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La dernière semence

Chapitre unique

Histoire médaillée
Divers
En cette fin de matinée du mois de février, sous un ciel gris qui s’était certainement mis au diapason de la tristesse de l’instant, je marchais lentement derrière le corbillard, vêtue d’un grand ciré noir, avec quelques proches qui accompagnaient le défunt jusqu’à sa dernière demeure.
Pendant le trajet jusqu’au cimetière, les images de mes échanges avec Monsieur Jean me revenaient en mémoire.
Cet homme âgé passait régulièrement dans le magasin où je n’étais qu’une simple employée. Un jour, il m’avait dit, d’un air malicieux, que je lui souriais avec les yeux. Cette phrase sibylline avait aiguisé ma curiosité, car je ne savais pas du tout que cela pouvait exister et qu’il m’était possible d’adresser un sourire à une personne de cette manière. J’avais donc fait quelques recherches sur ce sujet dans des revues spécialisées et me regardais très souvent dans une glace pour étudier l’expression de mon regard.
Décidément, Monsieur Jean avait l’œil : il avait bien remarqué que mon visage était le reflet de mes émotions ; et c’était vrai que souvent, dès que je l’apercevais, j’éprouvais un certain émoi, une sorte de je-ne-sais-quoi mêlé à la honte qu’il se rende compte que mon trouble n’était pas qu’émotionnel.
Plusieurs mois d’échanges spirituels s‘étaient ainsi écoulés. On était devenus de bons amis, partageant de temps à autre un café ou de petits restaurants tout en échangeant sur les choses de la vie, cherchant parfois un peu de réconfort après les sempiternelles disputes que j’avais avec mon compagnon, car je ne lui donnais pas d’héritier.
Peu à peu, Monsieur Jean prenait une place grandissante dans mon cœur, à tel point que, lorsque pendant plusieurs jours je ne le voyais pas, je me posais, angoissée, mille questions. Par contre, dès qu’il apparaissait dans la boutique, j’éprouvais une sorte de bien-être. Ressentait-il la même chose ? J’avais envie de le connaître davantage.
Un jour, il m’indiqua où il résidait et me dit que si je souhaitais venir le voir de temps en temps, il serait évidemment très heureux de me montrer comment il vivait. Naturellement, je ne me fis pas prier, et quelque temps après, profitant d’un après-midi de repos, je frappai à la porte d’une petite maison située à la campagne à proximité d’un hameau. Il m’accueillit avec joie, un peu ému aussi de voir qu’une jeune femme puisse venir perdre son temps chez un vieil ours solitaire.
C’était une belle journée de fin d’été. Il me fit faire le tour du propriétaire de sa modeste demeure : un séjour, deux chambres, une cuisine qui fleurait bons les petits plats mijotés, et une dernière pièce, sorte de bureau où s’entassaient pêle-mêle des revues, des objets d’arts africains et d’autres contrées qui m’étaient inconnues.
Je pus admirer dans un rayonnage une jolie collection de vinyles ; quelques classiques, mais aussi de nombreux titres de « Monsieur Eddy », comme il l’appelait. J’appris par la suite qu’il était un inconditionnel de ce chanteur qui avait bercé une partie de sa jeunesse.
Il faisait vraiment beau ce jour-là, et nous avons passé une bonne partie de l’après-midi à parler sur la terrasse. Monsieur Jean était beaucoup plus disert que d’ordinaire et se livrait plus facilement. En fin de journée, alors que le soleil déclinait, il me fit visiter son potager et m’offrit, avant de repartir, un grand panier de légumes tout frais cueillis. Avec un sourire malicieux, il y ajouta quelques cucurbitacées aux formes suggestives. Je le quittai émoustillée comme une gamine et, sur le chemin du retour, je fis une petite halte dans un coin ombragé pour apaiser mon émoi et retrouver une attitude un peu plus digne.
C’était vite devenu une habitude : dès que j’avais un peu de temps libres, j’allais rendre une petite visite à Monsieur Jean qui m’accueillait toujours avec plaisir et ne manquait jamais de trouver quelque chose à me faire découvrir.
C’est ainsi qu’il me fit connaître, grâce à des enregistrements qu’il conservait précieusement, « La dernière séance », une émission de télévision présentée par « Monsieur Eddy », datant des années quatre-vingt. Je ne connaissais pas cette ambiance des petits cinémas de quartier ni cette atmosphère d’une autre époque, que j’avais du mal à imaginer, bien loin de l’actuelle diffusion des complexes cinématographiques qui fleurissent un peu partout à la périphérie des villes. Il y avait un certain rituel dans la projection, avec pour commencer un dessin animé, puis les actualités. Ensuite, il y avait un entracte avec une ouvreuse en tenue d’époque qui parcourait les travées de la salle en proposant aux spectateurs des esquimaux, caramels et autres friandises.
Trouvant un certain charme à ces vêtements, je me suis mise à rechercher des robes, jupes, chemisiers, chaussures et accessoires qui me permettraient d’être davantage dans cette ambiance. Pour l’étonner, je décidai de lui rendre visite ainsi vêtue. Quand il me vit, il me félicita pour le choix de ma tenue et me taquina gentiment en m’appelant « La fille aux yeux menthe à l’eau », nouvelle groupie de « Monsieur Eddy ».

Avec les mauvais jours, il me faisait écouter sa collection de disques devant un bon feu de cheminée. C’est ainsi que je découvris l’étendue de la carrière de Claude Moine, plus connu sous son nom américanisé. Il m’arrivait même parfois, lorsque j’étais seule, de fredonner des chansons de « Monsieur Eddy », ce qui immanquablement ramenait mes pensées vers Monsieur Jean.
J’avais remarqué, lors de ma première visite, une sorte d’objet phallique, finement sculpté, dressé sur un socle tel un menhir, ornant la tablette de la cheminée. Naturellement, je n’avais pas osé le questionner sur ce qu’il pouvait bien faire avec une si étrange décoration ni quelle était son origine.
Parfois, il lui arrivait de me parler de ses séjours passés au bout du monde, de la chaleur des nuits africaines et sud-américaines, de ses rencontres avec d’autres civilisations. C’est ainsi que j’eus l’explication sur l’objet de la cheminée qui m’intriguait tant : il s’agissait tout simplement d’une dent de cachalot qu’un commandant de chalutier russe lui avait offert en remerciement d’un salutaire remorquage jusqu’à Valparaiso. Troublée, j’avais enfin pu l’avoir entre mes mains et l’examiner sous tous les angles, découvrant la finesse des traits de dessin et des fines ciselures réalisées avec beaucoup de minutie (le lecteur trouvera facilement des documents sur les dents de cachalot sculptées et pourra laisser libre cours à son imagination...).
Vers la fin du mois de janvier, je rendis visite à Monsieur Jean. Il semblait heureux de me voir, mais me paraissait plus soucieux que d’ordinaire ; je ne lisais pas sur son visage cette naturelle gaîté. Je le questionnai et il finit par me dire :
— Mes dernières analyses ne sont vraiment pas fameuses ; je pense que la fin est assez proche. Il faut bien se faire une raison : je ne serai pas éternel.
J’étais sous le choc et ne pus retenir une larme, mais il s’empressa de me consoler et de me murmurer doucement :
— Tu sais, presque un demi-siècle nous sépare, mais il y a longtemps que je te désire, Émilie. Je ne voulais pas briser ton ménage ; c’est pour cela que je me suis abstenu de toute avance à ton égard. Maintenant, cela n’a plus d’importance. Alors, avant de partir, je voudrais juste une fois te faire l’amour, emporter un dernier souvenir...
Surprise par sa déclaration, dans un souffle, je lui répondis :
— Moi aussi je te désire, Jean ; si tu savais dans quel état je suis lorsque je pars de chez toi...
Nous sommes montés dans la petite chambre bleue qui fleurait bon la lavande. Je me suis roulée sur l’édredon moelleux, laissant ses mains ridées courir sur ma peau, électrisant mon corps. Je participais activement à cette sarabande, étonnée par l’imposante vigueur du septuagénaire. Je ruisselais, et sans faiblir, je le sentais passer d’un orifice à l’autre, m’arrachant des petits cris de plaisir. Le temps semblait s’être arrêté. Je ne pensais plus à rien. Sa cavalcade dura un long moment avant que, secoué de spasmes annonciateurs du plaisir, il ne s’épanche dans ma chair.
Il lui fallut un peu de temps pour reprendre son souffle ; moi, j’avais du mal à aligner deux pensées cohérentes, et c’est dans une sorte de brouillard qu’il m’offrit, avant que je m’en aille, sa précieuse dent de cachalot en me disant que j’aurais au moins une dent contre lui.
Dans le courant du mois de février, je profitais de mon jour de repos pour aller voir Monsieur Jean chez lui, car je n’avais plus de nouvelles depuis ce fol après-midi où je m’étais lascivement abandonnée à ses caresses. Voyant les volets clos et ne trouvant personne, je me rendis jusqu’au village. À l’entrée du bourg, je rencontrai une vieille femme qui poussait une brouette. Je m’arrêtai pour lui demander si elle savait où se trouvait Monsieur Jean.
Elle me répondit en se signant :
— Il est l’hôpital de Karaez depuis au moins trois jours. Ma Doué, benniget ! Pour sûr que l’Ankou viendra le chercher avant la prochaine pleine lune, dame oui !
Je repartis donc vers Carhaix. À l’hôpital, on m’indiqua la chambre de Monsieur Jean. Il semblait assoupi, le visage détendu. Je ne pus m’empêcher de glisser une main sous le drap ; mes doigts effleurèrent sa fine toison avant de s’enhardir un peu plus et de caresser délicatement un serpent qui ne tarda guère à s’éveiller. La main qui se crispait sur le haut de ma cuisse m’encourageait à poursuivre ma douce caresse. Ce fut bref ; le serpent cracha son venin avant de se rendormir. Je suçai mes doigts, enivrée par cette liqueur, et recueillis ensuite, à l’aide d’un mouchoir, cette précieuse semence. Il me sembla entendre, en quittant la chambre, un vague « Merci, Émilie. »
Le lendemain, après le travail, je fis un détour par l’hôpital ; j’appris que Monsieur Jean était décédé dans la nuit et reposait dans la chambre mortuaire du funérarium. Je suis passée le voir. Il semblait me sourire ; c’était un peu comme si on communiquait par la pensée. Il resterait présent dans mon cœur.
Après une courte et sobre cérémonie au funérarium, lorsque j’avais posé ma main sur le cercueil, j’avais ressenti un long frisson me parcourir l’échine.
Le corbillard était arrivé au cimetière ; j’avais assisté avec quelques proches à la descente du cercueil dans la tombe et attendais mon tour pour y déposer ma rose. On nous fit mettre en cercle autour du tombeau, et je fus surprise quand plusieurs personnes entonnèrent, a capella, une chanson de « Monsieur Eddy » : la dernière séance. Je pus reprendre avec eux les paroles, car Monsieur Jean me les avait apprises, mais il m’en venait de toutes autres à l’esprit.
J’étais devant la tombe, une rose à la main en chantant ; mais pour ce dernier hommage à mon éphémère amant, j’écartais un peu les cuisses : je tenais à lui offrir la vision d’une rose plus intime, aux pétales violacés couverts des quelques gouttes de rosée, car sous mon ciré noir, je ne portais qu’une paire de bas. J’étais certaine qu’il devait être fier de moi.
Ensuite, je quittai le cimetière et rentrai chez moi pour transcrire les paroles que j’avais eues en tête lors du chant autour du tombeau :
Doucement il est partiAprès s’être endormiC’était sa dernière séance,Il m’a donné sa semenceUltime fruit de sa jouissancePlus rien n’avait d’importance,Que sa toute dernière semence.

Un peu avant la Toussaint de cette même année, j’accouchai d’un petit Jean-Eddy. Désirant un enfant depuis longtemps, mon compagnon et moi étions très satisfaits de cet heureux événement. Peut-être qu’un jour, en suivant l’enterrement d’un proche, vous remarquerez parmi les gens accompagnant le corbillard une ou plusieurs inconnues... Amies, ou amantes du défunt ?
Émilie Bocoutreau
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