Durant les quelques jours qui suivirent, je fus tenté d’essayer de convaincre Christian d’annuler. Entre délirer sur un tel plan et le réaliser, il y a une grosse différence. Je ne me sentais aucune appétence à jouer aux apprentis sorciers, et mal à l’aise avec la responsabilité d’avoir fait germer cette idée dans la tête de mon ami. Mais mon mauvais génie me disait alors que c’était aussi de la faute de Catherine : elle n’avait qu’à assumer son rôle d’épouse aimante. Une femme ne doit pas se refuser à son mari, c’est dans l’ordre des choses : elle a juré devant Dieu de lui être fidèle, obéissante, de l’accompagner dans tous les moments de la vie, enfin tout un tas de trucs que l’on dit lors de son mariage. Je ne m’en souviens plus très bien, mais ça ressemblait un peu à un internement volontaire... Tu parles… Pour quelqu’un qui trouve que les préceptes religieux sont des antidotes au bonheur conjugal, je me posais bien là... Ce genre de réflexions réactionnaires m’arrangeait bien quand cela était nécessaire.Après tout, c’était leur vie, et ce n’était pas à moi de faire preuve d’ingérence dans leur intimité. Même si en y réfléchissant bien j’avais fait plus que de m’immiscer dans leur vie... Bref, j’avais l’impression d’avoir un ange et un petit diable qui se battaient en permanence au-dessus de moi, à coup de sarbacanes lançant de petites pilules de GHB et d’excuses moisies. Ce combat sans fin dura jusqu’au vendredi fatidique. J’arrivai chez Catherine et Christian vers 20 heures, précédé d’un énorme bouquet.Comme un mari fautif qui tente de limiter les dégâts en rapportant soudainement des fleurs à son épouse, qui bien entendu subodore le coup foireux.Dans mon cas, heureusement, cela ressemblait plus à de la galanterie. D’ailleurs, Catherine était ravie et semblait rayonner de bonheur.Rayonnante était le mot. Elle portait une jupe droite, un chemisier noir légèrement transparent. Féminine, sobre mais légèrement sexy, souriante et enjouée ; difficile de s’imaginer qu’elle était aussi coincée qu’une bonne Sœur ménopausée ! Christian était un peu nerveux, et moi aussi, j’avoue. Mais après quelques verres d’apéro bien tassés, cela allait beaucoup mieux. Ayant reçu un SMS d’une de ses copines, Cath s’absenta un moment du salon pour la rappeler. —Tu vas vraiment le faire ?— Je veux, mon neveu...— Putain, t’es barje !
— Non, j’ai fait gaffe : ça ira. Il avait l’air décidé. J’adoptai un profil résigné. Je ne garde pas beaucoup de souvenirs du menu du dîner, si ce n’est que Christian ne perdait pas une occasion de resservir en vin son épouse.Sous l’effet de la tension – et du bon vin – je décompressais en branchant Catherine sur tout et rien. J’étais en grande forme, cachant ma nervosité par une débauche de blagues et de réflexions qu’elle trouvait de plus en plus drôles... Elle ne manqua pas de m’interroger sur mes dernières conquêtes, dont « la petite blonde mimi de l’autre fois ». Il s’agissait bien évidemment de Laurence. — Elle va bien, j’imagine ; je n’ai pas eu de nouvelles depuis... « Tartuffe, sors de mon corps ! » — Elle était sexy…— Oui, c’est sûr. Mais mon type, c’est plutôt les brunes, tu vois.— Ah oui ? Dans mon genre, alors ?— Toi, tu es au-dessus du lot. Si tu n’avais pas été mariée avec Christian, c’est sûr que...— C’est gentil, mais je sais que je suis une vieille peau maintenant. En chœur, Christian et moi nous récriâmes devant une telle ineptie, avec un peu plus d’enthousiasme en ce qui me concernait car mon ami avait un peu de mal à participer à l’allégresse générale, l’esprit préoccupé – et je le concevais – par d’autres sujets. Les beaux yeux verts de Catherine pétillaient, et même parfois me fixaient avec une drôle de lueur trouble. Je ne mettrais pas ma main au feu, mais il me semblait qu’elle avait envie que j’aille plus loin dans le badinage. Mais je devais sûrement me faire des idées, troublé certainement par ce que nous nous apprêtions à faire. Toujours est-il que je subissais une attirance plus marquée qu’à l’habitude ; et si Christian n’avait pas été là, je ne sais pas si je n’aurais pas tenté quelque chose... Après le dessert, je vis Christian regarder discrètement sa montre, puis se lever et aller vers la cuisine. J’ordonnai avec un air faussement macho à Catherine de ne pas bouger, que nous allions débarrasser. Elle réclama alors, telle une princesse, un dernier verre de vin. La bouteille sur la table était vide ; je pris son verre et l’apportai à son mari. Je ne me posais même plus de questions sur ce qui était bien ou mal ; la pensée que j’allais me retrouver seul avec elle, inconsciente, à ma merci, m’obnubilait. Et pote ou pas pote, la situation pouvait prendre un tour auquel Christian n’avait peut-être pas pensé, mais que j’étais en train d’imaginer de façon de plus en plus précise. Tels des conspirateurs, Christian et moi avons échangé un regard chargé de sous-entendus. Pas forcément les mêmes. Il prit le verre ; je retournai rejoindre sa charmante épouse. Il était 21 h 30 à la pendule de la cuisine. Christian revint avec nos trois verres de vin remplis. Hypocritement, je n’avais pas voulu le voir y mettre la drogue, et lorsque Catherine commença à vider son verre en souriant, le regard brûlant de Christian debout derrière elle fixé sur sa nuque, je portai le coup de grâce à la bonne moralité en trinquant avec elle, vidant mon verre cul-sec, ce qu’elle s’empressa d’imiter. Nous nous installâmes dans les canapés du salon, mais très vite Catherine perdit de son entrain. Nous faisions semblant de ne pas nous en apercevoir ; elle tentait de suivre la conversation, mais elle sombra dans une semi-conscience, pour enfin s’endormir. Elle était affalée en arrière sur le canapé. Christian se leva et la secoua un peu. Elle réagit à peine en grommelant. Moi, je ne voyais que ses jambes gainées de nylon noir, découvertes par sa jupe qui était remontée un peu. — Elle est mûre, là... Je vais la monter dans la chambre. Tu m’aides ? Christian la prit à bras le corps, moi aux genoux. Forcément, sa jupe remonta encore un peu plus, et j’apercevais à présent le haut plus sombre de son collant. Elle portait donc un collant ; maintenant, je le savais. Christian ne prêtait aucune attention au fait que j’avais une vue imprenable sur les cuisses et le bas-ventre de son épouse. La montée de l’escalier s’avéra délicate ; nous galérions un peu, mais la tension nerveuse nous faisait également pouffer de rire. Catherine était vraiment dans les vapes, car nous l’avons cognée légèrement et trimballée sans beaucoup d’élégance avant de tomber avec elle sur le lit en riant. L’espace d’un instant, le temps de me relever, j’eus le visage collé contre son ventre. Son parfum me sauta aux narines, provoquant une montée d’adrénaline directement vers mon sexe. Cela aurait pu être gênant car je bandais à présent comme un âne, mais Christian n’y prêta aucune attention, son esprit entièrement tourné vers la seconde partie de sa soirée. Redescendu, il prit son manteau. — Bon bin, j’y vais...— Oui... Tu rentres à quelle heure ? Tu sais combien de temps elle va rester dans les vapes ? — Théoriquement, elle en a pour six heures, mais je serai là avant. Deux heures du mat, ça te va ?— Ouais, OK. J’vais m’installer sur le canapé et mater un DVD ou la téloche.— Cool, je compte sur toi.— Tu peux. Il fila comme un voleur. J’envoyai un SMS à Laurence pour lui annoncer que son galant arrivait et qu’il était chaud. La réponse : « Je l’attends, je vais le calmer ! » me fit sourire.