Je commençais à réaliser que la situation se corsait. J’avais de nombreux adeptes autour de moi qui psalmodiaient des chants étranges. Puis je perdis la conscience totale des événements. Je ne savais dire où était mon esprit, ni au bout de combien de temps j’étais revenu à moi. Des prêtres habillés de noir étaient autour de moi. J’étais dans mon corps mais ne le reconnus point. J’étais nu, allongé sur un autel, le corps peint en noir avec plein de fils verts tracés sur ma peau. Je tentai de bouger mes mains et mes pieds. Si j’obtenais une réponse musculaire et que poignets et chevilles répondaient, je m’aperçus que j’étais entravé par des sangles. Je ne ressentais pas de douleur non plus.
Garmil était parmi les prêtres et prit la parole : — Nous t’avons guéri.— Merci, dis-je (bien qu’étant entravé)— Le prix à payer est ta conversion à notre Dieu.— Quoi ? Ça va pas la tête.— Si, merci cela va très bien, tu es dans le temple du Dieu de la Mort, nous ne faisons pas tout ça pour rien.— Ah oui, et si je refuse ?— On te sacrifie et tu meurs.— D’accord !— Comment ça, d’accord ? Quel est ton choix ?— Sacrifiez-moi, dis-je sans hésiter.
Pour expliquer au lecteur les attitudes des gens au royaume d’Erebus, il faut que vous sachiez que chez nous, on pouvait classer les gens suivants ce que nous nommons des alignements : on peut être bon, neutre ou mauvais sur une dimension et loyal, neutre ou chaotique sur une deuxième dimension. Le croisement des deux dimensions donnait neuf possibilités. Selon mon analyse les membres du groupe avaient les alignements suivants : Léodegran, bon et loyal, Andgaar bon et neutre, Sourisse, bonne chaotique, Mégane bonne neutre et moi-même neutre-neutre avec une tendance bon-neutre. Garmil était donc un mauvais loyal, comme tous les adeptes du Dieu de la Mort. Ils faisaient partie d’une engeance détestable qui prônait la supériorité de la race humaine sur les autres, qui étaient donc inférieures selon eux. Leur objectif était de supprimer les autres races dans le royaume et sur le continent. Ils disaient avoir besoin d’un espace vital pour la race humaine. Je ne supportais pas ces gens. Comment de plus aurais-je pu envisager de rester barde avec une telle idéologie ? Mon choix était donc naturel, même si je trouvais que j’étais un peu jeune pour mourir... Je fus donc sacrifié au Dieu de la Mort. Je restai attaché sur mon autel, les prêtres reprirent leurs chants abominables et finirent par me plonger une lame noire dans le cœur. Mon esprit se détacha de mon corps, mais au lieu de rester collé au plafond, je m’élevai toujours plus haut dans le ciel, vit tout le royaume puis le continent, puis le ciel de la nuit et enfin j’étais dans des limbes blanches et brumeuses.
Je me demandais bien où j’étais. Une forme vint vers moi, un être lumineux au visage sympathique, avec une barbe blanche et un peu âgé. Il s’adressa à moi : — Bravo Aldvin, impressionnant ta décision sans aucune hésitation de ne pas te convertir. Je te tire mon chapeau.— Merci Messire, mais qui êtes-vous ?— Ah oui, je ne me suis pas présenté : je suis Amenandiel, un Dieu.— Ah bon ?— Je suis d’alignement neutre bon, très proche du tien.— Oui, et alors ?— Je peux te renvoyer sur terre jouer avec tes petits camarades. Qu’en penses-tu ?
Je pensai immédiatement à Mégane, avec une bouffée d’émotions qui m’aurait fait pleurer si j’avais eu un corps physique. Je réfléchis un cours instant, j’allais avoir vingt-et-un ans, j’étais trop jeune pour mourir. — D’accord, j’accepte. Quel est le prix ?— Me servir en m’honorant, en pensant à moi de temps en temps... Tu sais que les Dieux ne doivent leur existence qu’aux mortels, si vous pensez à nous et que vous nous honorez, nous continuons à exister...— Je ne savais pas, je veux bien penser à vous de temps en temps et revenir sur terre.— Merci Aldvin, heureux de te compter parmi mes fidèles, tu es une belle personne.
Je perdis conscience. Je me réveillai dans un champ, dans une contrée qui ressemblait aux environs de la ville où nous habitions... Chouette, sauf que... Oh non, ce n’était pas possible ! Certes, il ne m’avait pas renvoyé nu dans mon monde, j’étais habillé, mais j’avais des seins, plus de pénis non plus, je m’en aperçus alors que mes mains palpaient mon corps... Ce con de Dieu (tant pis pour le blasphème) m’avait donné un corps de femme. J’avais de beaux cheveux longs, tiens mes oreilles étaient pointues... En plus j’étais une elfe ! Je finirai par me demander si ce Dieu n’était pas chaotique plutôt que neutre... Enfin j’étais là.* Je me levai. J’étais déboussolée (eh oui au féminin maintenant). Il fallait que je réfléchisse. Il me fallait un peu de temps pour rejoindre la ville, marcher me ferait du bien. Il me fallait réintégrer le groupe, gérer ma transformation vis-à-vis de Mégane que j’aimais, obtenir justice pour les actes de Garmil et de ses congénères...
%%%%% Quelques jours plus tôt. Sourisse raconte.
Léodegran, Garmil et Mégane nous avaient quitté depuis quelques heures déjà pour essayer de faire soigner Aldvin et de le sauver au temple de notre guérisseur. J’aimais beaucoup Aldvin, il faisait partie des rares hommes avec qui j’aurais pu peut-être faire quelque chose un jour physiquement. Je crois que ce que j’aimais en lui c’était sa part féminine, qui, en tant que barde, ressortait plus que chez la plupart des hommes. Et puis il était gentil et attentionné et sans arrière-pensée avec les femmes. Ce ne l’empêchait pas d’être un farouche combattant. Le perdre aurait été terrible, certes pas autant pour moi que pour Mégane, qui l’aimait profondément. Je m’inquiètais beaucoup pour elle. L’analyse d’Andgaar était bonne : nous avions vidé le donjon des créatures qui le peuplaient. Nous avions commencé à évacuer le trésor gardé par feu le basilic (content de l’avoir occis... dommage qu’Aldvin n’avait pas vu comment j’étais monté sur lui et lui avais planté une épée droit dans les cervicales). Alors que nous avions quasiment fini de charger le trésor sur la cariole, Mégane et Léodegran se matérialisèrent à quelques coudées de nous. Andgaar les interpella : — Alors, Aldvin est au temple ?— Oui, certes mais il y a un... gros problème !— Quoi donc ?— Garmil est un prêtre du Dieu de la Mort. Aldvin est dans leur temple !**— QUOI !!! hurla Andgaar.— Le salaud, intervins-je, et dire que j’avais finalement abandonné l’idée d’enquêter sur lui, aux nom de la cohésion du groupe.— Sourisse, ne t’en veux pas, tu n’y es pour rien, dit Mégane.— Attends ces salauds de prêtres qui veulent éradiquer les autres races et créer un empire humain de mille ans ! répliqua-t-elle. Toi et moi serions éliminés par ces gens, moi parce que j’aime les femmes et toi par ce que tu es sang-mêlé !— Pour l’instant, on n’en est pas là, calmons-nous, dit Andgaar.
Sourisse reprit : — Selon mes renseignements, le temple du Dieu de la Mort convertit toute personne qui passe en ses murs... ou la sacrifie en cas de refus. Donc deux solutions, si Aldvin survit à ses blessures, soit il se convertit, soit il meurt...— Je comprends mieux ce qui est arrivé à Astrid, la jeune fille que nous avons sauvée des orcs et qui fut soignée par le temple, un proche de sa famille m’a dit qu’après son retour chez elle, elle avait changé.— J’imagine mal Aldvin se convertir, dit Léodegran.— Il est en danger, nous devons rentrer sans tarder, dit Mégane.— Devrions-nous envisager une action commando sur le temple ? dit Sourisse.— Difficile, il est trop bien gardé. Commençons par rentrer et nous aviserons, dit Andgaar, Mégane peux-tu aussi téléporter la cariole ?— Oui, c’est un objet, s’il est en contact avec une des personnes téléportées cela marchera.— Allons-y.
Nous rentrâmes chez nous. Pas de trace de Garmil.
dans le scénario de jeu de rôle que j’ai réellement vécu, mon personnage barde homme a refusé de se convertir et a été comme dans le récit réincarné en femme elfe... —* c’est réellement ce qui est arrivé à mon personnage, nous avions un prêtre mauvais loyal dans le groupe, travaillant pour le Dieu de la Mort et qui nous avait caché son obédience. (à suivre)
