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Un histoire, un regard...

Chapitre 8

Erotique
’Alors, les gens ? On bouge ?’ L’exclamation enjouée de Vincent me tira brutalement de mes pensées. Je me tournai machinalement vers lui, un verre de vin rouge dans la main. Je m’étais un peu calmée sur l’alcool, ces derniers temps, et ce soir, je rattrapais les jours « perdus ». Là, je planais déjà pas mal ; j’avais débarqué chez Célia environ une heure plus tôt et depuis, je n’avais cessé de boire. ’Moi je propose qu’on reste encore un peu ; genre une demi-heure’, fit Lucas en bâillant à s’en décrocher la mâchoire, la main enroulée autour du goulot de sa bouteille de Kro vide. ’D’ici une demi heure, tu seras totalement endormi et on n’arrivera pas à te réveiller !’ objecta Fanny en lui envoyant une petite bourrade amicale. ’Je serais plutôt d’avis qu’on y aille tout de suite sinon plus personne ne voudra décoller’, persista Vincent. ’On vote ?’ proposa Florian. Je retournai à ma consommation ; neutre quant à cette sortie.
Normalement, on devait finir cette soirée dehors, dans un parc ouvert 24H/24, parce que le temps s’y prêtait merveilleusement. On se serait crus début juillet tellement il faisait bon dehors. Là, il était 21H passées et le thermomètre extérieur indiquait 19°C. Nous étions le groupe de potes habituel, posés chez Célia. Seul Jérémy manquait à l’appel, mais il avait promis qu’il nous rejoindrait en deuxième partie de soirée. Quant à Mark... Depuis quelque temps, il faisait un peu bande à part avec d’autres gens ; il était en permanence occupé, d’après ce que j’avais compris. Ça faisait six jours que je ne l’avais pas vu.
Deux semaines s’étaient écoulées depuis cette nuit fatale où il m’avait fait comprendre qu’il n’y aurait plus jamais rien entre nous deux. Effrayé par mon amour. Voulant m’épargner... Parce qu’il n’était pas assez bien pour moi... Je n’arrivais toujours pas à accepter ce qui s’était passé et la certitude qu’il n’allait finalement pas être le premier me minait. Ça m’empêchait d’aller au bout de cette histoire, me laissant avec une terrible sensation d’inachevé. Ce qui n’a pas pu connaître de véritable dénouement hante pour toujours, je le savais bien. Mais il me fallait l’accepter, désormais.
Après avoir quitté l’appart de Mark, cette nuit là, et après avoir pas ingurgité pas mal d’alcool, j’avais passé un coup de fil à Léa. Chose que je n’aurais pas osée faire en étant sobre, vu que j’avais plombé notre amitié. Mais j’avais tellement besoin de parler à quelqu’un qui connaissait ma situation avec Mark ; quelqu’un d’extérieur à ma bande de copains... Je n’avais pas réfléchi à l’heure qu’il était, ni à comment mon ancienne meilleure amie allait prendre ce coup de fil... Je l’avais réveillée au beau milieu de la nuit, mais elle ne m’en avait pas du tout tenu rigueur. Bien au contraire. Elle était venue me chercher et j’avais terminé la nuit chez elle. Totalement effondrée et ivre, bien entendu. Mais Léa avait su trouver les mots pour me calmer. De mon côté, j’avais enfin pu vider mon sac et, malgré toute la souffrance qui me dominait, ça m’avait fait du bien.
Depuis, j’avais adopté une attitude distante vis-à-vis de Mark et je pensais très sérieusement à coucher avec le premier venu. Comme un moyen de me défouler. De lui prouver quelque chose... de me prouver quelque chose à moi-même. J’avais même acheté une boîte de préservatifs, et j’en gardais toujours sur moi, au cas où. Les premiers jours avaient été les pires, parce que je n’arrivais bizarrement plus à boire ; donc plus à m’anesthésier l’esprit. Toutes les sensations étaient à vif. Puis, le cynisme avait repris le dessus ; je prenais tout avec une sorte de dédain et de mépris, et beaucoup de choses me passaient totalement au-dessus. Je me rendais compte que mon cœur s’était durci, que mon attitude vis-à-vis de mes amis n’était pas terrible... mais ils devaient m’accepter telle quelle, désormais. Parce qu’il ne me restait que cette armure d’indifférence pour me raccrocher à la vie... A cette vie dont je ne voulais plus. ’Bon, alors on fait quoi ?’ s’impatienta un peu Vincent. Personne n’arriverait à décider si on partait tout de suite où pas. En fait, on en était plus ou moins tous arrivés au stade où ça nous était égal de changer de décors où bien de rester à l’appart. On avait l’essentiel : l’alcool. Le lieu de consommation importait peu.
Si ça avait été quelques semaines plus tôt, j’aurais insisté pour qu’on sorte, parce que Mark n’était pas là et cela signifiait donc que, pour avoir ne fut-ce qu’une chance sur dix pour le voir, il fallait bouger ailleurs. Mais maintenant que les choses avaient changé et qu’il passait la plupart de son temps avec des gens qu’on ne connaissait pas... ça n’avait plus aucun intérêt pour moi. Je tentais de me persuader que moins je le verrais, plus vite je guérirais de cet amour. Ça m’était égal qu’on reste là. Ce soir, je voulais seulement boire et fumer.
’Bon, Célia, je te propose de mettre tout ce beau monde à la porte !’ lâcha Vincent. ’Tu es chez toi, après tout, et c’est de toute évidence la seule solution pour qu’on migre au parc !’ ’Radicale, ta solution !’ commentai-je avec un sourire, amusée malgré tout. ’Je suis un rebelle !’ Vincent me gratifia d’un clin d’œil complice.
’Allez !’ Sam se leva d’un bond. ’On bouge!’ ’Merci de te montrer solidaire, mec!’ le remercia Vincent. ’Bon, c’est d’accord’, soupira Fanny et quittant, visiblement à regret, le pouffe sur lequel elle avait passé quasiment toute la soirée. Elle tendit les mains à son petit ami : ’Tu viens, beau gosse ?’ Lucas lui lança un regard de chien battu, mais accepta son aide et se remit debout à son tour. Je vidai mon verre et en fis autant. Elodie m’imita, Florian n’eut pas à le faire vu qu’il était déjà debout, et Célia prit les clefs qui reposaient sur la table basse avant de bondir sur ses pieds. ’N’oubliez pas les bouteilles’, conseilla Lucas en lorgnant sur la table. ’T’es ouf, toi !’ fis-je en ouvrant déjà mon sac à dos pour y glisser quelques cannettes. ’Moi il m’en reste encore dans ma sacoche !’ déclara Sam. ’J’ai gardé le meilleur pour la fin !’ ’Tu as quoi ?’ m’intéressai-je. ’De beaux mélanges ; tu verras !’ ’Je ne suis pas sans ressources non plus !’ s’auto-félicita Elodie.
Une bonne soirée en perspective ; on allait tous finir totalement beurrés.
Comme ça m’arrivait parfois, vaguement, je repensai au temps où je ne touchais pas du tout à l’alcool et où j’avais une toute autre définition d’une « bonne soirée ». Mais que c’était loin, tout ça ! Nous étions arrivés dans le parc environ une demi-heure plus tard. Le parc n’était pas bien loin, mais comme nous étions tous dans un état un peu second, ça aurait aussi bien pu être à l’autre bout de la ville. C’était surtout Lucas qui nous ralentissait. Il avait enchainé plusieurs joints et le moindre détail dans la nature le fascinait au point de l’immobiliser en plein milieu du trottoir. On avait mis quelques minutes à l’arracher à la contemplation d’un panneau publicitaire... vide. Ensuite, il avait sorti une canette pour la boire en route, il l’avait laissée tomber et on avait du ramasser les morceaux de verre pour éviter que quelqu’un chute dessus. Bref, le chemin fut assez mouvementé et on mit beaucoup de temps pour le faire.
La première personne que je distinguai en arrivant fut Mark. Il avait beau faire sombre et il avait beau être loin et de dos, sa silhouette m’était tellement familière que je n’eus pas un seul instant d’hésitation quant à l’identification de la personne. Il se tenait debout, dans un petit groupe d’individus, avec une assiette bizarre dans la main. Une fois que nous ne fûmes qu’à quelques mètres de lui, l’« assiette » s’avéra être un frisbee. ’Hey Marco, ça faisait longtemps !’ s’exclama Florian en le reconnaissant. Je fis quelques pas en arrière tandis que Mark pivotait pour nous faire face. Il s’était un peu coupé les cheveux et ça lui allait vraiment bien. Il avait aussi un peu bu, ça se voyait. Mais moins que nous ; moins que moi. ’Salut, comment allez vous ?’ nous accueillit-il avec un sourire très aimable. Il serra la main aux garçons, puis fit la bise à Célia, Elodie, Fanny et, enfin, à moi. Tous mes muscles s’étaient tendus ; j’étais prête à jouer mon rôle d’indifférence personnifiée. Sa bise fut légère et insouciante. Pourtant, j’eus l’impression que son regard s’était attardé sur moi quelques secondes de plus que nécessaire. Il nous présenta les gens qui étaient avec lui. Je fus assez surprise qu’il n’y ait aucune fille ; Mark sans au moins une présence féminine à ses côtés, c’était suffisamment exceptionnel pour être noté. Enfin, là, il pouvait au moins draguer Elodie et Célia. Comme Fanny était très officiellement casée avec Lucas, Mark ne la taquinait pas comme les autres filles. Moi ? Je ne rentrais plus dans le « jeu », je n’en doutais pas. C’était fini, pour lui.
J’entrainai Célia un peu plus loin et nous prîmes place sur un petit muret recouvert de mousse. Vincent, qui marchait tout le temps à mes côtés, s’assit également. Les autres mirent un peu plus de temps à nous rejoindre. Nous ne les avions pas attendus pour ouvrir la bouteille de blanc que Vincent avait trimballée dans son sac et qu’il déboucha dans un « ploc » sonore. On buvait, on parlait et on plaisantait. L’alcool m’avait donné le détachement dont j’avais besoin pour que la présence de Mark ne soit pas douloureuse. Mais ça ne parvint pas à m’empêcher de lorgner vers lui à la moindre occasion. C’était plus fort que moi. Je pouvais faire semblant que tout allait bien, mais je ne pouvais pas tromper mon propre cœur.
Nos regards se rencontrèrent à plusieurs reprises. Ça me troubla, et j’en voulus à mon cœur d’avoir accéléré ses battements. Difficile de miser sur un simple hasard au bout de quatre, cinq fois. Je détournais immédiatement les yeux et il en faisait autant. Qu’est-ce que ça voulait dire ?
Je fus très tentée de me rapprocher de Vincent. Je savais bien que ça ne l’aurait pas du tout dérangé, Vincent. Là, sous le regard de Mark, ça aurait été parfait. Faire semblant qu’il y avait quelque chose entre nous... Que Mark le voit. Je pouvais me mettre avec Vincent, en fait... Mais là, comme déjà quelques jours plus tôt, quelque chose m’en empêcha. La peur de faire du mal à Mark. C’était curieux. Je savais que c’était bien fini ; qu’il était trop fier, bien trop fier, pour revenir sur cette décision qu’il avait prise pour nous deux. Et pourtant... Pourtant, j’avais l’impression qu’il avait encore besoin de moi. Besoin de savoir que je l’aimais... Peut-être même l’envie qu’on puisse de nouveau être proches comme on l’avait été. Sinon, comment expliquer ces coups d’œil ? Et s’il ne m’avait pas totalement rayée, je ne pouvais pas me permettre d’aller avec un autre garçon ; encore moins sous ses yeux... Je ne pouvais pas le faire souffrir sous le prétexte qu’il m’avait fait souffrir, parce qu’en mon for intérieur, je réalisais qu’il aurait été plus facile pour lui de profiter de moi ; de prendre ma virginité comme un nouveau trophée et me laisser tomber ensuite. Mais il ne l’avait pas fait et ça, même si je ne comprenais pas bien pourquoi, je devinais qu’à ses yeux, c’était pour mon bien. Même si ça faisait tellement mal. Alors la méchante de l’histoire ça aurait été moi, si, volontairement, je me laissais aller avec un garçon pour le punir... pour lui faire mal. Et puis, quand lui souffrait, je souffrais encore plus. Je me sentais blessée, humiliée... mais toujours très soucieuse quant à son bien-être. Je l’aimais toujours... Le désirais toujours... A défaut d’un petit câlin avec Vincent, je forçai sur ma bière. Je n’en avais plus tellement besoin après le vin, que nous avions liquidé en quelques minutes à peine ; le temps de faire circuler la bouteille trois fois. Du muret, j’avais fait mon dossier, me laissant choir dans l’herbe. D’autres m’imitèrent, alors que j’avais fait ce choix pour une raison pratique : mon corps était devenu comme une poupée de chiffon ; je m’affaissais sur place et, en restant sur le muret, je risquais d’en tomber à un moment où à un autre.
Mark et deux de ses potes, après une petite partie de frisbee dans le noir, finirent par se poser avec nous. Je m’étais retrouvée presqu’en face de lui, dans le cercle plutôt vaste que nous avions formé. Je sentais ses yeux sur moi quand je regardais ailleurs. Ça ne me fit pas grand-chose ; l’alcool avait lavé ce qu’il restait d’une sorte d’espoir ; j’étais à l’abri de la souffrance ; mon cœur battait normalement. Devenue plus sûre de moi car aucun rejet ne me faisait désormais peur, je commençai à penser à trouver un moyen pour aller vers Mark. Je ne risquais rien ; il voyait bien que j’étais sous les effets de l’alcool.
Il porta une bouteille de rhum-orange à ses lèvres et nos regards se croisèrent encore. Je souris et levai ma canette, faisant mine de trinquer. Il me répondit par un très léger hochement de la tête, tout juste perceptible. Je fermai les yeux et vidai cul-sec le fond de bière qu’il me restait. Lorsque je les rouvris, ceux de Mark me fixaient avec une sorte de gravité. Feignant ne pas m’en être rendu compte, je me tournai aussitôt vers Célia et lançai une plaisanterie.
Fausse gaité, fausse insouciance. Le seul sentiment qui était vrai, je n’avais pas le droit de le montrer.
Le temps passait. J’avais cessé de boire ; le décor tournait déjà et je sentais que si je buvais une seule goutte de plus, j’allais vomir. Le dos contre le muret, à moitié allongée dans l’herbe, les yeux lourds, je tentais désespérément de continuer à jouer le rôle de la fille insouciante, indifférente d’avoir été repoussée, qui refaisait joyeusement sa vie. Mais je n’y arrivais plus trop. Je regardais Mark, qui s’était éloigné pour rejouer au frisbee sous la lueur des lampadaires, et je sentais les larmes me monter aux yeux. Il m’arrivait d’avoir l’alcool triste, et là, bien qu’horrifiée à cette seule perspective, je sentais que je n’allais pas y échapper cette nuit. Après l’anesthésie des sentiments, le contrecoup : les voilà qui s’exacerbaient...
Ça peut paraître étrange, mais ce qui me faisait tellement souffrir, là, c’était ce spectacle de Mark lançant le frisbee, puis le rattrapant de plein de façons, à la fois gracieuses et acrobatiques. Ses gestes n’étaient pas des plus assurés ; il avait quand même de l’alcool dans le sang et ça se voyait un peu. Ceci dit, il avait vraiment l’air de s’éclater. Et plus tout ça semblait enfantin et innocent, plus ma gorge se serrait ; plus flou devenait ma vision. Indépendamment de ma volonté et des apparences, j’y voyais quelque chose d’extrêmement tragique, dans ce jeu. Dans le sourire si large de Mark, dans sa façon de courir et de sauter pour s’emparer du frisbee au vol... Quelque chose me charcutait le cœur. Ça ne collait tout simplement pas... C’était si... ça avait l’air si... artificiel, même s’il s’amusait réellement, de façon évidente. Totalement pris dans le jeu. Mais... Mais il y avait un « mais ». Un « mais » que mon cerveau, trop embrouillé par l’alcool, ne parvenait pas à approfondir.
Pourtant j’avais la très nette impression que si je comprenais le pourquoi, j’aurais la clef qui me permettrait de trouver une issue ; la solution... Je m’assoupis. Difficile de dire combien de temps j’avais somnolé. Je fus réveillée par des gouttes de pluie tombant sur mon visage. Très inquiète, je me hissai sur mes coudes, non sans mal, et regardai autour de moi. Mes amis étaient posés tout près, et ils discutaient entre eux en faisant circuler des canettes de bière. Mark était parmi eux. Rien ne laissait supposer qu’il y ait eu une éventuelle auto-trahison de ma part.
Ça faisait un moment que je n’osais pas trop m’endormir en présence d’autres gens. C’était depuis la fois où je m’étais réveillée avec le prénom de Mark aux lèvres. Je l’avais répété à plusieurs reprises, d’une voix agonisante, mais suffisamment distincte pour que les mots soient parfaitement saisissables. Heureusement, j’avais été seule dans ma chambre. Mais cet évènement m’avait fait comprendre que je risquais de dévoiler bien de choses malgré moi, et que, par conséquent, j’allais devoir me montrer très vigilante.
Tout allait bien, là... Tout allait bien. Je n’avais pas parlé, j’en étais certaine. Mon sommeil avait été profond, sans rêves.
D’autres gouttes de pluie. Plus insistantes. Moins espacées. Je pris conscience de la veste de Vincent sur moi. Elle glissa un peu de mes épaules lorsque je me mis totalement assis. Vincent me l’avait laissée en guise de couverture et je lui en fus reconnaissante, parce qu’il commençait à faire un peu frisquet.
’Il flotte !’ annonçai-je. Un visage se tourna vers moi. Jérémy. ’Tiens, miss météo s’est réveillée !’ Je ne l’avais même pas vu arriver. Pas plus que je n’avais vu repartir Fanny, Lucas et Sam. ’Il est quelle heure ?’ demandai-je d’une voix pâteuse. ’L’heure de mettre les voiles’, déclara Vincent en se levant. ’Ça n’a pas l’air d’une simple averse.’ Je regardai mes amis se mettre debout. Péniblement, je me hissai moi aussi à la verticale. Mes jambes acceptaient tout juste de me tenir. Je n’allais pas pouvoir rentrer chez moi, là. Impossible. ’Tiens, ta veste’, fis-je à Vincent en lui rendant son bien. ’Merci.’ ’Laisse ; tu me la repasseras à l’occasion. J’ai chaud ; ça n’a pas l’air d’être ton cas’, répondit-il. J’hésitai un peu, puis enfilai le vêtement tout en le remerciant.
Mon regard se porta de nouveau sur Mark. Il allait partir. M’échapper... J’avais donc bu pour rien. M’étais donné ce stupide courage pour rien. Maudite pluie qui venait tout gâcher... Moi, qui avais espéré voir partir mes amis un à un pour finalement rester en comité très réduit avec Marc, et lui demander... lui demander si je pouvais... Maudite pluie.
Mark croisa mon regard. Il venait tout juste de nous lancer un « A plus, les gens ! » ; signe d’un départ imminent. Je ne détournai pas les yeux. En partie parce que je n’en eus pas la force. Et puis aussi parce que là, ça m’était égal qu’il me voit le regarder ; égal qu’il puisse y voir cette supplication que je n’osais pas formuler. Je l’aimais. Je le voulais. Je voulais passer la nuit dans ses bras. De nouveau. Ressentir sa chaleur. L’enlacer. J’avais besoin de lui. J’avais désespérément besoin de lui et je savais que ça devait se voir dans mes yeux. Ce n’était pas nouveau... Mark sembla hésiter un instant, puis il interpella Célia : ’Vous bougez où ?’ ’Moi je rentre ; je suis KO’, répondit Célia. ’Moi j’sais pas !’ lança Jérémy. ’Moi non plus’, fit Elodie. Florian devait retrouver un copain à lui et Vincent était assez indécis. Les regards convergèrent vers moi : ’Je ne sais pas’, marmonnai-je. ’Je... Je suis fatiguée. Je pense que je... je vais rester là.’
La pluie s’intensifiait de minute en minute. Alors, bien évidemment, ma réponse provoqua une avalanche de protestations. Mark fit signe à son pote d’attendre et il s’avança vers moi. Vers nous tous. Mais vers moi. J’en fus soulagée et pourtant ma gorge se serra de nouveau et j’eus envie de pleurer. De m’apitoyer sur mon sort. Je ne le fis pas. J’attendais de savoir ce qu’il allait dire. En fait, je savais déjà.
’Si ça vous dit, venez chez moi. On repart en voiture, avec Ben’, fit Mark. Il ne me regardait pas en disant ça. Mais ce n’était pas important. ’Moi je suis partante, surtout pour la voiture’, bredouillai-je. Je me voyais mal marcher. ’On est six et jusqu’à preuve du contraire au mieux on tient à cinq dans une caisse’, fit remarquer Jérémy ; comme toujours pratique. ’Y a pas de souci !’ intervint Vincent. ’En fait je vais repartir avec ma chère cousine’, il lança un clin d’œil à Célia. ’OK ; alors on bouge ?’ pour Mark, la question était réglée. Les autres voulaient avoir la certitude qu’il était sûr de sa décision. Il l’était. J’en profitai pour lui rendre sa veste, le remerciant encore. Il me fit la bise, me lança un regard indéchiffrable et me dit de bien faire attention à moi. J’opinai du chef sans conviction et suivit le groupe qui s’était déjà mis en branle vers la voiture de Ben ; le pote de Mark. Mark ne m’avait pas attendue ; seule Elodie le fit. Ça non plus, ce n’était pas important.
J’avais ma chance et je comptais bien la saisir. Dans la voiture, coincée à l’arrière entre Elodie et Jérémy, je n’avais pas été loin me trouver mal. Je priais pour qu’on arrive vite ; pour que je tienne le coup. Je ne voulais pas m’humilier davantage en vomissant dans le véhicule d’un inconnu ; d’un proche de Mark ce qui plus était. Alors j’avais serré les dents et tenté de penser à autre chose.
Le trajet dura environ dix minutes. Pendant tout ce temps, Mark n’ouvrit pas la bouche. Je faisais semblant de dormir ; j’entendais Ben échanger avec Elodie et Jérémy... Mais j’entendais surtout le silence émanent de Mark. Il ne le brisa qu’une fois la voiture arrêtée et garée. ’Bon, on y va !’ fit-il. ’En revanche, d’ici une heure, je vais aller dormir.’ Le message était clair : d’ici une heure, vous allez devoir partir.
Avant de sortir de la voiture, aidée par Jérémy, j’eus le temps de jeter un œil sur la radio, où l’heure était affichée. Il était 02H31. Je ne savais même plus si c’était tôt ou tard, au bout du compte...
Ben ne resta même pas un quart d’heure ; il partit assez vite, nous laissant seuls avec un Mark redevenu jovial. Elodie et Jérémy étaient posés sur le canapé. Mark s’était assis en face d’eux, sur un petit fauteuil. Quant à moi, je dormais à moitié, un peu plus à l’écart, sur un fauteuil plus large et moelleux. Je m’y étais lovée bien confortablement et, les yeux mi-clos, je tentais de suivre ce qu’il se passait dans la pièce. Mark ne buvait plus ; il roulait des joints. Elodie continuait à boire, mais sans conviction, et Jérémy y mettait vraiment du cœur, alternant des verres cul-sec et des plaisanteries qui ne faisaient rire que lui. Le joint de Mark circulait, et les différents échanges, que je ne parvenais pas vraiment à saisir, se noyaient dans la musique que Mark avait fini par allumer. J’avais très sommeil, mais cette crainte de me trahir en dormant me retenait de me laisser aller.
Je regardais Mark, rêvant de pouvoir m’approcher de lui et le prendre dans mes bras. Je regardais son visage, me souvenant de la toute première fois où je l’avais repéré. Ses cheveux, me souvenant de leur douceur. Ses lèvres, me remémorant nos baisers. Son cou, que j’adorais couvrir de bisous. Ses larges épaules, au creux desquelles je m’étais endormie tant de fois. Son dos, dont mes mains raffolaient. Ses mains ; nos doigts entremêlés... Tout son corps, devenu inaccessible, que je chérissais tant... C’était une sacrée torture, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Envahie par des torrents de souvenirs, je me laissais porter. Curieux que de si beaux souvenirs pouvaient faire si mal...
De temps à autre, Mark m’interpellait, me demandant si je me sentais bien. Evidemment, je lui répondais que oui. Mais ça n’allait pas. Plus le temps passait, plus je me disais que Mark allait m’expédier avec les autres. Et je ne pouvais rien faire contre ça. Si on avait été seuls, alors je me serais rabaissée à lui demander de passer la nuit chez lui. Mais là il y avait nos amis, et je ne pouvais pas... Parce qu’il ne voulait pas... C’était juste entre lui et moi...
Je fermai les yeux quelques instants. Lorsque je les rouvris, Elodie disparaissait dans les toilettes, et Jérémy, accroupi devant la chaine hi-fi, s’était mis à trifouiller les CDs de Mark pour changer de musique. Mark n’était plus dans son fauteuil. Je tournai mollement la tête, à sa recherche. Juste le temps de le voir sortir de la cuisine. Il s’invita à côté de moi, dans le petit espace entre le mur et le fauteuil. ’Tu vas bien ?’ demanda-t-il pour la énième fois. ’Ça va, merci,’ mentis-je. Il jeta un œil par-dessus son épaule, comme pour s’assurer que Jérémy ne nous entendait pas. ’Tu peux rester là, cette nuit, si tu veux’, me glissa-t-il à l’oreille. J’aurais tant aimé qu’il ait un geste vers moi ; sa main sur mon épaule, au moins... Mais non, il gardait ses distances. Moi, je n’allais même pas garder un semblant de dignité : ’J’aimerais bien, oui... Je ne me sens pas en état de rentrer chez moi, là...’ Il hocha la tête : ’Je vois bien. C’est pour ça que je te le dis.’ ’D’accord... Merci beaucoup’, fis-je, la gorge serrée. ’Je... t’inquiète, je ne dérangerai pas ; je vais dormir sur le canapé.’ De nouveau, il lorgna vers Jérémy avant de s’adresser à moi : ’Non ; JE vais dormir sur le canapé. Je te laisse la chambre ; tu y seras mieux.’
J’allais protester, mais c’est ce moment que choisit Elodie pour émerger des toilettes, et Mark s’éclipsa pour reprendre place sur son fauteuil. J’eus d’un seul coup très envie de rassembler ce qu’il me restait d’énergie et de m’en aller. M’en aller avant que tout ça ne tourne au mélodrame. M’en aller avant d’avoir l’occasion de vérifier si j’avais en moi suffisamment de force pour supporter de dormir dans cet appartement éloignée de Mark ; ailleurs que dans ses bras.
La chambre... Non, pas question que j’y dorme seule. Je préférais encore dormir là, sur ce fauteuil ; voire carrément parterre, sur le sol bien dur et froid. Pas question de retrouver ce même lit ; ces mêmes draps... Ces senteurs... Ces souvenirs qui allaient sans aucun doute possible m’envahir et me tourmenter toute la nuit. Dans cette chambre... Non. Jamais. Je n’étais pas masochiste à ce point ; je connaissais mes capacités de souffrance et ça, je n’allais pas pouvoir l’encaisser. Déjà le simple fait de ne pas dormir dans le même lit... Mais pas la chambre. Pas la chambre...
Je fermai les yeux, et cette fois ce ne fut pas pour somnoler. Je les fermai pour coincer les larmes sous les paupières. Les voix de mes amis me parvenaient étouffées, et je ne captais que des bribes de conversations. Je me focalisai sur elles pour ne pas risquer de m’endormir.
’...aller dormir...’ la voix de Mark. ’...bouger...’ la voix de Jérémy. ’...soirée sympa... oui...’ la voix d’Elodie. ’Et Caro ?’ la voix de Jérémy. Un silence suivit. Je devinai que leur regards avaient convergés sur moi. ’...dort... la laisser... reposer...’ la voix de Mark. ’T’es sûr ? Parce que... si tu ne... y aller...’ la voix de Jérémy. ’Ou alors... c’est comme... le sens’ la voix d’Elodie. ’Non, non... ira... en faites pas... au pire...’
Je laissai les voix se mélanger jusqu’à devenir un son uni, et confus. Je n’y comprenais pas grand-chose, de toute façon. Juste qu’Elodie et Jérémy allaient bouger, qu’ils se demandaient comment faire pour moi, et que Mark les rassurait en disant... Que j’allais dormir là ? Repartir plus tard ; le temps de me reposer ? Je ne savais pas. En tout cas, il leur fit passer le message que j’allais rester là, pour le moment ; qu’il s’occupait de tout.
D’un seul coup, je me sentis très pitoyable. Misérable. Méprisable. Une ivrogne. Une beurrée dont il fallait s’occuper en fin de soirée ; qu’il fallait ramasser à la petite cuillère. Une pauvre fille qui se rabaissait à ce point pour un espoir idiot ; sans aucun amour propre, après avoir été si clairement repoussée... Lamentable. C’était lamentable. Mon état ; toute cette situation... J’avais honte. Vraiment honte.
La porte claqua. J’entendis des pas dans les escaliers. Mark éteignit la musique. Un silence apaisant. La conscience de sa présence, juste au-dessus de moi... J’ouvris les yeux et plongeai dans l’océan vert des siens. Redevenus doux. Attentifs. Tendres. Je n’y pensai pas sur le coup, mais il devait avoir vu, dans les miens, ces larmes que j’emprisonnais avec ce qu’il me restait de bravoure. Il effleura l’une de mes joues du revers de sa main. Délicatement. Le regard très attentif. ’Caroline, vas-y... Va te coucher ; vas dormir...’ ’Non; c’est bon... Je suis bien là...’ fis-je.
En moi, une voix suppliait : « S’il-te-plaît ne parle plus de ça ; de cette chambre vide... Ne replonge pas le couteau dans la plaie... J’ai assez mal comme ça. Arrête. Ça ira... Laisse-moi... Juste laisse-moi dormir ici, dans ce fauteuil... Ou alors... Sois avec moi. Mais ne me demande pas d’y aller toute seule. S’il te plaît, s’il-te-plaît, s’il-te-plaît...’ Je voulais mourir, là. Cette douceur qu’il affichait; cette prévenance... Dans cette situation, c’était encore plus cruel que l’aurait été l’indifférence dont il savait faire preuve si souvent. Je le ressentais comme si... comme si j’étais un fardeau, et qu’il souhaitait un devoir bien accompli... J’étais ce devoir. Une charge. S’occuper de moi ; prendre soin de moi ; être gentil avec moi... Mais « de loin ». Parce que je ne comptais plus, ou pas assez, du moins...
’Ça va, t’inquiète’, soupirai-je en détournant la tête et en refermant les yeux.
Il lisait en moi comme dans un livre. Il n’avait jamais été dupe. ’Je t’y rejoins, d’accord ?’ proposa-t-il. Ramassée sur moi-même dans un coin du lit de Mark, j’écoutais l’eau couler dans la salle de bain. Il faisait bien noir dans la chambre ; la seule lumière parvenait du pas de la porte, filtrant du salon. J’avais gardé mes vêtements ; je n’espérais pas grand-chose et je ne voulais pas, non plus, que Mark le prenne mal, si jamais j’ôtais ne fut-ce que le T-shirt. J’estimais m’être rabaissée suffisamment comme ça ; je n’avais pas besoin d’en rajouter. Il allait dormir à mes côtés et c’était l’essentiel. Peut-être qu’au cœur de la nuit, inconsciemment, il viendrait se blottir contre moi...
Bizarrement, j’avais décuité assez vite. Je ne me sentais plus ivre, mais parfaitement lucide. J’étais seulement très fatiguée ; épuisée moralement. Là, en ce moment précis, j’étais même carrément déprimée. Il y avait le bonheur de le retrouver cette nuit ; le soulagement et la reconnaissance, parce qu’il allait rester avec moi... certes. Mais il y avait aussi la souffrance, parce que cette nuit allait être tellement différente des autres... Je n’allais plus pouvoir le recouvrir de caresses ; ni l’embrasser ; ni le serrer dans mes bras ; ni... J’allais devoir rester sage. Me maîtriser. Un petit bruit mat, à peine perceptible. Un autre. Encore un... Mes larmes gouttaient sur l’oreiller, qui les absorbait presque aussitôt. Je les essuyai rapidement, parce que Mark avait arrêté la douche. Il n’allait pas tarder à venir, et je ne voulais pas... je ne voulais pas qu’il me voit pleurer. Pourtant... quelque part au fond de moi je souhaitais pouvoir fondre en larmes dans ses bras et lui lâcher tout ce qui me dévorait de l’intérieur. Lui expliquer à quel point il comptait pour moi ; à quel point je...
Le rai de lumière disparut de sous la porte. Un bruit de poignée et elle s’ouvrit. J’entendis Mark s’avancer et tournai la tête vers lui. Il était en caleçon et en T-shirt. Mon cœur se serra. ’Je m’allonge à côté de toi, d’accord ?’ fit-il. Je hochai la tête avant de la reposer sur l’oreiller, me retrouvant de nouveau dos à lui. ’Encore merci... Et désolée...’ murmurai-je lorsqu’il fut installé. ’Tu n’as pas à être désolée, tu sais’, répondit-il. Je me mordis la lèvre inférieure, et ne parlai que lorsque je me fus bien assurée de maîtriser son tremblement : ’Si...’ lâchai-je. ’J’ai abusé...’ ’Ça ne fait rien’, assura-t-il.
Il y avait un grand espace dans le lit, entre lui et moi. Manifestation physique de cette frontière qui avait toujours existé. Je ne le voyais pas, mais je le sentais. Mark était loin derrière et moi, de mon côté, je m’étais bien collée au mur... pour être certaine de ne pas me coller contre lui. Et si je lui tournais le dos, c’était parce que je savais que dans le cas contraire, la tentation aurait été bien trop grande. Et la douleur aussi...
’Si tu veux... Approche-toi’, fit d’un seul coup Mark, de cette voix si familière. ’On peut se prendre dans les bras l’un de l’autre ; y a pas de mal à ça...’ Lentement, je me retournai dans le lit. Il était allongé sur le dos, la tête tournée vers moi. En me voyant pivoter, il se rapprocha et tendit un bras pour m’accueillir contre lui. Le temps cessa d’exister au moment où nos corps se rapprochaient. Et puis, d’un seul coup, je me retrouvai tout contre Mark, la tête au creux de son épaule, l’enlaçant avec délicatesse. Un peu comme s’il s’agissait d’un rêve qu’un toucher trop fort pouvait faire éclater. Le bras de Mark s’enroula autour de ma taille ; je sentis sa main me caresser le dos. Alors, toujours prudemment, et toujours bien blottie contre lui, je me mis moi aussi à lui procurer des caresses, parcourant avec un sentiment de nostalgie son torse bien ferme.
Il bascula sur le côté et on put ainsi mieux se rapprocher l’un de l’autre. Je ne cherchai plus la délicatesse ; je le serrai bien fort dans mes bras, limite avidement, tout en posant ma tête sur ses pectoraux. Son étreinte se fut plus puissante aussi. Il me caressait toujours le dos. Moi, j’avais cessé. Je m’étais juste agrippée à lui, comme si ma vie en dépendait. Mon cœur cognait comme un fou dans ma poitrine. D’autres larmes me montèrent aux yeux. Mais ce n’étaient plus des larmes de tristesse. C’étaient des larmes de soulagement et de bonheur. Et elles ne coulèrent pas.
Je voulus lui murmurer qu’il m’avait énormément manqué. Mais je ne le fis pas. Ma façon de le tenir dans mes bras allait être son unique indication. Je ne pouvais pas prendre le risque... il avait peur des mots. Je ne voulais pas qu’il change d’avis ; se lève et aille dormir dans le canapé, finalement. Je le voulais là, avec moi, et peu m’importait le prix à payer. Je pouvais faire taire mes lèvres, et laisser les sensations s’exprimer. Quitte à ce que cela m’étouffe. Quitte à ce que ces mots interdits se mettent à faire mal, à oppresser...
Mark devait sans doute sentir que je voulais profiter de cette étreinte le plus longtemps possible. Ce ne fut que lorsque je remuai doucement et déplaçai enfin mes mains sur ses omoplates qu’il osa bouger à son tour. Son visage se pencha au-dessus du mien, et ses lèvres vinrent à la rencontre des miennes, pour nous unir dans un long baiser. Ce baiser ressembla beaucoup au tout premier. Il me transporta des mois et des mois en arrière, à cette époque magique où les possibilités s’offraient par milliers, et où je semblais tellement compter pour lui... Pendant qu’on s’embrassait, Mark avait glissé ses mains sous mon T-shirt et défait mon soutien-gorge. Même si je n’avais plus vraiment besoin de confirmation, ce geste me renforça dans la certitude que cette nuit, finalement, n’allait pas tellement différer des précédentes. Sans les mots, mais on ne peut plus limpidement, Mark me l’avait fait comprendre. J’étais tellement reconnaissante au destin de me le rendre, que je ne cherchai même pas à comprendre ce qui l’avait fait revenir sur sa décision de ne plus jamais se rapprocher ainsi de moi. Ça n’avait pas d’importance. Il était là. J’étais là. Et les portes du paradis s’étaient de nouveau ouvertes pour nous.
Après m’être à regret détachée de sa langue et de ses lèvres, je l’aidai à retirer le soutien-gorge d’en-dessous du T-shirt. Mark me demanda d’ôter également ce dernier. J’acceptai et, de son côté, pour me faire plaisir aussi, il ôta le sien. Dans la lancée, je me débarrassai aussi de mon pantalon, restant juste en petite culotte. De nouveau, nos corps se collèrent l’un à l’autre, pour savourer un rapprochement plus direct, plus charnel. Mark vint au-dessus de moi. Toute émue, je fis courir mes doigts dans ses cheveux, puis je descendis mes mains sur son dos, retrouvant la merveilleuse sensation de puissance et de douceur ; la sensation de mes mains caressant cette courbe si parfaite, qui s’offrait à moi dans toute sa largeur et dans toute sa beauté. Quand Mark se baissa pour embrasser mes seins, j’en profitai pour recouvrir de bisous ses épaules parsemées de tâches de son, son cou et sa tête. Mes mains, elles, n’avaient toujours pas quitté son dos, dont elles raffolaient plus que tout. Je le caressais et le ramenais à moi, dans le souci qu’on soit le plus proches possible. Je n’avais qu’à moitié conscience de l’emplacement de ses mains à lui, et de ses lèvres qui emprisonnaient mes tétons devenus bien durs. J’étais quelque part au-delà des sensations physiques, savourant quelque chose de plus puissant. Cette chose que seules les personnes qui aiment leur partenaire de tout leur cœur peuvent atteindre. Ce stade où le ressenti de l’âme procure un bonheur bien plus pur et un plaisir bien plus intense que ceux produits simplement par les cinq sens bien rationnels.
Mark finit par se remettre sur le dos, m’entrainant dans le mouvement. Je me retrouvai au-dessus de lui, croisai son regard et y lus la question avant-même qu’il la pose : ’Tu pourrais m’embrasser... partout ?’ Je collai mes lèvres à la base de son cou, puis au niveau de ses pectoraux, à plusieurs reprises. Doucement, délicatement, sans me presser. Il soupira et je sentis ses muscles se tendre ; son corps se préparer à davantage de plaisir. Je voulais vraiment le combler, mais j’étais fatiguée, très fatiguée. Ces retrouvailles n’avaient pas réussi à chasser totalement la sensation d’épuisement qui s’était accumulée en moi ces derniers jours. Seule la résignation s’en était allée. Néanmoins, je ne me sentais pas de force d’aller jusqu’au bout, là. Je le lui dis, après avoir fait courir mes lèvres sur ses côtes et son ventre, lui arrachant quelques soupirs supplémentaires, et un « c’est si bon... », qui m’excita davantage que la plus poussée des caresses. J’avais fait descendre ces bisous tout le long de son abdomen, jusqu’au bas-ventre, avant de remonter de nouveau, pour croiser son regard et lui faire part de ma fatigue. Il me demanda de le faire juste un peu, ce qui me convenait parfaitement. D’autant plus qu’il semblait vraiment prêt à s’en contenter, et que moi, malgré tout, je voulais l’envoyer si ce n’était au septième, alors au moins jusqu’au « sixième » ciel. Encouragée par ses murmures et caresses, je dirigeai mes lèvres, en prenant bien mon temps pour n’oublier aucun recoin au passage, jusqu’à la partie la plus sensible de son corps. Pendant que j’effectuais ce tendre parcours, il avait ôté son caleçon. Mes lèvres se collèrent sur sa verge bien dure, ma langue remonta lentement jusqu’à son gland impeccablement décalotté, et déjà humidifié par le liquide séminal. J’en fis délicatement le tour de la couronne, juste avec l’extrémité de ma langue, accordai un certain temps au frein pour profiter pleinement des gémissements de Mark et de ses mains s’agrippant à mes cheveux, puis je me hissai un peu pour prendre son gland dans ma bouche.
Mark me laissa faire, tout tremblant. Il ne m’imposa pas de rythme de son bassin ; se laissant simplement aller à mes papouilles. J’embrassai finalement l’intérieur de ses cuisses, voulant ainsi signaler que je ne me sentais plus capable de poursuivre. Il le comprit, parce qu’il m’attira presqu’immédiatement à lui, pour me reprendre dans ses bras et me permettre de concentrer mes bisous ailleurs, repassant au-dessus de moi. Je m’occupai de son cou et j’excitai un peu le lobe de l’une de ses oreilles. Ses mains pétrissaient mes seins et me caressaient, à tour de rôle. Ensuite il passa aux bisous à son tour ; descendit ses lèvres jusqu’à mon nombril, mais n’alla pas au-delà, sachant que je ne le voulais pas.
Lorsqu’il se fut de nouveau hissé à mon hauteur, je vis une lueur très particulière dans son regard. ’Tu veux qu’on fasse l’amour ; qu’on essaye ?’ demanda-t-il.
Je repensai à cette dernière fois, où c’était moi qui avais avancé l’idée, le sentant me glisser entre les doigts. Je me souvenais si distinctement de son refus, alors... Promesse jamais tenue... Impossibilité d’aller au bout de l’histoire... Douleur et impuissance qu’il ne soit pas le premier... Et voilà que l’occasion se représentait. Il était le seul que je voulais, le seul que j’aimais... Pas question de le laisser m’échapper une fois de plus. Je me sentais prête, ce qui plus était. Je l’étais depuis un moment, déjà.
« Faire l’amour »... Je tentai de ne pas penser à l’absurdité du terme. Parler de faire l’amour, mais interdiction de parler d’amour... Interdiction d’aimer.
J’allais lui faire l’amour. Lui, malgré la délicatesse des termes qu’il employait, il allait juste coucher avec moi. Mais ce n’était pas important. Ce n’était pas important, parce que le pire du pire, c’était de ne pas l’avoir du tout. Et je savais, je savais que je n’allais pas regretter cette décision. Parce qu’il avait déjà une importance toute particulière dans ma vie, et cet acte... Juste un aboutissement logique, évident... Le destin.
’Oui’, murmurai-je en embrassant son torse une nouvelle fois. Son regard fut scrutateur au-delà de la passion qui l’animait : ’Tu es sûre ?’ Je le recouvrais de caresses, promenant mes mains sur toute la longueur de ses bras, sur ses épaules, son torse, le haut de son dos... Je me soulevai de l’oreiller pour déposer un baiser sur son front. Le regardai droit dans les yeux. ’Oui’, répétai-je. ’Oui...’ Ainsi, le moment était venu. Je n’éprouvais ni empressement, ni appréhension. J’étais juste heureuse. Heureuse qu’il me permette de le laisser être le premier. Heureuse, parce que ça semblait tellement dans l’ordre des choses. C’était comme ça et pas autrement que ça devait se passer. Avec lui. Je le sentais du fin-fond de mon être, comme la plus inébranlable des certitudes. On n’était peut-être pas destinés à rester ensemble, mais on était destinés à partager ce moment unique — unique pour moi. Il était destiné à laisser cette trace des plus importantes dans ma vie ; me faire devenir femme. Et ça n’avait rien à voir avec un quelconque mérite. Ça allait de soi parce que je l’aimais comme je n’avais encore jamais aimé personne ; comme j’étais persuadée de ne plus jamais aimer de la même façon. Mark glissa ses doigts sous l’élastique de ma culotte, et m’aida à la descendre. Ensuite, nous nous reprîmes dans les bras l’un de l’autre, pour quelques instants où je n’entendis plus que les battements de nos cœurs et ne sentis que son parfum. ’Je vais prendre une capote’, murmura-t-il finalement.
On s’embrassa de nouveau, puis Mark s’écarta, s’étala de tout son long sur le lit, sur le ventre, et tendit les bras vers la table basse, qu’il se mit à fouiller à la recherche d’un préservatif. Je me mis à contempler son corps, de nouveau profondément émerveillée par toute cette force et douceur qui en émanaient. Je ne fus pas capable de me retenir ; d’attendre patiemment qu’il trouve l’objet avant de revenir à moi. Je m’allongeai à côté de lui, également sur le ventre, et commençai à lui masser le dos, descendant mes caresses jusqu’à ses fesses. Ensuite, je me hissai sur mes coudes, passant un bras au-dessus de lui, et, une fois l’appui bien pris, je me mis à l’irradier de bisous, suivant la même trajectoire que l’avait fait ma main. Bien évidemment, tout cela déconcentra un peu Mark, qui interrompit la fouille du tiroir pour se laisser aller à quelques soupirs de bien-être, et à des marmonnements proches du ronronnement de chat par leur nature. Me décoller de lui, une fois qu’il parvint à mettre la main sur une capote, fut presque comme un défi que je faillis perdre. Je m’étais tellement laissée aller à l’exaltation des sens, que j’en avais presque oublié qu’on était sur le point de franchir ce cap qui me tenait tant à cœur.
Mark rebascula sur le dos. Je n’eus même pas besoin de continuer à l’exciter encore un peu pour qu’il puisse enfiler le préservatif, mais je le fis quand-même, pour le plaisir. Lorsque je revins à sa hauteur, il défit l’emballage et plaça le préservatif sur son sexe bien dur et dressé, en quelques petites secondes. Je le regardai faire, émue. Puis, je l’embrassai dans le cou, m’étendis sur le dos, et le laissai venir au-dessus de moi. Il commença par glisser ses bras sous mes cuisses, et il souleva mes jambes, les rapprochant de mon bassin en même temps qu’il se rapprochait lui-même, se mettant sur moi. Je le laissai faire, un peu déroutée par le côté quelque peu acrobatique de la chose, mais toujours très sereine. Tellement tranquille que j’en fus moi-même un peu perplexe. Je me disais qu’en théorie, pour ma première fois, je devrais avoir au moins un peu peur... Mais non. Je ne quittais pas le visage de Mark des yeux, et j’étais tout simplement bien. Ce n’était pas la crainte, mais l’amour que j’éprouvais pour lui qui faisait battre mon cœur plus vite.
J’aidai Mark à placer son sexe à l’entrée de mon vagin, le sentant tâtonner un peu. Il semblait tellement submergé par le désir et l’impatience qu’il avait un peu de mal à conserver des gestes précis. Ses yeux rivés aux miens, ses bras tendus ; les mains à plat sur le matelas au niveau de mes épaules, il fit un premier mouvement pour s’introduire en moi. Je ressentis une légère douleur, mais rien d’insupportable pour le moment. Et pourtant, j’étais toujours sereine. ’Fais doucement’, demandai-je quand-même, tout en caressant son torse qui était parcouru par de très légers tremblements. ’Je sais’, souffla-t-il. ’Fais-moi confiance.’ ’Je te fais confiance’, répondis-je avec calme et douceur. Rien n’était plus vrai. De confiance aussi absolue, il ne devait pas en exister de degré supérieur. La situation avait beau être toute nouvelle pour moi, entre ses bras je me sentais en totale sécurité, même dans cette position peu confortable. J’avais la certitude étrange que même la douleur, venant de lui, serait d’une certaine façon douceur. Mark déglutit et refit ce même mouvement du bassin. La douleur se précisa un peu, mais je ne dis rien. Je savais que c’était normal. Et puis, Mark faisait vraiment attention ; je sentais de la retenue dans chacune de ses poussées, qu’il espaçait de moins en moins, mais y allant toujours bien prudemment. Je resserrai mon étreinte sur ses épaules et me relevai un peu tout en le ramenant à moi, pour enfouir ma tête au creux de son épaule. J’en profitai pour l’embrasser. Mes doigts se crispaient un peu sur ses omoplates, mais, dès que ça me devenait possible, je transformais ce réflexe en caresse.
Je fermai les yeux. Je le sentais en moi, mais j’étais incapable de juger de la profondeur. Quand il me faisait un peu plus mal, je me contentais de serrer les dents, en laissant aller ma tête sur l’oreiller. Même si c’était principalement la douleur que je ressentais, ce n’était pas à elle que je pensais. Non. Je pensais à ce qu’on était en train de vivre ; je pensais que c’était magique d’avoir Mark enfin, d’une certaine façon, entièrement à moi. Ce fait ; ces moments... Le temps n’allait jamais pouvoir me les reprendre. Alors, paradoxalement, une fois de plus, je me sentais réellement très bien. J’espérais que c’était aussi son cas. Là, pour une fois, je me retrouvais passive ; c’était lui qui faisait tout, alors il m’était difficile de juger de son degré de plaisir, dans un premier temps.
Je me sentis rassurée en entendant ses légers gémissements. Je plaçai mes mains sur son torse, pour mieux sentir les spasmes qui le parcouraient ; pour être au plus près de ses sensations ; presque jusqu’à les partager. Je remontai mes mains sur ses pectoraux humides, et je lui entourai tendrement le cou, glissant mes mains dans ses cheveux légèrement mouillés, improvisant un petit massage de son cuir chevelu, pendant que je le sentais pénétrer davantage en moi. Il accéléra un peu et je lui demandai de ralentir quelque peu la cadence. Je fus assez étonnée, et très touchée, du fait qu’il m’ait aussitôt obéi. Pourtant, dans un moment où son plaisir montait vers les sommets, comme sa respiration me l’indiquait, ça n’avait probablement pas dû avoir été très évident pour lui. Mais il le fit. Respectant mes besoins avant les siens. Je savais qu’il allait savoir se montrer attentionné ; je savais que je pouvais lui faire confiance. Je savais que ça devait être lui et personne d’autre ; je savais que je n’allais pas regretter mon choix. Même s’il ne m’aimait pas. Et c’était peut-être ça le plus étrange. Cette certitude qu’il saurait bien prendre soin de moi et être doux, même sans éprouver de l’amour pour moi. Et là, il me le prouvait, si merveilleusement...
Lorsque je rouvris les yeux que j’avais fermés, je me retrouvai face l’une des plus belles visions au monde, si ce n’était pas la plus belle ; la plus émouvante qui soit. En tout cas, moi, elle me bouleversa tellement que je fus certaine que rien ne serait jamais en mesure de l’effacer de ma mémoire, de ternir ce souvenir. Mark, la bouche légèrement entrouverte, s’appliquait toujours dans ses va-et-vient. La transpiration lui avait plaqué les cheveux sur le front. En fait, il était tout dégoulinant de sueur. Je crois qu’il n’avait encore jamais été aussi beau qu’à ce moment. Pourquoi, au juste, je ne saurais le dire. Je levai une main pour écarter quelques mèches trempées de son front. Je pris bien mon temps pour le faire, m’attardant au passage sur ses pommettes, caressant sa joue du revers de la main. J’eus terriblement envie de lui dire « je t’aime ». Ces mots se débattaient littéralement en moi ; voulant à tout prix être prononcés. Je n’osai pas. Ne voulant pas gâcher ce moment. Oui : ne voulant pas gâcher ce moment. Ce paradoxe était presque exaspérant. Mais je commençais à m’y résigner. Il y avait des mots interdits entre nous ; des mots qu’il avait bannis. Bien entendu, il savait ce que je ressentais. Mais c’était comme si... si ne pas le dire à voix haute le lui faisait oublier ; lui permettait de passer outre... pour être avec moi malgré tout. Ou pour me permettre d’être avec lui. Sans remord aucun.
’Est-ce que ça va ?’ lui demandai-je, tandis que ma main quittait à regret son visage. Il sembla un peu étonné. ’Tu ne crois pas que ce serait plutôt moi qui devrais te poser cette question ?’ déglutit-il. C’était vrai, oui. Et pourtant, bizarrement, je me sentais comme si c’était à moi de prendre soin de lui ; de m’occuper de lui ; de... le rassurer. Le dorloter... Me montrer protectrice. C’était vraiment curieux, oui. Mais tellement plus fort que moi !... ’Moi ça va’, assurai-je. Une fois encore, je bloquai ces mots non-autorisés. ’Est-ce que tu ressens du plaisir ?’ voulut-il savoir. Quelque part au-delà de la douleur à laquelle je m’étais habituée, je ressentais en effet quelque chose. Une sensation toute nouvelle, très agréable et excitante, mais pas encore assez affirmée pour pouvoir prendre le dessus. Je le lui dis, puis l’embrassai encore, faisant glisser mes mains le long de ses côtes jusqu’à ses fesses, que j’entrepris de caresser aussi sensuellement que je le pus. Mark renversa la tête en arrière ; je voyais battre les veines à son cou. Nous étions en sueur tous les deux. Quelques minutes plus tard, il éjacula. Je le devinai plus que je ne le sentis ; je le devinai à son soupir, et au changement dans sa façon de respirer. Il se retira tout en douceur, se débarrassa du préservatif et s’écroula sur le lit, à côté de moi, épuisé. Je l’embrassai sur le front et posai ma tête sur son épaule, tentant de retrouver, moi aussi, une respiration normale. J’avais si chaud. Et j’étais si heureuse. Femme. J’aurais bien aimé m’endormir dans les bras de Mark, mais l’acte nous avait littéralement consumés, et nous apporter mutuellement davantage de chaleur n’aurait pas vraiment été très agréable. Ainsi, je m’étais contentée de recouvrir sa main de la mienne. Il avait pris mes doigts entre les siens et c’est ainsi qu’il s’était endormi. Moi, j’avais mis plus de temps avant de trouver le sommeil. La tête tournée vers lui, je l’avais regardé dormir ; j’avais fixé son visage avec attendrissement. Il semblait tellement paisible, au quand il dormait ! Intouchable, mais dans le bon sens du terme. Rien ne semblait pouvoir l’atteindre ; l’affecter. Du regard, je caressais le léger sourire qui flottait sur ses lèvres. Puis, lentement, mes paupières s’étaient fermées, emportant cette vision au pays des rêves.
Une fois de plus, ce fut le soleil qui me réveilla. Comme toujours, je perçus ses rayons comme une agression. Une privation. Un tic-tac d’horloge ; nouveau compte à rebours... Je ne pris pas la peine de regarder l’heure. Je ne voulais pas savoir. Je voulais ignorer le temps autant que possible ; faire comme s’il ne s’écoulait pas. Prétendre que c’était encore le milieu de la nuit ; que je n’allais pas devoir, très bientôt, me séparer de Mark et quitter ces draps dans lesquels j’étais devenue une femme.
Mark, qui me tournait le dos, rebascula face à moi dans son sommeil, accompagnant le mouvement d’un marmonnement inintelligible. Il avait les cheveux en bataille et la bouche entrouverte. Je le trouvai encore plus touchant qu’à l’accoutumée. Malgré ma crainte de le réveiller et d’avancer ainsi l’heure où je devrais partir, je ne pus résister à la tentation de me rapprocher pour le prendre dans les bras. Glissant mon bras sous la couverture, je le passai sur sa taille, collant ma joue droite contre son torse. Il s’ajusta un peu à cette nouvelle position, peut-être dans le sommeil, peut-être parce qu’il était à moitié réveillé, et sa main atterrit sur ma cuisse, tandis qu’un soupir de satisfaction lui échappait. Je me rendormis.
Lorsque je rouvris de nouveau les yeux, je n’enlaçais plus Mark. Il s’était un peu éloigné et il dormait allongé sur le dos. Je remuai dans le lit pour jeter un coup d’œil à la fenêtre. La lumière du soleil s’était vraiment intensifiée ; ce n’était plus la timide lueur matinale. Je soupirai, bien malgré moi, remontai un peu sur l’oreiller, et me frottai les yeux. Je restai immobile quelques bonnes minutes, à fixer le mur, me repassant le film de cette nuit pour chasser au moins un peu le jour. ’Quelle heure est-il ?’ Mark avait posé la question dans un murmure encore tout ensommeillé, mais il avait quand-même réussi à me faire un peu peur, m’arrachant à mes pensées. Je tournai la tête vers lui. Les yeux mi-clos, le bras levé sur son front, il me regardait. ’Je ne sais pas’, déclarai-je. C’était vrai. Je misais sur 11H et quelques, mais je n’en étais pas certaine. Et je ne voulais vraiment pas savoir, de toute façon. Mark trouva à tâtons son portable. ’Il est midi moins dix’, annonça-t-il d’une voix trahissant l’étonnement. ’Ah oui, quand-même !’ fis-je. ’Il va falloir que je me lève...’ ’Reste encore un peu’, plaidai-je en m’allongeant de nouveau, et en passant mon bras sur son épaule. ’Il est tard...’ ’Cinq minutes...’ ’Caroline...’ ’Trois minutes...’ négociai-je en lui déposant un baiser dans le cou. ’D’accord’, répondit-il, visiblement amusé.
J’entrepris de lui caresser le torse. Il s’adonna à ce massage avec un plaisir évident, puis il fit glisser ma main jusqu’à son sexe, déjà en semi-érection. Pendant que ma main s’occupait de son intimité, mes lèvres parcouraient son torse. Puis, je remontai de nouveau jusqu’à son cou, et lui glissai à l’oreille : ’Merci d’avoir fait aussi doucement, cette nuit.’ En guise de réponse, il m’embrassa dans les cheveux. Je posai ma tête sur ses pectoraux, envahie par un grand sentiment de sérénité. Je ne changeai de position pour l’embrasser sur son front humide que lorsque je sentis son sperme se déverser sur ma main. Nous restâmes allongés encore environ cinq minutes. Cinq minutes que j’étirai mentalement autant que possible. Puis, avec souplesse, Mark se libéra de mon étreinte.
Temps de partir. Temps de faire passer tout ça au rang de souvenir... Je pris mon temps pour rentrer chez moi. D’une part parce que mon corps me signalait, un peu douloureusement, qu’il n’était pas encore habitué à ces sensations de l’amour physique qu’il venait de découvrir. Ça me ralentissait donc déjà pas mal. Mais aussi, d’autre part, j’avais choisi de rentrer à pied plutôt que de prendre le métro. Ceci pour la raison, logique seulement pour moi, qu’ainsi j’avais l’impression de faire encore un peu durer la sensation d’être unie à Mark, par un nouveau lien. Une fois que j’allais être revenue chez moi, le charme allait se briser, quelque part. J’allais reprendre des activités du quotidien ; à commencer par une douche. Et chacune de ses activités allait m’éloigner de plus en plus de cette nuit. Tandis que là, en rallongeant la route jusqu’à chez moi autant que possible, je gardais mes pensées concentrées sur ce que j’avais vécu dans les bras de Mark, et je n’avais pas à penser à d’autres choses. De plus, je choisis des chemins très peu fréquentés, qui me mirent à l’abri du bruit peu romantique de la circulation, qui aurait été susceptible de gâcher un peu ce retour.
J’étais comme sur un petit nuage qui, progressivement, perdait de l’altitude pour me faire redescendre sur terre. En attendant, j’en profitais au maximum.
Mes pensées prenaient parfois une tournure assez étrange. Je me sentis presque coupable d’éprouver la satisfaction d’avoir pu connaître avec lui ce que d’autres filles avaient connu, tout en rendant la chose bien unique ; rien qu’à nous. Mais le fait était que j’avais longtemps, plus ou moins consciemment, envié ces filles avec qui il couchait. J’enviais qu’elles aient pu connaître cette « autre » face de lui. C’était sans doute idiot ; puéril de ma part. Et je pouvais y ajouter la crainte qu’il ne m’attende pas ; qu’il me glisse entre les doigts avant que je sois prête. Crainte qui s’était presque avérée fondée... Donc là, à présent, c’était vraiment un immense soulagement que je ressentais. Soulagement si fort qu’il pouvait vraiment être appelé satisfaction. Comme une victoire qu’il fallait que je remporte. En revanche, impossible à dire contre qui ou contre quoi j’avais gagné. Ces filles ? Mark ? Moi-même ? La fatalité ? Autre chose ?...
Léa avait émis l’hypothèse que je pourrais regretter de vivre ma première fois avec quelqu’un qui ne partageait pas mes sentiments ; même si moi je l’aimais. C’était incroyable à quel point elle avait eu tort ; à quel point j’étais heureuse de ce qu’il s’était passé entre lui et moi. Tout comme je savais qu’on n’avait aucun avenir commun possible, je savais que ça avait crée quelque chose de totalement inoubliable ; que désormais, jusqu’à la fin de ma vie, Mark allait avoir une importance et une symbolique toute particulière. Et pour moi, c’était vraiment très important. Réussir à rendre éternel l’éphémère, n’est-ce pas le plus beau des accomplissements ?
Il y avait un autre sentiment, aussi. Innommable. Pas évident à expliquer. Pour la première fois je me sentais parfaitement capable de supporter que Mark s’en aille. Supporter de continuer sans lui. Limite prête à partir la première. Car désormais, toutes les « promesses » avaient été tenues. C’était un épilogue possible ; acceptable. La possibilité de tourner la page était désormais là. Peu importait ce qui pouvait arriver, dorénavant ; je n’allais pas rester avec un goût d’inachevé. Ce que Mark m’avait offert là, sans le savoir, c’était une porte de sortie. Mais il ne me fallut pas beaucoup de temps pour revenir sur ce constat. Oh, juste quelques mètres supplémentaires de parcouru, avant que mon cœur me souffle que cette porte, de toute façon, je n’allais pas vouloir la franchir. Parce que ça signifierait baisser les bras face aux difficultés de la situation. Déclarer forfait. Se rendre. Abandonner Mark. Et si je le faisais... Si je le faisais... Qui pourrait l’aimer autant que moi ? C’est incroyable comme tu as l’air rayonnante !’ fit Léa en me dévisageant avec attention. Elle avait dit la même chose d’au moins cinq façons différentes durant cet après-midi. Quatre jours s’étaient écoulés depuis ma dernière nuit avec Mark. Quatre jours sans aucune nouvelle de lui ; sans que je le revois ; sans qu’il appelle. Classique. J’avais l’habitude, maintenant. Un soir de tendresse, puis des jours, voire des semaines, de silence. Pas vraiment facile à gérer, mais là, je le supportais mieux que d’ordinaire. Ça semblait un peu plus facile. On était allés sans doute jusqu’au bout de ce qu’il restait à découvrir ; la sensation que j’avais éprouvée en revenant chez moi semblait se confirmer. Et pourtant ça ne m’empêchait pas de souhaiter, chaque nuit, de l’avoir à mes côtés. Mais je me demandais un peu moins où il était, avec qui, et ce qu’il faisait... Je vivais de mon côté. Je n’éprouvais pas spécialement le besoin de sortir de chez moi non plus. En fait, j’étais restée cloitrée à la maison les trois premiers jours, à lire, écrire et écouter de la musique. Si j’avais accepté de sortir ce lundi après-midi, c’était parce que Léa avait vraiment envie qu’on se voit. Moi aussi je souhaitais passer quelque temps avec elle. Ainsi, nous nous étions fixé rendez-vous en ville et, après un tour dans un parc et quelques confidences, nous avions fini par atterrir là ; dans ce petit café tranquille. J’avais commandé un chocolat chaud ; je n’éprouvais même pas le besoin de consommer de l’alcool. Et ça semblait vraiment satisfaire Léa. ’Bah oui !’ lui répondis-je. ’Je me sens bien. Comme libérée d’un poids. Légère !’ ’Ça fait plaisir de te voir comme ça.’ Je lui souris en guise de réponse, puis, après quelques gorgées de chocolat, j’ajoutai : ’Je savais que je ne regretterais pas ; que ce serait plus facile, après.’ Je lui avais dit, pour Mark et moi. ’J’en suis soulagée. J’espère que tu ne... que grâce à ça, tu ne replongeras pas’, me dit-elle. Je hochai la tête : ’Je l’espère aussi. Mais je ne pense pas. Je crois que tout ira bien, désormais.’ Léa but de son diabolo avant de reprendre la parole : ’Tu penses que vous allez vous mettre ensemble, alors ?’ ’Non. Bien sûr que non. Tu sais... Mark... On ne peut pas être avec lui.’ ’Tu n’as pas essayé de lui en reparler ?’ ’Non, et je ne le ferai pas. Je ne vais plus prendre ce risque.’ ’Je ne voulais pas dire... ça. Mais la situation, globalement...’ ’Non plus. Ce n’est pas vraiment possible de parler avec lui. Sérieusement, je veux dire. Il fuit les vraies conversations.’ ’Oui...’ Léa prit un air pensif. ’Ecoute... promets-moi que tu ne prendras pas mal.’ Je reposai ma tasse, méfiante. ’Qu’est-ce que je pourrais prendre mal ?’ Je n’aimais pas l’expression de Léa. Elle semblait tellement mal à l’aise que ce sentiment se communiquait à moi. ’J’ai fait quelques recherches... Faut pas m’en vouloir...’ ’Des recherches ?’ je ne compris pas. Elle s’éclaircit la voix : ’Tu m’as dit tant de choses sur Mark ; son attitude... tu sais...’ ’Oui ?...’ je n’arrivais pas à savoir où elle voulait en venir. ’Ça m’a fait penser à quelque chose...’ Elle se mit à fouiller dans son sac, puis s’arrêta pour me regarder : ’Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas ; je ne veux pas que tu croies le contraire. C’est juste parce que j’aimerais t’aider.’ Je n’arrivais pas à décrocher mon regard de son sac, me demandant ce qu’elle allait en sortir. Je n’étais pas certaine de vouloir savoir, mais, en même temps, elle avait piqué ma curiosité... ’Arrête de tourner autour du pot, Léa, s’il-te-plaît. Tu me fais peur. Dis-moi ce qu’il y a.’ Au bout de quelques instants d’un suspense insoutenable, Léa sortit une feuille pliée en quatre ; photocopie ou impression de... quelque chose. Impossible de savoir quoi. Je savais juste que c’était en rapport avec Mark, et ça me nouait les entrailles d’angoisse. J’avais beau me creuser la tête, je ne voyais pas de quoi il pouvait s’agir. ’Attends !’ m’exclamai-je avant qu’elle n’ait le temps d’ouvrir la bouche pour parler. Les gens à la table voisine me regardèrent bizarrement. Je regrettai cette spontanéité, d’autant plus que je ne savais pas quoi objecter, au juste. J’avais peur. Je me sentais autant menacée par ce bout de papier que je me le serais sentie avec un flingue pointé sur moi. Léa haussa un sourcil, surprise : ’Oui ?’ ’Je... je...’ bafouillai-je, confuse. ’Je ne suis pas sûre de vouloir...’ ’Tu veux que je range ça ?’ elle suspendit sa main au-dessus du sac. ’Oui. Non ! Attends... Je ne sais pas...’ Je ne quittais pas la feuille des yeux. ’C’est quoi ?’ demandai-je. ’Détends-toi, Caro’, conseilla Léa, compréhensive. ’Ce n’est pas quelque chose de très grave.’ ’Mais c’est grave quand même un peu, c’est ça ?’ ’Je ne sais pas. Peut-être pas. Tout dépend de comment tu le prendras, et aussi de... tu sais, ça se trouve, ça n’a même rien à voir avec lui et toi...’ J’étais totalement déroutée, à présent. ’Bon, vas-y !’ je fis un large geste avec mon bras, et je faillis renverser ma tasse. ’Caro, je vais te rassurer tout de suite : ce que j’ai trouvé, c’est quelque chose de... général, disons. Rien sur Mark en particulier, si c’est ce que tu crains. Je n’ai pas découvert qu’il est mondialement recherché pour je ne sais quelle magouille ; ça ne parle pas directement de lui, d’accord ?’ Ça me rassura vraiment un peu, à croire qu’inconsciemment j’appréhendais vraiment quelque chose du genre. Léa poursuivit : ’C’est juste que tu m’as dit des choses qui m’ont interpellée... Tu sais, concernant
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