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Un histoire, un regard...

Chapitre 4

Erotique
’Quoi ?!’ fis-je d’une voix d’outre-tombe. Sam eut l’air tout aussi secoué que moi. Ses yeux implorèrent le pardon. Il plaqua une main sur sa bouche : ’Oh mon Dieu !... Caro, pardonne-moi ! Je ne voulais pas dire ça !...’ ’Dire quoi ?’ Je le regardais sans le voir. J’avais mal entendu. Mal compris. Il s’était emporté. Il avait dit n’importe quoi. Il avait voulu me blesser. Il avait réussi. Ça n’avait pas de sens. Ce n’était pas possible. C’était juste une façon de... Sam me dévisagea et une lueur de compréhension passa sur son visage : ’Oh bon sang... !’ lâcha-t-il dans un souffle. ’Tu ne savais pas !... Tu ne savais pas !...’ ’Ne savais pas... quoi ?’ Je ne savais toujours pas. Je ne voulais pas savoir. Je ne voulais rien entendre. Je voulais que Sam s’en aille d’ici au plus vite ; je voulais me réveiller de ce cauchemar...
Sam joignit ses mains comme pour une prière, les ramena vers son visage et secoua la tête : ’Je pensais vraiment que tu avais compris... Sinon jamais... Jamais je ne t’aurais appris ça comme ça... Je pensais... Je croyais...’ Il se prit la tête entre les mains, comme s’il s’apprêtait à s’arracher les cheveux de désespoir.
Peu à peu, je me remettais du choc que m’avait causé son annonce. C’est-à-dire, j’arrivais, progressivement, à réfléchir de nouveau. Ceci dit, ne faisant absolument pas confiance à mes jambes, je reculai doucement jusqu’à mon lit et m’assis dessus. Vidée de mes forces. Et, aussi, quasiment vidée de mes émotions. ’Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?’ demandai-je à Sam. Il me regarda, vraiment navré : ’Je ne savais pas comment... Et puis, à chaque fois que j’essayais, il se passait un truc et... et après... j’avais cru que tu avais compris. Quand je t’ai eue au téléphone...’ Une nouvelle migraine s’annonçait. Et j’avais la nausée. ’Mark m’a dit qu’il voyait d’autres filles... Il a avoué... mais pas ça... Sam, est-ce que tu as vraiment voulu dire qu’il... qu’il... il...’ Non. Je n’arrivais pas à me résoudre à prononcer ces mots. Sam rapprocha une chaise du lit et se posa dessus, en me regardant avec énormément de pitié. ’Oui’, fit-il. ’Mais... mais tu l’as su comment ? Et que fait-il, exactement ?’ ’Tu veux que je t’explique tout là, maintenant ?’ demanda-t-il.
Je compris parfaitement le sous-entendu : « Est-ce que tu es certaine de pouvoir encaisser ce que tu vas entendre ? » ’Oui. Oui ; plus tôt je le saurai, mieux ce sera. Vas-y. Ne tourne pas autour du pot. C’est trop tard, maintenant. Tu en as trop dit ou pas assez. Parle.’ Sam hocha gravement la tête. ’Si tu veux... Mais tu sais, c’est pas simple pour moi non plus... Assez délicat, même...’ ’Malgré tout, j’aurais préféré être à ta place, là’, commentai-je, amère. ’Je sais... Bon ben voilà... L’été dernier, vers la fin des vacances... il y avait eu un festival de musique. Ma cousine voulait absolument que j’y aille avec elle... Que je la conduise, quoi. Mais elle est du genre... Tu vois, c’est ma famille ; je ne devrais pas... Enfin, elle est jeune et très... libérée... niveau... niveau... je veux dire, les mecs, la picole, la drogue aussi... Je la fréquente très peu...’ J’avais du mal à saisir l’intérêt de ces confessions familiales, et ses nombreuses hésitations m’énervaient au plus haut point. Mais je n’osais pas l’interrompre. ’Enfin, bref. Tout ça pour planter un peu le décor... Ce festival, j’y suis quand-même allé, mais avec des potes à moi. Et j’y suis tombé sur Fanny. Ma cousine. Elle était avec l’une de ses copines et un gars que je n’avais encore jamais vu... Mark. La différence d’âge m’avait frappé illico ; ma cousine elle a dix-neuf ans, mais elle fait vraiment super jeune. Et Mark, il fait sa trentaine, alors bon... Tu vois, je l’avais prise à l’écart pour lui demander qui était ce type ; ce qu’elle fichait avec... En plus, il était bien beurré... Tu vois, c’est quand-même ma cousine, je voulais pas la laisser faire nimp...’ Je hochai la tête, impatientée. Il poursuivit : ’Alors elle m’a dit qu’avec sa copine, elles s’étaient éclatées à... à... eh ben, elles ont appelé une agence de... Sa copine, elle connaissait déjà des gens, là-bas. Elle...’ ’Mark est un... un call boy ?’ demandai-je avec difficulté. ’Oui. Oui, mais je crois que c’est un peu plus complexe que ça... Je ne connais pas trop le sujet... D’après ce que j’ai compris, il est plus ou moins à son compte...’
Je ne connaissais rien au sujet non plus. Et j’avais de plus en plus de mal à intégrer les propos de Sam. Imaginer Mark se prostituer... coucher avec des filles pour de l’argent, c’était... c’était horrible. Inenvisageable. Vendre son corps pour... Et puis, ça ne correspondait pas vraiment à ce qu’il m’avait dit... Besoin de tendresse ; d’amour... Après tout, avec un physique comme le sien, il n’avait pas besoin de... de faire ça ! N’importe quelle fille... N’importe quelle fille...
’De la drogue, évidemment...’ ’Hein ?! Quoi ?’ Le mot « drogue » m’arracha à mes pensées. J’avais décroché. Ça faisait quelques instants que je n’écoutais plus ce que me disait Sam. ’Quoi ?’ répétai-je. ’Je disais que j’avais eu l’impression qu’ils avaient pris quelque chose, tous les trois. J’ai fait pression sur Fanny ; elle m’a dit qu’un pote à Mark leur avait filé des ecstas...’ ’Des quoi ?’ ’De l’ecstasy’, précisa Sam. ’Tu sais ; je ne suis pas un ange non plus ; j’ai mes travers... Je fumais de l’herbe ; j’avais déjà pris des champis... alors j’avoue que ça m’avait un peu... bon ; pas un peu... j’avais été intéressé. J’étais allée parler à Mark... On avait papoté un peu... Sympathisé... Je lui avais demandé s’il y avait moyen qu’il... qu’il me trouve des trucs. Et il avait dit que oui. Depuis... Eh ben, c’est devenu un pote. On se voit assez souvent. De temps à autre, je passe par lui pour avoir quelques cachetons... ou de l’herbe. Pas que pour moi, tu sais. Je ne suis pas un drogué ; vas pas croire ça. Je...’
Il commença à se justifier pour que je n’aie pas une mauvaise opinion de lui, et je décrochai de nouveau. Qu’est-ce que ça pouvait bien me faire, qu’il testait des produits illicites, occasionnellement ? Mark, il...
’Ta cousine et lui, ils ont... ?’ Je coupai Sam en pleine tirade. Il laissa en suspens la fin de la phrase qu’il avait commencée et haussa les épaules en signe d’ignorance : ’Je n’en sais rien. Possible. Mais... Si ça peut te rassurer, d’après ce que j’ai compris, c’est pas systématique. Parfois, y a des filles qui veulent juste se montrer avec quelqu’un sans aller plus loin.’ ’Si ça peut me rassurer ?’ répétai-je, incrédule qu’il ait pu dire une phrase pareille. Il secoua la tête : ’Oui, désolé ; ce n’était pas ce que je voulais dire...’ ’Oh, et puis... peu importe !’soupirai-je. ’C’est tout, où il y a d’autres trucs que je devrais savoir ? Si c’est le cas, je veux que tu me dises tout.’ Sam me regarda avec beaucoup de tristesse : ’Concernant Mark, c’est tout ce que je sais. Mais il y a autre chose que je veux que tu saches, oui...’ ’Quoi ?’ Il tendit le bras et posa furtivement sa main sur la mienne : ’Que je suis là pour toi. Si tu as besoin de parler à quelqu’un, si... s’il y a quelque chose que je peux faire... Je suis là. Parce que tu comptes beaucoup pour moi.’ J’eus un mouvement de recul que je ne fus pas capable de retenir. Sam s’en rendit compte, bien évidemment. Il recula aussi, du coup, manquant de peu de tomber à la renverse avec la chaise. ’Sam, je suis désolée, je...’ ’C’est bon’, fit-il, désappointé, ’tu n’as pas à t’excuser.’ ’Non, écoute, je... je te remercie pour ce que tu as dit. C’est gentil... Mais... ce n’est vraiment pas le moment.’
Bizarrement, j’aurais préféré qu’il m’en veuille de m’être en quelque sorte fait avoir par Mark. Qu’il soit indifférent, au mieux. Là, j’avais besoin de tout, sauf de ce genre de phrases, trop proches de la déclaration, à mon goût. Peut-être que j’avais une réaction parfaitement égoïste à cause de mon égo blessé, mais, quelque part, je trouvai ça vraiment déplacé, de me dire que je comptais beaucoup pour lui. Injustement, peut-être, je le perçus comme un moyen détourné pour que je vienne trouver consolation dans ses bras.
Sam était vraiment un beau garçon ; c’était indéniable. Mais je n’avais d’yeux que pour Mark. Je ne voulais pas de sa sympathie, de son soutien, de sa pitié... et encore moins de son amour. Il n’avait pas besoin d’être plus clair ; je voyais bien que je ne le laissais pas indifférente. Je m’en étais déjà rendu compte, très vaguement, dès cet après-midi au parc, quand il avait vu que Mark se rapprochait de moi... Oh, j’avais vu son regard ! Et je m’en voulais un peu de lui faire du mal, là. Il ne méritait pas ça, sans doute. Mais je ne ressentais rien, pour lui. Juste de l’amitié. Et même pas à ce moment précis, en fait. Je souhaitais juste qu’il s’en aille...
’Je ne voulais en aucun cas te brusquer, Caro’, dit Sam en se levant un peu maladroitement de la chaise. ’Il fallait juste que ça sorte, tu vois.’ ’C’est juste que...’ je fus incapable d’achever.
Sam se passa la main dans les cheveux. Je réalisai seulement à ce moment qu’il avait changé de coiffure, et, même si à priori ça devait être la dernière de mes préoccupations, je n’en revins pas de ne pas l’avoir remarqué plus tôt. En général, ses cheveux, noirs et fins, lui tombaient un peu sur les yeux et dans le cou. Là, il les avait coupés très court, en brosse. Ça lui allait très bien, d’ailleurs. ’Jolie coupe’, fis-je, pour me montrer au moins un peu aimable. ’Comment ?’ il ne comprit pas. ’Tes cheveux. Ça te va bien.’ ’Ah... Merci.’ Il me fit un sourire poli, puis indiqua le sachet en plastique qu’il avait posé sur la table : ’Je te laisse ça... Si tu veux manger, après. Je vais te laisser.’ ’Sam, il ne fallait pas...’ ’Moi, ça m’a fait plaisir. Après, si tu n’aimes pas, tu peux jeter’, fit-il. Devenais-je parano, ou bien y avait-il vraiment eu une note de sous entendu, dans sa dernière phrase ? Sa façon de le dire m’avait paru tellement étrange... ’Au revoir, Caro. Porte-toi bien. Et, au besoin, appelle.’ ’Merci, Sam.’
Je me levai pour lui faire la bise, consciente qu’il n’allait pas oser faire ce geste si banal, à cause de celui que j’avais eu lorsqu’il avait effleuré ma main. Je l’accompagnai jusqu’à la porte où, de nouveau, il me dit au revoir. Je me contentai d’un mouvement de la tête, et refermai derrière lui.
Mark... Mark était un call-boy... Mark vendait son corps...
Une brusque nausée me saisit alors, sans prévenir, et je me précipitai jusqu’aux toilettes. Je passai la journée au lit. On sonna à la porte deux fois en quatre heures, mais je n’allai pas ouvrir. Mon téléphone sonna aussi un bon nombre de fois ; je ne répondis pas ; ne vérifiai même pas qui appelait. Je finis par l’éteindre pour être sûre d’avoir la paix. Je n’avais pas envie de voir des gens, ni de les entendre. Je voulais seulement qu’on me laisse tranquille, dans le silence de mon appartement, dans ce lit qui était encore imprégné de cette nuit passée, que je ne voulais pas oublier... Durant laquelle Mark était encore, quelque part, un homme comme les autres... pas un...
M’avait-il menti ? Je n’arrivais pas à trancher. Mais, au fond, je tentais de me persuader qu’il ne s’agissait pas vraiment d’un mensonge sur sa vie. Il avait admis de ne pas m’avoir tout dévoilé ; il avait admis, aussi, qu’il voyait des filles... C’était une partie de l’histoire. Pas la totalité... Mais ça n’en faisait pas un menteur ; un manipulateur... Il m’avait dit qu’un jour, quand il serait prêt...
Au fond, est-ce qu’il y avait vraiment une très grande différence entre le fait qu’il voit plusieurs filles et le fait qu’il voit plusieurs filles contre de l’argent ? Je méditai beaucoup sur la question. Niveau valeurs morales, oui : il y avait quand-même une sacrée différence. Il fallait tomber vraiment bas pour accepter de mener ce genre de vie. Enfin, je supposais. Qu’est-ce qui avait bien pu le pousser à... à cet ultime recours pour gagner de l’argent ? Et puis, était-ce vraiment un ultime recours ? Pourquoi le faisait-il ? Obligation ? Habitude ? Facilité ? Plaisir ?... Impossible de savoir ; de comprendre...
L’absence d’une vie familiale normale ; les foyers, la rue... les filles...
Oui : je m’efforçais de ne pas lui en vouloir ; de lui trouver des excuses... Au fond, j’avais davantage mal pour lui que pour moi. Ce n’était peut-être pas très logique, mais, après tout, quand est-ce que l’amour l’est ? Est-ce logique de s’attacher comme ça à un inconnu, de remettre toute sa vie entre ses mains ; de lui donner un cœur en prenant le risque de l’avoir brisé à jamais ?... Où est la logique, dans tout ça, à bien y réfléchir ?
Il fallait que j’en discute avec Mark. Tranquillement. Calmement. Mettant les préjugés de côté. Il fallait qu’il m’explique... Qu’on trouve une solution.
J’allais l’appeler le lendemain après-midi, ma décision était prise.
Je fis des cauchemars toute la nuit. Me réveillant tantôt en larmes, tantôt couverte de sueur. Dans mes rêves, Mark marchait dans des ruelles louches, la nuit, et se faisait accoster par des types et des filles bizarres qui voulaient l’amener à avoir des relations sexuelles avec eux. Lui ne voulait pas. Tous ces gens le touchaient et caressaient de façon obscène ; gestes n’ayant rien à voir avec l’amour. Et ils le poursuivaient. Ils étaient partout. Je ne voyais pas les visages des filles. Mais tous les gars avaient le visage de Damien ; celui qui était passé chez Mark. Moi, j’étais comme prisonnière d’une bulle invisible. Je l’appelais ; voulais qu’il vienne trouver refuge auprès de moi, mais il ne m’entendait pas ; ne me voyait pas. Et je ne pouvais rien faire pour le tirer de là. Rien. Les ruelles n’en finissaient pas. Un vrai labyrinthe. Sans aucune issue.Je restai sans nouvelles de Mark pendant plusieurs jours. Au départ, je me disais que je devais attendre que ce soit lui qui rappelle. Puis, au bout de deux jours, je décidai de faire ce premier pas ; tant pis. Mais je tombai directement sur son répondeur. Et ce fut le cas à chacune de mes autres tentatives de le joindre. Trouvant ça totalement anormal, j’avais varié au maximum mes heures d’appel. Mais que ce fut dans la matinée, dans l’après-midi, dans la soirée ou dans la nuit, le résultat resta le même : répondeur.
Mardi, en fin d’après-midi, je décidai de me rendre chez lui. Je sentais que je n’avais plus grand-chose à perdre, et je me sentais tellement inquiète que ça m’était limite égal qu’il me trouve lourde ; trop collante ; qu’il m’envoie bouler... Je voulais juste m’assurer que tout allait bien. Je faisais des mauvais rêves et j’avais un petit côté non pas superstitieux, mais... je croyais à l’intuition, aux pressentiments, aux choses un peu au-delà de la science... capacités secrètes du cerveau humain.
Je ne fus pas vraiment surprise de ne rien obtenir en appuyant sur la sonnette. Mais je n’allais pas me laisser décourager aussi facilement, par une porte fermée. Je sonnai chez un voisin à lui, prétextant un oubli de clefs, et je me fis ainsi ouvrir la porte. Je montai les marches quatre à quatre et frappai à sa porte. Silence. Je collai mon oreille contre la paroi. Au début, je n’entendais que les battements furieux de mon cœur. Après, (façon de parler), j’entendis le silence profond qui émanait de l’intérieur de l’appartement. Mark ne semblait pas être là. Ou alors, peut-être dormait-il ? D’accord ; il était 16H45, mais, après tout... Je m’acharnai sur la sonnette, laissant mon doigt dessus. Avec un bruit aussi strident et continu, il n’allait pas pouvoir persister à m’ignorer s’il était vraiment chez lui. Je me posai vaguement la question des voisins, qui risquaient à tout moment de sortir pour me passer un savon, mais je ne retirai pas mon doigt du bouton, malgré tout. Personne ne m’enguirlanda, et personne ne m’ouvrit. Je finis donc par laisser tomber et, découragée, je revins chez moi.
Où était Mark ? Avec une fille ? Avec plusieurs filles ? Avec son pote louche ? Avait-il des ennuis ? Pourquoi ; pourquoi était-il totalement injoignable ?
Une fois de retour à la maison, j’appelai Sam. Il sembla ravi de m’entendre. Nous échangeâmes les formules de politesse classiques, puis, n’y tenant plus, je lui demandai : ’Est-ce que tu aurais des nouvelles de Mark ?’ J’eus droit à un silence décourageant, et m’empressai de me justifier : ’Ecoute, c’est pas ce que tu crois. Mais je m’inquiète ; il ne répond pas au téléphone ; ça fait déjà... presque une semaine... Je sais que tu...’ ’C’est bon, Caro’, m’interrompit-il. ’Tu n’as pas à m’expliquer tout ça...’ ’C’est juste que...’ ’Mark est à l’hôpital’, lâcha Sam. Le téléphone faillit m’échapper de la main. ’C’est grave ?’ demandai-je d’une toute petite voix. ’Que s’est-il passé ?’ ’Non ça va ; rien de bien dramatique. Mais ils ont préféré le garder en observation parce qu’il avait pris quelques coups sur la tête.’ ’Comment ça ?’ Accident de voiture ? Bagarre ? Accident tout court ? J’entendis Sam soupirer, à l’autre bout du fil. Je réalisais bien que ce n’était pas facile pour lui, cette situation... M’informer au sujet d’un homme qu’il me déconseillait de voir ; d’un homme dont il aurait probablement voulu prendre la place dans mon cœur... Néanmoins, il me répondit très calmement, d’une voix navrée : ’Il s’est fait tabasser par cinq types. Ils lui ont fêlé quelques côtes, cassé le nez et bon, il a aussi quelques bleus... Mais il s’en est plutôt bien tiré, malgré tout. Il sort ce soir.’ Je restai sans voix. ’Caro ?’ s’enquit Sam. ’M-mais comment... ? Pourquoi ?... Et comment tu le sais ?...’
Mark. Frappé par cinq personnes. Cinq contre un. Bien malgré moi, alors que je résistais de toutes mes forces pour ne pas m’imaginer la scène, je fus envahie pas un tas d’images d’extrême violence. Tout s’était crispé en moi. J’avais envie de hurler. De frapper à mon tour... Mark...
Je réalisai que j’avais écarté le portable de mon oreille. Je le tenais toujours dans ma main, mais mon bras pendait mollement, tandis que j’enfonçais les ongles de l’autre main dans le dossier de mon canapé. ’Sam ?!’ m’exclamai-je en portant rapidement le téléphone à mon oreille. Je n’avais évidemment rien entendu de sa réponse. Ainsi, il dût m’expliquer tout, de nouveau.
Malgré les apparences (d’après ses propres termes), il appréciait Mark en tant que pote, et Mark l’appréciait aussi. Ils trainaient souvent ensemble. Même très souvent... En tout cas, avant que Mark ne commence à me tourner autour. Sam était une personne de confiance, pour lui. L’un et l’autre, ils s’étaient déjà dépannés plusieurs fois ; rendus des services assez importants. Le soir où il s’était fait agresser par ses types, il avait appelé Sam, pour qu’il vienne le chercher en voiture. Il était dans la rue et n’arrivait pas à se remettre debout. Alors Sam était venu le récupérer. Et il l’avait conduit à l’hôpital. Presque de force, parce que Mark ne voulait même pas en entendre parler ; il voulait que Sam le ramène chez lui. Heureusement, il ne l’avait pas écouté.
’Mais pourquoi... Pourquoi est-ce qu’ils lui ont tapé dessus ?’ demandai-je. ’QUI lui a tapé dessus ?’ ’Je n’en sais rien. Il n’a pas voulu le dire.’ ’Tu es son ami et il ne t’a rien dit ?’ m’étonnai-je, sceptique. ’Mark ne dit que ce qu’il a envie de dire’, soupira Sam. ’Après demain, il vient chez moi. Tu peux passer, si tu veux.’
Je fus assez surprise qu’il me fasse cette proposition. ’C’est vraiment très gentil à toi’, fis-je remarquer. ’Ouais. C’est mon principal défaut ; ça. Je suis trop gentil’, se moqua Sam. ’J’ai envie qu’on reste amis, Caro. Ne l’oublie pas.’ ’Bien sûr’, fis-je. ’Je te rappellerai...’ ’D’accord.’ Me sentant sur le point de clore cette conversation, il m’interpella : ’Hé, Caro !’ ’Oui ?’ ’Ne t’en fais pas pour lui. Te pourris pas la soirée avec ça. Il va bien.’ ’D’accord. Merci beaucoup, Sam.’ ’De rien. A jeudi, alors ?’ Je hochai la tête : ’Oui... d’accord. A jeudi. Et encore merci.’ J’arrivai chez Sam à 19H, jeudi. A vrai dire, j’avais assez longuement hésité avant de me décider à y aller. Je me sentais assez mal à l’aise à l’idée de me rendre dans son appartement dans le seul but de voir Mark. Mais, après tout, la proposition était venue de Sam...
Il m’ouvrit sans même demander qui c’était. En arrivant devant sa porte, j’entendis une musique assez forte et des éclats de voix. Je sonnai. ’C’est ouvert !’ cria la voix de Sam. Je poussai la porte.
C’était la grande fête. Si on peut parler de fête... Disons, une grande beuverie. Il y avait des gens que je ne connaissais pas ; d’autres que j’avais déjà connus par le biais de Sam. Les filles du parc ; quelques garçons qui avaient été là à son anniversaire... Une bonne quinzaine de personnes en tout. Des canettes étaient éparpillées sur la table et le sol ; des bouteilles de vin circulaient... Je m’arrêtai sur le pas de la porte, mal à l’aise.
’Caro !’ Sam me fit signe de m’avancer. Il me regardait comme s’il me voyait en double. Ses paupières se fermaient à moitié et, lorsqu’il avança vers moi, je n’eus plus le moindre doute : il avait bu. Et il ne s’était pas privé. En fait, il empestait l’alcool même de loin. Sa chemise, qui jadis avait dû être blanche, avait dégusté aussi. ’Tu t’es fait renverser quelque chose dessus ?’ demandai-je bêtement, histoire de dire quelque chose. Il regarda sa chemise après avoir eu assez de mal à baisser la tête. ’Ah ouais. Vodka-orange.’ ’Tu... C’est encore ton anniversaire ?’ je tentai de faire de l’humour. ’Non. Juste une fête. Je suis un fêtard ; tu l’as toujours su, non ?’ ’Euh... Oui, bien sûr.’ ’Mark n’est pas encore arrivé. Mais reste ; il va venir.’ Il me tendit la main. J’avançai, mais sans lui tendre la mienne en retour. C’était la première fois que je le voyais vraiment ivre. Il y avait eu des soirées étudiantes ; je le savais joyeux drille, amateur des fêtes arrosées... Les autres le disaient bon vivant ; c’était le gars qui était toujours invité partout, parce qu’il savait mettre de l’ambiance, s’amuser... Mais là, ça n’avait pas grand-chose de joyeux. Il ne souriait pas ; il semblait tendu, limite... oui : limite défiant. ’Caro, je vais pas te mordre !’ lança-t-il.
Sans me laisser le choix, il posa la main sur mon épaule et me poussa vers un siège. Il y alla délicatement, mais je le pris quelque part comme une agression. Je m’empressai de m’asseoir pour qu’il ôte cette main. Il le fit effectivement, mais en contrepartie il se laissa tomber à côté de moi. Je lui lançai un regard méfiant. Il pencha la tête sur le côté : ’Tu es très belle ce soir...’ déclara-t-il. Je m’écartai presque imperceptiblement. ’Tu as bu’, fis-je. Il eut un hoquet puis un sourire résigné : ’Ouais. On boit tous ; hein. Je suis pas le seul. Mark aussi, il boit, tu sais. Je l’ai déjà vu dans des états ; t’imagines même pas !...’ ’Sam, s’il te plaît...’ Son regard me fit peur. J’avais peur qu’il s’avance trop vers moi ; qu’il profite d’avoir abusé de l’alcool pour tenter quelque chose. Je lisais dans son regard qu’il en avait envie. Je le vis aussi dans la façon dont il approcha son visage du mien. Mais il se ressaisit quand-même, à mon grand soulagement. ’Désolé, Caro’, fit-il. ’Je vais... ailleurs. Tu veux un truc à boire ; sers-toi. Fais comme chez toi !’ Il se leva, chancela, et partit dans la cuisine.
Mark débarqua quelques minutes plus tard. Lorsque je le vis, j’eus les larmes aux yeux. Ses mouvements n’avaient pas leur souplesse et grâce féline habituelles ; c’était facile à deviner qu’il avait mal à chaque pas qu’il faisait. Son visage était un peu tuméfié sur le côté gauche ; sa pommette portait comme une trace d’une fine lame de couteau ; blessure qui cicatrisait déjà. Un petit pansement blanc barrait son nez. Une croûte s’était formée sur sa lèvre inférieure. Et pourtant, malgré tout ça, il était tout frais, bien rasé, sentant bon l’eau de Cologne, même de loin.
Il s’avança pour poser une bouteille sur la table et remarqua enfin. ’Mark...’ articulai-je avec peine. ’Est-ce que ça va ?’ Je me levai pour lui dire bonjour. ’Salut, Caroline. Je vais bien, oui. Et toi ?’ Je l’embrassai délicatement sur les deux joues ; il en fit autant. ’Sam m’a dit que tu seras là’, annonça-t-il. ’Je suis venue parce qu’il m’a dit que toi, tu seras là’, avouai-je. Il hocha la tête. ’Où est-il, au fait ?’ ’Euh... Cuisine, je crois’, répondis-je. ’Mais Mark, est-ce que je peux te parler ?’ Oh, je n’avais nullement l’intension de lui dire que j’étais au courant de la vie qu’il menait ; du « travail » qu’était le sien... Non. Certainement pas. Ça me faisait tellement la peine de le voir aussi mal au point... J’avais juste envie, là, de le prendre dans mes bras, et de le sortir d’ici ; de cette ambiance trop alcoolisée ; trop bruyante... ’Pas maintenant’, trancha-t-il. Sans un mot de plus ; sans un regard de plus, il s’éloigna dans la direction où j’avais vu disparaître Sam, un peu plus tôt.
Je me sentis comme si je venais d’avaler un verre d’un alcool très puissant cul sec. C’est-à-dire totalement assommée et hébétée. Ne voyait-il pas l’intérêt de s’attarder un peu là, pour que je prenne de ses nouvelles ; pour qu’on parle un peu de ce qu’il lui était arrivé... N’avait-il pas lu l’inquiétude dans mon regard ? N’avait-il pas vu ce que ça m’avait fait de le voir dans cet état ? La pensée que je m’en faisais énormément pour lui ne l’avait-elle-même pas effleuré ? A le voir, non.
Comme il mettait du temps à refaire surface, je me levai pour aller dans la cuisine. Je n’avais rien à y perdre ; je pouvais toujours prétexter d’être allée prendre quelque chose à boire.
Dans la cuisine, il y avait plein de gens aussi. Sam était avachi sur une chaise ; en train de parler à un gars étalé devant lui, sur le carrelage. Un grand roux se tenait devant le frigo ; il sortait des canettes d’un grand pack et les lançait à travers la cuisine pour que ses copains et copines, qui ne semblaient pas vraiment en état de le faire, les attrapent au vol. C’était très animé. Mais mon attention ne se porta pas là. Mark était penché au-dessus d’une belle brune qu’il dévorait du regard tout en lui murmurant des choses à l’oreille avec son fameux sourire de petit garçon timide, et en lui pressant l’épaule. Génial. Bizarrement, ce fut ma seule pensée. Un « bizarre » bien ironique.
Je pris un verre et me frayai un chemin jusqu’au lavabo, en m’arrangeant pour devoir passer à côté d’eux deux. ’Pardon !’ fis-je en arrivant à leur hauteur. Comme je l’avais calculé ; il fallait que la brune recule sa chaise pour que je puisse passer. Ils levèrent les yeux vers moi. La fille poussa sa chaise, Mark s’écarta aussi, souriant : ’Vas-y, Caroline. Passe.’ Je passai. Et lui, comme si de rien n’était, il retrouva sa position initiale ; sa main sur l’épaule de la fille, sa bouche au niveau de son oreille. Elle gloussa quand il lui chuchota d’autres paroles, que je n’entendis évidemment pas.
Sam intercepta mon regard. Oh, il était toujours aussi ivre mais, dieu sait comment, il avait saisi la situation. Il désigna Mark des yeux et me lança ensuite un regard dans lequel je lus très clairement : « Désolé pour toi, mais je te l’avais bien dit ! Ce gars ne te mérite pas ! Et je ne peux rien faire pour toi ; j’en suis bien navré ! » Moi aussi, je l’étais... J’avais deux choix : me vexer et partir pour lui montrer qu’il n’avait pas le droit de jouer avec mes sentiments comme ça, ou bien alors rester ; feindre de m’amuser et voir comment il allait réagir. J’optai pour la deuxième solution. De retour dans le salon, j’allai me poser avec un groupe de potes que j’avais en commun avec Sam. Ils avaient formé un cercle parterre. ’Vous jouez au facteur ?’ plaisantai-je. ’Non, encore mieux !’ se marra Philippe en désignant une sorte de roulette qu’ils avaient placé au milieu du cercle. ’C’est un jeu de picole’, m’éclaire Aline. ’Ça te dit de participer ?’ En fait, pas plus que ça, mais il fallait bien que je m’ôte de la tête l’image de Mark et de cette fille. Le fait qu’il m’ait lancé un froid « pas maintenant » quand j’avais voulu lui parler, pour aller la rejoindre elle... ’D’accord !’ fis-je, faussement joviale.
Le but du « jeu » était très simple : se rendre saouls. Il n’y avait même pas besoin de la roulette, pour ça. Mais bon ; c’était pour s’enivrer de façon lucrative ; peut-être un moyen de se donner bonne conscience... Tour à tour, on actionnait la roulette ; la petite boule rouge s’arrêtait sur différentes cases où il y avait des inscriptions comme : « bois le verre que te passe ton voisin cul sec » ou « ajoute du whisky dans ton verre ». Des indications relatives à la façon de boire, à la quantité, aussi, et au contenu des verres aussi.
Je n’aimais pas trop l’alcool, mais je me laissai prendre par le jeu. Parfois, c’était effectivement assez marrant. Le plus souvent davantage pour les personnes qui regardaient que pour celui ou celle qui devait avaler un contenu des plus louches, mais bon... Je me surpris à éclater de rire avec les autres. Merci, alcool...
Mark revint dans le salon, talonné par la fille. J’avais envie, au fond, d’aller vers lui ; de lui demander comment il se sentait, pourquoi il avait été passé à tabac, s’il avait porté plainte, si... J’avais plein de choses à lui demander. Mais je ne bougeai pas. Je ne pouvais pas m’empêcher de lorgner vers lui de temps à autre, mais je pouvais m’empêcher de me lever et d’aller le voir. Je n’étais pas son chien.
Mon apparente indifférence ne semblait guère l’atteindre. Il tournait encore autour de cette fille. Il allait lui chercher des choses à boire et ses mains ne cessaient d’atterrir sur elle ; tantôt sur l’épaule, le genou, la cuisse... Il s’était assis sur le bras du fauteuil qu’elle occupait, et ne semblait avoir d’yeux que pour elle. Il la regardait comme il m’avait regardée si souvent... C’était peut-être ça qui me faisait le plus de mal.
’Vache, « cul sec » ! T’es dans la merde, Caro !’ Philippe me fit sursauter en me tendant un verre rempli à plus de la moitié. ’Quoi, cul sec ?’ je le regardai sans comprendre. Il m’indiqua la planche où était marqué : « fais boire ton verre cul sec à la personne qui suit ». Evidemment, il avait fallu que ça tombe sur moi ! Je pris le verre, méfiante, et étudiai le contenu. ’Y a quoi, dedans ?’ ’De la vodka, avec un fond de jus d’abricot.’ ’J’aurais préféré le contraire’, déclarai-je. ’Bois pas ça, Caro !’ s’exclama ma voisine de gauche ; une blonde dont le nom m’échappait. ’Cul sec c’est pas jouable ; tu vas être malade...’ J’étais d’accord avec elle, mais au point où j’en étais, ça m’était égal de boire ça. Peut-être que si je tombais raide-morte (ce qui ne risquait pas), Mark allait enfin se souvenir que j’existais... Je levai le verre : ’Chiche !’ ’T’es vraiment pas obligée, Caro’, fit Philippe. Du coin de l’œil, je vis que Mark regardait de mon côté. Je portai le verre à ma bouche. Ça empestait. Ça devait être vraiment horrible... Plus horrible que Mark si attentionné avec cette étrangère ?... Non. Je bus. En plusieurs gorgées, mais en continu, sans écarter le verre de mes lèvres. J’eus l’impression d’avoir avalé de l’alcool à 90°. Si l’odeur était infecte, le goût était mille fois pire. J’avais tout l’intérieur en feu. Je me secouai, avec une grimace de dégoût. J’avais des frissons dans tout le corps. La blonde s’empressa de me tendre un carton de jus d’orange. J’en bus assez avidement, puis je le lui rendis dans un « merci » que moi-même j’entendis à peine. J’eus droit à des applaudissements et à des ovations enthousiastes. Ou, plutôt, des ovations de beurrés. Je venais de faire la chose la plus débile de ma vie, et on me félicitait pour ça. C’était le monde à l’envers !
Il n’y avait pas que le monde qui était à l’envers. Je n’aurais jamais soupçonné que l’alcool puisse monter aussi vite ; modifier ma perception aussi brutalement. C’était peut-être ce qui était appelé le verre de trop. En tout cas, d’un seul coup, la pièce se mit à tourner. Je regardais le tableau accroché au mur d’en face, et il se déplaçait comme pour échapper à mon regard. C’était horrible. Il fuyait, revenait brutalement, fuyait... Tout ça de façon horizontale, devant mes yeux. Je les fermai, mais ce fut encore pire. Alors je les rouvris de nouveau, mais ces images et couleurs qui se fondaient en une masse tournoyante, ça me donnait vraiment la nausée. Mais je n’osais plus fermer les yeux. Impossible d’échapper à cette horreur ; impossible ! Je pris la tête entre mes mains, sentant que j’allais vomir. Tout remontait, je le sentais... ’Caroline ? Caroline, ça va ?’ La voix inquiète de Mark me parvint. Mais de très, très loin. Un martèlement continu dans ma tête. Tout tournait, tournait... J’étais mal... ’Caroline ?’ insistait la voix de Mark. Je n’eus pas la force de lui répondre. Je voulais le silence. Et puis, j’avais vraiment peur de vomir tout de suite, si j’ouvrais la bouche.
Tant bien que mal, je me mis à quatre pattes et puis debout, avec l’aide de quelqu’un qui m’avait tendu sa main. En me raccrochant aux murs et aux meubles, je me frayai un chemin jusqu’aux toilettes. Je commençai par mette ma tête dans la cuvette, mais je n’arrivais pas à vomir. Le doigt au fond de la gorge ne marcha pas non plus. Alors je me contentai de m’asperger le visage d’eau froide. Ça ne m’aida pas beaucoup, à vrai dire.
Si seulement tout pouvait s’arrêter de tourner comme ça...
Je voulais dormir... Dormir... Je me glissai jusqu’au sol. Ça ne me dérangeait pas de dormir là...
Un bruit. On frappait à la porte. On m’appelait. Je fis un grand effort de concentration pour comprendre les mots : ’Caro ? Caro, je peux entrer ? Ça va ? Caro, c’est Sam...’ Si faible... Si fatiguée... Pas la force de parler... Malgré la peur que je percevais dans sa voix... ’Caro, j’entre !’
La porte s’ouvrit. Comme au ralenti... Sam entra. ’Oh bon sang, Caro...’ Il m’aida à me mettre assis, passant ses bras autour de ma taille. Me souleva. ’Tu ne peux pas dormir là, Caro... Viens...’ Il me sortit de la salle de bain en me portant à moitié. ’Pas le salon... Je veux pas...’ balbutiai-je. ’Je sais. Ne t’en fais pas... Viens...’ Je m’accrochai à lui avec une sorte de désespoir. J’avais les larmes aux yeux. Il me conduisit dans une chambre déserte, faiblement éclairée, et me fit asseoir sur un lit. Grand. Bien moelleux. Accueillant... Pourtant, je ne tombai pas dans le piège de m’étendre et de fermer les yeux. C’était pire, les yeux fermés ; j’avais retenu la leçon...
’Bouge pas de là, Caro’, fit Sam. ’Je vais te chercher un truc à manger.’ Un truc à manger ??? Je trouvai sa proposition vraiment très étrange. Je n’avais pas faim, moi ! J’avais envie de vomir. Si j’avalais le moindre truc, je... ’Non merci’, bredouillai-je. ’Je te demande pas ton avis’, trancha-t-il. ’Ça te fera du bien, crois-moi.’ Trop faible pour protester...
Il revint peu après, avec un macaron au chocolat. ’Je n’ai rien de mieux, mais ça devra faire l’affaire. Mange.’ Plutôt que de perdre le peu d’énergie qu’il me restait à objecter, je mordis docilement dans la pâtisserie. Je ne sentais pas vraiment le goût. Ceci dit, après quelques bouchées, je me sentis effectivement un peu mieux. La pièce tournait toujours un peu, mais c’était devenu supportable. ’Tu retrouves un teint humain’, me déclara Sam. ’Tu te sens mieux ?’ ’Oui... Merci.’ Il réfléchit un instant. ’C’est Mark qui m’a alerté à ton sujet’, m’apprit-il. Je cherchai un sens à cette déclaration. N’en trouvai pas. Pas plus que je ne trouvai quoi répondre à ça. ’Joan est partie.’ ’Qui ?’ je ne comprenais plus rien. ’La fille’, expliqua Sam. Il ne précisa pas quelle fille. Il savait que je savais. ’Pourquoi tu me dis tout ça ?’ me décidai-je à lui demander. Il ouvrit la bouche pour parler, puis se ravisa. Je le regardai se lever. ’Si j’étais toi, je dormirais un peu ici. Tu peux même rester pour la nuit, si tu veux.’ Oui : j’avais sommeil. Besoin de dormir un peu, maintenant que je me sentais capable de fermer les yeux sans risquer de me trouver mal. ’Merci beaucoup, Sam.’ ’De rien’, répondit-il. ’Bonne nuit.’ Il quitta la pièce et referma la porte derrière lui en prenant bien soin de ne pas faire de bruit. Reconnaissante, je m’allongeai sur son lit et fermai les yeux. Lorsque je me réveillai, j’eus tout d’abord eu la sensation d’une présence dans la pièce. Je n’ouvris pas tout de suite les yeux, mais mes sens étaient en éveil. Ce n’était pas la forme olympique ; loin de là. Mais, néanmoins, je fus étonnée par ma capacité à sentir Mark sans même le voir. Car c’était lui qui était là. Quelque part dans le noir, très près de moi. Je le reconnaissais à sa fragrance, et, aussi étrange que ça peut le paraître, à sa respiration. Je l’avais écouté respirer avec tant d’attention les nuits où j’avais dormie blottie contre lui, que même sa façon de respirer, je l’avais apprise. Sa présence semblait occuper tout l’espace.
J’ouvris les yeux et le cherchai du regard. Il était vraiment tout près. A moitié agenouillé parterre, à moitié étendu sur le lit, à côté de moi. Le côté de sa main effleurait la mienne ; il l’avait posée comme s’il avait voulu, mais pas osé, recouvrir ma main de la sienne. Il dormait. La bouche légèrement entrouverte, les cheveux en bataille. Sa tête n’était qu’à quelques centimètres de la mienne. La lumière qui filtrait de sous la porte me laissait entrevoir assez distinctement son visage tuméfié. Je levai la main et, avec une extrême délicatesse, du bout des doigts, je me mis à caresser ces quelques plaies cicatrisantes. Je l’effleurais à peine, craignant de lui faire mal.
Les effets de l’alcool ne s’étaient pas entièrement dissipés ; oh non. C’étaient eux qui me donnaient cette audace d’oser. Je ressentais un besoin profond de le prendre dans mes bras ; de me blottir contre lui et de l’embrasser. Peut-être qu’il n’avait pas besoin de moi. Mais moi, j’avais vraiment besoin de lui. Je l’aimais. Chacun des battements de mon cœur me le répétait.
Je me soulevai prudemment sur un coude et déposai un bisou sur sa pommette amochée. Sur cette partie gauche de son visage qui avait été la plus cognée. Sur la blessure qu’il avait à sa lèvre... C’est bête, mais, dans ma tête, ça me propulsait vers ces curieux rituels de « bisou qui soigne »... Quand un petit enfant tombe et se fait mal, et l’un de ses proches l’embrasse à cet endroit pour faire disparaître la douleur. Voilà. J’y pensais. Et j’y croyais, là. Stupidement. Un autre effet secondaire de l’alcool, sans doute.
Ce qu’il y avait de bien avec cet état, c’était que je ne m’interrogeais absolument pas sur mon manque d’ambition et d’amour propre. Je pouvais parfaitement m’en passer, de ça. Mais je ne pouvais pas me passer de Mark ; je le savais ; j’en étais totalement sûre, à présent. Je me sentais capable d’endurer tout ce qu’il faudrait pour gagner toute sa confiance et son amour.
Avec ma main, je suivis la courbe de son dos, toujours avec un maximum de délicatesse, mais aussi avec beaucoup de tendresse. Il produisit un son qui équivalait au ronronnement d’un chat, mais dans la version humaine. Appréciant de toute évidence le contact.
Je l’embrassai de nouveau sur la joue, et il ouvrit les yeux. Nous nous regardâmes longuement, sans rien dire. Pourtant, soutenir ce regard, ce n’était pas vraiment facile. Si intense, si troublant... et, toujours, si triste. Toujours si triste. Le regard d’une personne qui se laisse porter par les jours, mais qui n’en attend rien ; qui n’attend rien de la vie. Ce bleu, si profond... Ces cils, si noirs, si longs... Dieu, que ces yeux étaient magnifiques, qu’ils me fascinaient !...
Je touchai encore à sa joue meurtrie : ’Tu as toujours mal ?’ demandai-je dans un murmure. Il tourna la tête de gauche à droite, mollement. ’Ecoute, Caroline...’ Je posai mon index sur ses lèvres. Je ne voulais pas qu’il parle. Je m’en fichais, de ses explications. Je ne voulais pas me prendre la tête avec ça. Pas maintenant. ’Sam, il...’ Mark tenta parler malgré tout, en prenant ma main entre les siennes. ’Non. Non’, protestai-je. Il me lança un regard interrogateur. Il ne comprenait pas. Au fond, moi non plus. Pas tout à fait. Si ce n’était que j’avais envie de me leurrer, là. De faire comme si tout allait bien. Je me sentais patraque ; j’avais envie de m’endormir dans ses bras. Le reste, ce n’étaient que des détails. ’Viens’, soufflai-je en lui faisant de la place sur le lit. ’Caroline...’ ’S’il te plaît...’
Il semblait vraiment vouloir protester ; partir. Je l’implorai du regard. Alors, il hocha la tête, comme s’il était profondément résigné, d’un seul coup, et grimpa sur le lit pour s’étendre bien à mes côtés. Je me tournai vers lui et l’enlaçai tendrement, enfouissant mon visage contre son torse. Il me rendit l’étreinte, son menton venant se poser sur ma tête. En même temps, nous poussâmes un grand soupir. La chaleur dégagée par son corps devenait la mienne. Ma peau s’imprégnait de son parfum. Les battements de son cœur faisaient vibrer le mien. Je respirais en même temps que lui. J’étais bien. La dernière chose dont je fus consciente avant de m’endormir de nouveau, ce fut la caresse de ses lèvres sur mon front ; de sa main me massant le dos. Je fus réveillée par ses caresses, et les baisers dont il inondait ma tête, mon cou et mes cheveux. Il était à moitié assis ; m’entourant ses bras, protecteur. A sa façon de me toucher, je devinai qu’il ne voulait pas me tirer du sommeil ; qu’il cherchait à me déranger le moins possible. Et pourtant, ça me réveilla quand même. Je remuai dans ses bras et levai la tête vers lui. Il pleurait. Sans aucun bruit, sans aucun spasme. Juste des larmes, qui descendaient en silence le long de ses joues.
Je savais que lui demander ce qui n’allait pas ne servirait à rien. Il y avait une part de fierté en lui qui l’empêchait de se laisser aller à de profondes confidences ; je l’avais bien intégré. Je combattis mes propres larmes, qui me montèrent aux yeux à la vue des siennes, levai la tête un peu plus et collai mes lèvres aux siennes. Ce fut un bref, mais très tendre baiser, à la suite duquel je saisis sa tête entre mes mains et entrepris d’essuyer ses larmes à l’aide de mes pouces. Il déglutit sans un mot et me laissa faire, sans doute reconnaissant que je ne lui pose aucune question. J’alternai doigts et lèvres sur son visage, jusqu’à en avoir ôté la dernière trace d’humidité.

Le voir souffrir me faisait anormalement mal. C’était au-delà de la simple compassion. C’était comme si je ressentais sa douleur en moi. Sans la comprendre. Elle était juste venue en moi.
Il me prit dans ses bras en guise de remerciement, puis me glissa à l’oreille : ’Pourquoi ?... Pourquoi tu restes avec moi ?’ Ma bouche s’ouvrit, pour répondre : « Parce que je t’aime ». Je me mordis la langue à temps. Je n’avais encore jamais dit ces mots, à personne. Je n’étais pas encore prête à les dire à lui. Alors je réfléchis un peu. Caressai sa main : ’Parce que je tiens à toi.’ ’Malgré ce que je te fais subir ?’ demanda-t-il après un temps de silence. ’J’ai l’impression que tu... C’est comme si tu faisais exprès, par moments’, murmurai-je. ’C’est vrai’, avoua-t-il dans un souffle. Sa réponse me surprit. Mais je ne jugeai pas le moment très approprié pour l’approfondir. ’Caroline, tu veux qu’on s’en aille d’ici ?’ demanda-t-il.
Des pensées contradictoires s’emparèrent de moi. Etait-on destinés à ne se voir que comme ça ? La nuit ? Ça, c’était pour le côté un peu négatif... Je voulais rester avec lui, ceci dit. Et pas là ; pas comme ça... pas chez Sam. Rien que le fait d’être enlacés ensemble sur son lit, ça me semblait indécent vis-à-vis de lui ; un manque de respect. Alors qu’il avait vraiment assuré... été si gentil avec moi. ’Quelle heure est-il ?’ demandai-je en guise de réponse. Je misai sur trois heures du matin. Je fus donc extrêmement étonnée lorsque Mark m’annonça qu’il était à peine minuit et quart. D’un autre côté, la soirée avait débuté très tôt. J’avais trop bu très tôt aussi ; perdant la notion du temps.A peine minuit... Ça nous laissait presque toute la nuit devant nous...
’Oui’, chuchotais je. ’Allons-y. Je te suis.’ ’On va chez moi ?’ ’Où tu veux...’ Je me sentais très embarrassée de devoir dire au revoir à Sam. Lorsqu’on sortait de la chambre, j’en avais fait part à Mark, lui faisant comprendre que la situation était délicate vis-à-vis de lui. ’C’est lui qui m’a dit que si je te cherchais... si je voulais rester avec toi... que tu étais dans la chambre’, déclara Mark. ’Il a dit ça ?’ j’étais vraiment étonnée. Mark hocha la tête. D’un côté ça me soulagea, d’un autre ça me déconcerta. Que cherchait-il, au juste ? Tantôt il essayait de m’éloigner de Mark, tantôt il nous rapprochait... Oh, évidemment, j’appréciai son geste. Je ne doutais pas un seul instant que ça avait dû être pénible pour lui. Vraiment pénible. Quelque part, je trouvai ça un peu masochiste... Enfin, j’étais certainement injuste. Après tout ; il me l’avait dit : Mark était aussi son ami...
Nous trouvâmes Sam avachi dans un fauteuil du salon, un joint entre les dents. Il avait bien décuité, lui aussi. Son regard se posa sur nous ; il hocha la tête comme pour lui-même, et s’efforça de sourire : ’Tu vas mieux, Caro ?’ demanda-t-il. Je m’approchai de lui et lui donnai un bisou amical sur la joue : ’Oui. Je ne sais pas comment te remercier...’ Un autre sourire se dessina sur ses lèvres. Plus sincère : ’C’est tout à fait naturel ; tu n’as pas à me remercier. J’invite les gens chez moi ; je prends soin de mes invités. Pas question de les laisser dans les vapes, hein.’ ’J’ai abusé...’ ’Un peu’, confirma-t-il. ’Mais ça arrive. Y a des circonstances qu’on ne maîtrise pas forcément.’ Son regard dériva sur Mark, qui sembla accuser le coup. Puis, il revint se poser sur moi : ’Vous partez ?’ Zut. Ça se voyait tant que ça ? Sa question me mit dans un plus grand embarras. ’Oui’, répondit Mark à ma place. Sam hocha la tête : ’Comme vous le sentez. J’espère quand-même que vous avez passé une bonne soirée...’ Nous hochâmes la tête. Je fis la bise à Sam, et un salut général à la ronde. Mark lui tendit la main. Sam la serra, et la retint quelques instants : ’Prends bien soin de Caro, d’accord ?’ fit-il. Son ton fut bizarre. Quelque part proche de la menace.
Tout en enfilant ma veste et mes chaussures dans le hall, j’avais l’impression que, plus jamais, je n’oserais regarder Sam dans les yeux. Il savait parfaitement qu’on ne partait pas innocemment, tous les deux. Mais, après tout, peut-être que ça lui était égal, désormais. Peut-être qu’il s’était rendu compte que je ne valais pas grand-chose et...
J’eus un soudain coup de blues. En effet, je me sentais minable. A suivre Mark chez lui, encore une fois. En pleine nuit. En sachant ce qu’il ne savait même pas que je savais. Je le suivais pour passer la nuit avec, alors, avec le recul... avec le recul, en quoi étais-je différente des filles qu’il voyait ? Ne me comportais-je pas comme une salope, là ? Quelque part... ? Et lui ? Pensait-il que je n’en avais que pour son corps, moi aussi ? Comme toutes les autres ? Et en plus j’en profitais... gratuitement ?
Je reniflai et essuyai les larmes qui m’avaient d’un seul coup embué les yeux. Mais trop tard. Mark me vit. ’Caroline ?’ s’inquiéta-t-il. ’Qu’est-ce qui ne va pas ?’ Je sombrais dans le pathos, là. Carrément. Je me mordis la lèvre inférieure, tout en essuyant du revers de la main d’autres larmes. ’Hé... Pourquoi tu pleures ?’ Il se dressa devant moi et me pris dans ses bras. J’enfuis ma tête contre son torse, inondant sa chemise, et hoquetant. Je n’arrivais pas à parler. Mark me caressait frénétiquement les cheveux et le dos, tentant de me calmer et de trouver la cause de cette crise de larmes. ’Tu as l’alcool triste, on dirait...’ tenta-t-il de plaisanter. En fait, peut-être que l’alcool m’avait effectivement rendue à fleur de peau sur ce coup. ’C’est pas l’alcool’, reniflai-je pourtant. ’C’est pas l’alcool...’ ’C’est quoi, alors ? C’est moi ?...’ Je secouai la tête, en m’écartant de lui. ’Je ne suis pas une fille facile’ gémis-je. ’Mais bien sûr que non ! Je n’ai jamais... Caroline, qu’est-ce qui te passe par la tête ?’ Il se baissa un peu, me prenant par les épaules et plongeant son regard dans le mien. ’Je... Je ne veux pas que tu... que tu croies...’ ’Je ne crois rien du tout ! Caroline, s’il te plaît... Calme-toi. Si tu veux, je te ramène chez toi. Il n’y a aucun souci...’ De nouveau, je secouai la tête. Il me blottit encore contre lui en me frictionnant le dos et en me parlant. Je n’écoutais pas ses paroles ; je me laissais juste bercer par sa voix. Si belle... Je finis par me calmer. Mark m’embrassa, et on sortit enfin à l’air frais. La nuit nous accueillit à bras ouverts.’Attends... On va chez moi’, déclarai-je. ’C’est plus près.’ Je me sentais trop fatigue pour marcher jusqu’à chez lui ; métro ou pas métro. De plus, je devais passer chez Léa à dix heures ; je le lui avais promis. Ces derniers temps, on ne se voyait quasiment plus, toutes les deux, par ma faute. Et c’était quand même ma meilleure amie... ’Je te raccompagne ?’ demanda Mark, incertain. ’Non... Non ; j’aimerais que tu restes.’ Il hocha la tête et me prit la main.
Nous marchâmes en silence, dans un premier temps. Et je me dis qu’à présent, je ne pouvais pas lui dire que j’étais au courant du « boulot » qu’il faisait. Pas après ce que Sam avait fait pour moi... Si je disais à Mark que je savais, inévitablement ça allait retomber sur Sam. Et je ne voulais pas semer la zizanie entre eux deux. Je n’en avais pas le droit. Ça ne résoudrait rien à mon problème et ne ferait qu’en rajouter d’autres... Il fallait que j’attende le bon moment ; que je trouve un autre moyen...
’Caroline... Pourquoi tu as bu comme ça ?’ La voix un peu hésitante de Mark me tira de mes pensées. Que répondre à ça ? « Parce que, mon vieux, il fallait bien que je gomme, d’une façon où d’une autre, l’image de toi et de cette fille de mon esprit... » Je ne pouvais pas lui dire ça. ’C’est juste que... Je ne sais plus trop où j’en suis. Période un peu compliquée... » dis-je. ’Je te rends malheureuse...’ Ce fut à moitié une question, à moitié un constat. ’Non’, mentis-je, malgré moi. Je suppose qu’il ne fut pas dupe.
Il s’arrêta et m’indiqua un autre chemin que le plus court pour rentrer chez moi : ’Si on faisait un petit détour par le parc ? On pourrait se poser sur un banc... J’aimerais te parler.’ Le parc. Là où tout avait commencé... Il faisait bon. L’air était doux. C’était le printemps... ’Oui ; c’est une bonne idée’, approuvai-je.
La nuit. La lueur de la lune éclairant les allées désertes. La verdure. L’herbe, les arbres, les buissons qui fleurissaient... Le chant de quelques grillons et autres insectes nocturnes. Un cadre idyllique, du moins pour moi.
Mark me guida jusqu’à un banc. On s’assit côte à côté. La première chose qu’il fit fut de me donner un long baiser. J’y répondis assez avidement, me surprenant moi-même et le surprenant aussi un peu, dans un premier temps. Lorsqu’il s’écarta de moi, ce fut dans un « woah » rêveur qui me fit beaucoup plaisir. il afficha un sourire béat, mais pas très longtemps. Son regard devint sérieux. Trop sérieux. ’Tu vas me dire ce qu’il s’est passé ?’ lui demandai-je en effleurant pour la énième fois sa pommette blessée. Il pressa ma main contre son visage, puis l’embrassa. ’Des gens qu’il faut que je tienne éloignés de toi’, déclara-t-il. ’C’est surtout ça que je veux mettre au clair...’ ’Je t’écoute’, fis-je doucement.
Le moment était venu. ’Tu t’es bien rendu compte que je n’ai pas une vie bien rangée... En fait, elle est très chaotique. Tu n’imagines même pas à quel point... Je suis amené à être en contact, parfois bien malgré moi, avec des gens qui sont assez... douteux. Mauvais, aussi.’ J’avais envie de lui poser une question, mais, pour une fois qu’il était lancé, je ne voulais pas l’interrompre. De peur qu’il change d’avis et n’aille pas au bout de ce qu’il avait à m’avouer. ’Je sais que Sam...’ il soupira. ’Sam m’a dit... il m’a dit qu’il t’a mise au courant. Pendant que tu dormais dans la chambre... Il m’a fait comprendre que c’était nécessaire que tu saches...’ Ma bouche s’ouvrit sous l’effet de la surprise, mais aucun son n’en sortit. En tout cas, ça allait faciliter bien de choses, sans doute... Je hochai la tête pour l’encourager à poursuivre. Tout en caressant sa main. ’Donc voilà... Tu sais. Ça m’étonne, d’ailleurs, que malgré ça... Mais bon. Il faut que tu saches qu’à la base, ce n’était pas vraiment mon choix. Je te l’avais dit. J’étais à la rue. Et je n’avais rien. Rien à part mon physique. J’ai rencontré une fille... Elle m’a... C’est pas simple à expliquer. Elle était plus âgée... Elle gagnait sa vie comme ça. Elle m’avait fait comprendre que c’était un bon moyen pour se faire de l’argent. Je m’en sortais par de petits trafics... Assez galère mais ça me suffisait. Mais j’avais eu quelques ennuis... Elle m’avait aidé à m’en sortir. Puis m’avait fait comprendre qu’il fallait que je me remue aussi. Qu’elle ne pouvait pas me faire vivre tout le temps. Normal. Alors, progressivement, elle m’avait fait entrer dans ce monde. J’avais réalisé que... en un sens c’était pas si mal, tu sais. L’argent que je gagnais n’était pas tout à moi, évidemment, mais... J’en avais, désormais.’ Il s’interrompit quelques instants et soupira. ’J’ai quelque part pris goût à cette vie, après. Ça me convenait... Un peu une revanche, aussi...’ ’Une revanche ?’ Il secoua la tête, refusant d’expliquer. Je n’insistai pas. ’J’ai longtemps dépendu d’autres gens. Après j’ai voulu m’en détacher. Je m’étais remis à faire des trucs à côté.’ ’Des trucs ?’ ’Rabatteur.’ ’La drogue ?’ ’Ouais’, répondit-il. ’J’ai dealé, aussi. Mais rien de très violent, hein... C’était pour pouvoir me détacher de certaines obligations. Financièrement. J’ai réussi. Mais je dois encore de la thune, par-ci, par-là... Les types qui me sont tombés dessus... Tu vois, je leur cassais leur business, quelque part. Ils ne me veulent pas dans leurs pattes. Sinon, parmi ceux auxquels je dois des choses, il y en a qui sont patients, d’autres moins. Je ne t’en dirai pas plus ; moins tu en sais ; mieux c’est. Pour toi, je veux dire. Niveau sécurité. Par le passé, y a des... j’ai des amis qui ont pris à ma place ; avertissement pour moi. Je n’ai pas envie que ça t’arrive. C’est pour ça que je n’ai pas voulu... je préfère te garder à l’écart.’ Je me blottis contre lui, toute tremblante. ’Je ne veux pas qu’il t’arrive quelque chose’, murmurai-je, vraiment terrifiée. Il m’embrassa sur le front. ’Il ne m’arrivera rien.’ ’Mais tu continues...’ fis-je. ’Tu continues ces... ces magouilles...’ ’C’est vrai’, fit-il après un instant d’hésitation. ’C’est ma vie qui est comme ça, Caroline. Je dois régler certaines choses. Je dois... Je dois vivre. Gagner de l’argent.’ ’Mais pourquoi tu ne trouves pas un boulot normal ?’ Il eut un petit rire amer : ’Caroline, tu vois bien comment ça fonctionne, aujourd’hui !... Ils te demandent un diplôme même pour ramasser les poubelles ! Partout y a que des licenciements... des boulots précaires qui n’apportent rien... Et moi... Pas question que je retourne dans la rue. Pas question.’ Il le dit d’une voix tellement chargée d’émotions que je devinai les paroles qui se cachaient dessous. « Plus jamais le même enfer ; plus jamais... » Mais dans ce cas... quelle issue avait-il ? Quelle solution ? Je n’en voyais pas. Je le lui demandai. ’Travailler au noir’, répondit-il, tout simplement. ’J’ai déjà fait, aussi. Et ce ne sont pas toujours des trucs louches, répréhensibles...’ ’Je sais’, fis-je. ’Le souci, c’est que ça ne permet pas forcément de vivre. Payer l’appart ; tout ça...’ Que lui dire ? D’un côté la morale. Le bien. L’idéal... De l’autre, une réalité implacable. Dure. Je le savais bien. Si mes parents n’étaient pas là pour me payer mon appart et mes études, je serais probablement dans une sacrée galère, moi aussi. J’avais des amies, à la fac, qui rataient totalement leurs études parce qu’elles devaient enchaîner plusieurs petits boulots à côté afin de pouvoir payer la fac, leur appart, la nourriture... Que lui dire ?
N’ayant vraiment rien à répliquer, je me contentai de le prendre dans mes bras. Il posa sa tête sur mon épaule, comme un petit garçon. Je levai la mienne, regardant les étoiles. Comme pour chercher une réponse parmi elles. ’Comment vois-tu l’avenir ?’ demandai-je. ’Je n’en sais rien. Je n’y pense pas. Y a longtemps que j’ai cessé d’y penser...’ Je perçus beaucoup d’amertume dans ces paroles. Pourtant, il ne devait pas être trop tard pour lui. Il était encore jeune... Ou bien alors, il a été trop tard pour lui dès qu’il avait atterri dans son premier foyer ? Trop tard dès qu’il s’était retrouvé à la rue ? Trop tard dès son premier « trafic », comme il le disait ? Trop tard depuis la première fois qu’il avait vendu son corps ?... Je me sentais tellement impuissante que ça fit monter une rage terrible en moi. Des pensées guère dignes d’une jeune fille bien rangée : aller casser la figure à tout ceux qui lui avaient fait du mal ; empêcher quiconque de l’approcher sous peine de tuer de mes propres mains... Je réfléchis à quel genre d’homme il aurait pu être s’il avait eu une autre vie. J’y pensais souvent, d’ailleurs, mais il m’avait manqué quelques pièces du puzzle... Il aurait sans aucun doute été le petit ami parfait... Attentionné comme il pouvait l’être... Il ne pensait pas à l’avenir... Quel avenir pour nous deux ?
Nous nous embrassâmes de nouveau. Il me prit sur ses genoux ; m’assit de sorte à ce que je lui fasse face. On se reprit dans les bras, nous serrant très fort l’un contre l’autre. Cherchant le réconfort et l’apaisement dans cette étreinte. Une preuve que de belles choses existaient aussi... Nos caresses devenant de plus en plus poussées, me sentant me consumer de l’intérieur de désir pour lui, avec cette pression si jouissive au niveau de mon bas-ventre et de mon sexe, je finis par l’entrainer hors de ce parc, pour qu’on aille enfin chez moi. Rester là était trop risqué ; on savait tous les deux qu’il y avait un gardien, et aucun de nous deux ne voulait se retrouver avec une amende pour atteinte à la pudeur. Même si, à cette heure, la seule pudeur qu’on pouvait à la limite heurter était celle des animaux qui erraient là, ou, encore, celle du fameux gardien... Mais autant ne pas chercher les ennuis. Nous allâmes au lit de manière beaucoup plus civilisée que ne me l’avait laissé supposer mon imagination. Etant donné que ça avait commencé à devenir plutôt torride dans le parc, je nous avais mentalement représentés plongeant sous les couvertures comme des bêtes, assoiffées de tendresse. J’avais légèrement oublié qu’il nous restait encore de la marche avant d’arriver chez moi... et ça calma un peu nos ardeurs.
Grand contraste avec l’agréable température du dehors : l’air ambiant du salon avoisinait celui du frigo. Nous frissonnâmes tous les deux en y pénétrant. ’Tu as mis la clim ou quoi ?’ plaisanta Mark. Nous cherchâmes pendant quelques minutes une possible cause de ce curieux phénomène, mais uniquement pour terminer bredouille. Il n’y avait aucune raison valable apparente pour qu’il fasse aussi froid dans la principale pièce de la maison. Encore moins quand il faisait aussi bon dehors. ’Bon ben écoute, tant pis’, fit Mark avec un petit sourire malicieux. ’Je pense qu’on ne peut compter que sur nous-mêmes pour nous tenir chaud. Ou alors, on couche à la belle étoile.’ ’Je pense qu’on y arrivera tous les deux’, répondis-je en entrant dans son jeu. ’Oui...’ il fit semblant de méditer la question. ’Je suppose qu’on pourra relever ce défi.’
Dans un premier temps, nous décidâmes de nous étendre tout habillés. Frigorifiée comme je l’étais déjà, je n’avais aucune envie d’ôter quoi que ce fût (en dehors des chaussures, bien entendu !), et il en allait de même pour Mark. Une fois le lit défait, nous nous posâmes donc avec nos vêtements, écartant la couette. Les bras de Mark s’ouvrirent grand pour m’accueillir. Contrairement aux miennes, ses mains étaient très chaudes. Sa chemise étant assez fine, je culpabilisai un peu de l’exposer à mon toucher glacial, mais il m’assura que ça ne le dérangeait pas. Nous restâmes ainsi quelques instants, au bout des quels on avait chassé tout le froid. Pas de caresses, pas de bisous. Juste une grande étreinte, silencieuse et pleine de réconfort pour chacun d’entre nous. Ça me suffisait, à vrai dire. Sur le moment, je n’avais besoin de rien de plus. Je pouvais aussi bien m’endormir comme ça...
Puis, à voix basse, Mark me demanda un baiser. Nous réunîmes nos lèvres et nos langes et cela fut tellement intense que je le désirai de nouveau, plus fort que jamais. Je ne me sentais toujours pas vraiment prête pour passer à l’acte proprement dit, mais j’avais très envie de repartir à la découverte de son corps et de l’envoyer au septième ciel. Ce dont j’avais besoin, moi, ce n’était pas du plaisir physique, mais de celui que le fait de lui en donner me procurait. C’était curieux ; peut-être difficile à comprendre... Mais, dans la mesure où je savais que ce corps, si beau et puissant, passait entre les mains d’autres femmes dans le seul but de LES satisfaire, je ressentais cette nécessité de différence. Il n’était pas là pour juste s’occuper de moi. Je voulais m’occuper de lui. Davantage que d’une union de corps, profiter du rapprochement de nos âmes.
Avoir gardé nos vêtements s’avéra une bonne idée. Nous nous en débarrassâmes mutuellement en prenant tout notre temps, et ce fut vraiment excitant. Mark s’étais mis au-dessus de moi et, avec des gestes doux et adroits, il avait fait glisser ses mains sur mon corps, ôtant au passage les divers tissus. Je le déshabillais en même temps, les yeux fermés pour me laisser mieux aller aux sensations, tout en répondant à ses baisers, et en me donnant le temps de blottir sa tête contre moi ; cajolant et embrassant. Nous synchronisâmes nos mouvements, de sorte à nous retrouver finalement plus ou moins à égalité en même temps : lui en boxer, moi en petite culotte et soutien-gorge. Mark prenait appui sur le matelas à l’aide de ses avant bras afin de ne pas basculer tout le poids de son corps sur le mien. Mais seuls nos torses n’étaient pas en contact : nos pubis se touchaient (quelle merveilleuse sensation de douceur !...), ses jambes entremêlées aux miennes, et je sentais, à travers son boxer, son sexe en érection tout contre le mien. Ce contact me vida totalement l’esprit l’espace de quelques instants, en dehors de me faire démesurément mouiller.
Je sentis son visage se rapprocher ; puis il m’embrassa dans le cou.
J’ouvris enfin les yeux.
Les différentes lumières provenant du dehors éclairaient suffisamment la pièce pour me permettre de voir les ecchymoses qui recouvraient son torse. Ça me ramena assez rapidement à la réalité ; m’arrachant au pur plaisir des sens. Ma bouche s’entrouvrit et je cessai de masser ses omoplates, comptant, analysant les bleus. Je ne voyais pas les différentes couleurs, mais je constatais des nuances évidentes. Dans ce clair-obscur, ça amplifiait encore le phénomène. ’Ce n’est rien’, murmura Mark en voyant mon regard, qui fut certainement très inquiet. Je déglutis avec peine et effleurai prudemment ce torse. Comme s’il était en porcelaine, comme s’il risquait de se briser entre mes mains. Mark m’embrassa de nouveau. Je me soulevai un peu, et mes lèvres allèrent au contact de ces traces de coups, une fois de plus. Il y en avait de vraiment impressionnants, surtout au niveau de son flanc. J’embrassais ces différents bleus, passais mes mains dessus, les embrassais de nouveau... Nous frissonnions tous les deux, mais de toute évidence pas pour la même raison. Toute la tendresse que je ressentais empêchait le sentiment de haine de remonter, mais j’éprouvais malgré tout, de plus en plus, l’envie de faire du mal, beaucoup de mal, à ceux qui avaient osé faire ça à l’homme que j’aimais. A travers lui, c’était moi qu’ils avaient atteinte. En plein cœur. Pire que si ça avait été moi qui avais reçu ces coups, bien pire...
Percevant sans doute à quel point j’avais été perturbée de le voir comme ça, Mark bascula à côte de moi, me caressa les cheveux et m’embrassa sur le front : ’Tout va bien, Caroline.’ Il écartait les cheveux de mon visage, caressait ma poitrine. ’Tu as très mal ?’ demandai-je. ’Non’, souffla-t-il. ’Non ; ne t’inquiète pas. C’est moins terrible que ça n’en a l’air.’ Il posa sa tête sur mes seins, laissant ses doigts courir sur la dentelle.
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