui ! Gustave que j’ai aperçu il y a quelques jours m’a dit que tu manquais beaucoup à certaines d’entre elles. Les habituées, celles qui t’appréciaient le plus sans doute sont un peu perdues sans toi.— Je n’aspire plus qu’à me calmer. Je vois le bonheur dans les yeux de Jean et ma foi c’est très communicatif. J’aimerais trouver moi aussi chaussure à mon pied et non plus en essayer tout le temps des différentes, si tu vois ce que je veux dire.— Trop bien sans doute. Tu sais j’ai fait la connaissance moi aussi d’un brave gars et je crois que j’aurais volontiers fait un bout de chemin en sa compagnie.— Eh bien ! Tu comprends que ce n’est peut-être pas encore trop tard pour toi… pour nous.— Sauf que ce mec-là est amoureux d’une autre… et c’est un fidèle dans ses amours apparemment.— Pas de chance alors. Là je ne vois pas ce que je pourrais faire pour t’aider. Les hommes sont d’un compliqués.— Le mien s’appelle Julien… Tu vois !— Tiens c’est marrant ça. Mon voisin lui aussi se prénomme ainsi, Julien.— Ouais, et il habite aussi par ici.— Non ? C’est extraordinaire comme coïncidence. Pour un peu nous serions tous voisins.— Tu ne peux pas si bien dire Adèle… mon Julien, c’est aussi le tien ! Et je peux t’assurer qu’il n’a que toi dans la tête. Tu occupes toute la place, je n’ai aucune chance.— … ? Tu me charries là ? Arrête de déconner.— Pas du tout, c’est la sinistre réalité. Quand il a dit Adèle, il a tout dit, c’est comme un soleil qui lui monte aux lèvres.
La rousse ne parlait plus, reluquant sa copine comme s’il se fut agi d’une extraterrestre. L’autre venait de lui coller un véritable coup de massue sur le crâne. Elle se fit expliquer en long en large et même en travers comment les choses s’étaient passées. Alors Lucie vida son sac, et la veste qu’elle s’était ramassée. Elle jurait les grands Dieux qu’elle n’en voulait pas à son amie. Pourtant Adèle sentait bien une sorte de rancœur envers elle ou le gars. Difficile de savoir contre qui était dirigée cette rage.
— Mais… je t’assure que je n’y suis pour rien. Je ne lui ai jamais donné un seul faux espoir, c’est vrai ce que je te dis.— Oh ! Je te crois, et j’en suis persuadée, mais lui t’attend et je t’avoue que sur le coup… je t’en ai un peu voulu. Pas une franche jalousie, simplement une sorte de désillusion et de désespoir. Puis avec le temps… je me suis fait une raison tout en imaginant que…— Oui que quoi ?— Je ne sais pas si c’est bien de le dire, après tout tu n’as pas de rapport encore avec ce Julien…— Bon tu accouches oui ? Tu as quelque chose sur le cœur alors dis-moi ce que c’est bon sang.— Ben… j’avais pensé que de temps en temps… tu pourrais m’inviter.— T’inviter ? Mais pour quoi t’inviter, je ne comprends pas vraiment ce que tu veux me faire passer comme message !— Tu pourrais… me rendre la monnaie de ma pièce ! L’ascenseur en quelque sorte. Partager avec moi des soirées ou des nuits… enfin je sais bien que tu comprends ce que je veux te dire. Je resterais proche de lui, proche de toi et tout le monde y trouverait son compte.— Tu me proposes de coucher à trois avec un type qui est amoureux de moi et pour lequel toi tu as un béguin, c’est ça ?— Oui… en clair c’est cela… à peu de chose près. — …— Tu ne dis plus rien ?— Attends, attends, laisse-moi réfléchir tu veux… je dois digérer tout ce que tu me racontes.
Adèle s’était assise et son cerveau tournait à cent à l’heure. Son amie venait quémander une faveur. Cette femme qui l’avait sorti de la misère en l’aiguillant sur des sentiers scabreux, qui avait été là quand dans sa vie ça allait plutôt mal. Mais ce Julien lui… comment pouvait-il être amoureux d’une femme qu’il n’avait jamais vue plus de trois ou quatre fois ? Et puis Lucie qui se pâmait pour un homme avec qui, elle aussi aurait aimé avoir des moments de tendresse ?
Après tout c’était jouable. Mais aurait-elle le cœur d’entrainer ce type dans cette mascarade ? Les deux nanas avaient partagé bien d’autres lits de toute évidence, bien qu’il ne se soit jamais, au grand jamais agi d’amour. Là le risque était bien plus élevé. Et puis comment s’y prendre ? Bon ! Dans un premier temps, calmer son amie semblait le plus urgent.
— Bon, écoute Lucie, je te promets d’y réfléchir et de faire de mon mieux. Après tu saisis bien que ça ne dépend pas que de moi ? Julien a aussi son mot à dire ! Mais je vais essayer de me rapprocher de lui.— Merci. Merci, je savais que je pouvais compter sur toi ma belle. Tu es ma meilleure amie et ce n’est pas pour rien, pour toi ce mot est sacré…— Chut… voilà nous en reparlerons, mais laisse-moi aller à mon rythme, tu veux ?— Oui… oui, merci !
Lucie tripotait les mains d’Adèle. Elle avait l’air complètement abattue. Elles dinèrent ensemble chez la mère de Jean. La discussion ne tourna qu’autour de ce gaillard qui résidait en face. Puis enfin Lucie décida qu’il était temps pour elle de rentrer à son domicile. La rousse elle, dans sa maison tournait dans sa caboche de mille façons différentes les moyens de renouer avec son voisin. Quelle idée aussi de s’être ainsi avancée auprès de la brune… Mais comme chose dite était chose promise, ça la rendait folle de ne pas savoir comment faire.
À partir de cet instant, Adèle se mit à épier tous les faits et gestes de Julien. Il sortait chaque jour à la même heure, rentrait tous les soirs aussi avec une régularité de métronome. Elle n’avait jamais vu quelqu’un d’aussi prévisible. Alors, au bout d’une semaine elle décida que c’était le bon moment. Ni trop tôt ni trop tard. Et ce soir-là vers dix-huit heures, elle sortit dans la rue. Il pleuvait. Vêtue d’un manteau léger, elle n’avait intentionnellement pas couvert sa tignasse flamboyante. La berline dont elle avait aperçu chaque soir le retour ne manqua pas à l’appel.
Alors qu’elle commençait à marcher sur le trottoir sous le crachin, le conducteur ralentit pour s’arrêter et ouvrir sa vitre.
— Bonsoir ! Vous allez loin comme ça ?— Bonsoir ! Je vous demande pardon ?— Oui vous comptez marcher sous la pluie jusqu’en ville ? Vous allez être complétement trempée !— Ah ! C’est vrai, j’ai dû oublier mon parapluie chez une amie et je dois faire une course urgente.— Bah, montez je vais vous déposer au centre-ville. Je dois de toute façon m’y rendre aussi.— Je ne voudrais pas vous déranger… vous rentrez du travail ? Alors un peu de repos ne pourrait que vous faire du bien…— Mais le fait de vous revoir me ravit. Je vous assure que ça va aller. Allez, montez, regardez, vous dégoulinez de partout déjà. Ne faites pas l’enfant, je ne viole personne, ça se saurait.— Bon, entendu ! En tout cas merci, c’est gentil de votre part.— Quelle idée aussi de ne pas avoir de voiture ! — Pour cela il faut passer son permis et rien n’est gratuit dans ce bas monde.— Oui, je sais ! Mais vous méritez mieux que cela.
Elle était près de lui et son parfum effleurait les narines du chauffeur. Même l’eau du ciel sur ses longs tifs n’arrivait pas à l’enlaidir. Elle avait l’air d’une pauvre petite chose détrempée, mais elle restait belle malgré tout. Julien l’emmenait jusque devant la poste, et elle fila vers celle-ci, affairée à il ne savait quelle tâche urgente. Lui bon Prince attendait qu’elle revienne. Et quelques minutes plus tard, elle réapparaissait, surprise de voir qu’il était encore là. Cette fois cependant, elle ne renâcla pas pour monter dans la voiture.
— Il ne fallait pas m’attendre. J’aurais pu rentrer à pied. J’ai retrouvé mon parapluie.
Elle venait de tirer de son sac un objet cylindrique minuscule, ce genre de truc que l’on faisait maintenant pour se protéger de l’eau de pluie.
— Mais ça me fait plaisir de vous revoir. Je suis heureux de passer un moment à vos côtés, même si ce n’est que pour un trajet aussi court.— … ? Oh ! Si j’osais, je vous inviterais bien un soir. J’ai des légumes de toute beauté et ma cuisine est excellente me dit mon fils Jean. Mais vous pourriez vous aussi me donner votre avis. — Ce serait avec joie que j’accepterais une invitation.— Ben… je ne sais pas. Comment êtes-vous disponible ? Un soir en semaine, demain soir puisque c’est samedi… à vous de me le dire !— Demain soir, ça me convient ! Je n’ai pas vraiment d’ami et ne sors guère. Et puis je n’aurai que la rue à traverser. Je pourrai même boire une larme de vin sans me soucier de rentrer. Oui demain, et j’apporterai le champagne.— Alors… c’est vendu pour demain !
Il riait sans que ses sourires ne s’adressent à elle en particulier. Déjà ils étaient devant leurs maisons respectives. Adèle descendit et lui aussi. Elle vint au-devant de Julien et lui posa sans ambages sur la joue un bisou sonore.
— A demain pour dix-neuf heures… je vous attendrai.— Vous pouvez compter sur moi.— Merci pour la balade en voiture et… bonne soirée !
Elle avait tourné les talons, mais sur son trottoir l’autre n’en revenait pas. Il avait suffi d’une pluie d’orage, d’un oubli de parapluie pour que son bonheur soit total. La vie réservait parfois d’agréables surprises à ceux qui espéraient. Julien la vit disparaitre derrière la lourde porte d’entrée en chêne de chez elle. Lui aussi finalement avait la tête trempée de rester planté là comme un piquet sur un bout de bitume. Mais sa joie l’empêchait de sentir cette humidité qui plombait tout. Il avait enfin une chance et dans sa poitrine son cœur battait plus fort.
Adèle sous la douche souriait également aux anges. Les hommes seraient tous toujours aussi naïfs. Jamais Julien n’avait pensé une seule seconde que la rousse avait fait exprès de marcher sous la flotte tête nue. Après qu’elle soit sortie de la salle de bains, elle appela son amie Lucie. Elle lui expliqua que demain elle verrait Julien. L’autre au téléphone écoutait religieusement les explications que lui donnait sa copine. Elle notait mentalement les directives de la belle… machiavélique décidément cette rousse… quand on y réfléchissait bien !
— oooOOooo —
Le samedi avait des allures de déluge. Les orages n’avaient pas quitté la région et il pleuvait sans discontinuer depuis le matin. Mais Adèle n’avait pas lâché ses fourneaux et sa cuisine embaumait. Sa tarte aux poireaux était prête et ferait une entrée décente. Puis dans le four, un lapin mijotait dans une sauce au chablis, entouré de giroles de pays. Les pâtes fraiches qu’elle venait de finir de confectionner se marieraient de belle manière avec le roi des clapiers. Restait le dessert et elle opta pour un sabayon aux myrtilles.
Tout était enfin en ordre et il était dix-huit heures. Ça laissait donc le temps à la belle cuisinière de se faire belle. Elle tenait surtout à se débarrasser des odeurs de cuisine qui s’incrustaient sur ses vêtements. Elle fit un passage à la salle de bains, puis se maquilla lentement. Et quand l’image dans le miroir de son dressing lui parut semblable à ses attentes, elle prit un soin tout particulier pour ses lèvres. Le gloss les rendait brillantes et en soulignait les contours avec ravissement. Elle jugea le résultat « acceptable ».
Il n’était que temps, car la sonnette de la porte d’entrée annonçait le visiteur. Il était d’une ponctualité déconcertante. Elle vint lui ouvrir et il tenait une bouteille de « Moët et Chandon » d’une main et un énorme bouquet de roses de l’autre. Ils se firent une bise et elle l’entraina vers la salle à manger. Tout était en place. Elle le fit asseoir et chercha un vase pour les fleurs. Lui laissait trainer ses yeux sur ce qui l’entourait. Chez cette femme, c’était bien rangé, propre, un intérieur meublé avec goût.
— Merci pour… le bouquet, mais il ne fallait pas ! C’est trop.— Non ! Rien n’est trop beau pour vous Adèle.— Humm ! Vous permettez ? Je vais les mettre dans l’entrée, elles souffriraient de la chaleur dans cette pièce. Je reviens. Servez-nous donc un verre…— Champagne alors ?— Eh bien puisque vous en avez apporté, pourquoi pas ?
Elle déposait le bouquet dans le vestibule quand le « pop » d’ouverture de la bouteille de vin pétillant se fit entendre. Adèle vérifia que la porte d’entrée n’était pas verrouillée et qu’elle ne faisait aucun bruit en s’ouvrant. La seconde partie de son plan dépendait de la discrétion de… mais elle savait que tout se passerait le mieux du monde. Elle revint d’un cœur léger vers son invité qui venait de servir le vin des Dieux dans deux coupes.
— oooOOooo —
À suivre…
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