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Deux frangines singulièrement différentes

Chapitre 3

Écouter l’autre, cela aurait dû être l’idée de départ

Trash
En rentrant du camping, Morphée avait refusé de m’accorder le sommeil réparateur dont je l’avais pourtant supplié. A la place, il m’avait jeté les bouts glacés d’un cauchemar d’adultère révélé, saupoudrant ma nuit d’une franche pincée de réveils agités.
Pour Léa en revanche, ce dieu mineur de la mythologie grecque s’était assuré qu’elle ne ressentît même pas la transition entre la banquette arrière de la voiture et le lit de mon studio parisien ; transition qui avait tout de même comporté un voyage chahuté par les parois d’un ascenseur exigu.
Je m’étais donc réveillé, encore fatigué de la veille, assommé par une sonnerie – l’un de mes remix d’électro favoris – dont j’avais visiblement surestimé la capacité à discipliner mon humeur de chien. Après une tasse de café nécessaire, je me résolus à sortir profiter de la brise matinale.
Perdu sur les quais de Seine, adossé à l’un de ses murets qui en offraient une vue plongeante, je m’oubliais, somnolent, dans les perspectives fuyantes d’un spectacle d’ondoiements.
Le clapotis des flots capturait les traînées pêche et corail que les premières lueurs de l’aurore déposaient, par couches successives, dans le ciel. Au rythme du courant, les cabines branlantes de quelques péniches dormant ici et là réfléchissaient les rayons lumineux du soleil naissant. Le fleuve n’avait de cesse, chaque matin, de remettre le pinceau à l’ouvrage pour restituer les teintes confuses de cette toile éphémère.
Je laissais divaguer, sur les vagues écumantes de ce miroir sans tain, les larmes de ma conscience. J’y voyais en négatif la couleur froide des jours passés, écartelé entre l’impression brute d’un amour coupable et la sensation raffinée d’un plaisir en manque. Héloïse embrasait mes fantasmes. C’était une évidence qui me dévorait chaque jour un peu plus. Pour autant, mon cœur lui déniait toute place en son sein ; ma raison lui refusait toute existence sociale. C’était une certitude sur laquelle reposait, dans son ensemble, l’édifice de ma réalité affective.
Une délicate fragrance de rose me fit quitter l’impasse de mes pensées. Léa essayait discrètement de se glisser entre mes bras. Je sentais son parfum estomper peu à peu l’odeur épaisse du fourmillement urbain. Riant de sa manœuvre exagérée, je m’écartai du muret pour qu’elle se lovât contre moi. Elle posa sa tête au creux de mon cou, essayant manifestement de comprendre ce qui m’absorbait ainsi.
— Tu t’étonnes d’un soleil levant qui impressionne encore ? me dit-elle, amusée par son jeu de mots.— Oh bah tu sais, entre une Seine souillée de pollution et ton joli p’tit minois, je préfère encore regarder la carcasse de ce vieux fleuve, répondis-je sur le même ton.— Ah d’accord, la gratuité dès le matin, s’indigna-t-elle en souriant. Je crois que je vais te laisser avec ta flaque d’eau. Moi, je vais à la bibliothèque. Bon courage avec elle au lit, hein ! termina-t-elle en faisant mine de partir.
Je la retins, rieur, resserrant davantage mon étreinte.
— Qui laisserait filer la plus belle pièce de sa collection ? demandai-je rhétoriquement.— Je croyais que j’étais la seule, répliqua-t-elle d’un regard faussement outré.
Cette fois, je ris jaune. Depuis notre escapade à Center Parcs, je n’avais pas encore eu à lui servir de faits controuvés. Je me contentais de mentir par omission, ce qui était bien plus léger à porter avec soi au quotidien. Sa boutade me renvoya brutalement ma lâcheté au visage. J’allais, tôt ou tard, devoir affronter la vérité. Je n’étais pas prêt à perdre Léa. Le serais-je un jour ?
Je manquai d’étouffer un bâillement – providentiel, il fallait le dire.
— Petite nuit, remarqua-t-elle.— Mmmh, acquiesçai-je tout aussi laconique.
Tel un arrière-plan désagréable, les débris ressuscités de la veille nous entourèrent. La tonnelle opaque vint gâcher ma vue, atténuant les bruits de la circulation parisienne. Le souvenir éprouvant du jeu flotta entre nous, inondant l’atmosphère d’un silence pesant. Chacun s’efforçait de se représenter la scène du point de vue de l’autre, sans toutefois parvenir à se débarrasser complètement des craintes qui s’y trouvaient projetées.
— Tu sais à propos de ce qu’il s’est passé hier soir au camping..., commença-t-elle hésitante.— Je t’aime, la coupai-je. De tout ce que nous pourrons dire par la suite, sache qu’il n’y a que toi à la barre de mon cœur. Chacun de tes baisers est une raison de plus pour moi de chavirer. S’il me fallait couler pour atteindre l’océan de tes yeux, alors je serais le plus heureux des hommes à ne pas savoir nager.
L’emphase avec laquelle les acteurs de tragédie déclamaient leurs tirades m’avait toujours laissé perplexe, pour le formuler poliment. Du reste, mon imaginaire était pétri des lieux communs du romantisme au cinéma, codifiant à l’excès la rencontre stéréotypée d’un homme et d’une femme. Pourtant, en cet instant d’étrange profondeur, l’audace grandiloquente de mon verbe sonnait juste, sans qu’il n’eût fallu forcer le trait. Je m’étais ouvert de mon amour, comme on aurait éplucher un journal à la recherche de quelques vérités simples.
Léa éclata en sanglots. Devant mon sourire goguenard, elle frappa mon torse d’un poing rageur.
— Eh ! Tu n’as pas le droit de me dire de si jolis mots pour ensuite te moquer de moi, au nom de je ne sais quel énième cliché sur la sensibilité des femmes ! s’insurgea-t-elle en pleurs.
Elle soupira devant mes efforts manifestes pour abandonner cet air narquois. J’entrepris, par d’habiles caresses, de sécher ses joues rougies.
— Je suis amoureuse d’un enfant de douze ans, plaisanta-t-elle tristement.
Malgré le sourire de circonstance qu’elle affichait, je n’étais pas dupe de ce que son visage trahissait. Ses yeux humides s’abîmaient dans un azur mélancolique, empreint de regrets amers qui me paraissaient prendre racine au-delà des évènements du camping.
Je la câlinais tendrement, l’invitant à épancher son chagrin.
— J’ai le sentiment de ne pas être à la hauteur au lit, lâcha-t-elle les larmes dans la voix. Je vois la sincérité de ton amour dans ta manière de me regarder, mais je vois aussi que tu es ailleurs lors de nos ébats. Je suis consciente de l’effet que te font certaines filles... J’ai l’impression que je ne pourrai jamais être aussi désirable qu’elles.
Alors qu’elle cherchait ses mots entre deux sanglots contenus, j’ouvris la bouche pour la rassurer – assez hypocritement, je m’en voulais de le reconnaître. Il y avait tant de choses dont je voulais qu’elle fût consciente à propos de la sexualité. Pour cela, je devais bousculer les lignes de sa perception, préciser là où les représentations collectives demeuraient vagues, susciter le doute là où la société distribuait des certitudes, distinguer là où les tabous banalisaient. Le travail d’une vie, somme toute.
Elle me fit signe de ne pas l’interrompre.
— Il y a autre chose que je veux te dire... Peu d’hommes peuvent se vanter d’avoir un jour occupé mon cœur. J’ai toujours été réticente à le donner...
Elle marqua une nouvelle pause. Elle semblait secouée, comme replongée dans les blessures de son passé. J’embrassai délicatement son front, espérant lui donner le courage de continuer.
— Ma première relation sérieuse a perturbé ma vie, reprit-elle. J’avais quinze ans, je débutais le lycée, je n’avais qu’une idée en tête : plaire. J’étais crédule et insouciante... Il y avait un mec ultra-populaire en terminale qui s’intéressait à moi. Dans ma tête, c’était le paradis. J’étais propulsée au centre de l’attention. Mes copines de classe m’enviaient, les gars de mon âge m’admiraient. On se voyait régulièrement. Il était toujours adorable avec moi. Et puis un soir, il a insisté pour que je vienne à l’une de ses soirées. En fait, ce n’était pas vraiment une soirée. Il m’attendait avec deux de ses potes du rugby. Il m’a dit qu’on allait s’amuser. Je me sentais mal à l’aise, seule, au milieu de ces trois masses de muscles. Plus ils buvaient, plus ils devenaient intimes avec moi... A un moment, j’ai essayé de partir...
Sa phrase resta en suspens, craintive à l’idée de décrire cet évènement qui avait depuis lors jeté une ombre traumatisante sur l’existence de Léa. Saisi d’un élan protecteur, je la serrai dans mes bras et pressai sur son front mes lèvres préoccupées.
Ma copine m’avait ouvert les pages les plus tragiques de sa vie. Je fus pris des vertiges de celui qui s’apercevait, le jour levant, de la profondeur du gouffre au bord duquel, toute la nuit, il s’était assis béatement pour contempler les étoiles. Depuis bientôt un an, je prétendais aimer une femme que je n’avais pas comprise. J’avais laissé une routine lénifiante, secondée par un égocentrisme monstrueux, s’emparer de notre temps à deux, saturant de cloisons en papier l’intérieur de notre cocon amoureux. Je me savais coupable de cet aveuglement. Plus difficile encore que d’en prendre conscience, il me fallait à présent ouvrir les yeux sur la vulnérabilité de Léa.
— Merci et pardon, mon cœur, finis-je par dire après plusieurs secondes de réflexion. Merci pour cette magnifique marque de confiance dont tu viens de me témoigner. Pardon pour ne pas avoir suffisamment été à ton écoute. Pardon pour ne pas avoir su t’apporter le soutien qu’il te manquait. Pardon pour la pression que je te fais subir au lit.
Retrouvant une mine joyeuse, elle se hissa sur la pointe des pieds dans l’intention de m’embrasser. Ce fut à mon tour, en arrêtant son baiser d’un doigt, de lui signifier que je n’avais pas terminé.
— Reprenons à zéro notre vie sexuelle, enchaînai-je. Je voudrais te faire découvrir l’érotisme tel qu’il me passionne. Tu mérites de jouir sans entraves de ton corps... Au fond, je ne demande qu’à te faire profiter de mes talents particuliers.
J’avais prononcé cette dernière phrase en souriant malicieusement. Je ne m’attendais pas à la réaction de Léa : elle plaqua son ventre contre mon entrejambe, ondulant innocemment du bassin. J’accentuai alors un peu plus la sensualité de notre étreinte. Ajoutant un autre doigt sur ses lèvres pulpeuses, je jouais désormais avec elles, les pinçant, les tirant, les déformant doucement. Ma copine y fit écho en gémissant discrètement de plaisir.
— L’entreprise ne sera pas facile, continuai-je. Il te faudra suspendre toute appréciation morale préalable, sans verser pour autant dans un relativisme anodin. Il faudra élever ta conscience au-dessus d’un monde soumis à des images fixes et totalisantes, sans renier pour autant le sens des apparences.
Alors que je feignis de persister dans ce discours alambiqué, Léa attrapa ma main et cracha sur mes doigts. Couvrant de caresses suggestives mon index et mon majeur, elle les suçota amoureusement, jouant avec la salive dont elle les avait enduits. Je me tus complètement, ébahi, savourant les délicatesses que sa langue me prodiguait.
L’intensité avec laquelle elle me fixait m’interloqua. Elle m’excitait d’un simple regard. Je la voyais persuadée de l’effet qu’elle me faisait, cela changeait tout. Je lui en fis part...
Comme pour vérifier mes dires, elle palpa, satisfaite, l’état de mon entrejambe.
— Tu serais surpris de ce que Julie pourrait m’enseigner, minauda-t-elle en laissant grésiller sa voix dans les tonalités plus graves.
Une vision, peut-être prémonitoire, traversa mon esprit, celle de Léa et Julie rivalisant d’adresse pour s’occuper de mon sexe. Cette création imaginaire aux allures délicieuses disparut aussi fugacement qu’elle était apparue.
— Tu serais surpris de tout ce que je pourrais te faire, murmurai-je d’une voix transpirante de désir.— Moi, je ne crois que ce que je vois, répondit-elle insolente.
Me laissant en plan, seul avec mon excitation refoulée, elle partit d’un pas léger, les cheveux au vent.
Cette discussion matinale en bord de Seine, anodine en apparence, représentait un pas décisif dans notre couple, le choc traumatique de Léa adolescente pouvant devenir entre mes mains la clé de sa libération sexuelle.
Alors que j’imaginai avec délice les suites de ma réflexion, elle se retourna au coin de la rue.
— Bon, tu viens ? A t’entendre à l’instant, on avait beaucoup de travail, lança-t-elle par-dessus le bruit des voitures, levant outrageusement les yeux au ciel.— Mais j’arrive de ce pas ma chère, répliquai-je, heureux, le désir à fleur de peau.

Je passai le week-end suivant avec ma copine dans la maison de ses parents, une usine artisanale réhabilitée il y a une dizaine d’années par un architecte sans doute lasse des pavillons en série qui envahissaient alors par grappes les périphéries franciliennes.
Tout en longueur, le bâtiment habillait le béton anthracite lisse de ses murs, d’un bardage en bois brûlé clair et de larges baies vitrées. Quelques pots de fleurs métalliques ornaient l’entrée qui se faisait par le garage, réaménagé à cet effet avec des pans de briques apparentes en terre cuite.
Ce loft new-yorkais construit de plain-pied détonnait dans le paysage environnant. Où que portait mon regard, des résidences aux façades chargées de fioritures inexpressives se rangeaient, bien droites, les unes à côté des autres.
L’ordonnancement rigoureux du quartier, selon des lignes de perspectives ininterrompues, soulignait bien le cirque qui s’y déroulait, propre aux jalousies de voisinage. La nouveauté d’une propriété s’observait, par répétition, sur celle de ses voisines ; l’originalité d’un détail se perdait, par dilution, dans celle de ses copies. Je pus ainsi noter qu’un bassin décoratif, à l’entrée de la rue, prenait successivement, les numéros passant, un design moderne, un style japonais, une forme orientale, un aspect rustique. Je préférais en rire...
En ce dimanche ensoleillé, j’avais prévu, comme tout individu normalement constitué, de profiter du beau temps. Léa lisait, allongée sur un transat, vêtue d’un sweat-shirt que je pensais avoir perdu.
Je comptais l’imiter lorsque son père m’intercepta en chemin, me réquisitionnant pour l’« aider à effectuer la vidange de la Clio » (sic). En fait, il se servait des convenances ambiguës régissant les relations gendre/beau-père pour se débarrasser d’une corvée. Je me retrouvais ainsi à m’affairer, seul, sous le capot d’une voiture qui ne m’appartenait même pas.
Alors que j’étais allongé au niveau du châssis, j’entendis des talons claquer sur les dalles en béton. Sortant ma tête pour saluer ces bottines en cuir verni rouge, lacées sur le devant, je découvris une Héloïse en tenue d’écolière – enfin, selon sa conception à elle de l’uniforme scolaire : une paire de chaussettes hautes blanches remontaient timidement au-dessus de ses genoux ; une jupe écossaise couvrait à peine ce qu’il était indécent de montrer ; un chemisier assez transparent, largement déboutonné, laissait entrevoir un soutien-gorge noir super push up. Ses cheveux lissés et rassemblés en deux couettes lâches conféraient à l’ensemble une innocence criminelle.
Elle s’arrêta à côté de la voiture, surprise de m’y trouver. Prenant les devants, je décidai d’engager la conversation.
— Salut Héloïse, dis-je, il faut qu’on parle...
Elle se dirigea vers moi d’un pas sûr, écartant du pied les outils sur son passage. Je crus qu’elle ne m’avait pas entendu.
— Héloïse, répétai-je, on ne peut pas continuer...
Elle enjamba mon visage dérouté. Ses pieds, placés de part et d’autre de ma tête, m’empêchaient de bouger. Bloqué sous sa jupe, je ne pouvais que regarder son intimité, dépourvue de culotte, impeccablement épilée.
— Je me fiche éperdument de ce que tu vas dire. Moi, ce qui m’intéresse, là tout de suite, c’est ta langue, assena-t-elle.
Elle ponctua sa déclaration d’un sourire glaçant, en regardant ostensiblement mes lèvres.
— Hein ? répondis-je abasourdi. Mais je suis amoureux de ta...
Elle ne me laissa pas le temps de terminer ma phrase. Elle s’accroupit et écrasa son sexe contre ma bouche. Agrippant mes cheveux de ses mains, elle se frotta frénétiquement sur moi, étalant sa cyprine abondante de mon menton jusqu’à mon nez. Dans ce monde aqueux où filtraient quelques rayons de lumière à travers le tartan rouge, je me concentrai pour respirer lorsque c’était possible.
Ses mouvements étaient abrupts, sans douceur. Je sentais les muscles de ses cuisses se contracter contre mes joues. Elle ne cherchait que son orgasme. Après plusieurs minutes de gémissements étouffés, elle y parvint. Son cri de jouissance me fit bander, malgré tout.
Cette situation émoustillait mes sens bien plus que je ne m’y attendais. Confiné dans un espace insolite, je sentais le béton froid du sol contraster agréablement l’humeur chaude qui coulait sur ma peau. Une divine odeur de sexe féminin emplissait mes narines. Je surpris ma main se frayant un chemin jusqu’à mon membre déjà excité.
Héloïse resta un moment pantelante, adossée à la voiture, au-dessus de mon visage. Elle releva ensuite complètement sa jupe, dévoilant un visage satisfait de conquérante qui me toisait de haut. Je crus qu’elle avait obtenu ce qu’elle voulait, qu’elle allait enfin me libérer.
En réalité, mon envie de m’extraire de cette position soumise me paraissait de plus en plus fade. Une partie de moi ne demandait qu’à servir de nouveau de support inerte au plaisir à sens unique de cette dominatrice sexuelle.
— T’es trop mignon comme ça, ricana-t-elle. Mais t’es tout crade, je vais te nettoyer, ajouta-t-elle d’un regard malsain.
Je ne compris le sens de ses paroles qu’à l’instant où un liquide brûlant, nauséabond, inonda mon visage. Elle m’urinait dessus, sans aucune gêne. Je fermai les yeux et retins ma respiration, tâchant d’ignorer la souillure que je subissais. Le cours de mes pensées s’arrêta, pris dans des vents contraires, suspendu entre l’attrait d’une nouveauté inavouable et le rejet d’une dépravation inacceptable. Aucune réflexion d’ensemble ne prospérait. Toute conclusion logique s’effaçait. J’étais là, allongé, spectateur impuissant, mais curieux de ma dignité en fuite.
La dernière goutte tombée, Héloïse se redressa et repartit comme une fleur, un sourire pervers aux lèvres. Je restai stupéfié par ce qu’elle venait de faire, par les proportions que venaient de prendre cette rivalité puérile entre frangines. Avais-je seulement le droit de me plaindre de ce qu’il m’arrivait ? N’étais-je pas, sinon l’auteur, du moins le protagoniste de cette escalade de dévoiement ?

La vivacité des jours suivants occulta presque complètement l’épisode de cette douche dorée, la pression des cours prenant le pas sur le reste. Je poursuivais, en effet, un objectif ambitieux, celui de réussir un concours administratif exigeant. Le vaste horizon qui s’étendait dans mon esprit s’en trouvait nécessairement borné. J’avais, de plus, tendance à laisser mes réflexions opérer en silo, hiérarchisant et cloisonnant, de sorte à garantir, le cas échéant, l’intégrité d’un compartiment en dépit de son voisin avarié. Héloïse comme Léa, chacune à leur manière, l’une brusquement, l’autre tristement, me renvoyaient l’inanité d’un tel système de pensée.
Un soir, alors que je sortais d’une conférence d’actualité donnée à des étudiants en prépa, Léa passa me prendre. Elle m’attendait, adossée à un lampadaire aussi vieux que l’apparition de l’éclairage public, devant les grilles d’un établissement scolaire d’apparence encore plus vétuste. C’était à se demander où fuitaient les deniers de l’Éducation nationale.
En vérité, les mots choisis ne rendent pas bien compte de ce qu’il s’est véritablement produit. Ma copine a fait plus que « passer me prendre », elle m’a pour ainsi dire décontenancé, et ce, à bien des égards.
Elle se languissait, sensuelle, sous la lueur blême du réverbère : une jambe repliée, une cambrure dessinée, des mains jointes au creux du dos, une tête délicatement rejetée en arrière, un regard perdu dans le lointain, le tout offrant à la délectation de chacun un cou fin, fragile, parfait.
La nuit, attendrie, soulignait les reflets ternes de sa tenue d’un léger trait d’encre. Un leggings et une brassière de sport noirs accentuaient l’éclat insolent de sa chair nue. Un anorak transparent apportait, au milieu de passants eux aussi subjugués, une convenance ironique à cet ensemble moulant à souhait.
Devant l’impudente candeur qui se tenait là devant moi, je m’étais arrêté promptement, les premiers instants de surprise cédant la place à de longues secondes de contemplation béate. Tout dans son apparence criait à la curée sexuelle, une palpitation aiguë, brûlante de désir, sans retenue ni raffinement.
Haussant un sourcil équivoque, elle me reluqua de la tête aux pieds, feignant muettement l’extase devant mon air de badaud ébahi.
Un détail, cependant, m’avait jusqu’alors échappé : un discret nostril en or ornait l’une de ses narines. Captant mon regard sur son piercing, la masque de son assurance tomba. Elle ne me semblait plus tout à fait sûre d’elle, scrutant ma réaction, prête à tout moment à quitter son attitude enjôleuse pour retrouver l’illusion réconfortante de la neutralité sociale.
Le doute tendait l’expression de ses traits, en même temps qu’il parait son visage d’un charme singulier : sa moue timide, son regard hésitant, le rouge fuyant de ses joues, rendaient chaque détail encore plus précieux. Je retrouvais la Léa que je connaissais, celle dont je m’étais épris, mal à l’aise dans cette tenue affriolante qui, selon elle, ne lui correspondait pas. J’aimais cette beauté vraie, ignorante d’elle-même, comme effrayée de pouvoir exister.
La rue me parut soudain bien silencieuse. Elle semblait retenir son souffle, comme moi, devant l’indécente attraction qu’exerçait Léa sur nous. Je me laissai emporter, incapable de résister. Mes mains, avides de chair tendre, se posèrent d’elles-mêmes sur ses hanches nues, savourant avec délice la chaleur de sa peau douce.
— Tu es... magnifiquement sexy, la rassurai-je, réprimant temporairement mon besoin de posséder ses lèvres.
Une franche sérénité éclaira son visage, mélange de reconnaissance et de satisfaction. Il me sembla déceler une lueur de fierté à l’endroit de toute cette attention sexuelle qui l’incommodait à présent gentiment.
— L’effet est saisissant, ajoutai-je, non sans malice, en regardant ostensiblement mon entrejambe.
Elle m’embrassa avec passion, ses lèvres murmurant contre les miennes une exquise déclaration d’amour. J’étais ému... Et toujours aussi excité – c’était palpable. Au vu du petit sourire coquin que ses yeux m’adressèrent, elle en avait pleinement conscience. Quelques secondes licencieuses passèrent ainsi, chargées de promesses silencieuses.
Léa ouvrit toutefois une parenthèse, ignorant la pesanteur impudique qui m’engourdissait déjà.
— Tu ne trouves pas que ça fait too much ? me demanda-t-elle.
L’espace d’un instant, le sérieux de sa question me prit au dépourvu. Elle faisait sans doute référence au piercing et, par métonymie, à l’ensemble de séductrice accomplie qu’elle portait. Je tâchai de me concentrer, malgré l’état de la situation, pour formuler une réponse pertinente.
— Le désir que tu souhaites susciter autour de toi t’appartient. C’est à toi de fixer la limite de ce qu’il te semble convenable de révéler. Le regard des autres n’est que la conséquence de cette décision, non son fondement.— Oui, évidemment..., soupira-t-elle. Mais, en pratique, cette position est difficilement tenable. D’autant que l’on souhaite toujours plaire pour être observé, admiré. Sommes-nous prisonnières du regard que vous nous portez ?
Je ne trouvais rien à redire à cette accusation d’une éprouvante vérité.
— Le corps des femmes est surreprésenté, manipulé à l’excès, continua-t-elle. Lorsque nous nous « dégradons » pour vous séduire, la bienséance nous diabolise. Lorsque nous nous « tenons » pour vous plaire, l’ennui nous marginalise.
Elle débitait ces constats affligeants avec une monotonie excédée. Je ne pouvais qu’acquiescer, caressant distraitement son ventre plat, piètre agrément d’une réalité accablante.
— Nous sommes dans une impasse..., acheva-t-elle, amère. Quelle femme ne souhaiterait pas plaire ? Plaire pour exister... Plaire pour s’enchaîner.
Elle avait levé ses yeux aux ciels, comme si elle espérait y trouver la clé de ce fatalisme vicieux. J’y cherchais moi-même une nuance. Pourtant, j’étais indubitablement le produit de mon époque, une époque qui s’apercevait de la femme émancipée, une époque pénétrée de la séductrice stéréotypée, une époque pétrie de fausse féminité.
— Je ne peux malheureusement pas ignorer l’imaginaire d’une société dont je suis imprégné...— Je sais, mon amour, m’interrompit-elle. Moi non plus d’ailleurs... Je suis là, terriblement excitée par l’effet que je te fais. Et je suis bienheureuse comme ça, termina-t-elle, un sourire malicieux accroché aux lèvres.
En quelques mots, elle avait balayé la gravité d’un siècle, allégé le ton de la conversation, rallumant aussi simplement que cela le brasier ardent qui dévorait, encore quelques minutes auparavant, mon entrejambe. Je repris subitement conscience du contact brûlant de nos deux corps, de notre posture suggestive, des regards alentour qui nous déshabillaient.
Léa aussi, manifestement. Elle se mordait la lèvre de désir. Je voyais ses yeux frémir d’appétit, un appétit sexuel dont je ne la pensais pas capable, un appétit cru, choquant, étalé de la sorte sur les pavés pervers de la rue.
Nous remarquâmes un groupe d’étudiants qui, discutant sur le trottoir d’en face, nous lançait des œillades à la dérobée. Deux filles avaient tout bonnement cessé de donner le change d’une discussion entre amies pour nous dévisager ouvertement.
Je prenais goût à jouer avec notre audience passagère. Mettant muettement Léa au défi de m’arrêter, je pinçai, à travers sa brassière trop serrée, ses tétons durcis par la fièvre du péché. Elle soutint mon regard sans broncher, attrapant fermement mon membre aux abois, sans se soucier outre mesure de mon pantalon qu’elle froissait. Je renchéris en tirant, avec une nonchalance adroite, sur les bretelles de son haut, dévoilant au spectateur attentif certaines parcelles inconvenantes de sa peau.
L’attroupement lubrique qui nous matait effleurait notre bon sens, comme le vent découragé attisait le feu au lieu de l’éteindre.
— Dommage que, dans cette position, je n’aie pas accès à ton sexe, glissai-je à Léa tout bas.
Elle réagit presque aussitôt en s’asseyant sur la barrière, cambrée à l’excès, faisant volontairement ressortir le galbe de ses fesses. D’innombrables paires d’yeux affamées se jetèrent sur cette vue enchantée.
Fière d’elle, Léa me ramena entre ses cuisses, tirant sur la boucle de ma ceinture. Nos visages se situaient désormais à la même hauteur, chacun renvoyant à l’autre l’ivresse du plaisir épié, chacun trouvant dans l’autre la jouissance du spectacle interdit.
Elle lança d’une voix suffisamment forte pour être entendue de tous :
— Dans celle-ci, tu as accès à mon cul, il me semble.
L’assemblée se tut, sonnée par une telle hardiesse. L’audace de la réplique consuma ma raison ; la vulgarité de l’invitation enflamma mes pensées. J’étais là, le corps palpitant sur les planches de ce théâtre urbain à ciel ouvert, indécis sur la suite à donner à cette pièce qui, à l’évidence, violait toutes les règles seyant à une représentation publique.
La metteuse en scène de cette scandaleuse impudence m’encouragea d’un regard provocateur. J’attrapai donc ses fesses puis, joignant lascivement ma langue à la sienne, passai mes mains sous son leggings. Elle me répondit en gémissant bruyamment, comblant les oreilles frustrées qui nous écoutaient.
D’un seul coup, je baissai son bas, dévoilant deux fesses nues, d’une blancheur innocente parmi les nuances sombres de l’asphalte. J’imaginais avec délice le regard écumant des jeunes qui s’y échouaient, telles les vagues d’un fantasme aux pieds de leur idéal créateur.
J’avais arraché à Léa un sursaut de surprise, mué en un cri de plaisir. Écartant son anus, l’exposant à l’adoration de tous, je sentais au bout de mes doigts les crépitements de la débauche, un toucher enivrant, une sensation envoûtante.
Ma copine s’abandonnait complètement sous mes caresses. Elle en demandait encore. Elle attendait plus. Elle voulait se faire prendre, ici, comme une dépravée, à même la surface rugueuse de la route. Je le sentais. Ses caresses insistantes, son souffle pressant, sa langue suppliante, hurlaient de céder à la tentation, que ces voyeurs en aient pour leur argent.
Mais lorsqu’elle commença à se débattre, laborieusement, avec ma braguette, il me parut bon de tempérer notre élan passionnel. Je lui suggérai, au creux de l’oreille, de poursuivre nos ébats ailleurs, dans un endroit plus soyeux. Elle m’écouta, les yeux mi-clos, encore étourdie par cette nouvelle facette de sa sexualité. Une manière de donner à voir son corps qu’elle découvrait ou, plutôt, que j’avais révélé chez elle. Ma copine goûtait enfin au plaisir de rompre cette ennuyeuse uniformité que nos bienséances d’usage avaient introduite dans le comportement du couple avec les autres.
Nous partîmes, transpirant de désir l’un pour l’autre. Des murmures de convoitise glissaient de lèvre en lèvre, des coups d’œil envieux nous indiquaient la voie. Nous étions, à n’en pas douter, sur le chemin d’une délicieuse soirée.

Léa était repartie en banlieue rejoindre ses parents pour la fin de semaine. Je ne lui avais pas encore proposé de s’installer définitivement chez moi, même si l’idée existait déjà, en germe du moins, dans mon esprit. Je pensais attendre la fin de nos études respectives. Il m’arrivait, parfois, de questionner la pertinence de cette croyance, sans doute arriérée. J’y adhérais néanmoins souvent, préférant la rigueur ascétique des révisions seule aux nécessités distrayantes de la vie à deux.
Ce raisonnement empruntait d’une rationalité particulière, celle d’un étudiant soucieux de sa productivité, désireux de « réussir ». J’en étais à la fois conscient et, d’une certaine manière, prisonnier. Le plus difficile était d’en circonscrire le domaine afin de laisser, au besoin, mes priorités s’agencer autrement, selon un centre de gravité différent, celui de l’être aimé par exemple.
Refoulant ce problème existentiel aux termes bien connus, je poussai la porte à double battant de ma salle de sport habituelle. Chaque fois que j’en franchissais le seuil, je m’amusais du nom de l’enseigne, peint en majuscules blanches sur le mur du fond, qui associait un anglicisme à la mode (« FITNESS »), appartenant au domaine de la biologie évolutive, à un espace de jeu et de détente (« PARK »), soit deux notions étrangères à celle d’effort, comme s’il fallait, pour attirer des consommateurs apathiques et paresseux, vendre l’image d’un sport récréatif et indolore.
Le sourire aux lèvres, je présentai ma carte d’adhérent à la frêle silhouette, sans doute en stage, qui tenait le bureau d’accueil. « Alexis », lus-je sur son badge. « Eh bien Alex, il serait peut-être temps de fréquenter l’établissement pour lequel tu bosses ? » plaisantai-je intérieurement. Il ne comprit pas le sens de mon rire.
Après un rapide tour aux vestiaires, je m’élançai vers l’espace musculation. Je me rappelais de la première fois où Léa y avait mis les pieds. Elle avait été effrayée par toutes ces « machines de torture » et cette « odeur ambiante de testostérone » (sic). Je la comprenais. Tout, autour de moi, recréait le décor d’un laboratoire de virilité animale. Sur fond d’expirations pénibles et de serviettes en sueur, des poutres en acier se torturaient dans des enchevêtrements complexes, des poulies hargneuses étiraient des câbles au supplice, des poids en fonte écrasaient un sol meurtri. Avec le temps, j’avais fini par n’y voir plus que les ressorts indispensables du corps que je désirais. L’esprit humain s’aveuglait avec une déconcertante facilité...
J’abordais sereinement la séance du jour, pourtant dédiée aux jambes. J’étais en effet dans un cycle de deload. Dans le jargon, cela correspondait à des vacances, plus ou moins méritées. C’est donc avec satisfaction que je me plaçai sous une barre largement en deçà de ma charge normale de travail.
Entre deux séries d’exercices, une voix familière m’interpella en plaisantant :
— Alors comme ça, on bosse les fessiers pour ces mesdames ?
C’était Thomas. Il m’observait, nonchalant, presque moqueur, appuyé sur le cadre métallique du rack à squat.
— Il faut bien plaire à nos principales acheteuses, répondis-je, haussant les épaules avec indifférence.— A qui le dis-tu, renchérit-il.
Une fois retombé le voile des politesses d’usage, un malaise confus s’installa. Nous ne nous étions pas revus depuis le jeu sous la tonnelle. Il hésita quelques instants avant de rompre la glace. Une lueur honteuse traversa son regard.
— Ça va Léa, depuis l’autre soir ?
Son inquiétude me parut étonnamment sincère. Le langage de son visage, tout du moins, l’était : sourcils froncés, lèvres pincées.
— Plus de peur que de mal, mentis-je.
Je ne savais pas encore quelle visibilité donner à la transformation de ma copine... Une ignorance hypocrite, assurément, mais dont les causes m’échappaient singulièrement. Sans doute étaient-ce les soubresauts de ma conscience qui, entre crainte d’un amour ébranlé et espoir d’une sexualité renouvelée, s’interrogeait vraiment sur les motivations sous-jacentes de toute cette mascarade romancée.
— Encore un règlement de compte entre frangines qui a mal tourné, soupira-t-il.— On peut le voir comme ça, effectivement, acquiesçai-je.
L’évocation de cet épisode nous laissa songeurs. Un goût ambivalent persistait sur la langue, comme la saveur amère d’un agrume cependant alléchant. La posture soumise de Léa nous avait animés d’une excitation bestiale ; les traits écœurés de son expression nous avaient immédiatement refroidis.
— Et toi, avec Alice, tout roule ? demandai-je pour changer de sujet.— On file le parfait amour... Sauf au lit, lâcha-t-il d’un rire nerveux.
Je pris une moue concernée, qui me sembla de circonstance.
— C’est juste qu’elle est très timide, expliqua-t-il.— Tu n’as pas été tenté d’aller voir ailleurs ?
La question, au demeurant saugrenue, était sortie toute seule, bravant la censure de mes lèvres, comme si mon cœur cherchait désespérément quelque oreille indulgente au creux de laquelle épancher sa culpabilité. Thomas ne s’en offusqua pas, la considérant même avec intérêt.
— Non, bien sûr que non. J’aime Alice. Ce ne sont pas nos émois au lit qui me feront renoncer à une vie à ses côtés.
Sa réponse, pour lui d’une évidence vertueuse, sonna dans mon esprit comme une sentence capitale. Toute envie de confesser mon crime s’envola. Je préférais encore me condamner à huis clos, en mon for intérieur, dans l’espoir hypocrite que personne d’autre n’aurait alors plus jamais le droit d’en faire autant.
— La fidélité est le ciment d’une relation, conclut-il, convaincu.
Je hochai la tête, moins par adhésion que par amabilité. Je n’étais pas certain de partager cette vision du couple. L’équation pratiques sexuelles/sentiments amoureux admettait, à mon sens, plus d’une solution, surtout lorsqu’elle mobilisait plusieurs inconnus. Je peinais, pourtant, à résoudre celle qui me reliait à Léa, butant sur l’applicabilité au cas d’espèce de l’éthique libertine.
Pressentant probablement la fin de notre conversation, Thomas me souhaita bon courage pour la suite de mon entraînement. Je fis de même. Au sourire simplet dont il me gratifia, je sus qu’il ignorait tout des pérégrinations de mes pensées, ne se doutant pas un seul instant de la valeur performative de ses propos.
Quelques minutes après son départ, je reçus un appel de Léa – les éléments s’acharnaient contre ma pauvre séance de sport. J’entendis sa voix pressée grésiller dans le haut-parleur.
— Dis-moi mon cœur, tu n’aurais pas pris mon chargeur d’ordi lors du dernier amphi ? Hélo en a besoin.— C’est URGENT, cria de loin cette dernière.
L’intonation autoritaire de sa voix me transporta ailleurs, sous un châssis de voiture, en train de déguster, à mes dépens, le plus beau sexe qu’il m’eût été donné de voir. Le souvenir de la douche dorée refit fugacement surface, sans toutefois inhiber mon désir. J’en étais le premier étonné.
— Alors ? répéta Léa, me ramenant à la réalité.— Euh non, désolé, répondis-je.
Elle raccrocha, poursuivant, je l’imaginais, ses recherches dans toute la maison. Quant à moi, je repris tant bien que mal mes séries de squat, troublé par l’aisance avec laquelle Héloïse égarait ma raison sur le chemin de mes fantasmes.

Depuis notre retour de Center Parcs, Léa s’était sérieusement mise au sport, m’accompagnant à la salle aussi souvent qu’elle le pouvait. La vue du corps de sa frangine en maillot de bain l’y avait très certainement aidée. Ou condamnée. Je n’étais pas très sûr du point de vue à adopter.
Certes, une partie de moi se sentait coupable de cette conversion au culte du muscle, dont nous étions au fond tous les fervents prisonniers. Mais, une autre partie, jouissant quant à elle d’une écrasante majorité au parlement de ma conscience, s’émerveillait des résultats obtenus : l’assiduité de l’effort galbait divinement bien les jambes de ma copine.
Je le constatais encore à présent, alors que nous rentrions main dans la main d’une séance de shopping, dans le reflet des vitrines marchandes, par les mouvements hypnotiques de son jean slim. La coupe 7/8ème offrait l’esquisse saisissante d’une foulée légère et d’une démarche sensuelle, la délicatesse de ses chevilles mises à nu contrastant l’insolence de ses fesses parfaitement moulées.
Comprenant où portait – une nouvelle fois – mon attention, Léa tira discrètement sur son pull en laine. En réponse à mon grognement de frustration, elle me tira la langue, riant de bon cœur.
— Si je n’ai même plus le droit de mater ma petite amie..., me plaignis-je.— Ta petite amie dit que tu la mates tout le temps, répliqua-t-elle d’un ton neutre.— Ah..., soupirai-je. Il va falloir que je travaille ma discrétion.
Elle ne répondit pas, manifestement amusée par mon désarroi sincère. Je ne savais pas vraiment sur quel pied danser, hésitant entre un air contrit et moue joueuse. La personnalité de Léa évoluait de manière non linéaire, changeant sans pour autant devenir autre, comme si elle s’acharnait à brouiller les lignes de la différence.
— Et ça te gêne ? relançai-je.— Que tu baves devant tout le monde sur mon p’tit cul ? demanda-t-elle d’une voix ingénue.— Euh oui..., hésitai-je.— Bien sûr que non.— Bah où est le problème alors ? explosai-je, complètement perdu.— J’aime bien t’embêter, c’est tout, minauda-t-elle.— Évidemment, lâchai-je, ironique. Je n’avais pas pris ce paramètre en compte.
Elle déposa un baiser mutin sur mes lèvres, en posant ses mains sur mon torse. Ses doigts frôlèrent mes tétons – volontairement, j’en étais convaincu. Un frisson d’excitation me parcourut.
Léa prenait un vif plaisir à se jouer de moi de la sorte. Tout compte fait, cela me semblait être de bonne guerre sur le champ de bataille de la séduction. Ce n’était, du reste, pas pour me déplaire. Contrairement à sa frangine, la duperie était pour elle une affaire de bagatelle, une spontanéité de l’instant plutôt qu’une somme de calculs intéressés.
— When you want, beau gosse, signala-t-elle, coupant le fil de mes pensées.
Léa regardait avec insistance le digicode de l’immeuble dans lequel j’habitais. Nous étions déjà arrivés.
— Tu ne te rappelles plus du code ? la taquinai-je.— Ton proprio’ le change toutes les semaines, comment veux-tu que je m’en souvienne ? répondit-elle, les yeux au ciel.
Je pris un temps exagéré pour taper les chiffres, savourant chaque seconde de l’agacement qu’elle essayait en vain de contenir. Il fallait dire que le temps s’était gâté, une pluie bruineuse succédant à un soleil timide. Mais c’était à mon tour de jouer. Je feignis donc d’apprécier l’humidité froide qui coulait dans mes cheveux. Léa souffla, se lamentant bruyamment de ma puérilité imbécile.
Dès que le bip sonore annonça l’ouverture de la porte, elle me passa devant pour s’engouffrer dans le hall d’entrée. Je l’entendis râler.
— C’est pas vrai ! Encore ?
Je remarquai la feuille scotchée sur l’ascenseur, froissée et salie par le temps. Une nouvelle panne était à déplorer, nécessitant une énième mise hors service. Je souriais intérieurement. A la différence de Léa, je n’avais pas encore effectué mon leg day. Mes jambes étaient fraîches et disponibles pour grimper les six étages qui nous attendaient.
— Après vous, ma chère, déclarai-je en indiquant les escaliers d’une courbette outrancière.— Non, mais là vraiment, c’en est trop pour moi..., geignit-elle.
Je décidai de l’encourager.
— Si tu arrives en haut avant moi, je te réserverai une surprise. Comme preuve de ma bonne volonté, je te laisse même une minute d’avance.— Trois, négocia-t-elle.
A peine eus-je accepté d’un hochement de tête qu’elle partit, déterminée. Je ne pensais pas la motiver à ce point... A croire qu’elle avait espéré et anticipé le marché que je venais de lui proposer, une idée en tête. Je patientais, songeur.
Une fois le délai écoulé, je m’élançai dans la cage d’escalier. La montée fut rapide.
Léa m’attendait, encore haletante, à moitié avachie sur les dernières marches.
— Alors ? demanda-t-elle fièrement.— Chose promise, chose due, acquiesçai-je.
Tel un présage, l’éclairage automatique de l’escalier nous oublia. Enveloppé d’une douce pénombre, je la rejoignis, lentement, à quatre pattes. Depuis une lucarne, un unique rai de lumière ébauchait, en la sublimant, mon heureuse destination. Vue d’en dessous, sa silhouette culminait dans mon regard comme une figure inachevée, un désir de courbes sensuelles emportées par mon imagination.
A mesure que je me rapprochais, je sentais sur ma peau ses yeux avides, brûlants de curiosité. Je les savais suspendus à ma démarche féline, dévorant le moindre de mes mouvements.
Je m’arrêtai en la fixant plusieurs longues secondes, mon visage à quelques centimètres du sien, mes mains posées de part et d’autre de ses hanches. Je laissais mon regard, miroir d’un voyage scandaleux, imprégner ses pensées, pénétrer sa raison.
— Détends-toi, mon amour, murmurai-je.
Mes mots effleuraient sa gorge d’une caresse suave, galante. Mes baisers se faisaient tendres ; mon exploration, douce, comme si j’en demandais la permission. Mes ongles divaguaient librement sur sa peau frémissante.
— Ne pense qu’à toi, chuchotai-je.
Gardant ses yeux esclaves des miens, je passai une main au creux de son dos, accentuant la cambrure de la jeune beauté qui, dans mes bras, s’alanguissait toujours un peu plus sur les marches de son abandon. De mon autre main, je remontai sa laine, embrassant délicatement la courbe de son ventre découvert.
— Lâcher-prise, soufflai-je.
Elle expira une réponse inaudible, inconsciente. Mes mains, perversement câlines, se libérèrent des tissus superflus, dévoilant des jambes insouciantes de leur nudité. J’agrémentais la fuite de chaque vêtement de caresses prometteuses.
— Lâcher-prise, répétai-je, tel un mantra.
Son esprit ne demandait qu’à partir vers cet ailleurs merveilleux dont ma langue était la gardienne. Je le voyais dans son regard noyé d’impatience ; je l’entendais dans la supplique implorante de ses soupirs. Ses cuisses s’ouvrirent d’elles-mêmes. Elles quémandaient les faveurs de mes lèvres qui glissaient paresseusement sur elles, volant ici et là les baisers moqueurs de l’amant impertinent.
— Lâcher-prise, insistai-je une dernière fois, presque certain qu’elle ne m’entendait déjà plus.
D’une étreinte ferme, j’emprisonnai ses cuisses entre mes bras. Mon souffle frais enveloppa son sexe brûlant. Je m’introduisis dans son intimité comme dans un rêve, préservant l’impression de réel tout en dépassant les limites du sensible. Le premier contact de ma langue fut humide et chaud. Je sentis son cœur s’emballer, sa respiration s’accélérer.
Ma langue naviguait au rythme fiévreux des tambours de son pouls. Elle se creusait et s’enroulait, s’étirait et se retirait, s’affermissait et se liquéfiait. Délogeant l’objet de toutes ces errances aqueuses, habilement écarté entre mes doigts, elle le cajolait et le gâtait des exquises caresses dont elle avait le secret. A chaque gémissement, mon cœur se serrait amoureusement.
Je lapais avec ferveur la rivière de délices, intarissable, qui s’écoulait de son entrejambe épanoui. Des lèvres, pourtant si différentes, s’unissaient en de subtils accords, les unes animées d’une soif inextinguible, les autres dépendantes d’une drogue physique.
Je précipitais les halètements de sa poitrine chaque fois que je variais la position de mes doigts. Ceux-ci secondaient, en harmonie ou en contretemps, les ondulations de ma langue, au niveau de son vagin, de son périnée ou de son anus. Dans mes cheveux, ses mains se tordaient de plaisir.
Je gardais en bouche les effluves exotiques de ses orgasmes successifs, convulsant encore sur ma langue.
Je finis par l’épuiser... Elle respirait par saccades, les jambes tremblantes, la jouissance à fleur de peau. Une sérénité profonde et poétique affleurait sur son visage comblé. Ainsi étendue sur les marches, soupirant de contentement, les lèvres brillantes et entrouvertes, Léa figurait une esthétique propre de la volupté, tout empourprée des doux frissons qui l’avaient secouée.
Alors qu’elle reprenait peu à peu ses esprits, je la portais jusqu’à mon lit, en prenant soin de ne pas avancer inutilement la fin de sa rêverie éveillée. Elle s’étira, gracieuse, dans mes draps. Son visage souriait de bonheur. Il fallait regarder la réalité en face : le tableau d’une femme pour la première fois rassasiée valait bien une vie de contemplation patiente à son chevet.
Je l’entendis marmonner une plainte étouffée :
— Mmmh... te veux contre moi...
Elle me tirait par la manche, comme une enfant implorante. M’allongeant à mon tour, je la pris dans mes bras pour qu’elle s’y lovât.
— C’était divin, merci mon amour, articula-t-elle finalement.
Elle avait les yeux fermés. Un discret ronronnement animait son être, chantant sur ma peau l’exquise vibration de sa satisfaction.
— J’ai joui comme jamais je n’avais osé jouir auparavant, ajouta-t-elle, reconnaissante.
Le temps se figea, interdit. La formule, douloureusement familière, grinça à mes oreilles, étranglant ma conscience des vapeurs coupables du hammam. Le discours moralisateur de Thomas me revint par bribes, tels les lambeaux d’un cauchemar récurrent, agitant les charges écrasantes de mon infidélité. Malgré l’intime étreinte de nos corps, Léa me parut bien loin, inaccessible, derrière le mur menaçant de la vérité. J’étais seul responsable de ce fossé dans lequel je craignais l’effondrement de notre couple. Tôt ou tard, il me faudrait le combler.
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