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Jeu drôle, jeu d'vilains

Chapitre 1

Divers
Vendredi. C’est le jour où Camille, Sam, Alex, Jean et Nikita se retrouvent, chaque semaine ou presque, pour s’adonner à leur activité favorite. Ce choix, lourd de sens, n’en est pas vraiment un. Il s’est imposé à tous, par la force des choses. L’engagement qu’ils ont pris est sincère, mais peut-être contraignant. Geler une soirée, chaque semaine, pour des mois voire des années, c’est quelque chose qui ne se décide pas à la légère. Et pourtant ils l’ont fait, et cela fait quatre ans qu’ils assument ce choix. Plus de quatre ans, soient très exactement 127 sessions sur les 129 théoriques. Les deux manquements ? Pour le premier, Camille a fait une pneumonie foudroyante et se trouvait alors à l’hôpital. Dans le cas du deuxième, c’étaient deux absents : Jean et Nikita. La première pensait être enceinte ; le deuxième, nerveux, espérait qu’elle ne l’était pas.
Vendredi soir, c’est avant tout un moment pratique. La semaine s’est généralement terminée et le week-end doit encore patienter quelques heures avant de poindre tout à fait. C’est un état intermédiaire, un flottement idéal pour accueillir ce moment de loisir privilégié. Un moment hors du temps où, paradoxalement, celui-ci se dilate. Il s’épand et se répand dans la pièce odorante. Une heure durera tantôt une minute, tantôt une année. Parfois, la minute présente ne représente qu’une partie infime de la minute précédente, selon que les esprits s’échauffent ou bien qu’après l’effort, l’un décide de s’aérer et fumer une cigarette. Puis vient un moment où le temps d’en-dehors se rappelle à eux, naturellement. La session est finie. Après de longues heures d’aventures, de batailles acharnées et de roulements d’objets divers sur la table et le sol, nos cinq compagnons d’un soir hebdomadaire se quittent, repus, et rentrent chez eux. Ils rangent le local, effacent toute trace de leur passage et aèrent la pièce pour évacuer ce parfum de fauve qui imprègne jusqu’aux tissus.
Parfois, il est encore tôt, c’est-à-dire qu’il n’est pas minuit. Mais parfois, la session se prolonge et ce n’est qu’au petit matin que leurs voix, cassées, mais enthousiastes, brisent le sommeil de l’aube. C’est pour cela qu’ils ont choisi vendredi. Pas d’impact sur la semaine de travail, et peu d’impact sur les activités du samedi et du dimanche.
Il n’est que deux activités au monde qui soient aussi imprévisibles et qui s’évertuent tant à surprendre leurs participants chaque fois qu’ils la pratiquent. C’est bien pour cela qu’elles se ressemblent tant. Il est impossible de connaître à l’avance ce que les dés nous réservent. Ils sont les seuls vrais maîtres de cette histoire. Ceux qui y goûtent et qui l’ont aimé ne peuvent s’en défaire. Cela en devient obsessionnel : chaque jour, ils y pensent, se réjouissent et préparent la fois d’après à peine la précédente close. Des étoiles plein les yeux, ils se remémorent chaque coup, chaque crissement, chaque sursaut de voix. Tout ce qui peut être amélioré est décortiqué. Le dos en vrac, les émotions s’emballent et virevoltent autour de la table, gagnant en intensité. Puis vient le point culminant, l’extase attendu depuis une heure, ou peut-être était-ce une semaine. Ils se partagent alors goulûment la récompense tant attendue, certains – et certaines – plus avides que d’autres.
La première de cette activité, c’est le sexe. Mais c’est la deuxième, bien supérieure quoique méconnue au-delà des clichés, qui est ici à l’honneur : le jeu de rôle. Point de combinaison en latex lascive ni de petite soubrette lubrique. Pas autour de la table du moins. Ici ce sont elfes, orques, gobelins et autres mages qui nous intéressent. Si le jeu de rôle revêt autant de formes qu’il compte de participants, nos amis ne s’intéressent qu’à un type d’univers : l’heroic-fantasy. La science-fiction, les trames réalistes de l’époque victorienne ou les simulations de guerres historiques ne les intéressent que très peu. Il convient toutefois d’éclairer ce qui est entendu par « jeu de rôle ». Puisqu’aucune explication ne vaudra jamais un bon exemple, voici le déroulé grossier, plat et routinier d’une séance lambda, la dernière de son genre. Mais avant cela, quelques fondamentaux et un petit lexique s’imposent. Si ce dernier peut en rebuter plus d’un, n’ayez crainte : vous vous y habituerez très vite.
Tout d’abord, un jeu de rôle doit avoir un maître du jeu, ou MJ. Point commun supplémentaire avec le sexe, ou clin d’œil déguisé : il était autrefois appelé « maître du donjon » et l’est toujours par certains puristes. Voyez cette personne comme un cocktail : prenez un tiers de narrateur et environ une moitié d’entité divine omnisciente, omnipotente et créatrice de toute chose. Complétez ce qu’il reste par de l’arbitrage et vous obtenez alors un délicieux MJ. Il façonne l’univers comme il le fantasme. Il lui donne des lois et des règles. Il l’habite de créatures et de personnages dits « non-joueurs », ou PNJs, qu’il interprète tous. Enfin, il écrit le scénario de la séance. Ce qui peut ou doit se dérouler. Il tente, ou non, d’évincer l’imprévu. Enfin, c’est lui qui interprète et résout les actions des personnages dits « joueurs », ou PJs. Il le fait de manière aussi impartiale que possible : juste et implacable, il s’assure de ne jamais favoriser l’un ou l’autre. Bien que certains secrets soient impénétrables pour le commun des mortels, les joueurs donc, il s’efforce que cela se ressente aussi faiblement que possible.
Il évite l’injustice et favorise une expérience de jeu certes riche en émotions, positive comme négative, mais qui satisfait tout le monde équitablement.
Les PJs, dans notre cas, ce sont les personnages incarnés par les quatre autres copains. Un joueur incarne donc un personnage-joueur. C’est son avatar, sa persona. Une projection de sa personnalité ou, au contraire, un fantasme éloigné de la réalité. Il arrive qu’un PJ vive des années, créant alors un lien incroyablement fort entre lui et son joueur. Mais le jeu de rôle est impitoyable : la mort existe, elle est réelle. La mort d’un PJ peut, pour un joueur, mais aussi ses compagnons, être aussi douloureuse que celle d’un « vrai » proche. Réalité et fiction se mêlent alors. Cela a valu à cette passion de nombreux a priori. Comment comprendre, lorsqu’on est extérieur à tout cela, qu’un zéro sur une feuille de papier provoque une telle tristesse, un tel désespoir ? Des gens sensibles, abîmés par la vie. Des reclus, des marginaux, des asociaux. Des gros, moches et gras, sales et mal dans leur peau. Et, pour faire un énième parallèle avec le sexe : des puceaux frustrés et des gouines mal baisées. Voilà comment la plupart des gens se représentent les rôlistes. Si cela a pu être vrai à une époque où il s’agissait d’un loisir de niche destiné aux marginaux, cela a bien évolué depuis.
Un jeu de rôle, c’est un jeu vidéo participatif dont la seule limite est l’imagination ; le tout agrémenté d’une bonne dose d’aléatoire.Je m’égare. Voici donc une séance représentative de ce qu’est une partie de jeu de rôle avec nos cinq amis.
Le MJ arrive le premier au local. Sorte de box de garage situé en plein milieu de la zone industrielle d’une moyenne ville. Le loyer y est abordable, les voisins inexistants la nuit, si ce n’est quelques gardiens qui font leurs rondes. Toutes les commodités sont présentes : une plaque électrique, un micro-ondes, un robinet d’eau et un réfrigérateur, ainsi qu’un petit coin toilettes. Si tous ont été MJ au moins une fois, ne serait-ce que pour vivre une fois l’expérience et acquérir un peu d’empathie pour celui qui a souvent le mauvais rôle, c’est Camille qui en assume tout le temps le rôle. Doté d’une grande précocité intellectuelle depuis son plus jeune âge, il a toujours inventé des histoires dont il était le héros. Des histoires bien plus intéressantes que le quotidien fade dont il était, malgré lui, le protagoniste. Maintenant, il met ce don à profit pour les faire vivre aux autres, à ceux qu’il aime.
Camille tourne la clé et laisse la porte ouverte pour aérer. Rapidement, il tapote les coussins du petit canapé sur lequel ils prennent l’apéritif avant d’attaquer la séance. Il sort son matériel. Celui-ci est composé d’un magnifique paravent en cuir paré de reliures peintes à la main : une commande passée à un ami artisan qui lui a coûté la bagatelle de 150 euros. Un prix d’ami. Puis viennent ses dés, tous noirs de jais et magnifiques, triés sur le volet après des années à arpenter boutiques, vide-greniers et conventions. Enfin, dernier élément nécessaire : les quelques feuilles de papier contenant toutes ses notes et le scénario de la séance, écrit durant la semaine. Être MJ est une tâche ingrate : c’est celui qui travaille le plus, et pourtant celui sur qui, le premier, on tape.
Il dispose tout ceci à sa place, en bout de table. Celle-ci est majestueuse : en noyer massif, son caractère détonne au milieu de ce bazar, quoique rangé. Là où tout est chiche, suffisant, mais sans plus, elle est une véritable œuvre d’art. Un chef-d’œuvre que tous les cinq ont fabriqué bien des années auparavant. Ses éraflures et autres taches reflètent parfaitement l’intensité des moments qu’elle a vécus. Une partie de jeu de rôle vit dans un système tabulairocentrique : la table est le cœur du lieu, tout se déroule en son sein, tout tourne autour d’elle.
Tous ces éléments, Camille et les autres ne les voient plus. C’est par leur invisibilité qu’ils égaient le paysage : leur existence est certes cosmétique, mais indispensable. Si un rôliste cesse, après quelque temps, d’admirer sa table ou son dé, leur aura frappe l’inconscient à chaque seconde et renforce le cadre où tout se déroule.
Alors en pleine réflexion au sujet de l’équilibrage de sa séance, tasse de thé à la menthe sucré à la main, Camille n’entend pas arriver Alex. Et pourtant on la voit, et on l’entend. Discrétion et finesse ne font pas partie du bagage culturel de ce grand bout de femme au corps rond et à la personnalité bien anguleuse. Elle est dans la deuxième moitié de la vingtaine, comme les autres. Imposante, chacun de ses pas transmet au sol la vigueur tant de son corps que de son esprit. C’est d’ailleurs ce sur quoi elle a dû travailler dans le jeu de rôle : laisser de la place aux autres ; elle dont aucune pièce, aucun corps ne saurait contenir l’énergie. Une grande gueule au rire abyssal, sincère et profondément bienveillante : voilà ce qui fait d’elle une amie si chère de Camille. Sa meilleure amie depuis le collège.
Elle l’enlace, pressant sa forte poitrine sur son torse chétif. Tout en enveloppant ce petit corps menu avec ses bras, d’une étreinte forte, mais douce, elle pose son menton sur la tête de son nabot favori. Camille se love et ne bouge pas durant une dizaine de secondes. Tous deux savourent ces retrouvailles, après une semaine d’absence. Tous deux sont en avance : le rendez-vous n’est fixé qu’à 19 heures. Il leur reste donc vingt bonnes minutes avant que les trois autres, pour les plus ponctuels d’entre eux, n’arrivent. C’est avec, dans une main une bière pour Alex – un Martini blanc pour Camille – et dans l’autre main une cigarette qu’ils entament les festivités et contribuent un peu plus au jaunissement des murs et du plafond. Ils se racontent leur semaine : boulot, collègues, anecdotes.
18h55 : Sam arrive. Elle est tout l’inverse d’Alex : c’est une menue blonde, guillerette et joyeuse. Sa timidité apparente n’est qu’une façade : elle masque des blessures qui ont forgé ce petit bout de femme. Elle fait aussi d’elle la personne la plus mystérieuse des cinq. Si tous sont avares de détails sur leur vie privée, pas tant par pudeur que parce que cela n’est pas pertinent dans leur relation, elle est celle dont on ne sait presque rien. Sa compagnie est agréable, sa bonne humeur contagieuse, et c’est le principal pour les autres. Sauf pour Camille qui, à la vue de ses yeux dont le gris, presque violet à cette heure, sublime le coucher de soleil, se lève du canapé et s’empresse de l’accueillir. Alex s’amuse comme à l’accoutumée de son comportement. Elle connaît les frasques de son ami. Elle l’a régulièrement vu, avec brio au grand dam des apollons présents, séduire des filles lors de soirées. Elle connaît par cœur son assurance bien masquée derrière son petit mètre 65. Son talent pour jouer double-jeu et assurer ses arrières en cas d’échec. Pourtant, cette assurance perd un peu de sa superbe devant Sam. Elle vacille toujours, mais ne s’effondre jamais totalement lorsqu’il lui fait la bise. Impossible qu’elle ne remarque pas son trouble, se dit-elle à chaque fois. Bien qu’elle soit protectrice envers son meilleur ami, cela n’affecte en rien l’estime et l’affection qu’elle a pour Sam. Après tout, c’est Camille qui n’a jamais été clair sur ses sentiments, et ce n’est pas à elle de jouer aux devinettes, surtout après tant d’années.
Enfin, avec dix minutes de retard, Nikita et Jean débarquent avec un habituel écart simulé de deux minutes. Cette fois, c’est Nikita qui a attendu deux minutes dans la voiture, de sorte qu’ils ne franchissent pas la porte en même temps. Comme d’habitude, ils ont certainement couché ensemble. Cela fait maintenant quelques mois qu’ils se fréquentent intimement, et tout le monde le sait, mais ces deux-là s’évertuent à tenter de le cacher. Très certainement ne veulent-ils pas risquer d’ébranler la dynamique de groupe qui s’est installée entre eux depuis le collège. Mais du coup, personne ne sait réellement quelle est la nature de leur relation : amoureuse ou purement sexuelle ? Il y a du sexe en tout cas, c’est certain : le parfum, la coiffure et les quelques boutons de chemise dissidents ne trompent pas.
Jean est une femme métisse. De taille moyenne, élancée, elle est d’origine nord-américaine par sa mère. Bien qu’arrivée en France assez jeune, elle a gardé un léger accent anglais qui fait son charme. Sa coupe afro est la seule chose chez elle qui est difficile à entièrement contrôler. Tout le reste transpire une confiance froide et calculatrice : ses lunettes, son look sérieux en harmonie avec son poste de cadre en entreprise, sa voix calme et posée, sa diction limpide. Elle est la planificatrice du groupe : celle qui suit les règles. Qu’elle dirige l’action ou qu’elle s’aligne sur les recommandations des autres, son jugement est implacable, parfois un peu précipité, et sa témérité peut lui empêcher des remises en question vitales.
Nikita, lui, est un homme somme toute moyen physiquement. Châtain aux yeux marron, grand, mais pas trop ; musclé, mais pas trop. Il est le grand frère de Sam et seul trentenaire du groupe. C’est aussi l’ami d’enfance de Camille : ce sont eux deux qui ont d’abord baigné dans l’univers du jeu de rôle avant d’initier les autres. C’est le pragmatique du groupe : cuisinier amateur, bon vivant, il sait être sérieux quand la situation le demande, si toutefois elle le nécessite très fort. Il pense toujours aux rations de survie et autres outres d’eau en jeu, et aux pizzas hors jeu. Il est sacré, durant une partie, que tous les joueurs soient autour de la table. Le départ, même très court, de l’un d’entre eux signifie automatiquement la mise en pause de l’action. Une exception est toutefois faite pour Nikita lorsqu’il cuisine un petit plat, simple, mais efficace, pour lui et ses compagnons. C’est alors Camille qui gère sa fiche de personnage et ses jets de dés ouverts.
Tout le monde est enfin présent. Des salutations d’usage, quelques « clics » d’ouverture de bières. Les cinq joueurs prennent leur place attribuée autour de la table, assis sur des fauteuils hauts, type « gamer » : très confortables, ils sont l’outil nécessaire pour une soirée ne débouchant pas sur un lumbago.
Camille est en bout de table. A sa droite, légèrement derrière lui, se trouve un grand tableau blanc utile pour gribouiller quelque schéma. A la même distance à sa gauche se trouve leur dernier investissement : un écran plat de télévision. Couplé à deux enceintes, il diffuse une musique d’ambiance dont la playlist est gérée par Camille. Il affiche aussi une image d’illustration, que Camille fait varier selon la situation : combat, repos, discussion ; elle permet une représentation mentale rapide du type de lieu où nos aventuriers se trouvent. La joueuse la plus proche à sa gauche est Alex, suivie de Nikita. A sa droite, ce sont respectivement Jean puis Sam. Tous ont sorti leur précieuse fiche de personnage. C’est la carte d’identité, le curriculum vitae de leur PJ. Elle contient leurs caractéristiques, leurs statistiques, leurs équipements et leurs sorts et compétences. Quelques feuilles de papier vierges et crayons destinés aux brouillons et autres griffonnages en coin de table et leurs dés fétiches plus tard, les voici enfin prêts à jouer.
Camille a prévu une séance dite « feu de camp ». Les quatre aventuriers ont tout juste achevé de nettoyer un donjon des bandits qui y avaient élu refuge. Il s’agissait d’une quête proposée par un petit seigneur du coin. Après avoir récupéré leur récompense et emmagasiné un peu de bonne réputation locale au passage, les compagnons se retrouvent au coin d’un feu pour se reposer et décider de ce qu’ils feront plus tard.
Ces séances peuvent paraître ennuyeuses : elles sont pourtant la pierre angulaire d’un bon jeu de rôle. Elles permettent de souffler après une ou plusieurs séances intenses, aux enjeux importants. La tension redescend, et surtout c’est l’occasion pour les joueurs de développer les relations de leurs PJs et, par la même, de développer leurs propres relations avec leurs amis autour de la table. Frictions, désaccords entrecoupent les blagues et les rires à gorge déployée. La soirée avançant, l’ivresse des PJs s’assimile à celle des joueurs qui finissent verre après verre, bouteille après bouteille. Ils ne boivent généralement pas beaucoup d’alcool, mais les séances feu de camp sont l’occasion de se détendre et se lâcher un petit peu, les enjeux étant faibles, voire absents.
Les ennemis abattus et la quête réussie avec brio ont octroyé à nos aventuriers des points d’expérience, ou « xp ». Ils ont augmenté de niveau et ainsi appris sorts ou compétences selon la classe de personnage qu’ils incarnent ; augmenté leurs caractéristiques de force ou de magie par exemple. Le silence s’installe autour de la table pendant que chacun prend connaissance, s’imprègne et mémorise les transformations que son PJ a subies.
Alex est une guerrière, le « tank » du groupe. C’est un roc, un pilier qui se place entre les ennemis et le reste de ses compagnons pour encaisser les coups à l’aide de sa lourde armure et de son bouclier. C’est le rôle d’altruisme et d’abnégation par excellence. Elle profite de ce temps mort dans l’aventure pour renforcer son bouclier à l’aide de nouvelles plaques d’un métal rare obtenu dans le donjon.
Nikita est l’assassin du groupe. Spécialisé dans la furtivité, le vol et l’assassinat, il frappe fort à l’aide de ses deux cimeterres. Ne pouvant s’encombrer d’armure lourde qui entraverait ses mouvements, mais devant être au corps-à-corps pour infliger des dégâts, c’est lui qui, le plus souvent, a frôlé la mort pour affaiblir des ennemis qui auraient pu menacer le reste du groupe. Il n’a pas obtenu de compétence cette fois-ci. En contrepartie, il passe plus de temps sur ses calculs et formules pour savoir s’il vaut mieux augmenter sa force, son agilité ou sa vitalité.
Sam est une soigneuse. Elfe de la forêt, elle puise dans les énergies naturelles ancestrales pour soutenir son équipe et lui conférer bonus temporaires et soins. Elle reste généralement en arrière : c’est elle que les ennemis intelligents ciblent la première, et elle qu’Alex protège en priorité. Elle peut aussi utiliser un arc pour éliminer ses ennemis de loin. Son nouveau sort permet de renforcer la résistance du groupe aux sorts de contrôle mental ennemis.
Enfin, Jean est une sorcière élémentaire. Elle s’est spécialisée il y a peu en magie de feu. C’est la plus fragile du groupe, mais aussi celle qui peut infliger les plus gros dégâts. Ses sorts cataclysmiques les plus puissants demandent un grand temps de préparation et d’incantation, mais ils peuvent, à eux seuls, exterminer un groupe entier d’ennemis faibles à moyens. Elle vient d’atteindre un cap important dans l’évolution de son personnage : celui-ci a désormais un temps d’incantation réduit de 20%.
Tous sont de très haut niveau. Il faut comprendre que cela fait depuis le début qu’ils vivent la même aventure, aussi appelée « campagne ». 127 sessions de 4 à 10 heures chacune passées à faire souffrir, vivre et évoluer le même alter ego. S’ils ont pu frôler la mort, jamais celle-ci ne les a frappés. Pourtant, Camille ne les épargne pas et n’abaisse jamais volontairement la difficulté. Après pas mal d’expérience, ils sont devenus des stratèges et combattants aguerris. 127 sessions à poursuivre une quête qui s’allonge sans cesse sous la plume maline de Camille sans que cela ne semble forcé ou artificiel. Lorsqu’ils pensent toucher au but, c’est un nouveau rebondissement qui remet les PJs en selle vers la suite de leur épopée.
C’est un lien quasi filial qui unit les joueurs à ces ersatz d’eux-mêmes, inconscients de leur statut de personnage fictif. Ils sont comme des enfants : pas totalement autonomes et évoluant dans un univers qui leur échappe. Ce ne sont pas non plus des marionnettes : les ficelles qui semblent les tirer du haut de la table sont friables et translucides, et il est parfois difficile, pendant ces sessions, de savoir si c’est untel ou son avatar qui s’exprime.
Alors que les PJs plaisantent et s’amusent en lisière de forêt, tous les joueurs entendent simultanément un bruit au loin. Une branche qui craque. Ce bruit provient des enceintes : ce n’est pas Camille qui a annoncé cela.
— Excellente idée d’utiliser le son pour ça Camille, c’est ultra-immersif ! lui dit Nikita.
Camille ne répond pas. Il sait que ce n’est pas lui qui a prévu cela. Quelqu’un a dû modifier le fichier son avant le début de la séance. Il jette un œil inquisiteur aux autres joueurs : il n’a pas la moindre idée de qui aurait pu faire cela. Il est à la fois agacé qu’un joueur se soit permis de s’immiscer dans la trame narrative, propriété habituelle du MJ, et curieux que quelqu’un ait eu l’audace de franchir cette ligne orange. Lorsqu’ils s’approchent, nos quatre aventuriers voient un vieillard, d’après sa voix qui chuchote faiblement, soutenu par une longue canne en bois dont le son sur le sol marque ses pas. La voix sort des enceintes :
— Chers voyageurs, bien le bonsoir. Je suis au courant de votre quête sur les traces de Xanthor...
Lorsqu’il entend ce nom, Camille se précipite sur la télécommande et éteint le son. Xanthor, l’actuel antagoniste principal, n’est pas encore connu des joueurs. Sa première mention devait être faite dans deux ou trois semaines. Ce spoil l’irrite vraiment maintenant : quelqu’un a lu ses notes. A-t-il récemment pris avec lui des fiches qu’il n’aurait pas dû prendre et qu’il aurait laissées traîner ? Normalement pas, il fait attention à cela. La seule personne qui aurait eu accès à ses affaires, la seule à se rendre régulièrement à son domicile, c’est Alex. Tandis qu’il poursuit son raisonnement déductif, la voix se fait de nouveau entendre dans les enceintes.
— Bien, je vois que j’ai maintenant votre attention, Camille.
Camille n’ayant pas de PJ, le quatrième mur est brisé. Il vérifie : les enceintes sont éteintes, et pourtant le son provient bien de celles-ci. Toute la table se regarde, étonnée. Le discours reprend à nouveau, cette fois-ci avec une voix différente. Celle-ci semble informatisée, comme si plusieurs voix avaient été superposées.
— Nous observons votre groupe depuis quelques mois maintenant. Vos aventuriers sont efficaces, et vous êtes de loin l’un des meilleurs MJs que nous ayons vu depuis longtemps. Vous avez le potentiel de proposer parmi les meilleures expériences de jeu de rôle possible. Mais vous manquez d’impartialité : tous vos aventuriers ont frôlé la mort à de nombreuses reprises. Pour tous, vous avez été implacable, laissant le destin et ses messagers, les dés, opérer. Tout au plus avez-vous offert une porte de sortie, réalisable, mais difficilement accessible. Pour tous, sauf pour Sam. Dans son cas, vous avez artificiellement empêché sa mort à deux reprises depuis janvier, à l’insu des autres joueurs.
Si les regards des joueurs sont de plus en plus troublés, une pointe de colère s’ajoute au regard de Sam lorsqu’elle fixe Camille.
— Il nous paraît donc extrêmement intéressant de voir comment vous vous débrouilleriez dans de meilleures conditions. Nous pensons, Camille, que le fait de vous faire vivre une histoire réelle en tant que PJ vous aiderait grandement à reconsidérer le traitement que vous réservez à la fatalité lorsque celle-ci se présente. Il s’agit, vous le verrez, d’une offre que vous ne pourrez pas refuser.
Sur ces mots, la seule fenêtre donnant sur l’extérieur explose alors qu’un projectile la traverse. Celui-ci tombe au sol, provoquant un tintement métallique. Les joueurs, affolés, se couchent au sol et ne peuvent que voir un gaz verdâtre sortir de cette sorte d’ogive avant de sombrer rapidement dans l’inconscience. Un temps indéterminé plus tard, ils se réveillent, groggy, dans un environnement presque entièrement sombre, ligotés.
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