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Le Sphinx

Chapitre 1

Hétéro
Un grincement sortit Elodie d’un sommeil déjà léger. Ces derniers temps elle avait un peu de mal à dormir, et elle se réveillait pour un rien. Elle se contentait généralement de vérifier l’heure sur son radio réveil, puis de se rendormir aussitôt.Cette nuit, la lumière rouge qui perçait à travers les ténèbres de la pièce indiquait trois heures vingt trois. Pénible de se réveiller tout le temps comme ça. Peut-être devait-elle songer à changer de matelas, après tout celui-ci était un peu vieux, et finalement plutôt inconfortable. Elle en profiterait pour tirer un trait sur les souvenirs qu’il renfermait. Il s’en était passé, des choses, sur ce plumard. Des belles, et des moins belles…Il était cependant inutile de ruminer le passé, car c’est dans le présent qu’elle avait le sentiment que quelque chose clochait. N’avait-elle pas entendu le bruit de la porte d’entrée ? Non c’était impossible, elle se souvenait très bien avoir fermé à clef avant de s’endormir, comme elle le faisait tous les soirs (on sait jamais ce qui peut arriver). Alors quoi ? Ce n’était donc que la fin de son rêve qu’elle confondait avec la réalité ?Elle tendit l’oreille dans l’obscurité afin de s’assurer qu’il n’y avait vraiment rien à craindre. C’est alors qu’elle entendit de très discrets bruits de pas qui se rapprochaient. Elle se pétrifia. « Bordel de merde », quelqu’un était bel et bien entré dans son appartement. Que faire ? Il doit être dans le salon. Elodie n’osait pas bouger, et restait bien dissimulée sous son épaisse couette. Vite, mon portable ! Ou est-ce que je l’ai foutu ? Bordel, je le perds tout le temps. Ah, c’est vrai que je l’ai mis à charger au pied de mon lit. C’est alors, avant qu’elle n’ait eu le temps de récupérer son téléphone, que les pas s’arrêtèrent devant la porte de la chambre. Elodie n’osait pas bouger. « Il est peut être armé. S’il croit que je dors, peut-être qu’il ne me fera rien ». Elle essaya tant bien que mal de calmer sa respiration, qui s’accélérait sous l’effet de l’adrénaline qui parcourait son corps. Elle se força à avoir une respiration silencieuse, mais cela lui tirait douloureusement les côtes. Elle suffoquait sous sa couette. La porte, qui était déjà entrouverte, pivota doucement sur ses gonds. Etant tournée dos à la porte, Elodie ne vit pas à qui elle avait affaire, et se dit que ce n’était pas plus mal. Elle ne savait pas si elle aurait pu se retenir de hurler en voyant l’inconnu en face.Il pénétra dans la pièce obscure avec un bruit étrange de frottement, comme s’il était très gros et avait du mal à passer dans l’embrasure de la porte. Un objet se fracassa alors sur le sol. L’inconnu pesta, mais entra néanmoins entièrement dans la pièce. C’était surement ma lampe de chevet. Il doit rien voir non plus ce crétin. Enfin c’est rassurant, au moins il ne connait pas les lieux. Peut-être qu’il cherche des objets de valeur. Mais ça n’a pas de sens : pourquoi viendrait-il prendre le risque de se faire repérer en venant dans la chambre ?— Je sais très bien que tu es réveillée, border. Elodie écarquilla les yeux dans l’obscurité, abasourdie par la voix de cet étranger. Il sait qui je suis ! Merde, c’est pour moi qu’il est ici? Pourquoi il m’appelle Border ? C’est un de mes lecteurs? Elle n’osait pas bouger, feignant une étreinte passionnée dans les bras de Morphée. Elle feignit même de légers ronflements pour le duper.— Tu me prends pour un con ? Je n’aime pas qu’on me prenne pour un con, Border.Ne prêtant aucune attention à son ton menaçant, elle continua de ronfler doucement, espérant qu’il bluffait quand il prétendait savoir qu’elle était réveillée. Elle nota cependant qu’il avait une vois bizarre, comme s’il parlait derrière un masque.Il fit alors le tour du lit, passant difficilement entre le lit et l’étagère qui était contre le mur. Il fit à nouveau tomber un magazine qui trainait, puis le téléphone posé sur une chaise au pied du lit, toujours relié au chargeur. Décidément il n’était pas très doué. Bon point pour elle si elle devait se défendre physiquement. C’est alors qu’elle aperçut sa silhouette énorme dans l’obscurité, qui se parait de nuances rouge sombre, reflétant la lumière de son radioréveil. L’homme devait peser au moins cent cinquante kilos, c’est du moins ce que la mauvaise visibilité lui permettait d’estimer. Elle l’entendit émettre un petit rire étouffé.— C’est la pleine lune ce soir, tu devrais en profiter.Il s’avança alors jusqu’à la fenêtre, et commença à remonter le store. La lumière de la lune entra alors progressivement dans la pièce, révélant la physionomie de l’homme qui s’était introduit chez elle, qui se retourna alors en marchant de nouveau vers la porte de la chambre. Mais ce n’était pas un homme, c’était un monstre. Alors Elodie hurla. La créature mesurait près de deux mètres de hauteur, possédait au moins six pattes interminables, se tenant debout sur ses deux pattes postérieures. Il avait également deux antennes très poilues, des yeux globuleux énormes, et surtout, deux paires d’ailes gigantesques dans le dos. Après l’avoir ainsi détaillé, elle hurla de plus belle et se précipita dans la partie opposée de la pièce, lorsqu’elle entendit à nouveau le rire narquois du monstre. Après la chaleur réconfortante de sa couette, le froid de la chambre entoura son corps à moitié nu. Elle ne portait sur elle qu’une nuisette en soie et une petite culotte assortie. — Je croyais que tu aimais bien les papillons de nuit, Border ?Papillon de nuit ? Qu’est-ce que… ? A mieux y regarder, la créature n’était pas un monstre, c’était un déguisement. Un papillon géant. Les grandes ailes n’étaient en fait qu’une épaisse cape d’or et d’ébène. A mieux y regarder, si on retirait le déguisement, il était en fait de corpulence tout à fait normale. Qu’est-ce que c’est que ce taré qui déboule chez moi déguisé en papillon de nuit ? C’est une mauvaise blague ?— Qu’est-ce que tu fous chez moi, pauvre taré ?— Je suis le Sphinx. Je suis venu te voler quelque chose, mais je n’ai pas pu résister à la tentation de te faire une petite frayeur. L’incongruité de la situation la laissait sans voix. Qu’est-ce que cet abruti foutait ici, et croyait-il vraiment qu’il s’en tirerait si facilement, après être entré par effraction dans l’appartement ?— Comment t’es rentré chez moi ?! J’avais fermé la porte à clef. — Vois-tu, c’est pratique d’habiter au rez-de-chaussée, pas besoin de monter les escaliers tous les jours, et tu peux faire sortir ton chat sans problème. L’inconvénient, c’est qu’on peut facilement accéder aux fenêtres. Tu n’es pas très attentive, tu sais ? J’ai juste mis un caillou dans le cadre de ta fenêtre cet après-midi, ce qui m’a permis de l’ouvrir de l’extérieur ensuite.— Ok, t’es un génie si tu veux. Maintenant dégage de chez moi, espèce de malade.
— Très chère, je ne partirai pas les mains vides. Je suis venu pour quelque chose, je ne partirai pas sans.Il se dirigea alors vers la table de chevet à côté du lit et ouvrit le premier tiroir. — Allons, ou est-ce que tu le ranges ? Il continua à chercher dans les meubles autour du lit, s’attardant un peu en découvrant le tiroir ou elle rangeait ses sous-vêtements. — Je n’ai rien à voler chez moi, crétin. Je sais pas qui t’es mais visiblement le cambriolage ce n’est pas fait pour toi. Voyant qu’il ne bronchait pas, et continuait à chercher tranquillement, elle prit de l’assurance et continua sur sa lancée.— Je vais être gentille, je vais te laisser sortir de chez moi comme un grand garçon. Alors barre-toi avant que j’appelle les flics. Sapé comme t’es j’adorerais les voir te courir après, tiens.Le silence qu’il lui offrit pour toute réponse l’agaça. — Mais t’es con ou quoi ? je te dis qu’il n’y a rien de caché dans cette chambre, qu’est-ce que tu…Elle s’interrompit quand l’homme brandit, dans un geste victorieux, un objet qu’il avait sorti de sa cachette, entre le matelas et le sommier.— Le voilà ! je savais bien que je finirai pas le trouver, conclut-il en l’agitant dans sa direction. — Qu’est-ce que tu fous, espèce de gros pervers ? — Ohhhh alors c’est moi le gros pervers de cette histoire ? C’est pas très gentil, ca. — C’est pour ca que t’es venu chez moi ? L’homme tenait dans sa main droite un long vibromasseur en plastique violet.— Con-fi-squé ! Ça fait longtemps que je te connais, Border. Tu crois pas que tu as passé l’âge de t’amuser avec des jouets ? — Je fais ce que je veux, abruti. Tu t’es regardé ? Tu crois pas que tu as passé l’âge de rentrer chez les gens habillé en papillon géant ? — Pas mal, ta répartie ! Disons que je me mets à ton niveau pour pouvoir communiquer dans un langage que tu comprennes. — Va te faire foutre. — Oh volontiers, il y a longtemps que je n’ai plus besoin de ce genre de choses (dit-il en agitant à nouveau le vibromasseur) pour me satisfaire. Mais je t’aime bien, Border, et j’aimerais te poser une question : Es-tu heureuse ? Je veux dire, sexuellement comblée? (Bien qu’il ne fasse aucun doute qu’épanouissement sexuel et bonheur soient intimement liés)— Surement plus heureuse qu’un connard qui se sent obligé de s’incruster la nuit chez les gens, oui, ca ne fait aucun doute.— Je n’en suis pas si sûr. Et rentrer dans la maison des gens la nuit, du reste, c’est ce que font les papillons de nuit. Ils sont attirés par la lumière. Et figure toi que, même si tu ne le sais pas encore, tu es une lumière, Border. Tu es une lumière…— Oh oui je n’en doute pas. Rien qu’à ta voix je peux imaginer qui tu es, et il est évident qu’en comparaison n’importe qui est aussi étincelant que le soleil. Maintenant dégage de chez moi. — J’ai ce que je j’étais venu chercher. Ne t’avise pas d’en racheter un, car je le saurais. Et n’oublie pas ce que je t’ai dit. Tu as la lumière en toi, et tout le monde n’a pas cette chance. Pour le moment tu n’es qu’une chenille, mais je peux t’aider à devenir toi aussi un papillon, t’apprendre à voler dans le ciel, et, si cela t’intéresse, te faire découvrir le septième. Je te laisse mon numéro.Il déposa une petite carte sur la table de chevet, après quoi il s’éclipsa en silence dans l’obscurité, laissant Elodie seule dans la chambre encore baignée de la lumière de la lune.
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