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Mon enfer

Chapitre 1

Divers
Les jours nouveaux (1 sur 8 )
Un retour progressif vers une vie normale

Six longues années que j’attends cela ! Soixante-douze longs mois et c’est pour demain. Demain, je vais enfin retrouver un soleil plus coloré, plus chaud. Toutes ces années à endurer des choses que j’ai détestées au plus haut point. Pas un seul de mes mouvements qui n’ait été programmé, qui n’ait été disséqué.
Oh, je ne vais pas me plaindre, même si j’ai trouvé par moment très injuste cette punition de tous les instants. Je me suis souvent réveillée les nuits en me demandant ce qu’auraient pu être ces années si tout s’était passé différemment. Je suis revenue tant de fois sur ces quelques secondes où mon univers a basculé, mais je n’ai toujours pas trouvé d’autres alternatives que celle qu’à l’époque j’ai utilisée. Comment expliquer cela ? Enfin demain, le nouveau jour effacera peut-être définitivement l’horreur de ces longs mois d’isolement.
— oooOOooo —

Retour en arrière :
Dix-neuf heures ce soir fameux soir ! Une journée sans histoire que rien ne prédestinait à finir de cette manière-là. La porte de la maison à mon retour est entrouverte. Bizarre, tu es rentré avant moi ? Pourquoi as-tu laissé la porte d’entrée mal fermée ? Ce n’est pas dans tes habitudes, d’autant que le vent de cet automne précoce est particulièrement frais. Dans le vestibule, j’ai déposé mon manteau, mon sac et mes gants. Je suis entrée dans la cuisine et j’ai bu un verre d’eau. Puis comme je ne te vois nulle part, je crie avec un sourire.
— T’es où ?
Je sais ! Tu vas encore dire à nos amis que c’est le surnom que je te donne ! « T’es où » ! Pas de réponse, alors je cherche un peu. C’est dans le salon que je te retrouve, allongé bizarrement sur le sol, la tête posée sur rebord de la cheminée. D’abord, je crois que tu es tombé. Je me précipite pour t’aider à te relever et je te cramponne contre moi pour te remettre debout. Quand je te retourne, j’ai du sang partout sur mes vêtements et je découvre avec horreur le révolver, ton révolver à tes côtés. C’est là que pour moi, débute un chemin de croix, rempli d’horreur et d’ignominie.
Je ne comprends pas ce qui est arrivé et je te secoue pendant de longues minutes. C’est le premier grief que les policiers me feront. Pourquoi ne pas les avoir appelés plus tôt ? Après ? Ils n’ont trouvé aucune autre trace que les miennes dans la maison, et cela fait de moi le suspect numéro un. Je suis emmenée par un enquêteur dans leurs locaux et je n’arrive pas à démêler mes idées, je suis accusée de t’avoir… assassiné. Moi, je t’aurais tué ! Comment peuvent-ils un seul instant penser cela ?
Mais ils vont persister lourdement et moi je me retrouve bien vite dans une cellule, prise dans un piège que je ne peux pas desserrer. J’ai droit à une première humiliation. Celle d’une fouille par une femme qui vous me direz, ne fait que son travail. Bien sûr, mais que c’est difficile et surtout que mon état mental est proche de la rupture. Cette fouille ! Je crois que je l’ai haïe plus que tout au monde.
— Déshabillez-vous ! Posez vos vêtements sur cette tablette ! La culotte et le soutien-gorge aussi ! Levez les bras ! Ouvrez la bouche ! Baissez-vous ! Allons ! Accroupissez-vous et toussez ! Maintenant, posez votre pied sur ce tabouret ! Voilà, ne bougez plus ! Je vais vous examiner l’intérieur de… !

Mon dieu imaginez l’humiliation, la honte ! Déjà que je suis aux quatre cents coups de savoir que tu es parti comme cela ! Que je ne te reverrai plus, que plus jamais tu ne me prendras dans tes bras ! Alors ils peuvent bien faire de moi ce qu’ils veulent ! Mon esprit ne te quitte pas et je n’arrive même pas à imaginer ce qui va m’arriver. Les interrogatoires sont de plus en plus ciblés et je fais figure de coupable idéale. Ceux-ci sont entrecoupés de remises en cellule avec le même dispositif qui m’insulte de la même manière.
Puis c’est un juge qui se donne le droit de disposer de moi, de ma vie, la spirale infernale qui continue, mais je suis maintenant rentrée en moi, dans un monde que je me quitte plus. J’ai entendu.
— Signez ici !
Et me voilà dans un fourgon, direction la maison d’arrêt la plus proche. Les formalités de mise sous écrou. Si vous n’avez pas une idée, vous ne pouvez pas deviner. J’ai un pied dans l’antichambre de l’enfer. Le gars qui me reçoit fait son travail sans état d’âme. Tout y passe de mon état civil et il fait même un trait d’humour.
— Situation familiale ?
Et alors que je vais répondre, mariée, c’est lui qui rétorque sans sourire :
— Ah ! Oui ! Veuve bien sûr !
Quel con ! Mais il me rappelle une triste réalité. Voilà pour mes trente-cinq ans, je suis derrière des murs épais, dans une cellule de trois mètres sur quatre. Mon monde se résume à une fenêtre avec le ciel barré et deux heures de promenade obligatoire par jour. De surcroit, je me retrouve dans un univers où je dois me méfier de toutes et tous. J’ai de longs moments de révolte qui se concrétisent seulement par des larmes. Pourquoi suis-je là ? Sans doute parce que je ne suis pas assez virulente ? Les jours défilent, les mois passent et je suis amenée devant le grand cirque d’une république qui se veut vengeresse.
J’ai beau me démener, rien n’y fait et les six visages qui me scrutent, qui me jaugent restent persuadés que c’est bien moi qui ai mis une balle à mon mari. Les autres qui dans le public veulent tous lire sur ma tête un trait de culpabilité… Voilà ! J’ai les jambes qui flanchent à l’évocation de ces dix années qui vont me priver de lumière. C’est d’autant plus injuste que personne ne sait, personne n’est capable de dire ce qui est arrivé à Michel. Dans la maison, rien n’a disparu, rien n’a été dérangé et cela doit permettre à ces bons apôtres de la justice de me mettre en cage pour un si long moment.

— oooOOooo —

Retour au présent :
J’ai rangé les quelques affaires autorisées dans ma cellule. Finalement c’était devenu mon chez-moi ! Je vais essayer d’oublier les brimades des jours, des années. Puis il s’était installé une sorte d’attente, de raison, d’habitude, mais je n’ai pas de regret de sortir demain. J’ai revisité chaque soir ces heures où nous avons été heureux. Tu m’as accompagné durant tous les réveils dus à ces rondes nocturnes. Finalement, ces quelques mètres carrés sont encore pour cette nuit, mon seul refuge.
J’ai revu de milliers de fois tes mains longues et fines, j’ai retracé ces courbes de ton corps, juste en fermant les yeux, j’ai recherché cette odeur si particulière de cette peau que j’ai bénie des années. Combien de fois ai-je revécu ce dépucelage mutuel ? Je me souviens comme si c’était hier de cette peur qui m’avait envahie, de la crispation à l’arrivée pourtant attendue, tellement espérée de cette chose palpitante et chaude. Malgré ces heures si sordides, malgré tout ce qu’ils ont voulu me faire, me mettre sur le dos, ton visage n’a pas pris une ride.
Je regarde ces quatre murs. Laids, et pourtant j’ai tout tenté pour arranger cela, rien n’y a fait. Il a souvent suffi d’une fouille de mon espace vital, une fouille orchestrée par des autorités qui s’imaginent que nous allions nous envoler, pour que la crasse oubliée de ce local revienne pour me coller à la peau. Aucune lueur d’espoir, tout est fait pour humilier, pour rappeler que nous devons expier je ne sais qu’elle faute.
Bien sûr il y a eu quand même des moments plus chauds ici. J’ai dû rester en retrait souvent et ne sortir de cet espace clos que le moins possible pour ne pas avoir affaire à la sauvagerie de toute une faune qui ne vit que pour une cigarette, une taffe améliorée ou non ! Six années de galère qui demain vont prendre fin. Quel avenir ? Les rides sont venues ajouter à cette désolation de ma solitude et vais-je vraiment revivre ? Rien, ni ces mois perdus, ni mes pleurs ne sauraient te ramener à moi. J’ai pourtant prié un hypothétique Dieu, de me faire revenir quelques heures avant cette soirée là.
Les choses auraient-elles été si différentes ? Je ne le saurai jamais. Un autre demain, un demain dont j’ai tant rêvé, si loin, si proche. La nuit promet d’être agitée. Ce soir, je me dis que je vais enfin me revoir dans une glace, me refaire une beauté, revoir une vraie douche où le temps ne sera pas compté. Mon sommeil est agité. Comment savoir ce qui m’arriver maintenant ? Je regarde défiler toutes les heures de la nuit, avec cette impression que celle-ci ne finira jamais. Quand le bruit des pas, vers six heures quarante-cinq, résonne dans le couloir, je sais que ma porte va s’ouvrir et que la surveillante va me crier :
— Bonjour !
Je vais lui répondre :
— Bonjour !
Même si je n’en ai pas envie, même les jours où j’aurais voulu dormir, je me suis efforcée, dans ma torpeur de répondre cette phrase matinale. Si je ne l’avais pas fait, la gardienne serait venue me secouer de toute façon. Une manière comme une autre de s’assurer de la présence des détenues, une façon d’être sûr que nous allions bien. Mais je le dis d’un cœur léger. C’est mon dernier « bonjour » dans cet univers si particulier.
Je dois encore attendre, en m’efforçant de boire un dernier bol de « Ricorée », le café des prisonniers. Mes maigres paquets sont prêts et quand vers dix heures, enfin je suis prise en charge par une autre « matonne », c’est un trajet sans retour, un couloir vers la liberté et je la suis d’un cœur plutôt moins lourd.
Comble de bonheur, j’ai droit à la dernière fouille et celle-là est conforme à toutes les autres. Cette dernière humiliation ne me sera donc pas épargnée. Puis je retrouve l’atmosphère étrange du « greffe judiciaire » pour MA levée d’écrou ! Cette formalité faite par un vieux bonhomme qui doit sans doute approcher de la retraite, un bulletin de sortie et quelques euros remis par le comptable de l’établissement et me voici emmenée vers la porte d’entrée, celle du renouveau.
Les derniers bruits d’une porte qui s’ouvre, puis se ferme, mais ceux-ci ont le gout de l’air frais d’un autre monde, un monde que j’avais oublié depuis des années.

— oooOOooo —

L’après :
La rue ! Ça bouge, ça remue, et je ne m’attendais pas vraiment à voir un tel flot de voitures. La vie a continué sans moi et la rue me fait presque peur. Personne pour m’attendre évidemment. Tous m’ont tourné le dos, puisque j’ai été appelée, désignée « coupable ». Mais je m’y attendais un peu. Je voudrais bien savoir ce que je vais faire maintenant.
Je vais à l’adresse que m’a remise l’assistante sociale qui s’est occupée de ma sortie. Le directeur du foyer qui me reçoit, c’est le premier homme qui me serre la main depuis… depuis bien longtemps. C’est bizarre cette sensation de chaleur quand nos paumes se touchent, que nos doigts se referment les uns sur les autres. Il me fait signer quelques formulaires.
— Vous disposez de trois mois pour trouver un autre logement ! Mais rassurez-vous si vous n’avez rien d’ici là, on ne vous mettra pas à la rue ! Il vous sera juste demandé une petite participation financière.— Merci ! Et quels sont mes obligations et devoirs ici ?— En théorie il n’y a en a pas, vous pouvez faire ce que vous voulez, de jour comme de nuit ! Il est cependant interdit de faire entrer des hommes, de la drogue, de l’alcool, ou les trois réunis, dans l’immeuble ! C’est juste les conditions fixées pour toutes nos résidentes.
À l’évocation de la possibilité de recevoir un homme, j’esquisse un pauvre sourire. Je n’ai durant toutes ces années, pensé qu’à toi, qu’à toi Michel ! Et le souvenir de ton pauvre corps rempli de sang me remonte quelques larmes aux coins des yeux. Le directeur me guide ensuite vers une chambre. Elle est immense, comparée à la cellule que j’ai occupée des années durant. Une armoire, un lit, une salle de bains avec une douche, des toilettes fermées, un luxe qui me laisse rêveuse, émerveillée même.
Mes affaires bien rangées dans cette chambre, et je me dis que je vais aller faire un tour dans cette ville qui a tant changé pendant mon absence. Dans l’immeuble, je ne croise personne et me voilà dans une rue qui grouille de monde. Pourquoi ai-je l’impression que des milliers de regards se posent sur moi ? J’ai presque peur de déambuler ainsi dans des quartiers que j’ai connus différents, autres.
Mon monde est perdu, je suis là sans rien retrouver, sans aucune marque. Je n’ai rien pour me raccrocher à mon passé plutôt décomposé. Mes pas me ramènent vers la maison. Bien sûr elle n’est plus à nous, plus à moi. Mais elle a l’avantage d’être toujours là ! Fière, imposante, belle ! Sur le balcon, derrière la baie vitrée, je me dis que je vais te voir sortir, comme tu avais l’habitude de le faire, juste pour jeter un œil sur le ciel.
Alors que je reste à danser d’un pied sur l’autre, sur ce trottoir, j’imagine bien un gamin courir sur cette pelouse dont tu as pris soin si longtemps. Mes larmes coulent sur ce bonheur perdu, sur ces années qui n’ont rien changé à cette demeure, et sur mes illusions de te revoir. Alors je tourne les talons et j’entre dans un bar. C’est celui qui nous servait d’abri tout au début de nos amours, celui où nous nous retrouvions pour refaire le monde.
Je suis assise et le serveur s’approche
— Madame bonjour ! Que voulez-vous prendre ?— Un cognac, un double cognac ! S’il vous plait !
Je regarde cet homme qui se faufile entre les rangées de tables, pour la plupart vides. Il n’est que quinze heures et je suis devant ce verre, de l’alcool, luxe suprême après toutes ces années de privation. Inutile de dire que quand le breuvage roux coule dans ma gorge, je suis prise d’une quinte de toux. C’est à cet instant-là que j’entends rire un autre client.
Ce rire, un sourire sans plus, mais gloussé suffisamment fort pour que je l’entende. Mes yeux se lèvent vers la source de celui-ci. Il est là avec une belle rangée de dents blanches qui me dévisage sans fausse pudeur. Un drôle d’effet, je suis toute remuée par l’alcool ou par ce regard ? Je ne saurais pas donner d’âge au possesseur de ces yeux bleus qui me scrutent. Il ne se moque pas vraiment, se contentant de me sourire. L’homme se lève, son verre de bière à la main et s’approche de ma table.
— Vous avez quelque chose à fêter ? Boire de l’alcool fort en plein après-midi n’est pas banal ! Alors je pense que vous fêtez quelque chose ! Je peux m’assoir là ?
Il ne me laisse pas le temps de répondre. Il est déjà installé avant que j’ouvre la bouche.
— Je me présente ! Grégoire et je suis professeur de musique. Je joue du violon et l’enseigne aussi ! Je passe ici de temps de temps pour boire un verre entre deux cours. Et vous ?
Je ne dis toujours pas un mot. Quoi lui dire ? Que j’en sors du violon, moi ? Que je viens d’être libérée de prison ? Que pour le monde entier j’ai tué mon mari ?
— Vous n’avez quand même pas peur d’un inconnu ? Et puis dans deux minutes nous serons devenus des amis ! Mais pour cela il faut parler un minimum !— Non ! Veuillez m’excuser, je suis dans mes souvenirs et vous m’avez prise au dépourvu ! Cela fait fort longtemps que je n’ai pas eu l’occasion de parler avec quelqu’un.— Ah bon ! Vous êtes nonne alors ?
Il dit cela avec un sourire aussi large que la porte d’une cellule ! Et il arrive avec sa réflexion, à me faire sourire moi aussi. Mais entre nonne et détenue, il n’y a pas une si grande différence.
— Je reviens d’un autre monde, et je redécouvre cette ville, ma ville après une longue absence ! Ce bar, j’y suis venue, il y a… fort longtemps ! Un autre temps, tout a tellement changé ! Et l’alcool, c’est pour me donner le courage d’affronter cette différence que je découvre partout ! — Vous étiez donc si loin que vous n’ayez vu votre ville évoluer ? Vous voulez me faire croire que vous revenez d’une autre planète ? — Pas du tout, mais d’un endroit que je ne souhaite à personne et pour des raisons qui me sont propres, je n’en parlerai pas avec vous !— Comme vous voulez, chacun a droit à son jardin secret ! Chacun peut ne pas livrer son âme à un inconnu, surtout dans un bistrot !
Je regarde cet homme qui me fait face, qui fouille dans mon regard ; laisse trainer le sien sur moi. Je le sens qui me déshabille juste du bout des yeux. Et je me sens mal à l’aise. Depuis le soir du drame, je n’ai pas été aussi proche d’un homme, dans des conditions normales, je veux dire et de celui-là, je peux presque sentir son souffle. Je n’ose plus bouger un cil. La peur qu’il aille plus loin ou celle qu’il parte maintenant ?
Dire que durant toutes ces années d’enfermement, je n’ai pas eu d’envies serait mentir. Le choix de nos compagnes de cellules, dans les rares cas où je n’ai pas été laissée seule, m’était imposé par l’administration. Ça pouvait aller de la gamine tout juste majeure, à la grand-mère perdue dans un monde de méchanceté. Alors les désirs, les envies sont vite oubliés, même si parfois le bonheur du sexe pourrait nous être d’un grand secours. Mais le contact physique avec un homme, c’est autre chose.
Celui qui est là est en chair et en os ! Plus grand que moi d’une bonne tête, je lui donne entre quarante et cinquante ans. Ses yeux bleus mangent l’ovale de son visage souriant. Bien peigné, de petites rides au coin des yeux, les tempes à peine argentées, oui ! Je suis sans doute dans la bonne fourchette d’âge. Il continue à me dévisager, il ne m’inspire aucune crainte, juste cette angoisse d’une promiscuité à laquelle je ne suis plus habituée.
Il parle, parle et la musique de sa voix me parvient comme dans un rêve. Il est bien réel pourtant et je sursaute presque, quand sa main, sur la table frôle intentionnellement où non la mienne.
— Hé ! Je ne veux pas vous effrayer ! Vous avez l’air d’être ailleurs ! Je vous laisse si vous le désirez ! Je ne veux en aucun cas être importun !— Non ! Non, ce n’est pas ça ! C’est difficile à dire ! J’ai du mal à être sociable. Ne partez pas ! Il y a si longtemps que je n’ai pas eu une conversation avec un Monsieur. J’ai simplement besoin de… m’habituer à revivre sans doute.— Bien, au moins vous avez une langue et si nous prenions un autre verre pour faire connaissance ! Vous dites « revivre » ? Mais je vous vois belle à croquer et bien vivante là !— S’il vous plait ! Pas de question ! Je n’ai pas encore les mots ni le cœur à parler de moi, de ma vie ! Je veux seulement reprendre pied, connaitre un nouveau lever de soleil, une autre journée pour être certaine que le rêve n’en est pas un !— Ma foi ! Si vous le dites ! Je peux aussi vous parler de ce que je connais le mieux finalement ! MOI !
Je souris à cette boutade venue du fond d’un bar où le serveur me rapporte un nouvel alcool. S’il est interdit d’entrer de l’alcool dans les chambres, le gérant parlait de bouteilles. Celui bu ne doit pas entrer en ligne de compte. La main de l’homme devant moi est fine, signe qu’il dit sans doute la vérité pour son métier. C’est le second double cognac depuis mon arrivée ici. Ma bouche est déjà en feu du premier, et je sens ce poids sur mon estomac, ce n’est pas un bon plan que de picoler.
La chaleur de l’alcool m’énerve un peu et c’est bizarre, je me sens toute chose, remuée au plus profond de moi. L’autre en face qui continue son verbiage, pensant sans doute que la date de son entrée au conservatoire de Nancy m’intéresse au plus haut point. Mais je veux bien encore juste écouter le son de cette voix. C’est elle qui me dit que je ne suis plus vraiment enfermée. J’ai une drôle d’idée. Si je me lève, si je pousse la porte, est-ce que quelqu’un va intervenir pour me demander où je vais ?
Étrangement, c’est moi qui n’ose pas le faire. Le nommé Grégoire est toujours lancé dans son long monologue.
— Hé ! Vous m’avez entendue ? C’est oui, c’est non ? Vous ne voulez pas ?— Pardon, je suis dans la lune ! Vous pouvez me répéter votre question ? Veuillez m’excuser, j’ai eu une journée… compliquée.— Je vois ça ! Je vous demandais si vous vouliez bien diner avec moi ! J’aurais également ajouté votre prénom à ma demande, mais comme vous ne me l’avez pas donné, je me permets de vous le signaler.— Oui ! C’est juste ! Je ne vous l’ai pas donné ! Claude, je me prénomme Claude.— Bien alors, enchanté, Madame Claude !
Il rit de ce jeu de mots qui me laisse indifférente, que je ne comprends pas vraiment.
— Et pour le diner ? Une réponse ? — Pourquoi pas ? À la condition que ce soit dans un endroit calme et pas trop envahit par beaucoup de monde. La foule me fait un peu peur, en ce moment.— Pas de souci, je connais un petit grill dont le propriétaire est un de mes amis. Un steak-frite, salade, vous irait ?— Oh ! Oui pas de souci.— Vous ne voulez pas que nous allions faire quelques pas ? Un peu de lèche-vitrine si vous voulez !— C’est une bonne idée, mais j’ai un peu trop bu, enfin… je n’ai pas l’habitude des trucs forts !— J’avais raison alors vous avez bien quelque chose à fêter !
Il m’a repris ma main et la chaleur que la sienne dégage est aussi étonnante. Elle me rappelle la tienne Michel. C’est comme si tu venais de revenir pour me saisir les doigts et que tout allait recommencer. Il n’y a pas encore une journée que je suis libre et déjà, un mec me tombe dessus. Le flot de mes souvenirs remonte en gerbes ininterrompues. Des rues comme celle-là, peut-être celle-ci même avec toi à mon bras, reviennent me hanter. Grégoire me parle, mais c’est toi que j’entends. Pourquoi ai-je vécu cet enfer si ce n’est pour en revivre les éternels moments !
Nos pas, ou plutôt ceux de mon accompagnateur nous ont menés vers une jolie bâtisse en centre-ville. La grille en fer forgée, le petit chemin gravillonné qui mène vers une porte de bois arrondie à son sommet, je pense, immédiatement que c’est une ancienne ferme. Je ne me pose aucune question ! Et pourtant ! Pourquoi suis-je là ? Pourquoi Grégoire m’entraine-t-il vers cette demeure ?
— Claude, je vous présente ma maison. Je l’ai appelé la « moinaudière » parce que tous les oiseaux du voisinage s’y donnent rendez-vous ! Ils se rassemblent pour écouter ma musique. C’est aussi ici que je donne des cours particuliers à des jeunes, passionnés par le violon !— Avant, il y a fort longtemps, j’ai aimé jouer moi aussi, mais du piano ! — Du piano ? J’ai conservé celui de ma mère ! Il est toujours là ! Mais je ne sais pas s’il est bien accordé ! Vous voulez entrer et essayer ? Pour moi ! Pour me faire plaisir ?— Je ne voudrais pas vous déranger ! Et puis on ne se connait pas vraiment !— Mais si ! Tous les amoureux de musique se connaissent ou se reconnaissent ! Allez ne vous faites pas prier, venez ! Au moins, prendre un café, pour chasser les dernières fumées du cognac !
Grégoire n’a pas lâché ma main. Je le regarde qui va ouvrir la porte. Ce geste si simple, des années que je ne l’ai pas fait. J’arrête son bras alors que la clé file vers la serrure.
— Vous me laisseriez ouvrir votre porte ? Je rêve depuis si longtemps de faire cela !
Bien entendu, il ne comprend pas vraiment cet engouement pour sa porte. Mais même s’il reste perplexe, il me tend néanmoins la clé et mes doigts tremblent de sentir le contact métallique de cette petite chose froide. C’est, depuis mon incarcération la première fois, que je glisse une clé dans une serrure. La petite résistance, puis le pêne qui tourne à l’intérieur, le déclic à peine audible, je reprends vie. Lui, à mes côtés, ne saisit pas vraiment le sens de cette réalité si profonde pour moi. Mais il est vrai qu’il ne sait rien de moi ! L’inverse est identique.
Il aime la musique et ça se voit. Son intérieur est entièrement dédié à cette passion sans doute dévorante. Des piles de CD, de vieux vinyles aussi, une chaine également qui ferait rêver des tas de détenues. Il me demande gentiment de m’installer dans un salon hors du temps. Un magnifique violon trône sur la cheminée. Et contre le mur du fond, c’est là que se trouve un piano droit poussiéreux, noir. Il n’a pas l’air d’avoir servi depuis un temps infini. Encombré par des partitions et des livres de solfège, il est inaccessible, sauf à mes regards.
— Je prépare un café ? Vous en prendrez bien un avec moi ? Mais avant, je vous débarrasse le piano.
Je le sens plus sûr dans sa maison, au milieu des choses qui lui sont familières. Débarrassé le piano ! C’est le mot qui convient. Les livres et partitions sont amassés dans un autre coin, sur une table. Je ne sais pas trop quoi faire de ma carcasse, alors que lui s’est absenté pour sa cuisine et la préparation de sa mixture. Du reste l’odeur qui vient me chatouiller les narines me ramène bien des mois en arrière. J’imagine déjà le gout et la saveur du liquide sombre qui va me couler dans la gorge. Rien à voir avec de la « Ricorée ».
Je fais deux pas en évitant de faire tomber quoi que ce soit dans la pièce. Deux pas qui me mènent à l’instrument qui m’attire, j’ose le dire. Je soulève délicatement le cache qui couvre le clavier. Mes mains sont tremblantes à l’idée de frôler les touches noires et blanches. J’ai presque le vertige alors que je cherche du regard le tabouret qui va me permettre de m’assoir. Puis mes doigts se posent sur les touches et quelques accords naissent simplement en fermant les yeux. « La Truite » de Schubert, tu l’aimais tant. Les quelques mesures que je veux jouer sont toutes ancrées dans ma mémoire.
Voilà, je ferme les paupières et je suis dans un autre monde. Six ans plus tôt. Tes doigts courent sur mon épaule alors que les miens vont et viennent en virevoltant, papillons longs et fins qui impriment tous mes états d’âme à des notes sorties, tout droit de mon cœur. Ton souffle sur mon cou, pendant que je joue, tes lèvres qui déposent un bisou sur mon oreille, tout est intact, tout est revenu. C’est aussi réel que la larme qui coule sur ma joue alors que je fais une fausse note par manque d’habitude.
Grégoire ne dit rien ! Il se tient debout à côté de l’instrument et la tasse passe de sa main sur le dessus du piano. Il écoute en se balançant, d’un pied sur l’autre. Il connait la musique et c’est dans le rythme qu’il bouge son corps. Comme je m’interromps un instant pour boire ce fameux café qui me fait rêver, il se penche vers moi.
— Vous aimez Schubert ? « La truite » ! Vous avez encore le doigté, même si le piano ne me semble pas très accordé ! — Je pencherais plus pour des fausses notes de ma part. Mais ce morceau c’est… pardon, c’était le morceau favori de mon mari !— Divorcée ? — Non pas vraiment, mais seule depuis six longues années ! Puis je vous demander où se trouvent vos toilettes ?— Oui ! Bien sûr ! Juste au fond de ce couloir, la porte de droite ! Celle de gauche vous ouvrira la salle de bains !
Un peu de calme, mais la maison est vraiment paisible et je guette tous les bruits qui me sont familiers. La salle de bains ! Immense, et personne pour partager même le lavabo avec moi ! Pas non plus de bruit de porte qui s’ouvre ou se ferme, pas de grincement de grille quelque part, et surtout pas d’œilleton qui se lève doucement pour visiter du regard, l’intérieur de votre petit bout de territoire. Je suis presque perdue par ce lourd silence. Grégoire m’attend sagement assis sur un canapé de tissu vieux vert. Il me regarde revenir vers lui, pour finir ce café qui me ramène à tant de souvenirs.
— Vous en voulez un autre ? — Non merci ! Bien, dites-moi ! Je dois passer chez moi… à ma chambre pour me changer, où se retrouve-t-on pour le diner ?— C’est loin d’ici ? Votre chez-vous ?— Non, juste une rue ou deux du bar ou l’on s’est rencontré !— Alors, disons vingt heures devant le bar de notre rencontre ! Ça vous va comme ça ?— Oui c’est parfait ! À toute à l’heure donc.
Je file de chez lui ! Trop de choses à me remémorer, trop de souvenirs qui me donnent une envie de pleurer. Il me faut quand même une demi-heure pour retrouver ma chambre, non sans m’être perdue une ou deux fois en chemin. Mes maigres affaires sont bien en place dans ce lieu qui sans ressembler à une cellule me rassure tout de même. Vais-je pouvoir me réadapter à cette vie extérieure ? Et puis, ma fille, tu es bien folle d’avoir accepté un diner avec cet inconnu ! Oui ! Mais ! Il me faut renaitre de mes cendres, alors celui-là ou un autre. Pourvu qu’il soit gentil et me guide vers des jours meilleurs. Nous avons la musique en commun, c’est déjà… presque un premier pas !
Trouver de quoi me vêtir sans avoir l’air trop godiche, une gageure. Enfin une jupe sombre assortie à un chemisier rouge, des bas et l’unique paire de chaussures que je possède, me voilà prête à reconquérir la nuit. Il m’attend déjà lorsque j’arrive devant le bistrot et nous partons dans sa voiture vers le restaurant. Pas de long voyage, juste quelques minutes pour atteindre la périphérie de la ville et l’enseigne lumineuse m’indique que nous sommes arrivés. Seulement deux autres véhicules sur le parking, ce qui me semble raisonnable.
Les frites, elles sont délicieuses, et je ne parle même pas de la viande ! Un diner de reine, le premier de ma nouvelle condition de femme libre. J’en revois d’autres de diners, de ceux qui m’ont gardé en vie durant cet internement forcé. Tu y avais toujours le plus beau rôle, Michel. Et celui qui me parle ce n’est plus toi. Grégoire a de nouveau tenté une approche discrète. Sa main, à diverses reprises, sous prétexte de prendre du sel, du pain ou autre chose à nonchalamment frôlé la mienne ! Lors des deux premières tentatives, j’ai retiré mes doigts. Puis finalement, puisque ça l’amuse, j’ai laissé faire.
Le contact est très doux, et puisqu’il s’agit d’une renaissance, alors je dois bien m’apprivoiser un peu. Le vin aussi est bon ! Il chauffe mon corps qui ne se lasse pas de retrouver des sensations oubliées. Finalement l’heure tourne et je ne vois pas le temps passer. J’appréhende seulement la fin de nuit, la partie où je serai solitaire, celle des vieux démons. Nous bavardons tranquillement, il ne me pose pas de question. Mais toutes les bonnes choses ont une fin, et ce merveilleux moment voit la sienne arriver. Grégoire refuse que je paye mon écot pour ce diner et nous sortons ensemble sur un trottoir envahi par la nuit.
Entre m’enfuir ici ou attendre une minute ou deux, juste pour ne pas être seule, mon cœur balance. Mais c’est encore lui qui revient à la charge. Oh ! Rien de bien méchant juste cette manie qu’on tous les hommes du monde depuis la nuit des temps. Celle de mettre les femmes dans leur lit le plus vite possible.
— Ça vous dirait de venir prendre un dernier verre à la maison ? Et puis si on se tutoyait ? Peut-être que ça nous rapprocherait non ?— Si vous… si tu veux !— Pour le « tu » ou pour le café ?— Ben ! Pour les deux finalement !
Un large sourire illumine la face de Grégoire ! Certain que déjà il me voit dans son lit ! S’il connaissait la vraie raison de mon approbation, serait-il aussi joyeux ? Je le sens tout le long du court trajet de retour, excité comme une puce ! On apprend à sentir ces choses-là lorsque l’on est enfermée vingt-deux heures sur vingt-quatre. Puis cette nuit, je n’ai pas envie d’attendre une ronde qui ne viendra pas. Je ne veux guère plus gamberger seule dans une petite chambre où rien ne m’est familier. Alors, prendre un autre verre, oui ! Ça me va bien.
Je retrouve sans déplaisir le canapé vert usé, et comme s’il s’attendait à mon nouveau passage, je vois qu’il a fait un peu de ménage. Ménage est un bien grand mot, disons qu’il a retiré tout ce qui encombrait la pièce. Il me propose un alcool fort, et son cognac est excellent ! Mais je dois prendre garde j’ai déjà bu plus en quelques heures, que durant les six années ma vie qui viennent de s’écouler. C’est à son tour de prendre son violon et de jouer pour moi. Ce qu’il me joue c’est du « Sardou » ! Je connais ce tube pour l’avoir entendu à longueur de journée durant les quelques semaines où j’ai eu à vivre avec une jeunette folle de ce chanteur.
C’était « Sardou » à toute heure du jour et de la nuit. Le reste du temps, elle le passait à pleurer. Donc j’aime bien cet air que le violoniste se met en devoir de recréer, là, pour moi. Je me mettrais presque à avoir le bourdon aussi, mais bon un autre verre et le cafard s’éloigne. Nous sommes maintenant les deux sur le canapé à regarder cette flambée qu’il vient de mettre en route ! Les flammes me subjuguent, comme au bon vieux temps, celui d’avant. Quand son bras s’enroule autour de mon épaule, je suis enfouie si profondément dans mes pensées que je ne remarque rien.
Dans un geste mécanique, presque naturel, je viens tout simplement me coller à cette poitrine qui me semble vouloir me protéger. Il me serre plus fortement contre lui et sa tête pivote d’un quart de tour, venant ainsi à la recherche de la mienne. Pour la première fois depuis des années, une bouche se pose sur mes lèvres. J’ai pourtant l’impression de te tromper. Comme si ce que je laissais faire était mal. Alors que les lèvres de Grégoire se frottent aux miennes, j’ai ce mouvement de recul qui lui laisse penser que je ne veux pas. En fait c’est juste la peur, la peur de ne plus savoir embrasser, celle de ne pas être à la hauteur des attentes d’un homme. Sans doute aussi que je ne suis pas encore prête à recevoir cet hommage-là !
Il n’insiste pas, sans un mot, se redresse lentement contre le dossier du sofa, mais il ne me lâche pas l’épaule.
— Tu veux autre chose ? Un autre alcool, un café, enfin tu désires quelque chose de particulier.— Non ! J’ai juste besoin d’un peu de temps, de me retrouver, ne le prends pas mal, mais je te donne ma parole que pas un homme ne m’a touchée depuis au moins six ans !— Je te fais confiance, je ne sais pas pourquoi, mais je te fais confiance ! Du reste tu as aussi dû remarquer, qu’aucune femme ne passe ici d’ordinaire ! Vu le foutoir que tu as trouvé cet après-midi dans la maison ! Promis, je vais m’atteler à ranger, pièce par pièce.— Comparée à l’endroit d’où je viens, ta maison est un palais, je te l’affirme !— Si un jour elle pouvait vraiment le devenir… pour une femme belle comme toi.
Moi aussi je me lève, suivie en cela par un Grégoire qui ne sait plus trop où se situer. Il pense qu’il vient de faire un vrai bide, alors qu’en fait, c’est moi qui ne suis sans doute guère réceptive à ses avances discrètes. Sur le pas de sa porte, il vient tendrement poser un bisou sur ma joue et me lance d’une petite voix :
— Eh bien ! Bonne nuit ! Nous reverrons-nous ? J’aimerais tellement que cela ne s’achève pas ainsi sur une fausse note !— Bien sûr que nous nous reverrons ! J’ai juste besoin de temps, mais c’est sur, je te reverrai !— Alors bonne nuit, ma belle, et tiens ! Voici mon numéro de téléphone ! Appelle-moi quand tu veux !— Merci et bonne fin de nuit ! Pardon d’avoir sans doute gâché tes espoirs de ce soir !

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A suivre…
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