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Train de nuit, train du désir

Chapitre 1

Erotique
Les histoires de rencontres torrides dans un train, où l’on étreint par hasard une délicieuse inconnue, ont été tant de fois fantasmées que le thème est devenu un lieu commun. Comme si les wagons étaient des arbres fruitiers et les femmes des fruits mûrs que l’on pourrait cueillir à loisir, chemin faisant. Lorsque je raconte cet épisode de ma vie à mes amis, souvent, ils ne me croient pas. Et pourtant… À l’âge de dix-neuf ans, j’ai vraiment vécu cette expérience – la première de ma vie sexuelle. En plus, ou à cause, d’un physique n’aidant pas à la séduction, j’étais assez timide et celles qui attiraient mon regard étaient non pas les jeunes de mon âge, mais les femmes mûres aux parfums si troublants… mais désespérément inaccessibles ! J’étais étudiant à Rennes et rentrais chez mes parents pour les vacances de printemps, du linge à laver plein le sac polochon. À la gare de Nantes où il fallait changer, je me suis installé dans le train de nuit vers dix-sept heures, avec une arrivée prévue à Toulouse vers une heure du matin : autant dire qu’il valait mieux se trouver une occupation, faute de pouvoir dormir. Mais j’aimais bien ces vieux compartiments Corail avec des banquettes en skaï qui dégageaient une odeur particulière, surtout les jours ensoleillés, et encore maintenant, lorsque par hasard je croise ce parfum, cette nuit extraordinaire me revient en mémoire, et dans mes insomnies, je la revis encore et encore. Aujourd’hui, les trains de nuit ne font plus recette et il y en a de moins en moins. C’est dommage, parce chaque voyage nocturne a été pour moi l’occasion de belles rencontres qui ont souvent été des moments d’amitié certes éphémères, mais authentiques, aidées en cela par l’atmosphère intime et la sorte d’exaltation qui saisit les passagers des longues distances. Les Allemands ont un mot pour l’exprimer : Reisenfieber – la fièvre du voyage.

Ce soir-là, il y avait peu de monde. Nous n’étions que trois dans le compartiment. Je voyageais avec un couple, un homme et une femme d’une quarantaine d’années qui se sont installés côte à côte et ne craignaient pas de s’embrasser à pleine bouche devant mes yeux, assis en face d’eux, de sorte que je me suis demandé s’ils n’avaient pas carrément l’intention de faire l’amour devant moi. Cela n’aurait pas été pour me déplaire, mais non. Elle s’est déchaussée et a posé ses pieds sur la banquette d’en face, juste à côté de moi, après m’avoir demandé si cela ne me dérangeait pas. Non, cela ne me gênait pas, bien au contraire. Je me suis plongé dans l’écriture sur mon ordinateur portable.

Environ deux heures plus tard, alors que nous venions de passer La Rochelle, j’ai levé le nez de mon clavier. L’homme dormait, tandis que son épouse jouait toute seule au Scrabble.

— Vous jouez toute seule ? — Oui, vous voulez jouer ?— Pourquoi pas ?

Durant le temps où elle réfléchissait au coup qu’elle allait jouer, je regardais attentivement son beau visage, ses longs cheveux bruns dont les mèches tombaient devant les yeux et qu’elle repoussait sans cesse. La partie a été rapide. Mon adversaire jouait bien, mais à l’époque où je vivais chez mes parents, j’étais bien entraîné, et comme en plus j’ai bénéficié de tirages favorables, j’ai gagné la partie, bien que troublé par son charme. Pendant ce temps, l’homme dormait toujours comme un bienheureux – il avait dû prendre un somnifère pour avoir le sommeil aussi lourd, car il ne s’est même pas réveillé au moment du contrôle des billets.
— Si ne n’est pas indiscret, vous écrivez quoi, sur votre ordinateur, m’a-t-elle demandé ? Votre mémoire de stage ? — Pas du tout. Vous voulez vraiment savoir ? J’écris des poèmes. — Des poèmes ? De quelle sorte ? — De la poésie érotique, ai-je dit en rougissant. Enfin, j’essaie. Je ne suis pas Apollinaire ni Pierre l’Arétin, pas encore. — Vous permettez que je vous lise ?
Je me souviens qu’elle écarquillait les yeux en me demandant cela et que mes mains tremblaient quand je lui ai tendu mon ordinateur dont la batterie était presque déchargée. À l’époque, les sites Internet d’histoires érotiques n’existaient pas encore, et personne ne m’avait jamais lu. Ces poèmes, j’en ai malheureusement perdu la plus grande partie, mais l’un d’eux, que j’ai imprimé pour je ne sais quelle raison, a miraculeusement échappé au massacre du temps. C’est un sonnet à la française :
Madame, je ne rêve au cours de ce voyageSans nulle retenue ni embarras mesquinQu’à vous faire minette en un élan coquinOui : glisser une langue en votre coquillage.
Après avoir ôté le pudique habillage : Pantalon et culotte, et tout le saint-frusquin, Comme on parcourt en douce un indécent bouquin,Vous offririez vos cuisses au merveilleux feuillage.
La folie des parfums alors m’enivreraEt votre partenaire ainsi s’enfièvreraDes odeurs féminines absolument sublimes.
Mais cela n’est qu’un songe, hélas, bien qu’inspiréPar ce qui me parvient des fragrances intimesQue vous me prodiguez de ce corps désiré !
— C’est l’odeur de mes pieds qui vous a inspirés ces vers, vraiment ? Dans ce cas, je suis désolée de vous avoir autant troublé ! — Ma versification est un peu maladroite, je le reconnais, dis-je un peu gêné. Vous devez penser que je suis un obsédé sexuel, un satyre en rut. En plus, vous êtes mariée ! — Pour un satyre en rut, comme vous dites, vous n’écrivez pas trop mal.

Nous nous sommes regardés silencieusement.

— Vous voulez vraiment me sucer le berlingot, a-t-elle dit ? — Oui. Mais… — Mais quoi, a-t-elle répondu en baissant d’un coup pantalon et culotte ? Vite, dépêchez-vous. — Et lui, dis-je en désignant son mari ? Il ne risque pas de se réveiller ? — Il a le sommeil lourd. Faites vite, nous allons bientôt arriver à Bordeaux. Enfin, si l’odeur de ma chatte ne vous repousse pas trop, parce je n’ai pas pris de douche depuis hier soir, et je dois sentir la marée !
Je me suis mis à genoux pour honorer cette fleur exquise qu’elle offrait à mon immense faim de féminité. Certes, le parfum était puissant. Dans la nuit qui m’entoure, vingt-sept ans après, il me semble le percevoir encore, y compris dans ce qui n’a rien à voir avec cette magnifique orchidée, comme la fumée du café dont je m’abreuve pour écrire encore et encore les mots du désir, durant des nuits entières. Depuis, j’ai connu différentes autres femmes, de tous âges et de tous milieux sociaux. À chacune, dès que le lien permettant d’exprimer le désir a été établi, je leur ai demandé la permission de promener ma langue sur leur chatte, ne les pénétrant qu’occasionnellement, lorsqu’elles le voulaient vraiment. Durant des années, je me suis assidument perfectionné dans l’art délicat du cunnilinctus. Dans une période de solitude, j’ai même payé une prostituée pour qu’elle me laisse lui en prodiguer un, sans rien lui demander d’autre.

Mais cette femme que je n’ai jamais revue et dont je n’ai jamais connu ni le nom ni le prénom, celle qui voyageait dans un train de nuit, restera pour toujours la délicieuse inconnue qui m’a initié aux joies de donner du plaisir, qui sont infiniment plus profondes que celles d’en recevoir, du moins quand celui qui offre est un homme et celle qui accueille est une femme – dans les autres cas, je ne sais pas. Je me souviens qu’elle avait des nymphes longues et fines qui chatouillaient mes joues comme des ailes de papillon. À ce moment, j’ai regretté de ne pas m’être rasé depuis le matin, mais ces poils renaissants de la journée, pourtant drus, ne semblaient pas la gêner. Les siens décorant son pubis étaient au contraire fins et souples, un joli buisson moite, pas désagréable du tout, même dans la bouche. Le clitoris est apparu quand je l’ai extrait de son fourreau entre deux pouces, prenant garde à ne le toucher qu’avec ma langue humide. Elle me tenait fermement par les cheveux et si, par quelque absurde lâcheté, j’avais voulu fuir à ce moment-là, je n’aurais pas pu – loin de moi cette idée !

Pour un débutant, je ne me suis pas trop mal débrouillé, heureusement. Dans ce jeu dangereux où nous risquions à tout moment d’être surpris, soit par le réveil du mari, soit par l’intrusion d’un contrôleur ou d’un autre voyageur dans le compartiment, cet aspect renforçait l’excitation, surtout pour elle, qui est parvenue à l’orgasme en moins de trois minutes. Puis elle s’est rhabillée précipitamment. Il était temps : le train ralentissait, nous étions presque arrivés à Bordeaux.

Alors que j’étais à genoux, plongé entre ses cuisses, je me suis relevé, titubant sous le brimbalement du train, littéralement ivre d’avoir bu de sa mouille qui était abondante, tiède et salée. La tête basculée en arrière, elle se regardait jouir dans le reflet de la vitre. Son visage se confondait à la nuit alors que nous franchissions la Gironde. Malgré le bruit ambiant, je pouvais entendre le son de sa respiration profonde. J’avais envie de relever son corsage afin d’écouter battre son cœur, la tête collée sur sa poitrine, mais ce n’était plus possible.

Réveillé par le sifflement des freins lorsque de l’arrêt en gare, son mari s’est étiré et elle lui a souri, les yeux brillants pour une raison que nous n’étions que deux à connaitre. Ils se sont tenu la main tout le restant du voyage. Je me demande encore s’il a remarqué les gouttelettes de liqueur intime qui se sont écrasées au sol au moment de la jouissance, reflétées la lumière pâle des néons. Elle s’est ensuite mise à l’aise en étendant ses jambes sur la banquette d’en face, ses pieds nus jusque à côté de moi. Ces orteils humectés de sueur et d’un peu de son miel féminin, en un mélange fabuleusement odorant, me rendaient fou ; je me serais damné pour avoir le droit de les porter jusqu’à ma bouche. Évidemment, je bandais à faire exploser mon slip. Ma voisine a vu la bosse à mon pantalon et me regardait d’un air désolé de ne rien pouvoir faire pour me soulager, tandis que son mari s’est plongé dans la lecture de son roman.

Arrivé à ce point, chez lecteurs, j’aurais aimé vous dire que son mari s’est rendormi et que cette femme et moi, abandonnés dans les bras l’un de l’autre, avons vécu une extraordinaire nuit de sexe et de plaisir. Malheureusement, ce n’est pas comme cela que ce voyage s’est terminé. Nous ne sommes plus touchés, pas même avec les yeux. Car ne pouvant plus soutenir son regard sans risquer de sombrer à tout moment dans la folie furieuse, j’ai ouvert à nouveau mon ordinateur portable et je lui ai écrit un autre poème érotique. Torride. Les mots me venaient facilement, licencieux à souhait, alors que j’étais prêt à pleurer de ne pouvoir étreindre celle qui était pourtant à portée de mes bras.

Elle ne l’a jamais lu. À l’occasion d’un crash de mon disque dur, il a, lui aussi, disparu dans le tourbillon du temps.
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