Un matin froid et brumeux, une délégation étrange vint aborder notre campement. Il s’agissait de quatre hommes, probablement des guerriers vu leur équipement, et d’un homme plus vieux qui avait des décorations similaires au shaman de la tribu. Une chose les différenciait de la tribu où Diane séjournait : ils étaient tous porteurs de tatouages noirs et mystérieux, surtout le shaman. Diane avait appris que plusieurs tribus de tsevens pouvaient coexister sur le même territoire. De l’autre côté de la forêt, peut-être qu’une de ces tribus voisines campait. La délégation rentra, après autorisation de nos gardes, dans la tente du shaman. La matinée avait à peine passé que la délégation sortit de la tente. Le shaman Tatoué répandit en sortant une drôle de poussière qui se transforma au contact de l’air en une étrange fumée bleuâtre. La tribu tout entière retint son souffle en voyant les vapeurs se propager dans le camp. Maihlitz chuchota à l’oreille de Diane : « Poudre de fleurs rares, mélangées par shaman. Veut dire guerre sacrée ». Le shaman-loup de la tribu sortit en dernier de la tente, l’air grave. Les tatoués marchèrent vers les grands sapins qui bordaient le camp. La plus grande partie de la tribu les suivit, shaman en tête, allant jusqu’à l’orée de la forêt. Arrivés devant les sapins, les guerriers de la tribu et la délégation tatouée frappèrent leur lance contre la terre, arrêtant leur marche du même coup. Maihlitz continuait d’expliquer à Diane : « Guerre sacrée, c’est duel entre shamans. Maintenant shamans vont s’affronter, seuls, dans la forêt ». Et les deux sorciers partirent effectivement dans la forêt, seuls, dans deux directions opposées.Les tsevens rassemblés à l’orée de la forêt attendirent. Diane se demandait si les pouvoirs chamaniques tsevens se manifestaient aussi chez le shaman tatoué... et la réponse se fit finalement entendre. Au bout d’un long moment, toute la forêt put entendre le hurlement du loup poussé par le shaman métamorphosé de la tribu. Peu après, un autre bruit, plus long et atrocement surnaturel, résonna lui aussi dans les bois. La tribu entière retint son souffle, attendant de savoir quelle était la monstrueuse métamorphose qui terrorisait ainsi la nature environnante. Les échos du duel, eux, ne tardèrent pas à se faire ressentir : peu après leur transformation, on entendait des bruits terribles et bestiaux, des arbres tomber, tous les êtres humains rassemblés devant la forêt pouvaient presque ressentir l’onde de choc provoquée par le combat. Et les bruits se rapprochaient. Tout le monde sentait revenir vers eux les craquements de bois et les rugissements émis par les bêtes surnaturelles.Alors que la tribu retenait son souffle, les bruits s’espacèrent, devinrent de moins en moins réguliers, comme si le combat s’essoufflait. Le shaman loup comme le shaman tatoué semblaient avoir du mal à continuer le combat, quelle qu’en soit la cause. Mais le rapprochement des bruits se fit tout de même sentir. Les deux combattants étaient tout près, c’était certain. Soudain, à ce qui semblait être à deux pas des observateurs, on entendit un bruit de douleur effroyable suivi d’un long gémissement de douleur. Diane le reconnut immédiatement, pour la bonne raison qu’elle avait déjà souvent entendu ce gémissement lors de leurs nuits de plaisir. C’était sans aucun doute celui du shaman de la tribu, le shaman-loup. Diane s’élança vers la forêt, au mépris des avertissements de la tribu. Déterminée à retrouver « son » shaman, elle courut du plus vite qu’elle put vers l’endroit d’où provenaient les cris. Après avoir couru pendant ce qui lui parut une éternité, une forme noire apparut sur le sol. Elle s’agenouilla auprès du loup, qui ne se relevait qu’à grand-peine. Une face de son immense gueule avait la chair à vif. Une des pattes semblait irrémédiablement meurtrie, et l’hybride avait laissé dans son cheminement dans la forêt une longue traînée rouge qui souillait la pureté des bois enneigés. Diane pleurait en découvrant le sort réservé à son amant lorsqu’elle entendit à nouveau le hurlement guttural qu’elle n’arrivait pas à identifier. Mais cette fois, elle aperçut une forme noire avançant vers elle. Un ours aux dimensions extraordinaires, au poil noir comme la suie, marchait vers elle à quatre pattes, grognant et reniflant l’odeur de sa victime. Quelques gouttes de sang perlaient de son cou massif, mais se voyaient difficilement dans le pelage sombre de l’animal. Sa face démoniaque, comme sortie d’un cauchemar, ne cessait de pointer son regard vers Diane, comme s’il hésitait encore sur son futur mouvement. Quand elle vit arriver la bête, Diane sut qu’elle devait écourter ses larmes. Elle eut une dernière pensée pour l’être qui avait si souvent partagé ses nuits, puis s’apprêtait à plonger sa tête dans la plaie que le loup avait au flanc. L’ours ne lui laissa pas le temps d’achever son plan. Il prit dans la patte une pelletée de neige, comme un humain lancerait une boule de neige, puis l’envoya de toute sa force sur Diane. Le missile de neige et de terre assomma à moitié la jeune femme et la repoussa du corps du loup. Le temps qu’elle reprenne ses esprits, l’ours avait déjà achevé le canidé d’un revers de patte et planté ses crocs dans sa chair à vif. Il mastiqua longuement le morceau de viande, mais retrouva un calme relatif après l’avoir englouti et laissa le cadavre tranquille. Toute maculée de boue neigeuse, Diane resta interdite devant le spectacle macabre, regardant ses plans partir en fumée en même temps que son amant. Son unique objectif, elle en était consciente depuis ce moment précis, était de survivre. L’ours commençait à changer. Il se mit à pousser un long cri alors que sa face se métamorphosait. Diane prit la fuite en comprenant que la bête risquait d’être paralysée, au moins momentanément. Alors qu’elle sprintait, quelques regards en arrière lui apprirent que la bête avait rétréci et se recroquevillait sur elle-même. Elle entendit un nouveau cri ; plus familier, cette fois-ci. Quand elle tenta un nouveau regard, l’ours avait laissé place à... autre chose. Pendant un instant, ce ne fut qu’une tache noire difforme dans la neige, presque immatérielle. Puis ce "quelque chose" attaqua. L’ours d’avant s’était changé en loup monstrueux, qu’un détail seulement différenciait de la bête qui l’avait plusieurs fois saillie : son poil était d’un noir de jais similaire à celui de l’ours. En quelques mouvements, le loup noir rattrapa Diane. Au lieu de la mordre, le loup fonça droit sur elle pour la faire trébucher. Encore une fois sonnée, Diane sentit la bête la traîner dans la neige. Elle tenta de se débattre, mais sa jambe était enserrée dans ses crocs et cette prise la soumettait facilement. Elle fut totalement réduite à l’impuissance quand des hommes tatoués sortis de nulle part vinrent prêter main-forte à la bête. Elle aperçut que le loup changeait à nouveau, mais elle fut vite assommée avant de revoir le shaman de la tribu tatouée, sorti vainqueur de son défi.
