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Un histoire, un regard...

Chapitre 6

Erotique
’Tu pourrais me repasser la bouteille, s’il te plait ?’ ’Mais bien entendu !’ Jérémy prit encore deux gorgées du rosé, puis il me tendit la bouteille. Je bus les quelques centilitres qu’il restait d’une traite, sentant le regard désapprobateur de Sam, et l’ignorant totalement. ’Tu ne m’as rien laissé ?’ plaida Mark, étendu dans l’herbe, à côté de moi. ’Il ne restait quasiment qu’un fond’, me justifiai-je. ’Quelqu’un aurait une autre bouteille ?’ Célia m’en lança une. ’Super. Ne l’ouvre surtout pas tout de suite, hein !’ Mark se souleva sur ses coudes, méfiant. ’Je sais ; je ne suis pas folle.’ La seule fois où j’avais ouvert une bière qui venait de subir une secousse, j’avais retenu la leçon.
C’étaient les vacances d’été. Nous étions le petit groupe de potes devenu habituel : Célia, Jérémy, Sam, Mark, Fanny, Lucas, Florian, Elodie et moi. D’autres allaient nous rejoindre un peu plus tard. Nous avions organisé ce pique-nique en pleine campagne dans le seul but de faire la fête et de se retrouver entre potes. Certains étaient partis pour les deux mois de vacances ; d’autres se préparaient à partir ; d’autres venaient de partir et n’étaient pas encore revenus... A vrai dire ; on s’ennuyait pas mal. On se voyait quasiment tous les jours (enfin, tous les soirs !), mais une sorte de routine s’était installée : on se retrouvait chez X, Y ou Z, ou encore, quand il faisait beau, en pleine nature comme à présent, pour boire, fumer, écouter de la musique et... profiter de la vie, tout simplement.
J’avais beaucoup changé durant ces derniers mois. J’avais eu mon année de fac de justesse, ayant laissé tomber les cours. J’étais devenue très amie avec Célia, qui s’était avéré encore plus fêtarde que Sam. Quasiment tous les week-ends, elle allait en teuf. Je devais en faire ma première expérience la semaine suivante, d’ailleurs. J’aurais pu dire que c’était elle qui m’avait changée ; qui avait fait de la jeune fille sage que j’avais été une amatrice d’alcool. Mais en vérité, si je m’étais laissée si facilement entrainer à toutes ces soirées qu’elle m’avait proposées, c’était parce qu’on avait les mêmes fréquentations, et pour moi, il s’agissait de l’unique moyen pour pouvoir continuer à fréquenter Mark.
Depuis cette soirée chez lui, où Linda et lui s’étaient mutuellement fait des avances, nous nous étions un peu éloignés. Ça n’avait pas semblé lui poser de souci. Ou alors, il l’avait très bien caché. Il n’avait pas réalisé qu’il m’avait blessée et Sam, respectant ma demande, ne lui avait rien dit. De mon côté, j’avais essayé de lui en vouloir, mais ça n’avait pas été possible. La distance que j’avais mise entre lui et moi m’avait tellement dévorée que j’en avais une fois pour toutes décidé de jeter mon amour propre aux oubliettes. Mark me manquait beaucoup trop ; il fallait que je le revoie... Alors, j’avais moi aussi fait comme si de rien n’était. Je le revoyais aux soirées ; je le laissais me draguer et me toucher ; je partageais d’autres moments très tendres avec lui, quand on se retrouvait seuls, la nuit... Je ne pouvais tout simplement pas me passer de lui.
Se montrant honnête, il avait fini par m’avouer que sa vie, il l’aimait bien telle qu’elle était. De l’argent facile, des filles... Ce n’était même pas qu’il confondait sexe et amour ; j’en étais arrivée à la conclusion qu’il ne savait tout simplement pas aimer. Sauf, peut-être, une seule fois... Comme il me l’avait dit. Mais je n’avais toujours pas réussi à en savoir plus, sur cette unique fille à laquelle il avait, en tout cas d’après lui, ouvert son cœur. Pour Mark, il y avait un perpétuel jeu de séduction ; pour moi une perpétuelle souffrance. Mais je m’y étais habituée. Habituée à prendre ce qu’il acceptait de me donner ; habituée à cacher le fait que, parfois, on était ensemble... Habituée à le voir draguer à droite et à gauche, en ma présence. Je trouvais le réconfort dans ses bras ; pour ces moments j’étais prête à accepter tout.
Léa, je ne la voyais quasiment plus. Elle avait estimé que je tournais mal, et elle avait tenté, obstinément, de m’arracher à mon nouveau groupe d’amis, « bons qu’à se beurrer la tronche », comme elle l’avait dit. Elle avait insisté pour que je retourne en cours, pour que je ne touche plus à l’alcool, pour que je cesse de vivre la nuit et passer mes journées à dormir. Je savais que ses intentions étaient bonnes, mais j’avais fini par en avoir assez. Elle aussi, sans doute, parce qu’elle avait fini par m’annoncer, résignée, qu’elle s’en lavait les mains, mais qu’elle serait là le jour où je déciderais de redevenir raisonnable.
Raisonnable... Là, posée dans l’herbe, torchée, comme me l’avait fait remarquer Célia, je me sentais tout sauf raisonnable. Et ça m’était parfaitement égal. J’avais vidé la moitié de la bouteille de rosé et une canette de bire à moi seule. Je me sentais bien. Les pensées un peu dans le brouillard ; une indifférence apaisante... Je n’en demandais pas plus. Mais c’était curieux, avec le recul... Moi, qui, il n’y avait pas si longtemps de cela, ne supportais pas l’alcool, je me retrouvais là, pompette quasiment chaque soir... Au fur et à mesure, je tenais de mieux en mieux l’alcool ; il m’en fallait nettement plus qu’au tout début pour en ressentir les effets. Comment en étais-je arrivée là... ?
Mark buvait beaucoup. Au départ, je ne l’avais pas vraiment réalisé, mais avec le temps qui passait... En fait, c’étais extrêmement rare que je le vois sobre. Il ne m’avait pas encouragée pour que je boive. Personne ne l’avait fait. Mais il fut un moment où je n’avais plus été capable de supporter l’ambiance qui m’entourait ; plus capable de regarder Mark draguer... Plus capable de vivre dans ce flou artistique ; une relation qui n’en n’était pas vraiment une... Il avait fallu une échappatoire. J’avais saisi ce que j’avais eu à portée de main : une bouteille... Et là, d’un seul coup, tout avait été plus facile à affronter... et puis, j’avais vraiment commencé à m’éclater avec les autres ; délirer... Solution de facilité. Oui. Certes. Mais Mark venait plus facilement à moi quand j’avais un peu bu. Je l’avais remarqué. Lâchement, j’en profitais. Après tout, pourquoi pas ? Parfois, tout ça me faisait un peu peur. Je me disais que, peut-être, Léa avait vu juste... Peut-être que j’avais mal tourné. Je ne me reconnaissais plus. Je ne me respectais plus... Mais il y avait Mark... La seule façon de le voir plus souvent... La seule...
En fait, on ne se voyait pas si souvent que ça. Des rendez-vous très irréguliers. On pouvait aussi bien se voir deux jours de suite qu’à deux ou trois semaines de décalage, voire plus. Lui n’appelait jamais. Il n’y avait que ces soirées, comme lien. Et c’était toujours lui qui venait faire le premier pas. Moi, je n’osais pas. Parce que je ne pouvais jamais avoir la certitude qu’il souhaitait passer telle ou telle soirée en ma compagnie. Je ne cessais de me dire que, peut-être, il avait rendez-vous avec une autre fille... Des fois, suite à une trop longue période sans l’avoir vu ou partagé ses draps, j’étais vraiment sur le point de lui passer un coup de fil. Mais un doute m’en empêchait : et s’il n’était pas seul ?...
Je ne pouvais parler à personne de ce que je traversais. A personne. Impossible de me confier. Les gens n’auraient pas compris. Je pourrais passer pour ce qui était vulgairement appelé une « fuck friend » ; on pourrait croire que je ne voyais Mark que pour ça, et que c’était tout ce qu’il me manquait... Des fois, la frontière devenait floue, mais je savais ; au fond de moi je savais bien que ce n’était pas ça. Du moins pas pour moi. Je l’aimais. Comme je n’avais encore jamais aimé et comme je ne voulais plus jamais aimer. D’une force terrible, presque effrayante... Et j’avais ce besoin de l’avoir dans mes bras... Simplement dans mes bras ; blotti contre moi. Le sexe, je m’en fichais. C’était lui qui transformait nos câlins en quelque chose de plus poussé. Moi, la seule chose qui m’attirait là-dedans, c’était de lui donner du plaisir. Et je ne l’avais toujours pas autorisé, d’ailleurs, de me rendre la pareille. Je ne lui avais toujours pas cédé ma virginité. Lui, il attendait. Respectait ce choix. Ne me pressait pas, ne me poussait pas, ne tentait pas de me convaincre. Je l’avais trouvé très bien, ça, au départ... Puis, mon cynisme avait repris le dessus : pourquoi devrait-il m’inciter à quelque chose qu’après tout, il pouvait avoir avec d’autres filles ?... Hé oui...
Et pourtant, malgré tout, Mark, il persistait... Il persistait à me dire qu’avec moi ce n’était pas pareil ; que j’étais la seule...Nous contemplâmes tous, en grands enfants romantiques, le coucher du soleil. Assis sur des serviettes, près de feu, entourés de bouteilles, de canettes et des restes de notre pique-nique de fin d’après-midi, nous étions de bonne humeur. Heureux. Même moi, alors que le bonheur, il ne faisait vraiment plus partie de quelque chose de récurrent dans ma vie, ces derniers temps. Mais là, il n’y avait aucune belle inconnue pour me gâcher la soirée ; Mark n’avait cessé de me lancer des regards remplis de désir et de complicité qui présageaient une belle nuit... Bref ; tout allait bien. De plus, j’avais su m’arrêter de boire pile au bon moment ; à un stade de semi-somnolence très agréable. Mark était dans un stade d’alcoolisation nettement plus avancé que le mien, mais j’avais déjà vu pire. Les autres se trouvaient, pour la plupart, entre les deux.
’On devrait faire des sorties comme ça plus souvent’, déclara Célia en se tournant vers moi. ’Oui, je te l’accorde’, répondis-je. ’C’est vraiment très cool, comme ambiance. J’adore.’ Je me mis à regarder le feu, qui crépitait joyeusement en face de moi. Mark se leva, trifouilla un peu dedans avec un grand morceau de bois, puis il vint s’asseoir à côté de moi. Je sentis sa main, discrète, se poser sur la mienne. Mes doigts se soulevèrent un peu pour emprisonner les siens, et je lui souris. Discrètement, aussi. Dans notre cercle d’amis, personne ne savait, pour nous deux. Un secret... Je continuai à bavarder avec Célia comme si de rien n’était, tout en échangeant de douces caresses et pressions avec la main de Mark, si grande, si chaude... Il finit par la placer dans mon dos, la glissant sur l’espace dénudé entre mon pantalon et mon T-shirt. Il la laissa là. Je regrettais un peu de ne pas pouvoir l’enlacer, moi aussi, mais c’était une frustration que je savais gérer, désormais. J’avais appris à le faire... ’Je vais aller me poser derrière la rangée de pins, là-bas...’ me glissa tendrement Mark, à l’oreille. ’Tu viens?...’ ’Mais ça ne va pas être très discret...’ fis-je remarquer. C’était idiot, mais j’avais fini par choper se réflexes à lui. Ce besoin de discrétion ; de se cacher ; de dissimuler aux autres notre... ces moments où nous étions ensemble. C’était devenu une sorte de tic. A croire que, de nous deux, c’était moi qui me préoccupais le plus pour que notre histoire ne soit jamais percée à jour.’Tu me rejoins dans cinq minutes’, proposa Mark. Le même scénario, toujours... Avec quelques variantes, mais quasiment le même... Il avait cette voix... Toujours cette voix, quand il me demandait de partager ces moments de tendresse avec lui. Une voix à moitié implorante, à moitié enfantine... Le tout entouré d’une aura de désir et de passion. Je ne pouvais pas résister à cette voix, tout comme je ne pouvais pas résister à certains de ses regards. Je hochai la tête.
Mark resta là encore quelques instants puis, l’air de rien, il s’éclipsa. Personne n’y prêta attention. Ça, c’était un autre avantage des soirées où tout le monde buvait : les gens pouvaient disparaître sans qu’un plan ORSEC ne soit immédiatement déclenché pour savoir où ils étaient passés. Ceci dit, plusieurs fois, je m’étais demandée si, malgré tout, il n’y en avait pas quelques uns pour trouver bizarre qu’à chaque évaporation mystérieuse de Mark suivait un tout aussi étrange évanouissement dans la nature de Caroline... En tout cas, personne ne nous en fit jamais la remarque.
Lorsque quelques minutes se furent écoulées, je feignis un appel téléphonique pour m’éloigner des autres. Je monologuai même à voix haute dans mon portable, pour rendre la chose plus crédible, tout en dérivant, aussi innocemment que possible, vers l’endroit que m’avait indiqué Mark.
La nuit était tombée. Selon l’ordre des choses, je pouvais donc le considérer comme étant à moi. Au moins pour quelques heures, ou jusqu’à ce que le jour se lève... Mark était allongé sur une serviette avec des motifs indiens. Je ne l’avais même pas vu l’embarquer. Il l’avait dépliée dans un coin bien à l’abri des regards, caché à la fois par des herbes hautes, des buissons et les grands pins qui se dressaient là, dans la nuit, fiers et si beaux à regarder sur un fond de ciel étoilé...Oh, bien sûr, si les autres se décidaient de partir à notre recherche, ils nous auraient trouvés sans trop de peine, mais je savais bien que ça ne risquait rien.
Il me fit un petit signe de la main, accompagné du plus doux de ses sourires.
J’eus un léger pincement au cœur en m’avançant vers lui. Même si, en théorie, la plupart du temps, mes émotions étaient bien anesthésiées par l’alcool, ces vagues de nostalgie me revenaient assez souvent. Rien ne pouvait y remédier. Je me retrouvais projetée tout au début de cette relation qui n’en était pas une, et je regrettais quelque part cette période où tout était encore possible, ou la séduction était plus subtile ; plus innocente... C’étaient des sensations que je n’allais plus jamais retrouver avec Mark... Quand juste se prendre dans les bras l’un de l’autre suffisait... Quand il semblait n’avoir d’yeux que pour moi...
Je m’allongeai à côté de lui. Le terrain n’était pas aussi moelleux et confortable qu’un lit, mais, au moins, il n’y avait pas de trous dans le sol ou de racines ressortant de la terre. Mark avait vraiment bien choisi l’emplacement. ’C’est beau, ici, hein ?’ souffla-t-il en passant un bras dans ma nuque et en me blottissant contre lui. Je lui rendis l’étreinte, reposant ma tête sur son torse. ’Oui, j’aime beaucoup’, répondis-je. ’Regarde toutes ces étoiles...’ ’J’en vois bien davantage dans tes yeux’, souffla-t-il en se soulevant, et en me soulevant en même temps, juste avant de réunir nos lèvres dans un baiser envoûtant.
Menteur... Dans mes yeux, ça faisait longtemps qu’il n’y avait plus d’étoiles.
C’était peut-être le contexte ; cette ambiance un peu magique, cette lune et ces astres qui nous regardaient de si loin... mais notre baiser me parût plus merveilleux que jamais auparavant. Il passait amoureusement sa main dans mes cheveux et j’en faisais autant. Les yeux fermés. Toujours les yeux fermés... Nous nous investîmes dans ce baiser au point de devoir nous remettre carrément assis ; moi sur lui, l’enlaçant aussi de mes jambes, à présent. Il avait plaqué ses mains dans le bas de mon dos, pour m’empêcher de basculer en arrière. Je tenais son visage dans mes mains. Il me semblait que, si je le voulais, j’aurais pu aspirer son âme en moi. Nous avions un peu trop fait abstraction des vrais baisers, ces derniers temps. Ça m’avait manqué.
Après ce baiser, je restai accrochée à lui, et il sut me prendre dans ses bras comme si cette étreinte comptait autant pour lui qu’elle comptait pour moi. ’J’adore comme tu embrasses’, fit-il tendrement. Je ne lui répondis pas tout de suite. Ce ne fut que lorsque nous nous retrouvâmes allongés, nous serrant passionnément l’un contre l’autre, que je lui posai la question : ’Pourquoi on ne pourrait pas essayer ?...’ ’Caroline’, commença-t-il. ’Non... Dis-moi... De quoi as-tu peur ?’ Il eut une sorte de soupir : ’J’ai peur de refaire confiance ; peur d’aimer de nouveau...’
Et voilà... Une fois de plus, je le sentais si fragile ; et fus envahie par cet instinct maternel que la très large majorité de femmes ont en elles, qu’elles aient déjà eu un enfant ou pas. Cette envie de le protéger. Me sentant solide comme un roc pour me dresser devant quiconque oserait s’en prendre à lui... Le protéger alors que c’était moi, en théorie, qui étais victime dans cette histoire...
’Mais je ne pourrais jamais...’ Les mots étaient venus tous seuls. Je m’interrompis. ’Quoi ?’ insista Mark. ’Je voulais dire... Je ne suis pas capable de te faire du mal’, terminai-je, un peu à contrecœur. Il secoua la tête. ’J’ai trop peur.’ Ça ne lui arrivait pas souvent de parler aussi ouvertement. Je décidai d’en profiter. ’Mais... que s’est-il passé pour que tu en arrives là ?’ ’On m’a fait trop de mal’, souffla-t-il. « Mais du coup, maintenant, c’est toi qui m’en fais ! » voulut se révolter mon cœur. A la place, je dis : ’Mais tu ne peux pas te gâcher toute ta vie comme ça...’ J’enroulai mes doigts aux siens. Trouvant, une fois de plus, beaucoup de réconfort lorsqu’il se mit à les presser et caresser. ’Je ne la gâche pas...’ ’Bien sûr que si...’ Il soupira. Je me blottis encore plus contre lui, comme pour lui dire que toutes ces questions, ce n’était ni pour l’embêter, ni pour le tourmenter. ’Tu ne veux pas m’expliquer ? Au moins un peu ?’ plaidai-je. Il réfléchit à la question. Se résigna, à en juger par sa façon d’expirer. ’Mon ex... La fille avec laquelle j’étais sorti... Celle qui m’a fait entrer dans cet univers que tu sais... On était restés longtemps ensemble. Plein de projets et tout, de mon côté... Puis elle m’a laissé tomber. D’une façon vraiment... odieuse. J’ai su, plus tard... En fait, je n’avais jamais vraiment compté pour elle... Elle avait été comme... un appât. Et j’avais mordu à l’hameçon. La bonne recrue, si tu vois ce que je veux dire... En fait, c’était ça son rôle... Trouver des mecs mignons, faire semblant d’être intéressée ; s’amuser un peu et... une fois que le mec est recruté... bye-bye !’
L’amertume dans sa voix me donna vraiment envie de pleurer. Il ne s’en était effectivement pas remis...
’Tu l’aimes toujours’, fis-je. ’Non’, protesta-t-il. ’J’en suis certaine.’ ’Tu le vois comme ça, mais tu te trompes.’ Ça ne servait à rien d’en débattre, là. J’avais ma conviction. ’Je lui ai prouvé... en faisant bien mon « nouveau métier »... que ça m’était égal, après coup’, fit-il. Il voulait ainsi me démontrer que j’avais tort. Mais en fait, il ne faisait que me confirmer dans ce que je lui avais dit ; dans ce que je savais être la vérité. Il ne s’était pas remis de cette histoire. Il aimait encore cette fille, au fond. Coucher à droite et à gauche ; vendre son corps « juste » pour montrer à l’autre que ce corps, il ne lui appartenait plus ; qu’il était capable de voir d’autres filles... ce n’était pas une preuve d’indifférence, ni même de haine. C’était de l’amour, poussé à son extrême la plus pitoyable ; la plus désespérée...
Cette fille que je ne connaissais pas n’avait pas seulement brisé sa vie. Elle avait aussi brisé la mienne. ’Ne parlons plus de ça’, souffla Mark en glissant sa main sous mon T-shirt, la plaçant sur l’un de mes seins, écartant la dentelle de mon soutien-gorge avec ses doigts. ’Ce n’est pas en contournant le problème que...’ ’Il n’y a aucun problème...’ Il referma mes lèvres dans un baiser, sentant que j’allais objecter. Pas de problème... Pour lui, peut-être. C’était plus facile comme ça. J’étais là à chaque fois qu’il avait envie de ma présence, mais lui, il n’était pas présent pour moi de la même façon. Nous n’étions pas à égalité dans cette relation. Comme si lui, il avait des droits sur mon corps et moi pas. Oui ; ça aussi. Je n’osais jamais faire le premier geste envers lui. Faire comme lui. Poser ma main sur la sienne ; proposer qu’on s’éloigne, l’enlacer discrètement...
Pendant que je répondais à ses caresses de ma bouche et de mes mains, je me disais qu’au fond, j’aurais peut-être mieux aimé qu’il ait été un grand baratineur. Ça aurait peut-être été plus simple de le quitter... Mais lui, plusieurs fois, il m’avait comme... avertie, le concernant. Disant qu’il n’était pas un mec pour moi ; me déconseillant de rester avec lui... Je ne l’avais pas écouté. Qui en blâmer ? Il me l’avait dit alors qu’il était déjà trop tard...
’N’y pense plus, s’il-te-plaît’, murmura Mark en s’étendant sur moi. ’Profite du moment présent...’ Je fermai les yeux, résignée, m’abandonnant à sa tendresse. L’imitant, je glissai mes mains sous sa chemise, avide de la douceur de sa peau comme il était avide de la mienne. Là où nous étions, nous ne pouvions pas nous permettre de nous dévêtir ; trop risqué. Et nous étions tous les deux trop pudiques à ce niveau. Nos vêtements allaient certainement en souffrir un peu, mais ce n’était pas bien grave. Sentant le tissu de mon T-shirt se tendre, je me dis qu’au pire, j’allais en acheter un autre. J’espérais seulement que Mark n’allait pas le déchirer de façon trop voyante ; je ne pouvais pas revenir chez moi en traversant le centre-ville à moitié dénudée.
’Attends, j’ai une idée’, fit d’un seul coup Mark, en laissant mon soutien gorge tranquille. Il se souleva, retirant de sous lui une partie de la serviette. Je l’aidai, comprenant ce qu’il voulait faire. Après une brève lutte, il nous recouvrit de la moitié de la serviette, comme d’une ouverture. Elle était vraiment grande ; nous enveloppant bien tous les deux. ’Tu pourrais retirer ton haut ?’ me demanda alors Mark qui, de toute évidence, avait eu pitié du T-shirt. Vu comme on était couverts maintenant, ça ne risquait plus trop grand-chose. ’Si tu fais pareil’, négociai-je. Il se débarrassa rapidement de sa chemise et m’aida à en faire autant. Ensuite, nous plaçâmes ces deux vêtements sous nos têtes, en guise d’oreiller. Face à face, nous nous enlaçâmes pour nous transmettre davantage de chaleur. Mon cœur cognait très fort contre sa poitrine ; le sien contre la mienne. Nous étions collés l’un à l’autre presqu’au sens littéral du terme ; nos peaux moites à cause de la chaleur ne semblaient plus faire qu’une. Les mains de Mark descendaient dans mon dos ; il tenta d’en glisser une sous mon pantalon. ’Attention’, soufflai-je dans son cou. ’Je sais...’ Il n’insista pas, repassant la main au-dessus de mon jean, sur mes fesses. Je l’embrassai dans le cou en lui massant le dos. Il sentait si bon. J’ignorais ce que c’était, comme parfum, je ne lui avais jamais demandé. Mais j’adorais. J’adorais vraiment. Je trouvais oubli et apaisement dans cette douce fragrance. Je continuai à lui faire des bisous ; descendant sur les épaules, le haut de son torse... Voulant, mais n’osant pas descendre plus bas. Sachant que je serais trop tentée ; sachant qu’il serait trop tenté aussi... sachant que je n’assumerais jamais si, par accident, quelqu’un me découvrait dans une posture aussi délicate.
Nous nous contentâmes donc de simples caresses. Il ouvrit sa braguette pour me permettre d’accéder à son boxer ; je lui permis de défaire la mienne pour me caresser aussi. Nous avions synchronisé nos rythmes. J’ignorais ce qu’il pensait de mon humidité ; je savourais, comme toujours, la sensation de son sexe qui durcissait sous ma paume et mes doigts ; à l’écoute de ses soupirs et frémissements comme à la plus douce des mélodies.
J’avais tellement envie de lui céder cette chose unique... Mais je persistais à me raisonner ; me retenir. Il ne pouvait pas comprendre que si je refusais qu’on LE fasse, ce n’était pas par peur, ou par manque d’attachement véritable à lui... Je refusais de lui donner ma virginité parce que je l’aimais trop. Je ne voulais pas en arriver à le détester le jour où il partirait... après avoir connu ça avec lui. J’aurais vraiment apprécié qu’on s’endorme là, tous les deux, entourés de verdure, à la belle étoile, respirant l’air pur de la campagne. Mais il n’en fut rien. Sans doute par crainte que les autres nous découvrent au petit matin, Mark préféra qu’on retourne dormir avec eux, finalement. Nous étions restés ensemble une petite demi-heure, même pas. Ensuite, il me conseilla d’y aller, disant qu’il arrivait aussi.
J’avais bien géré ma déception. C’était une chose que j’avais bien appris. Ravale ta fierté, ravale ton désespoir, ravale ta vexation... Souffre en silence.
Ça peut sembler bizarre, mais me cacher avec lui comme une criminelle, ça me faisait presque aussi mal que de le savoir, certains soirs, dans les bras d’une inconnue. Aussi mal que de le voir draguer nos connaissances communes devant moi. Le pire (si l’on peut dire...) c’était que cette dernière chose, il ne la faisait pas dans le cadre de son « travail ». Non. Il aimait draguer, tout simplement. C’était flagrant, oui... Mais je ne comprenais pas ce besoin. Il disait que ça ne se finissait jamais par un rapport sexuel, mais j’avais vraiment du mal à y croire. Surtout quand il s’agissait des filles qui ressemblaient, par leur attitude, à Linda... Non, je ne lui faisais pas confiance là-dessus. Et peu importe, à la limite : nous n’étions pas un couple... Mais je ne pouvais pas m’empêcher de me dire, parfois, peut-être pour me consoler, qu’il essayait, par ce biais, de me rendre jalouse ; tester mes réactions. Et ça, si c’était vrai, ça signifierait qu’il tenait à moi, à sa façon... Inutile, tout ça. Tellement inutile, puisque je m’efforçais de jouer l’indifférence totale, à ces moments. Je finissais ma canette de bière ou mon verre ; je regardais ailleurs ou alors me mettais à papoter avec les gens qui se trouvaient autour ; gaie ; insouciante...
Personne ne demanda où j’étais passée ; personne ne s’intéressa sur l’absence de Mark. En revenant près du feu, je trouvai Jérémy, totalement alcoolysé qui faisait un petit strip-tease pendant que Célia et Florian l’applaudissaient en riant. Lucas et Fanny, totalement ivres, se roulaient des pelles d’une façon plutôt indécente, Elodie discutait avec un Sam un peu bourré, qui faisait de grands gestes avec sa bouteille de vin vide, tandis que Florian et trois autres de nos potes dormaient dans l’herbe, totalement assommés par l’alcool.
Sam tourna la tête vers moi en me voyant prendre place à côté de Célia, mais il ne dit rien. Célia, quand à elle, me donna une petite tape sur l’épaule (après avoir pas mal peiné à la trouver, cette épaule...) et balbutia avec un entrain pas vraiment dynamique : ’T’es arrivée au bon moment ; Jérém va tomber le bas !’ ’T’aimerais bien, hein ?’ Jérémy lui fit un clin d’œil avant de lui balancer son bermuda, en prenant le risque qu’il finisse dans le feu, les réflexes de mon amie étant pas mal réduits à cette heure de la nuit. ’Mais non ; je garde mon slip ! C’est top privé, en-dessous !’
Officiellement, Jérémy et Sam étaient en concurrence très serrée pour le titre du type le plus craquant de notre bande. Etrangement, Mark n’était pas dans le coup. Je n’avais jamais compris pourquoi. Il semblait que son âge y était pour quelque chose ; il était un peu perçu comme une abstraction ; le grand frère ; le gars qui avait de la thune pour acheter les alcools ; qui connaissait les bons endroits où s’amuser... Et c’était tout, en fait. Evidemment, pour les filles qui ne le connaissaient pas, ça ne s’appliquait pas, ces considérations... Elles le regardaient comme si elles voyaient Dieu...
Il revint, clope aux lèvres, la couverture sur ses épaules ; comme si de rien n’était. Je le regardai prendre un bâton pour arranger le feu, concentré. Grand. Fort. Viril. Si beau... Adjectifs des yeux. Si vulnérable, disait le cœur. Nos regards se croisèrent. Il sourit. Je lui rendis son sourire. Il me manquait déjà. Durant la semaine qui suivit, comme ça arrivait régulièrement, Mark se montra distant et renfermé sur lui-même. Je ne le vis que quatre fois. Aucun rapprochement en dehors de la bise. On n’avait même pas l’air d’être des amis ; juste deux étrangers amenés à se côtoyer pendant un temps donné. Ça aussi, ça faisait très mal. Mon cœur refusait obstinément de s’y habituer. Comment concevoir qu’un jour on peut avoir le doit d’avoir des contacts très tendres et très intimes avec quelqu’un, et que le lendemain, le simple fait de poser sa main sur l’épaule de ladite personne, ça paraissait infaisable ?...
Il ne donna pas de nouvelles les jours où je ne le vis pas. Pas de SMS, pas de coup de fil. Rien. Moi non plus, je ne l’appelai pas ; n’écris pas pour prendre de ses nouvelles. Il était omniprésent dans mes pensées, pourtant. Mais je ne voulais pas le harceler au téléphone. Déranger... Grand effort sur moi-même, mais je m’y étais accoutumée.
Célia m’appela vendredi soir : ’Demain on va en teuf, tu te souviens ? Toujours partante ?’ ’Bien entendu. Tu as trouvé un moyen pour y aller ?’ ’Ouais. Mark a dit qu’un de ses potes pourra nous y conduire sans souci.’ ’Mark ?’ demandai-je, surprise. ’Mark... Mark ?’ ’Ouais, le notre !’ rit Célia. ’Il vient ?’ ’On sera cinq. Toi, moi, lui, son pote et mon cousin Vincent’, m’éclaira Célia. Vincent, c’était lui qui avait toujours des plans teuf. Ils y allaient toujours ensemble, en voiture. Mais il avait eu un pépin avec ; elle était en réparation. Du coup, Célia et lui avaient désespérément cherché un autre moyen pour samedi. Et ils avaient donc trouvé... Mark.
La perspective d’aller à ma première teuf avec lui me bloquait, quelque part. Déjà que je n’étais pas tout à fait rassurée pour moi-même, connaissant la réputation des raves-parties... alors connaissant aussi l’attirance de Mark pour les excès en tout genre, je ne voyais pas du tout comment je pourrais m’amuser en sachant qu’il risquait de faire des bêtises. Il m’avait parlé de la drogue ; je savais qu’il avait déjà consommé d’autres choses que du cannabis, par le passé... J’avais peur. Je passai chez Célia à 20H30, samedi. La porte me fut ouverte par Vincent, son cousin. Il lui ressemblait beaucoup, à croire qu’ils étaient frère et sœur, et non cousins. Yeux bleus, cheveux couleur de blé, nez retroussé, une fossette au menton. Il avait un anneau en argent dans son oreille, un piercing au niveau de son arcade-sourcilière gauche, et, en passant à côté de lui, je remarquai un bout de tatouage qui remontait dans son cou. Il portait un haut noir, sans manches, et un pantalon vert kaki, déchiré de partout. Beaucoup de bracelets en tout genre sur son poignet droit. Look que je jugeai typiquement teuffeur, malgré sa boubouille de gentil garçon à sa maman. D’emblée, il m’inspira des sentiments très positifs. Il émanait de lui beaucoup de gentillesse.
Je fus très surprise en découvrant Sam et Elodie dans le salon, avec Célia. Ils l’aidaient, de toute évidence, à vider son stock d’alcool. ’Salut Caro !’ me lança joyeusement Sam, en se levant pour me faire la bise. ’Tu viens aussi ?’ fis-je, surprise. ’Non’, répondit-il en s’écartant de moi, laissant Célia me faire la bise à son tour. ’On s’est fait une petite soirée comme ça.’ ’Ouais’, confirma Célia. ’De toute façon, l’info n’est pas encore tombée ; on a le temps.’ Je me penchai pour dire bonsoir à Elodie, puis je me posai sur le canapé. Vincent se laissa choir à côté de moi, et Célia partit me chercher une bière. ’Mark et son pote vont arriver d’ici une demi-heure !’ me lança-t-elle de la cuisine.
Un rapide coup d’œil de Sam dans ma direction. Insignifiant. Limite instinctif. Il ne pouvait pas s’en empêcher, à chaque fois que le nom de Mark tombait lors d’une conversation. Au début, ça m’avait pas mal agacée, mais, comme c’était vraiment discret et, de toute évidence, indépendant de sa volonté, j’avais fini par m’y faire. Je ne pouvais pas l’empêcher d’avoir des sentiments pour moi ; comme je ne pouvais pas m’en empêcher d’en avoir pour Mark.
’Célia m’a beaucoup parlé de toi’, déclara Vincent avec un sourire qui creusa davantage sa fossette. ’En bien, j’espère ?’ ’Non’, Célia me tendit une cannette en verre, que je pris machinalement. ’Je lui ai dit que des méchancetés ; tu me connais.’ ’Exact !’ se marra Vincent. ’Du coup, j’ai une très mauvaise opinion de toi. Je pense qu’on ne va pas pouvoir s’entendre.’ Je lui souris ; il répondit par un clin d’œil complice. ’Vincent, tu...’ ’Cenzo’, m’interrompit-il. ’Si tu m’appelles Vincent, on ne va vraiment pas s’entendre !’ ’D’accord, Cenzo’, fis-je, en prenant une gorgée de bière. ’Tu...’ Je m’interrompis, contrariée. Je ne savais plus ce que j’avais voulu dire ! Il me lança un regard interrogateur, et j’avouai que j’avais oublié ce que j’avais voulu lui demander. La moue qu’il adopta fut vraiment craquante : ’Et dire que tu n’as encore rien bu ! Qu’est ce que ça va donner plus tard !...’ ’C’est toi ; tu n’avais qu’à pas m’interrompre.’ ’Eh voilà ; ça va être de ma faute !... Mes plus plates excuses, princesse !’ Il glissa du canapé, posa un genou à terre et, avant que je n’aie le temps de réagir, il prit ma main libre et déposa un bisou dessus. Je la retirai immédiatement, sentant mes joues s’enflammer. Il me perturbait, ce garçon. ’T’arrêtes de faire le pitre, oui !’ Célia lui donna une tape sur la tête. ’Oui, chef !’ Il reprit sa place à côté de moi, hilare. ’Je ne t’avais pas prévenue, mais mon cousin est un ouf !’ fit Célia. ’Je constate, je constate...’
Son regard me transperça. Très chaleureux et franc. Je détournai les yeux, gênée. Il y avait quelque chose en lui... Je ne trouvai pas de qualificatif adéquat. Mark finit par arriver... Avec Damien. En découvrant ce type odieux, je faillis avaler de travers mon verre de rhum. Mon sang ne fit qu’un tour. ’Ça va pas ?’ Vincent remarqua immédiatement un changement dans mon attitude. Je reposai le verre sur la table, d’une main tremblante, sans me donner la peine de répondre. Je me levai pour faire face aux nouveaux arrivants. J’étais incapable de savoir pour Damien, mais Mark avait bu. Incontestablement. Cette lueur dans les yeux, ce sourire, cette voix lorsqu’il me salua... Je lui fis la bise ; il me trouva crispée. Je voulus rétorquer qu’il n’avait qu’à pas ramener ce type avec lui, mais je me mordis la langue. A quoi bon me disputer ? Je savais que ça ne changerait rien. Damien me salua aussi, comme si de rien n’était ; me faisant la bise comme à tous les autres. Je trouvai ça très culotté, puis je me rendis compte qu’il ne m’avait pas reconnue. Je n’avais certainement pas été la seule fille qu’il ait vue avec Mark...
’Posez-vous où vous pouvez et servez-vous’, invita Célia. ’Celui qui conduit, c’est celui qui boit pas !’ parodia Vincent, en lançant un coup d’œil très clair à Damien. J’éprouvai une méchante satisfaction et un surplus de sympathie pour Vincent. ’Pas de souci ; je vais me rattraper une fois sur place’, déclara Damien. Il était nettement plus détendu que ce fameux matin où il avait débarqué chez Mark. Presque amical. Mais je ne pouvais toujours pas l’encadrer. A chaque mot qu’il prononçait, de cette voix gutturale, j’avais envie de l’étrangler. Mark s’assis au pied du canapé, très près de moi. Son bras effleura ma jambe quand il se posait. Ça suffit pour que mon cœur s’emballe. Nous échangeâmes un regard où se confondaient complicité et tendresse, puis je vidai mon verre. Voir ce visage qui affichait si clairement qu’il avait dû passer l’après-midi à boire, ça me retournait...
Vincent se mit à rouler un joint et Mark l’imita. Sam se servit une rasade de rhum. Célia alluma la chaîne-hifi. Je me laissai aller contre le dos du canapé, et fermai les yeux, me laissant porter par la musique. J’entendis les canettes s’entrechoquer, des rires... Sentis l’odeur du cannabis se répandre dans l’air ; me monter à la tête. Le bruit d’un liquide versé dans un verre ; le rhum, sans doute. Le pétillement d’une nouvelle bière ouverte...
Je pensai à Léa. D’un seul coup, comme ça. Sans raison. Avec quelque chose proche de la nostalgie ; quelque chose qui me noua la gorge. J’eus l’envie de l’appeler. Lui demander de venir me chercher ; qu’on passe une soirée tranquille, toutes les deux, comme avant. « Sors-moi de là... » Quelle pensée étrange ! J’essayai de l’analyser. Et finis par arriver à la conclusion que je devais sans doute un peu trop appréhender cette teuf ; la première de ma vie. Peut-être était-ce vraiment une mauvaise idée... Peut-être que j’allais pouvoir convaincre Mark de ne pas y aller ; qu’on reparte ailleurs... chez moi...
’Hé, tu dors ?’ J’ouvris les yeux, sentant un bras s’enrouler autour de ma jambe. Mark, évidemment. Levant vers moi ses magnifiques yeux verts, l’air soucieux. J’eus très envie de lui caresser les cheveux, mais je la réprimai. Il y avait des gens ; il n’aurait sans doute pas apprécier un tel geste alors que les autres regardaient. ’Non ; je réfléchissais.’ Je répondis à son large sourire. Le regardai tirer une profonde bouffée sur son joint. ’On va bien s’éclater ; j’ai trop hâte d’y être !’ lança-t-il en lâchant ma jambe.
C’était clair. Il n’allait pas renoncer à cette teuf. Quoi que je dise. Je devais donc y aller, moi aussi. Pour veiller sur lui... Il me fallait un autre verre. Vincent reçut l’info tard ; à 23H passées. Nous avions eu le temps de boire, de dessaouler un peu, et de recommencer à boire. Même Damien avait vidé quelques canettes, mais en assurant qu’il maîtrisait la situation. Mark avait piqué une sieste dans la pièce voisine, assommé par tout ce qu’il avait bu, et il avait fini par revenir, en assez bonne forme. En éveil ; prêt à faire la fête. Nous avions trouvé le lieu sur une carte, et Célia mit tout le monde à la porte. Sam et Elodie allèrent finir la soirée chez Lucas, et nous, nous avions embarqué dans la voiture de Damien. Mark monta devant ; je me retrouvai à l’arrière, coincée entre Célia et Vincent. Nous en avions pour une bonne heure de route. Dans un premier temps, tour à tour, on me donna de divers conseils quant à l’attitude à avoir pendant la rave, pour ma sécurité. J’écoutais, mal à l’aise. ’Sympa, votre truc !’ lâchai-je quand ils eurent fini. ’Pour conclure : « amuse-toi bien et essaye de ne pas te faire violer ! »’ Ils s’esclaffèrent. Pas moi. Je me sentais davantage comme un soldat partant sur le champ de bataille que comme une jeune étudiante en route pour une nuit de bons délires.
Je somnolai un peu et fus réveillée par des ballotements de la voiture, que Damien venait d’engager sur un petit chemin terreux. Je regardai autour de moi. La nuit. Des arbres. Beaucoup d’arbres. Une forêt. Une sorte de grand terrain vague. Un champ. Et, au loin, des flashs de lumières multicolores ; un peu de fumée et des grondements. Non. Des pulsations. Comme provenant d’un immense cœur. De la techno. ’Nous y voilà !’ s’exclama Vincent, ravi. Nous passâmes à côté de nombreuses rangées de voitures. Des centaines de voitures, toutes rassemblées dans un même périmètre. On nous arrêta, Damien ouvrit la portière. On donna 3€ chacun. Puis on nous souhaita de bien nous amuser et Damien alla se garer là où ça lui avait été indiqué. ’On ne va jamais pouvoir se retrouver !’ constatai-je, en tentant de ne pas dévoiler à quel point cette pensée m’angoissait. ’Toutes les heures, rendez-vous à la caisse’, fit Vincent. ’T’inquiète pas. On a nos portables. On reste ensemble.’ On sortit tous de la voiture. Je regardai Mark. Il lut dans mes yeux et jugea bon de me rassurer encore : ’La voiture, on s’y retrouve toutes les heures si tout va bien. Mais on se garde à l’œil de toute façon, de sorte à toujours savoir où sont les autres. Avec tout ce bruit, pas certain qu’on arrive à entendre nos portables sonner. Alors faut les oublier. Si quelqu’un perd de vue les autres, il va à la voiture, d’accord ? A n’importe quel moment ; peu importe si on vient tout juste d’y aller tous. Comme ça, si on ne voit pas l’un d’entre nous dans la foule, on saura où chercher.’ ’Soit’, fis-je. ’Mais si on ne retrouve pas la voiture ?’ Je ne voulais pas être chiante, mais là, dans le noir, toutes les voitures se ressemblaient. Et il y en avait vraiment des tas. Je ne me voyais pas du tout, mais alors pas du tout, m’éloigner d’ici et pouvoir retrouver la voiture en rebroussant chemin. Impossible. Vincent me prit par le bras : ’Trouve des points de repères. Comme cet arbre, par exemple, là, devant...’ Il m’indiqua plusieurs indices dans la nature susceptibles de servir de moyens memo-techniques pour retrouver cette voiture. En fin de compte, je pensais pouvoir le faire. ’OK, merci’, fis-je. ’Je reste avec toi, si tu veux. Je te lâche pas d’une semelle’ fit Vincent. Je libérai mon bras de son étreinte avec un sourire figé, m’apprêtant à répondre. Mais Mark fut plus rapide : ’Très bonne idée. Fais bien attention à elle, hein.’ Ça me déplut. Ce n’était pas au bras de Vincent que je voulais passer cette soirée. Je voulais rester avec Mark ; il n’y avait qu’auprès de lui que je pouvais me sentir totalement en sécurité.
Damien ouvrit le coffre, et on sortit quelques bières, qu’on se repartit. J’en pris trois dans mon sac à dos, tout comme Célia et Vincent. Mark embarqua une bière et une grande bouteille dans laquelle il y avait un mélange whisky-coca. Damien avait sur lui du rhum et deux canettes. Il referma le coffre. ’Et voilà !’ On refit le point sur les choses à faire et à ne pas faire. ’Allez-y, on vous rejoint’, fit Mark, en revenant à l’avant de la voiture, entrouvrant la portière côté passager. ’C’est bon, on peut vous attendre et on y va tous ensemble, non ?’ protestai-je, en essayant de ne pas montrer combien j’était déçue et contrariée. ’On vous rejoint, d’accord ?’ Mark le dit d’une voix froide, déterminée. Qui n’admettait aucune objection.
Clairement, il se débarrassait de nous. Je suivis Célia et Vincent dans le noir, vers le son, contrariée. Célia était toute enjouée et Vincent essayait de se montrer protecteur et rassurant envers moi. Il me parlait calmement, mais je ne l’écoutais pas. Je regardais ces jeunes qui nous croisaient, le regard hagard, hilares, bouteille à la main, chancelants pour la plupart. Je n’allais pas boire, ce soir. Pas question. Il fallait que je reste vigilante, lucide. Je ne me sentais pas du tout en confiance, ici. Loin de là. Je me sentais en danger. Si je laissais l’alcool me monter à la tête... Trop risqué.
A deux reprises, on fut arrêtés. « Vous cherchez quelque chose ? » « Vous voulez quelque chose ? » Je n’avais pas tout de suite compris qu’on nous proposait de la drogue. Lorsque ce fut fait, un frisson glacial me parcourut l’échine. Il fallait que je retourne à la voiture, il le fallait ! Une certitude, un appel instinctif qui n’avait rien, rien de rationnel.
Je fis brutalement halte. Vincent m’imita, surpris. ’Qu’est-ce que...’ ’Je reviens !’ fis-je. ’Comment ça ? Tu vas où ?’ ’J’ai oublié un truc à la voiture !’ mentis-je. ’Je fais vite.’ ’Je t’accompagne’, annonça-t-il. ’Non !’ Je battis l’air des bras, pour éviter qu’il ne me saisisse par le coude, comme tout à l’heure. Il m’avait semblé qu’il en avait eu l’intention. ’Je vais retrouver toute seule. J’en ai pas pour longtemps’, rajoutai-je d’une voix plus calme.
Je repartis en courant, sans lui laisser le temps de protester. Je m’étais presque attendue à ce qu’il se lance à ma poursuite, mais, heureusement, il ne le fit pas. Je courais, j’entendais les canettes s’entrechoquer dans mon sac, j’avais la gorge nouée. Une crainte comme jamais encore je n’en avais éprouvé me dévorait. Je me heurtai à plusieurs personnes au passage, mais je ne pris pas la peine de m’excuser. J’étais pressée, en alerte, comme si ma vie en dépendait. Ou une autre était en jeu.
Ce ne fut qu’une fois à la voiture que je compris ce qu’il s’était passé. Le pourquoi. Je ne compris pas le comment, mais oui : je sus pourquoi.
Mark.
Ils étaient remontés dans la voiture, Damien et lui. En un bond, je fus devant la vitre de droite, regardant à l’intérieur. Dans la main de Mark : un CD. Sur le CD : une poudre blanchâtre, à en juger par le faible éclairage. Damien rangeait une petite pochette en plastique dans la boîte à gants. Mark, lui, arrangeait la poudre à l’aide d’un morceau de carton, pour en faire une ligne bien droite. ’Mark !’ hurlai-je en empoignant la portière. Ils sursautèrent tous les deux. L’étonnement, la gêne et la contrariété passèrent sur le visage de Mark lorsqu’il me vit. Je m’acharnais toujours sur la portière. ’Ouvre ! Ouvre-moi cette porte espèce de fils de pute !’ m’époumonai-je à l’intention de Damien. Je ne me connaissais pas ce côté vulgaire. Je cognai violemment dans la vitre. Si violemment que, l’espace d’un instant, je crus qu’elle allait se briser sous mon poing. Je tremblais. Mélange de fureur et d’une peur atroce.
Damien déverrouilla la porte. Je l’ouvris brutalement. Les larmes dans les yeux et dans la voix. ’Tu fais quoi ?’ demandai-je à Mark. ’Qu’est-ce que c’est ?’ Je ne criais plus. Je n’en avais pas la force. Ma voix était devenue basse ; à peine un souffle. J’avais du mal à respirer. Et je tremblais de tout mon corps. Mes genoux s’entrechoquaient. Damien sniffa tranquillement sa dose, sans relever le nom d’oiseau dont je l’avais gratifié. Mark secoua la tête, contrarié. ’Calme-toi, Caroline.’ Je fixais ses mains. ’Arrête, s’il te plaît. Ne fais pas ça...’ ’Tu n’es pas ma mère !’ fit-il, vraiment énervé. Je lui faisais honte devant son pote. J’en étais consciente. Mais ça m’était bien égal. Même si son ton froid, méprisant, me faisait du mal. ’Mark...’ ’Mais pour qui tu te prends ?!’ s’emporta-t-il. ’Tu n’as pas à me surveiller ; à me dire quoi faire ! Ce n’est pas la première fois que j’en prends ! Je sais ce que je fais ! Je suis un adulte !’
Je reculai d’un pas. Assommée par un profond sentiment d’impuissance. Je m’attrapai à la portière ouverte, de crainte de tomber. J’avais des vertiges, d’un seul coup. Des nausées. Je me sentais extrêmement mal. Je voulais hurler. Appeler les gens à l’aide. Mais qui appeler ? Autour de moi, ils devaient se droguer tous. ’Qu’est-ce que c’est ?’ demandai-je en fermant les yeux pour empêcher les larmes de couler. La voix de Mark s’adoucit, d’un seul coup. Fut aussi tendre que... que cette fois, tout au début, où il m’avait demandé s’il pouvait prendre ma main dans la sienne. Aussi douce que ces fois où il me demandait de l’embrasser. Tendre. Douce. Limite... Oh, mon Dieu... limite paternelle, protectrice. ’C’est juste de la cocaïne. Ce n’est pas dangereux. Je sais ce que je fais. Tu en veux ?’ Je secouai la tête de gauche à droite, incapable de prononcer le moindre mot. Si j’ouvrais la bouche, j’allais éclater en sanglots. Et si je commençais à pleurer, là... Je n’allais plus pouvoir m’arrêter.
Je ne voulais pas voir ça. Tout en moi protestait. Mon organisme se révoltait ; ma gorge serrée, mes poumons vides d’air, mon cœur qui se débattait dans ma cage thoracique comme dans une prison, mes jambes devenues si molles... mes mains... tout qui tremblait... Je tremblais tellement... Non non non non non non non non non... Mais je ne pouvais pas m’enfuir. Il fallait que je reste ; que j’assume...
Je regardai Mark se baisser jusqu’au CD, une narine bouchée avec son doigt, un petit tube en carton dans l’autre... Je le regardai inspirer la poudre par le nez. Renverser la tête en arrière.
Je ne versai pas une seule larme. Mais quelque chose se brisa en moi. Définitivement. Je les laissai là. Retournant vers le son sans vraiment voir où j’allais. Juste cette lumière qui m’appelait... Comme un papillon de nuit j’allais vers elle. Des flashs rouges, bleus, jaunes, oranges, roses... Et ces pulsations, cette musique qui cognait en moi. Transportant, assourdissant... Je sortis une canette de mon sac. L’ouvris. Me mis à boire. Aussi vite que possible. ’Hé !’ Vincent me retint par le bras au moment où j’allais lui passer à côté. Célia et lui m’avaient attendue sur le chemin ; ils n’avaient pas bougé. Je devais vraiment avoir l’air hagard, parce qu’il me demanda, mi-sérieux, mi-plaisantant, si j’avais pris quelque chose. Je protestai, portant de nouveau la bouteille à mes lèvres. ’Tu veux essayer ?’ Célia me désigna le joint qu’elle était en train de fumer.
Je le regardai, me surprenant à vraiment réfléchir à la question. Je m’étais dit que jamais, je ne toucherais à ça. L’alcool à la limite, mais la drogue... Le cannabis... Non. Je n’étais pas... Ce n’était pas mon genre. Je n’avais pas besoin de ça. Et puis, je ne savais même pas fumer. Ça ne me disait rien.
L’image de Mark, sniffant de la coke, s’imposa devant l’écran de mes yeux.
De nouveau, je regardai le joint. Repris une grande gorgée de bière. Tendis la main. ’Je ne sais pas comment on fait’, avouai-je d’une voix pâteuse. Vincent et Célia m’expliquèrent. Je mis le joint entre mes lèvres. Aspirai. Me mis à tousser. ’Normal, pour une première latte’, déclara Célia. Ce goût... Je me rappelai les baisers de Mark. Si souvent, ils avaient cette saveur... J’en revoulais. Je remplis de nouveau mes poumons avec la fumée. Ma quinte de toux fut encore plus violente. ’Doucement’, conseilla Vincent. ’Regarde.’ Il me prit le joint et le fuma. J’observais attentivement sa façon de faire. Il me le repassa. J’essayai encore. ’C’est mieux’, me félicita Célia. Lorsque je réussis enfin à tirer deux lattes consécutives sans déboucher sur une quinte de toux, je rendis le joint à Célia. ’Merci’, fis-je. Savourant, encore, ce goût... Baisers de Mark...
Mark...
Je vidai ma canette cul sec. Chancelai un peu, et me rattrapai au bras de Vincent. Il sourit. ’Alors, on va s’éclater ?’ fit Célia en se mettant à sautiller sur place. ’Yô !’ lança Vincent. ’Let’s go !’ renchéris-je, avec un enthousiasme un peu faux. Je voulais trouver l’oubli et l’apaisement ; je ne voulais plus penser ; je ne voulais plus me souvenir de ce que j’avais vu dans la voiture.
Nous rejoignîmes les autres jeunes qui vibraient au son de cette musique si étrange. J’ouvris ma deuxième canette. Un léger rire m’échappa : ’C’est cool !’ fis-je. Ironique. Mais mes amis ne s’en rendirent pas compte. Célia me prit la main et me secoua : ’Allez, bouge ! Laisse-toi aller !’
Je fermai les yeux. Laissai la musique pénétrer en moi. L’alcool avait tenu ses promesses. Décontractée, désinhibée... Moi aussi, je me mis à danser. J’avais réussi à tromper mon esprit. A m’abrutir. Lorsque Mark nous retrouva, un certain temps plus tard (impossible de savoir combien ; j’en avais perdu la notion), je m’éclatais comme une folle. Tout m’amusait. La musique, les gens... Mon T-shirt collait à ma peau ; des gouttes de transpiration perlaient sur mon front. Mon corps ne faisait plus qu’un avec la musique, répondant à chaque vibration comme un pantin dirigé par des fils invisibles, directement reliés au son. J’aimais cette ambiance, j’aimais les gens, j’aimais l’alcool. ’Ça va, Caroline ?’ Mark posa une main sur mon épaule. ’Ouais !’ lançai-je en levant la tête vers lui. ’Tu danses ?’ ’Non, c’est pas mon truc. Tu t’amuses bien ?’ ’Oui ! Et toi ?’ ’Idem.’ Il souriait aussi. ’Tu te sens bien ?’ ’Très.’ Je savais qu’il avait compris la question. Ce que je n’avais pas dit. ’T’as fait quoi de ton pote ?’ demandai-je en écartant une mèche de mon front. C’était bizarre. J’étais là, mais c’était comme si je n’étais pas là... Je contemplais les choses un peu de l’extérieur. Un si grand détachement... ’Il se ballade’, répondit Mark. J’hésitai un moment, mais l’audace que je ressentais ; ce courage que l’alcool procure si bien... ce fut plus fort. Je cessai de danser et me tournai vers lui. Rendant mon regard le plus clair possible en sous-entendus :’Tu veux qu’on aille faire un tour, nous aussi ?’ Il me regarda longuement. Puis, un sourire coquin naquit sur ses lèvres : ’C’est une proposition ?’ En guise de réponse, j’effleurai sa main. ’D’accord, allons-y’, fit-il.
Célia était partie s’acheter une bière. Je secouai Vincent pour lui dire qu’on s’éloignait un moment. J’avais eu du mal à lui transmettre ce simple message : corps et âme dans la danse, il était comme entré dans une sorte de transe. Encore plus déconnecté que moi. ’Ça marche ! Je reste dans le coin, miss ! A toute !’
J’entrainai Mark en le tenant par le bras ; osant, pour une fois. Il n’opposa aucune résistance. Je trébuchai. Il me rattrapa, m’évitant la chute. ’Tu as beaucoup bu ?’ demanda-t-il. ’Je ne sais pas’, fis-je. ’Pas assez, en tout cas, pour ne plus savoir ce que je fais ; n’en profite pas !’ ’Bien sûr que non ; tu me connais... Mais... Caroline, tu as pris autre chose ?’ J’éclatai de rire : ’C’est toi qui me demandes ça ?’ Il s’arrêta, me forçant à en faire autant. On se fit face. ’Je suis sérieux, Caroline.’ Je haussai les épaules : ’J’ai juste tiré quelques lattes sur le joint de Célia ; c’est tout.’ ’Toi ??’ il eut l’air vraiment incrédule.
L’espace d’une seconde, j’eus comme un flash d’étonnement, moi aussi. J’avais vraiment fait ça ? Moi ? Puis, l’indifférence revint. Et le besoin d’avoir Mark tout contre moi. La techno persistait de cogner au loin et nous pouvions encore entrevoir des flashs de lumière qui illuminaient régulièrement le ciel. Mais ce n’était plus qu’un arrière-plan. Nous avions filé entre les arbres, et débouché sur une pette clairière très accueillante. Je m’arrêtai pour me blottir contre Mark, collant mon ventre contre le sien, reposant ma tête sur son torse, au niveau de son cœur. Il était si grand, si fort, si protecteur... Je l’aimais tellement... Je me sentais si fatiguée, d’un seul coup... Sa main se perdit dans mes cheveux emmêlés. L’autre se glissa sous mon sac, pour mieux m’enlacer. Je caressai son dos, descendis jusqu’à ses fesses, plaquai mes mains dessus et le rapprochai un peu plus de moi. Même au travers du jean, je sentis à quel point il était dur. Je levai la tête, mon menton reposant sur son thorax. Mark se pencha vers moi, m’embrassa. Nos lèvres jouèrent à se réunir, à se fuir, puis à se réunir de nouveau. Un peu comme nous...
’Caroline... Tu es amoureuse de moi ?’ La question me surprit. Surtout que sa voix fut étrange. Prudente. Vigilante. Comme s’il s’inquiétait d’un éventuel « oui »... S’inquiétait pour moi. Il ne voulait pas me faire de mal, je savais. Je fus tentée de lui avouer que je l’aimais. Plus que tout. Qu’il occupait mes pensées en permanence. Que j’avais très peur pour lui. Que je voulais l’aider. Rester à ses côtés... Tentée de profiter d’avoir trop bu pour me lâcher. Trop risqué. Je le savais. Je pouvais le perdre comme ça. Il ne voudrait pas que je me fasse de fausses illusions. Alors, malgré mon taux élevé d’alcoolémie, je ne lui avouai rien. ’Je n’en sais rien...’ marmonnai-je. Mentis-je. ’Je suis fatiguée...’ « Je t’aime je t’aime je t’aime » s’acharnait mon cœur. On s’embrassa de nouveau. Je me débarrassai de mon sac, pour mieux profiter de ses bras. Sa façon de me caresser les omoplates était très relaxante.
Nous nous retrouvâmes posés dans l’herbe. J’avais un peu de mal avec l’espace temps ; je ne me souvenais pas de m’être assise, ni d’avoir grimpé sur les genoux de Mark, à moins que ce ne fut lui qui m’avait ainsi assise sur lui. On se serrait l’un contre l’autre, on s’embrassait, on échangeait des caresses et des bisous. J’avais chaud, j’étais bien. Je voulais qu’on aille franchisse le pas. Je m’en fichais des conséquences. ’Non’, murmura Mark lorsque je le lui fis comprendre, affalée dans ses bras. ’On fera l’amour, mais pas comme ça... Pas dans ces conditions...’ Il m’embrassa encore, à pleine bouche.
Je ressentis un mélange de déception et de reconnaissance.
Lorsque nos lèvres se séparèrent, j’entourai son cou de mes bras, pressant sa tête contre ma poitrine, le cajolant comme je l’aurais fait avec un petit garçon. Il sembla se plaire ainsi. Mon menton sur son épaule, je remuai mes lèvres dans un muet : « Je t’aime, Mark... » Sachant qu’il ne pouvait ni le voir, ni l’entendre. Je me réveillai dans la voiture, allongée sur la banquette arrière, recouverte d’une large serviette, semblable à celle que Mark avait amenée au pique nique. Je n’avais aucune idée de la façon dont j’avais atterrit là. Je me massai la tempe, tentant de me souvenir. Impossible. La dernière chose dont je me souvenais, c’étaient les bras protecteurs de Mark, dans lesquels j’avais trouvé refuge. Cette clairière... J’avais pas mal bu, mais... Je regardai par la vitre. Le soleil se levait, au loin. Ma montre indiquait 04H57. En tendant l’oreille, j’entendis encore de la techno, au loin. Je me hissai un peu plus haut sur le siège et faillis hurler lorsqu’un visage apparut de l’autre côté. Des yeux d’un vert intense me scrutaient. Mark. Il me fit un sourire que je lui rendis et il entrouvrit la portière : ’Je vérifiais si tu allais bien.’ ’Ça va’, fis-je, sans conviction. ’Tu peux encore dormir, si tu veux. Je retourne là-bas.’ Il allait claquer la portière quand je m’exclamai : ’Mark !’ Il se retourna, les sourcils haussés : ’Oui ?’ Je voulus lui dire que je ne me souvenais quasiment plus de rien ; lui demander qui m’avait amenée là, quand, comment... Mais je me ravisai. Ce n’était pas une bonne idée. ’Prends soin de toi’, fis-je tout simplement. Un autre sourire et il disparut.
Célia vint me voir quelques instants plus tard. A elle, je réussis à avouer que j’avais quelques trous de mémoire. Elle me rassura : ’Si tu as peur d’avoir pu dire ou faire quelque chose de pas convenable, t’inquiète ! On dansait, tu te souviens ? Puis, j’étais partie chercher de la bière. A mon retour, Cenzo m’avait dit que tu étais allée faire un tour, mais qu’il ne fallait pas s’inquiéter parce qu’il y avait Mark avec toi. Quelque temps plus tard, on avait croisé Mark. Tu n’étais plus avec lui. Il nous a dit que tu avais sommeil : il t’avait raccompagné à la voiture. On était donc allés te voir. Tu t’étendais là, tu étais toute souriante, mais tu as dit que tu es KO et que tu as sommeil. On a un peu papoté tous les trois, puis Cenzo t’avait filé des biscuits, tu en as mangé et on t’a laissée dormir. Voilà. Rien de plus.’
En faisant un grand effort, je réussis, en effet, à me souvenir de Mark et moi, marchant vers la voiture. Il m’aidait un peu à avancer... me conseillait de ne plus boire autant... On s’était encore tendrement embrassés avant qu’il ne reparte... Oui, je m’en souvenais. Mais c’était très flou et il me manquait des épisodes. Je ne me souvenais pas d’avoir parlé à Célia et Vincent ; je ne me souvenais pas d’avoir mangé quoi que ce fût... Au moins, je n’avais pas fait de bêtises.
Vincent lui aussi passa voir comment j’allais. Il ouvrit la portière avant, et s’agenouilla sur le siège de sorte à me faire face : ’Alors, la belle au bois dormant ? Tu te sens mieux ?’ Etais-je donc la seule à avoir vraiment abusé de l’alcool ? Célia, Vincent, Mark... ils avaient tous bien bu et pourtant, ils étaient tous en bon état, là. Tandis que moi. Mark... Mark, il n’avait pas seulement bu... Non. Il ne fallait pas y penser. Pas y penser. Y penser... ’Je vais bien. Un peu claquée, c’est tout.’ Il se gratta la tête, ébouriffant ses cheveux. ’Petite gueule de bois. Ça va passer, ne t’en fais pas.’ Quelle honte... Je le regardai, mais il ne semblait pas du tout trouver ça honteux ; je me prenais bien plus la tête que lui. ’Hé, Caroline. T’accepterais que je prenne ton numéro de portable ?’ interrogea-t-il. Je tressaillis lorsqu’il prononça mon prénom en entier. Réaction bizarre. Comme si seul Mark avait ce droit, comme si... ’Pourquoi faire ?’ demandai-je machinalement. C’était odieux, comme réflexe. A mon grand étonnement, Vincent éclata de rire, sincèrement amusé : ’J’apprécie beaucoup ta franchise !’ ’Ce n’est pas ce que je voulais dire...’ ’Je sais !’ pouffa-t-il. ’Crois-moi, miss, c’était très mignon, cette spontanéité !’
Évidemment, je lui donnai mon numéro. Il riait toujours lorsqu’il le rentrait dans son portable. ’Tu es unique, Caroline !’ conclut-il en tentant de reprendre son sérieux. ’Allez, je file.’ ’Caro’, rectifiai-je. La main sur la poignée de la portière, il se retourna et hocha la tête. ’D’accord. Caro. Quatre jours plus tard, je reçus un coup de fil de Vincent. Il organisait une grande fête dans la maison de campagne de ses parents, pour ses 23 ans. Ses parents avaient accepté de la lui laisser à condition de la retrouver intacte. ’C’est assez loin, mais j’ai récupéré ma caisse ; je pourrais venir vous chercher, Célia et toi, demain, dans la soirée. Par contre, faudrait sans doute que vous passiez la nuit sur place ; je crois que personne ne sera en état de vous ramener en pleine nuit.’ ’Je sais pas si...’ ’Allez, ça me ferait plaisir que tu viennes !’ insista-t-il. Je fis la moue, contrariée, plantée en plein milieu de ma chambre. Je n’avais pas très envie d’aller à son anniversaire. Il était gentil et marrant, certes. On s’était plutôt bien entendus. Mais je préférais les soirées en ville ; ça me laissait plus de chances de voir Mark... Les fêtes entre potes, en elles-mêmes, ne m’intéressaient pas plus que ça. Et puis, je me méfiais un peu de Vincent ; je ne voulais pas que ça tourne comme avec Sam, et il avait une façon de me regarder qui me laissait croire qu’il y avait un réel risque que je lui plaise. C’était bien ma chance ; d’ailleurs ! Avant Mark, les garçons ne s’étaient jamais vraiment intéressés à moi. Alors que je n’aurais pas forcément été contre avoir un petit copain, comme la plupart des filles que je connaissais. Puis il y avait eu Mark ; je ne voulais que lui... et tout basculait. Ce coup de fil ne me rassurait guère. Je me creusais la tête pour trouver une excuse valable, quand Vincent rajouta : ’Ce serait cool si tu pouvais aussi convaincre les gens qu’on a vus samedi ; ils étaient sympa.’ ’Tu n’auras pas assez de place dans ta voiture, alors’, fis-je, d’un seul coup plus intéressée. ’Personne d’autre n’a de caisse, parmi eux ?’ ’Si. Sam’, fis-je, pensive. ’Alors voilà ; fais circuler l’info. Plus y a de fous, plus on rit !’ ’Euh...’ ’Allez, Caro ! Ce sera une chouette fête, tu verras ! La campagne, une baraque de rêves... on a même une piscine ! Et encore mieux...’ il fit une pause, pour le suspense ’Il y aura MOI ! ça vaut le déplacement, non ?’Je ris aussi et capitulai... à ma façon : ’Je te tiendrai au courant. Mais je ne garantie rien.’ ’Essaye, en tout cas’, demanda-t-il. En fait, ça allait dépendre de Mark...
Au fond, tant mieux qu’il m’ait appelée avec cette proposition. Ça me donnait un prétexte pour téléphoner à Mark ; on ne s’était pas revus depuis dimanche matin, quand Damien nous avait ramenés en ville. ’Coucou’, fis-je quand il décrocha. ’Oh, salut Caroline. Tu vas bien ?’ ’Oui ça va, et toi ? Quoi de neuf ?’ ’Rien. La routine. Et toi ?’ ’Rien de spécial non plus. Mais y a Cenzo qui m’a appelée. Il invite à son anniv, demain soir. Ça te dit ?’ ’C’est où ?’ ’Quelque part dans la campagne ; il a dit qu’il passera nous chercher en voiture. En revanche, il faudra dormir là-bas.’ Il réfléchit à la question : ’Pourquoi pas. Tu me tiens au courant ?’ ’C’est oui, pour toi, alors ?’ ’Oui. Rappelle-moi demain, d’accord ?’ ’OK’, fis-je, un peu surprise de constater à quel point il semblait pressé de raccrocher. ’Mais...’ ’Allez, salut, Caroline !’ ’A plus’, me résignai-je à répondre.
Etait-il avec une fille ? A cinq heures de l’après-midi ? Je poussai un soupir. Y penser ne servait à rien. Je décidai de me raccrocher au positif : j’allais passer une soirée avec lui, le lendemain. C’était pour ces moments que je vivais. S’il ne faut jamais se fier aux apparences, je ne pus néanmoins pas m’empêcher de constater qu’à voir la façon dont Vincent s’habillait, personne n’aurait pu se douter qu’il venait d’une famille aussi aisée. Son look de jeune rebelle de la rue était en total contraste avec le milieu dont il était issu. Il ne s’agissait pas d’une « maison de campagne » comme il l’avait dit, mais carrément d’une grande villa bien luxueuse, qui comportait trois étages, une infinité de chambres, un énorme jardin et une grande piscine. J’en fus médusée.
Lorsque nous arrivâmes, à 20H, il y avait déjà beaucoup de monde ; une bonne vingtaine de gens. Des amis et amies de Vincent ; de parfaits inconnus pour moi. Heureusement qu’il y avait Célia, Mark, Elodie et Lucas avec nous. Vincent avait été très généreux dans son invitation, ce qui avait permis de faire venir tout notre groupe. Sam devait arriver un peu plus tard et ramener Fanny, Florian et Jérémy. Au moins, je n’allais pas me sentir trop seule.
Nous avions tous rendez-vous chez Célia en fin d’après-midi. Jusqu’au dernier moment, j’avais craint que Mark ne vienne pas. Il était arrivé un peu en retard, maussade. Il avait de toute évidence bu et, comme ça lui arrivait parfois, ça ne lui avait pas fait du bien au moral. Aux yeux des autres, il était normal. Après tout, il souriait et jouait les enjoués, comme il savait si bien le faire. Évidemment, ça suffisait pour convaincre tout le monde de sa bonne humeur... sauf moi. Moi, je savais qu’on avait affaire à son côté noir, et qu’il
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