— Sophie, notre Sophie... n’est pas... ta fille. L’air était soudainement devenu irrespirable. Plus personne n’osait parler. Comparé à ce qu’il venait d’entendre, un coup de poignard dans le dos n’eût été pour Jérôme qu’une insignifiante écharde sur le bout du doigt. Le premier moment de surprise passé, une foule de sentiments vinrent bouleverser son esprit. D’abord une profonde tristesse à l’idée de perdre ce qui était à ses yeux, après sa femme, son plus beau joyau: Sophie, sa fille unique dont il était si fier. Ensuite une vive indignation de s’être vu gardé si longtemps dans l’ignorance des faits. Mais surtout, une profonde impression de trahison à l’égard de celui qu’il considérait il y avait quelques minutes encore comme un vieux pote. Un vieux pote qui venait de le tirer d’un mauvais pas. Un vieux pote à qui il avait même tout récemment offert son intimité et son cul, faisant de lui son amant. D’un bond, il se leva, foudroyant Alexander du regard. - Espèce de salaud! lui cracha-t-il au visage. Non seulement tu m’as fait cocu mais tu m’as volé ma fille! Tu m’en as volé la paternité! Aveuglé par la fureur, l’homme maintenant hors de lui fonça sur l’autre et, malgré sa condition affaiblie, l’empoigna sur sa chaise, le jeta violemment au sol et se mit à lui asséner de solides coups de poing à la figure. - Tu aurais dû me laisser pourrir en Chine plutôt que me ramener ici, maudit criss de verrat! J’aurais mieux préféré crever en prison là-bas plutôt que subir ici un tel affront! Quand je pense que j’avais partagé avec toi mon intimité, tellement je te faisais confiance et j’étais bien à tes côtés! Réagissant toutes trois presque instantanément, Catherine, Alicia et Sophie se jetèrent dans la mêlée et parvinrent rapidement à maîtriser les deux pugilistes, alors qu’en retrait, Jasmine et Sonia assistaient impuissantes à la scène, fondant en pleurs en s’enlaçant l’une l’autre. Ramenés de force à leur siège par les jeunes femmes, les hommes reprenaient lentement leur calme et leurs esprits. Jérôme se cachait le visage, sanglotant sans retenue. Alex, un mince filet de sang coulant de son nez, avait la tête baissée, ne prononçant aucune parole. D’un ton autoritaire, Catherine s’adressa sévèrement aux deux hommes: - Vous allez vous calmer, messieurs. Votre comportement est indigne des gentlemen que vous êtes! Pendant qu’Alicia prodiguait les premiers soins à Alexander, l’infirmière prépara son matériel. - Il n’y a qu’un seul moyen de régler cette question, enchaîna la blonde clinicienne. Retroussez vos manches et tenez-vous tranquilles! Toi, Sophie, tu peux t’asseoir ici. Tous s’exécutèrent. Catherine appliqua un premier garrot en vue d’une ponction veineuse. - Qu’est-ce que vous faites? demanda Jérôme. - On va mettre un point final à toute cette histoire, l’informa Cathy. Ainsi nous saurons tous de façon sûre qui est véritablement le père de Sophie. Maintenant on respire bien, ça va piquer.
Les prélèvements sanguins furent rapidement effectués chez les deux hommes par l’infirmière. Alicia, quant à elle, y alla avec toute la délicatesse requise à l’égard de la jeune rouquine qui n’affectionnait pas particulièrement ce genre d’exercice. - Vous signez là, là et là, compléta l’autre jeune femme en désignant du doigt quelques endroits laissés en blanc sur un formulaire administratif. - C’est...? voulut s’informer Alexander. - Les autorisations pour les labos à procéder à l’analyse de votre ADN. Tout ça part demain matin à la première heure. - Eh bien dis donc toi, Catherine, t’es vraiment vite en affaires! s’étonna Alex, un des deux pères présumés de Sophie. - Je savais que ce litige viendrait à refaire surface, expliqua-t-elle. J’avais donc tout prévu. Jérôme se tourna finalement vers l’autre homme: - Je suis désolé, vieux, d’avoir été si violent dans ma réaction et de t’avoir frappé. J’ai agi sur le coup de l’émotion. Tu ne peux savoir à quel point toute cette histoire m’attriste. - Oh ça va, répondit l’autre en esquissant un timide sourire. Je crois bien que ton direct sur le nez était mérité, après tout. Je reconnais que ce fut de ma part un véritable coup de cochon commis envers toi. Les deux se levèrent et s’offrirent mutuellement l’accolade. - Tu m’as ramené au pays, vieux frère, affirma Jérôme en remerciant son vieil ami retrouvé. Et tu m’as rapproché des personnes que j’aimais. C’est ce qui compte vraiment, à présent. - Laisse-moi te dire, Jerry: s’il s’avérait que Sophie soit réellement ta fille, je serais encore plus heureux que toi. - Je vous aime tous les deux! déclara la jeune psychologue en accourant afin de se joindre au duo qui à présent s’enlaçait dans les larmes. - Viens, chérie! l’invita Alexander comme les deux hommes lui ouvraient leurs bras. - Jérôme sera toujours mon père, quel que soit le verdict des laboratoires. On ne peut négliger le vécu familial que nous partageons. Tu seras toujours mon papichou à moi. Et si c’est toi, Alex, je serai heureuse de pouvoir dire que j’ai enfin connu mon véritable papa!
Épilogue
Trois mois déjà séparaient cette période de celle ayant connu le retour au Canada de nos amis. Les activités chez les Durocher ainsi que chez les LeBel avaient repris leur cours normal. Sophie et Alicia étaient de retour à l’hôpital ainsi qu’au CLSC du Centre de santé et de services sociaux de la Montérégie-Est. Heureuses de retrouver sur place leurs collègues, elles se trouvèrent néanmoins quelque peu confuses lorsqu’elles firent le récit de leur ’récentes vacances’ en Chine: - Quoi, s’étonna l’une de leurs consœurs de travail, vous n’avez pris AUCUNE photo!? - En fait, affirma Sophie en adressant un clin d’œil coquin à sa copine, on a tourné seulement une petite vidéo. Rien de bien intéressant au final, ce qui fait qu’on ne l’a pas gardée. Alexander McKenzie retourna à ses dossiers d’espionnage au ministère de la Défense à Ottawa, refaisant de nouveau régulièrement la navette entre la capitale et Saint-Hyacinthe. Il demeura, profitant d’un consensus général, un fougueux amoureux de sa femme Sonia, un amant plein de douceur pour Jasmine et un compagnon de lit affectueux pour son vieux copain Jérôme. Après la tumultueuse séance de lavage de linge sale en famille vécue il y avait déjà quelques semaines, tous s’étaient pardonnés et engagés à s’accepter mutuellement tels qu’ils étaient et ce, pour le bonheur de tous. Comme annoncé à l’avance par Hua Mai-Linh, les événements s’étaient précipités en Nouvelle Chine. Le gouvernement quasi-dictatorial en place fut renversé à la faveur d’un coup d’État fomenté sous la direction de Hua Qiang et de sa jeune sœur. À la suite de la diffusion publique de la vidéo compromettante tournée grâce à la mini-caméra portée par Evnika à la Société des Dragons Rouges, le premier ministre Xian Long, couvert de honte et de déshonneur, fut contraint de se livrer aux autorités militaires dont l’allégeance avait basculé en faveur des activistes révolutionnaires. Fort de l’appui de l’armée chinoise qui s’était en effet maintenant rangée du côté du peuple, Hua Qiang fut proclamé président de la nouvelle république alors que Mai-Linh fut nommée dans son cabinet à titre de ministre de la Culture et de la Condition féminine. Ce fut aussi le début d’une période d’ouverture et d’inclusion pour tous les habitants du pays. On procéda à la décriminalisation de l’homosexualité et de l’ensemble des pratiques sexuelles non reliées à la reproduction. Toutes les personnes incarcérées en vertu de leurs différentes orientations sexuelles furent libérées et graciées par le nouveau régime. De retour au Canada, les résultats des laboratoires de biochimie furent formels: Jérôme s’avéra bel et bien être le père de Sophie. - Tu ne te souvenais pas, ma chérie, demanda l’homme à son épouse Jasmine, que nous avions à l’époque passé une folle nuit ensemble la veille de mon départ pour ma mission diplomatique et que c’est probablement là que tout s’était joué? Mais je crois que tu avais peut-être un peu trop bu. - J’étais probablement saoule cette nuit-là en effet et je ne m’en souvenais plus. Oh chéri, je suis si heureuse pour toi, pour moi. Pour nous trois, enfin! Or, un soir, effectuant une visite imprévue chez les tourterelles, l’homme surprit ces dernières à faire l’amour sur le canapé du salon. - Oups! se redressa soudain une Sophie entièrement à poil en se cachant du mieux qu’elle pouvait à l’aide de sa couverture. T’avais pas verrouillé la porte, gros minet? - Je croyais que tu l’avais fait, répondit l’autre en se retournant afin de cacher la nudité de ses fesses à son beau-père. - Hum, s’exclama le père de Sophie. J’aurais dû frapper, quelle étourderie de ma part! Je peux revenir, vous savez. - Pas la peine. Entre, Papa, l’invita la jeune rouquine. Tu m’as déjà vue toute nue, alors… Quant à Alicia... - Alicia aussi, je crois, se souvint Jérôme (Nda: Lire ’Le Village en folie’). - Ouais, je me souviens, intervint la fille aux cheveux d’ébène en présentant une moue de dédain. Votre petit party débile... - Vous êtes toutes les deux très belles, les complimenta l’homme, et j’ai toujours respecté vos choix de vie. Vous savez... Il se fit interrompre: - Tu sais, Papa, ça ne nous dérange pas si tu nous observes pendant qu’on fait l’amour, Ali et moi. J’étais pas loin de jouir lorsque tu es entré. Alors, va te servir un verre et reviens t’asseoir. Tu m’excuseras, c’est mon petit côté nympho qui te commande. Ainsi fut-il fait. L’homme se versa une consommation et revint s’installer confortablement afin de se délecter du spectacle de ses deux gouines préférées qui s’ébattaient maintenant devant lui sans aucune pudeur. Il en profita donc aussi pour se masturber en leur présence et ce, en toute quiétude. - Vous savez, mes cocottes, leur affirma-t-il au terme de l’activité exhibitionniste, je me posais justement une question. - Quoi donc? demanda de nouveau la jeune ingénue. - Et si je vous disais être aussi le père d’Alicia?
***
Mai-Linh et Cathy se marièrent en Chine, à l’occasion de noces publiques auxquelles tous leurs amis avaient été conviés. Il fut convenu d’un commun accord que notre infirmière voyageuse alternerait ses périodes de séjour entre Saint-Hyacinthe en compagnie de ses copines québécoises et Shanghai auprès de sa bien-aimée. C’est au cours d’une de leurs soirées de voyage de noces que les deux amoureuses se trouvaient à nouveau sur le lit, nues et mouillantes dans leurs draps, prêtes pour une autre torride nuit d’amour saphique. Furetant sur son laptop, Catherine faisait découvrir à Mai-Linh le site pour adultes Xstory. - Qu’est-ce que c’est? demanda la Chinoise à sa tendre moitié. - C’est un site contenant de magnifiques récits à caractère érotique. J’y détiens un compte, tout comme mes copines Sophie et Alicia. Je suis inscrite sous le pseudo de Cathy crisp. - Oh, très intéressant et très poétique! s’émerveilla le parfait sosie de son ancêtre la guerrière chinoise Hua Mulan. Peut-être pourra-t-on un jour y lire notre histoire?
