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Totale déchéance

Chapitre 1

Divers
Le vent s’infiltrait à travers les vitres de sa Citroën familiale ; les ceintures vibraient bruyamment. Le bruit l’agaçait quelque peu, mais il était impensable de fermer les fenêtres à cause de la canicule qui avait commencé la veille. Trente-cinq degrés à l’ombre, au moins deux cent quatre-vingt-douze au soleil. La main gauche sur le volant, la droite sur le levier de vitesse, il passa la cinquième en doublant un camion roulant mollement sur la route. Son conteur kilométrique atteignit cent deux kilomètres par heure lorsqu’il activa enfin le limitateur de vitesse.
-Tu roules au-dessus, le gronda sa femme, assise sur le siège passager.-Tu vas pas me faire la morale pour dix petits kilomètres/heure, quand même, répliqua Henry en posant sur elle des yeux agacés.
Sylvia leva les yeux au ciel en faisant teinter ses boucles d’oreilles frottant contre ses cheveux auburn. Habillée d’une robe légère et de sandales, toutes les deux bleues, elle ajouta :
-Si tu te fais arrêter, je ne veux pas t’entendre pleurer.-Mais c’est bon, me fais pas chier ! s’emporta Henry
Henry, habillé d’un marcel blanc, d’un short en toile marron et de sandales, marron elles-aussi, klaxonna tandis que la voiture juste devant lui fit une manœuvre dangereuse. Il la dépassa en faisant un doigt d’honneur au conducteur, une jeune femme (traitez-moi de sexiste si vous voulez, je m’en br****) dont il ne vit pas le visage.
-Tu pourrais être plus courtois, elle avait un « A » à l’arrière de sa voiture.-M’en fous. Si elle sait pas conduire, elle a qu’à prendre le bus.-Parce que tu savais parfaitement conduire, dans ta jeunesse ? surenchérit Sylvia.-Parfaitement, répondit Henry, dont les cheveux fins et grisonnant sous l’effet du temps se hérissaient sur sa nuque.
Sylvia ne poursuivit pas cette chamaillerie puérile.
Leur couple, à Henry et Sylvia, était au point mort depuis de nombreuses années. Ils se parlaient peu, et quant ils se parlaient, neuf fois sur dix, cela se terminait en dispute. Leurs travails à tous les deux leur prenaient beaucoup de leurs temps : Henry travaillait comme sous-directeur dans une banque de la ville tandis que Sylvia était chirurgienne dans l’hôpital de Lyon, la ville dans laquelle ils habitaient. Ce jour ne faisait pas exception, et ils ne s’adressèrent la parole que lorsque la voiture s’arrêta, en face d’un restaurant réputé de la ville. Le soleil commençait à se coucher, mais la température avait à peine baissé.
-Appelle-moi quand tes amies et toi vous serez assez bourré la gueule, dit Henry en laissant Sylvia descendre.-Tu n’en as pas marre, d’être désagréable ? Je n’arrête pas de te dire que les copines et moi nous retrouvons toujours à ce resto, le premier mercredi de chaque mois. Pour dîner et bavarder. Rien de plus.-Pourtant, je te retrouve toujours torchée comme pas possible.
Sylvia claqua la porte, frustrée.
-Ma portière, putain !-Je t’emmerde, pauvre con !
Elle entra dans le petit restaurant sans regarder derrière elle. Henry ne venait jamais ici, avec sa femme. Apparemment, ce restaurant, dont la façade, peinte en bleu, sur laquelle le nom « Au Lyon D’Or » était inscrit en lettres dorées, était réservée à ce petite groupe de filles composée de Sylvia et de ses amies institutrice, chauffeur de car et ingénieure du son. Henry  repassa en première et démarra, faisant une queue-de-poisson à la voiture blanche qui arrivait derrière. Il vomit une centaine d’injures lorsque le conducteur le klaxonna.

Henry s’arrêta en face d’une maison aux murs blancs et aux volets marron fermés. Il coupa le contact ; le moteur sombra dans le silence. Récupérant les clés pendant au tableau de bord, il descendit de sa Citroën noire immatriculée « PD-666-DP ». Il avait toujours voulu changer sa plaque, mais sa femme considérait que ce n’était que de l’argent jeté par la fenêtre. Comme s’ils n’avaient pas les moyens, se répétait-il sans cesse. Mais son avare de femme le lui interdisait formellement. Il sortit de sa voiture sans faire attention à la voiture qui passait au même moment. Cette dernière manqua de peu d’arracher sa portière.
-Putain de chauffard ! hurla-t-il après qu’elle fût passée.
Il se calma et se gratta les partie génitales qui collaient à son caleçon sous l’effet de la chaleur. Lorsqu’il fut enfin sortit de sa voiture, il la ferma à clé et ouvrit le portail blanc avant d’entrer dans l’allée dallée de la maison. Il ferma le portail afin que le petit chihuahua résidant ici ne s’enfuît pas. Il frappa à la porte bleue jusqu’à ce qu’une femme, âgée d’une vingtaine d’années, lui ouvrît. Elle portait une robe blanche courte et légère. Les pieds nus, elle embrassa succinctement Henry sur la bouche et le fit entrer.
-Tu arrives légèrement plus tard que d’habitude, lui fit-elle remarquer, plus par plaisanterie qu’autre chose. Commencerais-tu à te lasser de moi ?-Comment si je pouvais me passer de la sirène de ma vie, répondit Henry en enlevant ses chaussures qu’il posa sur le paillasson noir, posé devant la porte d’entrée fermée.
Il se releva, maudissant son dos lorsqu’une légère douleur se fit ressentir au niveau de ses reins.
-Oh putain, se plaignit-il. C’est à se demander qui de la vieillesse ou de ma femme est la plus casse-couilles.-En parlant de ta femme, sourit la jeune femme en prenant appui sur un meuble en bois, sur lequel divers bibelots, principalement en porcelaine, prenaient la poussière. Elle ne se doute de rien ?-Il faudrait qu’elle fasse attention à moi, pour qu’elle remarque quelque chose. Non mais je te jure, y en a toujours que pour son cul.
La jeune femme, ses cheveux roux attachés en une queue-de-cheval à l’arrière de son crâne, enlaça sensuellement Henry en frottant sa hanche contre celle du quinquagénaire. Le haut de cuisse finit par caresser l’entrejambe de son amant, ce qui ne déplut pas à ce dernier.
-Tu dis qu’il n’y en a que pour son cul, mais tu as l’air de trouver pas mal de temps pour t’occuper du mien, ajouta-t-elle en l’embrassant.
Henry répondit au baiser sans aucune hésitation. Puis, lorsque leurs langues se séparèrent, il prit la jeune rousse dans ses bras et, traversant un salon aux murs tapissés de motifs floraux contre lesquelles une longue rangée de commodes, contenant la totalité des papiers de la jeune femme, différents cadres, remplis de photos représentant l’hôte posant aux côtés d’un homme aux cheveux courts et blonds, et une télévision, accrochée au mur opposé à la porte d’entrée de la maison, en face d’un grand canapé blanc quasiment neuf, donnaient à la pièce un air vivant. Un air qu’Henry ne retrouvait qu’ici, et nulle part ailleurs. Un air qu’Henry n’avait jamais trouvé, et qu’il ne trouverait jamais, selon ses propres propos, avec sa femme.
-Grand fou ! rit aux éclats la jeune femme tandis qu’elle se sentait voler dans les bras de son amant.
Henry ne répondit pas. Il se contenta d’emprunter un couloir, à sa gauche, menant à une porte peinte en blanc. Il l’ouvrit avec prudence et pénétra dans la pièce qu’il considérait presque comme sacrée : la chambre à coucher de son amante.
-Rien que de voir ce matelas, j’ai la bite qui me démange, s’enthousiasma Henry.
Il avança sur le parquet blanc de la pièce et déposa sa passagère sur les draps, blancs également, de son lit. Une petite table de chevet, sur laquelle trônaient un radio-réveil, affichant vingt-deux heures trente-sept, et une lampe de chevet, éteinte, en forme de champignon.
-Laisse-moi deviner, ça va être à moi de te débarrasser de tes démangeaisons, feinta-elle de râler.-Madame n’en serait que trop bonne, commenta Henry, fier du double sens de sa phrase.
La jeune rousse, allongée sur le ventre, fit alors descendre le pantalon de toile marron de son amant. Le sous-vêtement blanc de ce dernier accompagna le mouvement, comme s’il avait comprit, en voyant son compère pantalon tomber le long des jambes velues de son propriétaire, que toute résistance était inutile. Ce fut alors une verge fièrement dressée qui se présenta devant le visage de la jeune femme.
-Si je ne m’abuse, tu m’avais promis de te raser. Tu sais que je n’aime pas trop les poils.
Henry baissa les yeux et scruta son pubis dont les poils n’avaient pas été taillés depuis belle lurette.
-Ouais, mais si je le faisais, ma conne de femme se douterait de quelque chose.
La jeune rousse leva les yeux au ciel en jurant. Henry était persuadé d’avoir entendu les mots « putain » et « baleine », mais son amante avait chuchoté ces mots si légèrement qu’il n’en était pas certain. Il cessa de réfléchir lorsqu’il sentit une douce et humide chaleur envahir le bas de son corps. Quelques stimuli remontèrent de son membre masculin jusqu’à son cerveau. Les hormones d’Henry, sécrétées massivement par son cerveau en ce moment-même, le firent râler de plaisir. Il sentait à la fois un étau se resserrer autour de son épiderme, et un corps, à la fois rugueux et doux, jouer au niveau de son prépuce, comme si elle jouait à trappe-trappe avec une micro-particule, indiscernable à l’œil nu, se baladant sur toute la surface de son gland.
-Oh putain, c’est pas ma femme qui va me faire ressentir des trucs pareils, s’extasia le quinquagénaire entre deux halètements. -Si tu pouvais éviter de parler de ta femme pendant que je soigne tes démangeaisons, ça m’arrangerait, Henry, se frustra la jeune femme ayant ôté succinctement de sa bouche ce avec quoi elle s’amusait.
Henry, ignorant la remarque de sa maîtresse, ne put résister à l’envie d’ôter la robe blanche de la jeune rousse. Les sous-vêtements de la jeune femme, faits de dentelle blanche, ne cachèrent pas plus longtemps les zones intimes de leur propriétaire. Henry, excité plus que de raison face à ce corps dénudé et resplendissant de la beauté que seule la jeunesse apportait encore naturellement, ne put contenir ses hormones, et la pénétra aussitôt après l’avoir rejointe sur son lit.

-Salut les filles, on se voit le mois prochain !
Sylvia sortait du bar « Au Lyon d’or ». Comme elle l’avait dit à son mari, elle n’avait pas ingurgité beaucoup d’alcool, aussi put-elle s’apercevoir de l’absence de la voiture de son mari.
-Mais quel putain de connard de merde ! jura-t-elle.
Ses boucles d’oreilles s’agitant dans le vent du crépuscule, elle redressa l’une des bretelles de sa robe bleue qui menaçait de glisser le long de son bras. La canicule tiraillant la région depuis la veille avait gardé l’air chaud. Non pas que ce fût désagréable pour Sylvia, mais perturbant.La quinquagénaire attendit son mari une demi-heure durant, puis se rendit à l’évidence : il ne viendrait pas. Sylvia hésita à demander à l’une de ses amies de la ramener chez elle, mais elle se voyait très mal entrer derechef dans le bar et rejoindre les trois femmes avec qui elle avait discuté pendant des heures pour écourter leur rencontre.
-Bon, tant pis, je vais prendre le bus, maugréa-t-elle en se dirigeant vers le petit abri de bus, situé à une centaine de mètres de sa position.
Énervée, elle traversa la route afin de rejoindre le trottoir sur lequel se trouvait l’abri.

Henry, allongé aux côtés de sa maîtresse, ronflait tandis qu’il reposait son esprit et son corps fatigués par l’activité qu’ils avaient faite.
-Hé, Henry ! Le réveilla sa maîtresse, nue, en lui secouant l’épaule.
Le quinquagénaire râla en se débattant stupidement.
-Henry, tu t’es endormi ! persévéra la jeune femme.
Il ouvrit les yeux. Lentement. Très lentement.
-Kès tu dis ?-Je te dis que tu t’es endormi.-Il est quelle heure ? -Onze heure et demi.
Henry, qui s’était assoupi dans sa tenue d’Adam, eut un soubresaut en réalisant le bêtise qu’il avait commise.
-Merde ! Je devais aller chercher ma femme à son bar à vingt et une heure !-Tu devrais peut-être...-Oh, et puis je m’en branle de cette pute, se ravisa Henry en coupant la parole à sa maîtresse. De toute façon, je comptais pas rester plus longtemps avec elle. Ça te dérange si je dors là, ce soir ?-Tu te rappelles que je suis mariée, Henry ? l’interrogea la jeune rousse. Comment crois-tu que mon mec va réagir en nous voyant dormir nus dans le même lit ?-Mouais, pas faux. Bon, bah je m’habille et je rentre, râla Henry en sortant du lit.
Il ramassa les vêtements qu’il avait abandonnés plus tôt dans la journée, et après avoir vérifié qu’il avait encore ses clés de voiture, rangées dans la poche avant gauche de son pantalon marron, et son permis de conduire, dans son portefeuille de cuir qu’il rangeait dans sa poche arrière droite, il s’apprêta à quitter la maison de la jeune femme.
-Au fait, dit Henry en se retournant devant la sortie de la chambre dans laquelle sa maîtresse, en tenue d’Ève, était encore allongée. Merci pour les démangeaisons.
La jeune femme partit d’un rire surpris et regarda son amant la quitter.

Une petite demi-heure s’écoula avant qu’Henry, la tête encore pleine des émotions ressenties lors de sa folle nuit avec sa jeune maîtresse rousse, ne rentrât chez lui. Il posa les clés de la maison sur un petit meuble en rotin, à quelques pas de l’entrée, et traversa un couloir étroit se séparant dans trois directions : le salon à gauche, la cuisine à droite, les chambres, deuxième porte à gauche. En continuant d’avancer, Henry aurait atteint la salle de bains et les toilettes, mais nul besoin ne se faisait ressentir pour le moment. Il passa le petit miroir, posé entre les deux portes menant au salon et aux chambres, sans prendre la peine de scruter son reflet dans celui-ci. Il tourna alors à gauche et entra dans une chambre aux murs peints en orange. Le lit dans lequel lui et sa femme dormaient, dont les draps et couvertures avaient été habilement remis à leurs places le matin-même par madame, l’attirait inexorablement. Il ne prit pas la peine de se changer et se jeta lourdement dans son lit avant d’entrer dans les couvertures. Ses clés de voiture et de maison cliquetèrent ; le choc les avait secouées. Il s’endormit rapidement : la canicule et le sexe l’avaient totalement vidé de son énergie. Sa fatigue était telle qu’il n’avait pas remarqué l’absence de sa femme qui, en tant normale, dormait également, à cette heure de la nuit.

Henry se réveilla le lendemain matin. Le radio-réveil, posé sur une petite table de chevet en rotin, indiquait sept heure et demi. L’heure à laquelle il se réveillait afin de se rendre à son lieu de travail, dans l’une des banques du centre-ville, celle dans laquelle il était le sous-directeur. L’esprit encore embrumé par la torpeur matinale, il se leva péniblement et tourna à gauche en sortant de la chambre. Il entra alors dans une pièce de taille moyenne, aux murs peints en bleu et au sol dallé, sur lesquelles de petites bulles, celles que l’on pouvait trouver au fond des océans, dans les dessins animés pour enfants, étaient représentées. Une cabine de douche était placée dans le pan du mur opposé à l’entrée. Un lavabo avait été installé sur le côté gauche de la pièce, juste à côté d’une porte, peinte en blanc, menant aux toilettes. Une bannette, en osier blanc, contenait le linge sale du couple vivant entre ses murs. Henry se dévêtit alors de ses vêtements et jura lorsqu’il s’aperçut qu’il avait oublié de se changer avant d’aller se coucher. Il jura derechef en lançant son pantalon dans la bannette et en entendant ses clés tinter, preuve qu’elles étaient restées dans la poche de son habit. Il les récupéra et les posa juste à côté du lavabo. Une fois totalement nu, il entra dans la cabine de douche et actionna l’eau qui, depuis un pommeau accroché au mur à l’aide d’une ventouse, se déversa sur sa peau sale imprégnée de sueur afin de la libérer de son odeur matinale désagréable.Il poursuivit sa toilette jusqu’à être habillé de son costume de travail. Sa cravate noire attachée autour du col blanc de sa veste de smoking bleu nuit, il sortit de la salle de bain avant de ranger ses clés dans la poche avant gauche de son pantalon assorti à sa veste de banquier. Se dirigeant vers la porte de sortie, il vérifia que ses papiers d’identité, ainsi que son badge lui permettant de pénétrer dans la banque, se trouvaient bel et bien dans la poche arrière de son pantalon.
-J’y vais, lança-t-il comme à son habitude, se moquant de savoir si Sylvia l’avait entendu.
Il attrapa alors la clenche et ouvrit la porte. À sa plus grande surprise, sa fille, Lauriane, âgée de vingt-sept ans, se dirigeait vers lui.
-Tu venais nous rendre visite, ma grande ? lança Henry en souriant à sa fille, habillée d’une robe légère blanche lui arrivant mi-cuisse.
Toutefois, rares étaient les fois où Lauriane venait sans son mari et son fils, âgé de trois ans et demi. Ce détail troubla légèrement Henry, d’autant plus que l’absence de la moindre trace de maquillage sur le visage de sa fille était plus qu’anormal. Henry remarqua alors les yeux, cernés de rouge, de Lauriane. Ils brillaient également.
-Qu’est-ce qui se passe ? s’inquiéta alors son père en comprenant qu’elle avait pleuré peu de temps auparavant.
Sans rien voir venir, lorsque sa fille ne fut qu’à un petit mètre de lui, il reçut une gifle monumentale en pleine figure.
-Espèce de connard ! hurla-t-elle à pleins poumons.
Déboussolé, Henry tâta sa joue endolorie. Il jeta un œil aux environs et remarqua que plusieurs passants les regardaient.
-Qu’est-ce que c’était que ça ? s’empourpra le père en jetant un regard sévère à sa fille.-Tu sais où est maman ?! poursuivit-elle sur le même ton.-À l’intérieur, en train de dormir. À moins que tu ne viennes de la réveiller.-T’es vraiment qu’un enfoiré ! rugit-elle en frappant une nouvelle fois son père, cette fois sur l’autre joue.
Elle frappa alors, du revers de sa main, à trois reprises le crâne de son père. Ce dernier ne put que placer son bras devant lui au bout du troisième coup.
-Je vais te dire où est maman, pauvre con ! poursuivit Lauriane, dont les yeux se mirent à nouveau à couler. Maman est à l’hôpital ! Elle s’est fait renverser par une voiture, tout ça parce que t’as pas été foutu d’aller la chercher !
Le choc de la révélation faillit faire tomber Henry. Ce dernier dut d’ailleurs prendre appui contre le mur de sa maison afin de rester debout.
-Maintenant, tu bouges ton cul et tu vas la voir, que tu sois au moins au courant de ce qui s’est passé !

Henry, accompagné de sa fille, était arrivé à l’hôpital de Lyon. Après avoir traversé un hall d’accueil rempli de plus de personnes que l’esprit humain ne pouvait imaginer, ils montèrent dans un ascenseur, rénové depuis peu. Ils montèrent ensemble jusqu’au second étage sans que la fille n’adressât la parole à son père. Lorsque les portes de l’ascenseur s’ouvrirent, une infirmière les croisa et prit leur place tandis qu’ils sortirent en empruntant un long couloir à leur gauche. Ils s’arrêtèrent devant une porte simple, sans carreau. En revanche, une pochette plastique transparente était accrochée à la porte. Elle contenait une feuille de papier sur laquelle était inscrit le nom « Sylvia Martin ». Sa femme. Lauriane, le regard toujours autant hargneux envers son paternel, frappa trois fois à la porte avant de l’ouvrir. Ils arrivèrent alors dans une petite chambre d’hôpital. Les murs étaient peints en blanc, et le sol arborait un motif marron de losange sur un fond beige tournant même au gris. Un flacon d’alcool (pas à boire, mais pour stériliser) était accroché au mur de droite, à l’entrée. Lauriane appuya sur la pompe, et une petite dose de produit liquide chuta jusque dans la paume de sa main ouverte. Elle se les frotta, étalant ladite substance afin qu’elle fît son office. Henry l’imita comme si de rien n’était.
-Regardez qui voilà, l’accueillit une voix masculine toute aussi agréable que celle de Lauriane.
C’était Laurent, le fils d’Henry. Ce dernier travaillait comme infirmier dans l’hôpital ; c’était lui qui avait prévenu Lauriane pour leur mère. Il était habillé d’une tenue blanche, celle que les infirmiers et infirmières portaient afin de travailler. Puis enfin, il la vit. Allongée sur le lit d’hôpital collé contre le mur du fond, Sylvia avait les yeux clos. Une intraveineuse, accrochée à un long support à roues, fournissait à l’organisme de sa femme une substance qui, via une série de tubes transparents, peut-être la sauverait. Une longue entaille barrait l’œil droit, fermé, de la quinquagénaire. D’autres entailles, moins sévères, se dessinaient sur ses lèvres, son front et ses joues. Le bout de son nez semblait brisé, et son oreille droite avait saigné : une longue traînée de sang s’en échappait. Henry ne sut dire pourquoi, mais lorsqu’il vit sa femme dans cet état, son cœur se serra. Mal à l’aise, il n’eut d’autre choix de de prendre appui contre le mur à sa droite afin de ne pas perdre l’équilibre.
-Tu ne sembles pas aller très bien, papa, lui dit férocement son fils. Laisse-moi deviner, c’est la culpabilité qui te rend malade à ce point ?
Henry voulut répondre, mais lorsqu’il ouvrit la bouche pour parler, aucun son n’en sortit. Au lieu de cela, un flot de bile lui échappa subitement, arrosant ses chaussures et son pantalon de banquier.
-Qu’est-ce que ça fait, de voir sa femme entre la vie et la mort ? Qu’est-ce que ça fait de savoir que si tu avais été la chercher à la sortie de son bar, comme tu étais censé le faire, elle serait seine et sauve, dans son lit ?
Henry ne se remettait pas des émotions qui le tiraillaient. Sa tête commença à tourner tandis qu’il tenta de s’approcher de sa femme.
-Qu’est-ce que ça fait, putain ! hurla Laurent.
Henry entendait son fils. Il entendait ses cris, mais il ne pouvait répondre. Il ne pouvait pas, physiquement comme psychologiquement.
-Tu devrais pourtant te sentir heureux, non ?! C’est pas ce que tu voulais, que maman se casse pour pouvoir te barrer avec ta pute ?!
Le cœur d’Henry se serra davantage. Son fils était au courant pour ses adultères.
-Eh oui, papa. Je sais tout. Maman savait tout, elle-aussi. Mais elle est restée. Elle est restée, parce qu’elle s’est toujours dit que tu ne voyais cette salope que pour te vider les couilles. Mais c’était bien plus que ça, non ?
Des larmes commencèrent à se former dans les yeux d’Henry. Sa femme était donc au courant de tout, et elle ne lui avait jamais fait de reproches. Pas le moindre. Sans savoir pourquoi, Henry ressentait un profond sentiment de dégoût envers lui-même.
-Réponds-moi ! hurla Laurent de plus belle.
Incapable de réagir autrement, le quinquagénaire s’adossa contre le mur situé à côté de lui. Ses genoux commencèrent lentement à ne plus supporter son poids ; il s’écroulait progressivement jusqu’à se retrouver assis, le visage caché dans ses mains.
-Qu’est-ce que j’ai fait ? parvint à articuler Henry.
À peine eut-il prononcé ces mots que l’électrocardiogramme rattaché au cœur de Sylvia émit un son aigu discontinu. En bon infirmier qu’il était, Laurent se précipita sur sa mère et lui diagnostiqua une bradycardie : son pouls était trop faible et n’avait de cesse de chuter. Bientôt, le signal sonore devint continu : le cœur s’était arrêté. Aussitôt après, avertis par le signal sonore, une équipe, composée d’un médecin et de deux infirmières, entra dans la pièce, un chariot supportant plusieurs appareils médicaux avec eux. Laurent leur fit un bref bilan de la situation, et aussitôt le médecin attrapa de ses deux mains les deux électrodes composant le défibrillateur posé sur le chariot. Les deux infirmières, quant à elles, ôtèrent les draps recouvrant le corps de Sylvia et ouvrirent rapidement sa chemise de nuit blanche, révélant un torse aussi endommagé que le visage de la patiente.
-Dégagez ! s’écria le médecin en plaquant les deux électrodes sur le corps de la quinquagénaire.
Un violent choc électrique fit réagir le corps de Sylvia, mais son cœur ne repartit pas. Le médecin réitéra l’opération deux fois, en vain. Laurent et Lauriane, en pleurs devant leur mère inconsciente, se serraient dans leurs bras. Henry, quant à lui, était toujours assis, contre son mur, avec pour seul compagnon la culpabilité qui le rongeait de l’intérieur. Les infirmières et le médecin tentèrent un massage cardiaque, mais rien n’y fit. Plus le temps s’écoulait, plus la souffrance des deux enfants Martin s’intensifiait. Lauriane, désormais dans les bras de son frère, ne cessait de répéter le mot « maman » en espérant qu’entendre sa voix aiderait sa mère à revenir à elle. Puis, voyant que toutes leurs tentatives échouèrent, l’équipe médicale se rendit à l’évidence.
-Heure du décès : neuf heure douze, dit le médecin en regardant la pendule accrochée sur l’un des murs de la pièce.
Cette phrase acheva de détruire intérieurement Lauriane qui, d’une voix brisée, hurla à la mort. Son frère, qui tentait, depuis l’arrivée du médecin et de son équipe, de la rassurer, ne put garder ça en lui plus longtemps et tituba, emportant sa sœur avec lui. Ce furent les deux infirmières, des larmes se formant également dans leurs yeux, qui les retinrent afin qu’ils ne tombassent pas. L’équipe médicale, leur chariot avec eux, partit en regardant douloureusement les enfants meurtris de madame Martin. Henry, quant à lui, ne parvenait à accepter l’idée que sa femme était morte. Sa femme était partie. Il l’avait aimée. Tendrement, même. Comment leur relation avait-elle pu dériver à ce point ? Il ne se rappelait pas de la réponse à sa question. Il ne se rappelait plus du jour à partir duquel il avait décidé de trouver une amante. Puis le doute frappa Henry de plein fouet : et si c’était sa liaison adultère qui avait brisé son couple sans qu’il ne s’en rendît compte. Il ignorait et ignorerait à jamais la véracité de cette théorie, mais si elle était vraie, cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : Henry, en plus d’avoir tué son couple, avait tué sa femme.

Trois mois s’écoulèrent depuis la mort de Sylvia. L’histoire d’Henry s’était ébruitée. Tout le monde, pas seulement les voisins et voisines du couple de quinquagénaires, savait pour cet homme qui avait laissé mourir sa femme pour rejoindre sa maîtresse. L’histoire avait été tant ébruitée que, par soucis d’image, la banque avait décidé de se séparer d’Henry. Laurent et Laurence, ses deux enfants, l’avaient abandonné à son sort, refusant d’entendre parler de leur père qu’ils considéraient désormais comme un démon, et non plus comme un humain. L’identité de la maîtresse de l’ancien sous-directeur de la banque ayant été dévoilée, elle avait été contrainte de quitter la ville tant la tension engendrée par l’affaire Sylvia Martin avait résonné. Henry avait totalement perdu sa trace, mais il doutait qu’elle voulût le revoir un jour. Une bombe à retardement, se disait en permanence Henry. Rencontrer la jeune femme qui lui avait servi de maîtresse avait déclenché la bombe à retardement la plus dévastatrice pour sa vie. Il avait tout perdu, il ne lui restait plus rien, mise à part une maison, beaucoup trop vide au goût du veuf qui l’habitait. Une mauvaise décision prise un jour où il se sentait mal, se répétait-il constamment. Une mauvaise décision, et tout pouvait s’envoler à jamais. Une mauvaise décision qui, en attendant patiemment son heure, avait causé sa déchéance.
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