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Natasha & Franck

Chapitre 24

Travesti / Trans
Depuis le départ de l’ambulance, je n’avais que la chanson de Haim en tête. Right Now y tournait en boucle. Sigrid nous avait conduits, Kristina, Alexandra et moi à l’hôpital où Natasha avait été transférée. Le silence était oppressant dans la voiture, malgré cette foutue chanson qui se répandait dans chacune des circonvolutions de mon cerveau.
Une seule personne pouvait entrer dans la chambre où elle était alitée. Dans la salle d’attente, les filles tournaient comme des lionnes en cage. J’attendais moi aussi, assis dans un fauteuil inconfortable, les premiers résultats de différentes analyses. Afin de détourner mon anxiété, je consultais sur mon téléphone différentes vidéos concernant Haim. Je restai bouche bée devant la ressemblance entre Danielle – la cadette de sœurs Haim – et Natasha. Il ne s’agissait pas d’une ressemblance trait pour trait, mais toutes les deux avaient cette silhouette fragile, cette délicatesse dans les expressions du visage et dans leurs traits.
Je tombai sur une version live de Right Now qui me bouleversa encore plus que la version originale, ce que j’aurais pourtant cru inconcevable quelques heures auparavant. Je la passais en boucle, comme si cela pouvait aider Natasha à revenir à elle, à nous. Elle était inconsciente depuis son arrivée à l’hôpital et son cas laissait les médecins perplexes ; ils n’arrivaient pas à déterminer la cause de ses importants saignements. En un mot, ils pataugeaient totalement. Heureusement, l’hémorragie avait cessé. Pour l’instant Natasha ne semblait plus en danger. Elle était allongée et dormait d’un sommeil presque paisible. J’étais seul dans la chambre et trouvai étrange qu’il y eût un deuxième siège de l’autre côté du lit. Sur cette réflexion, je fermai un instant les yeux. D’épuisement, mais aussi pour m’aider à faire le point sur la situation.
J’avais arrêté de compter combien de fois j’avais écouté la chanson : je l’écoutais tant que j’en perdais le fil du décompte. Un grésillement dans l’oreille ; je maudis l’écouteur de parasiter le son et de me ramener à des considérations bassement matérielles. Une rapide manipulation de la prise et le grésillement disparut. Je me laissai entraîner à nouveau dans le torrent crescendo de décibels et, alors que je savourais masochistement cette lame sonore qui me déchirait, le volume commença à décroître. J’ouvris les yeux pour regarder ce qui clochait. Quelqu’un avait éteint. Peut être une infirmière de passage pensant que je dormais. J’essayai de me remémorer où se trouvait l’interrupteur, tournant la tête de tous les côtés en espérant apercevoir une petite lueur m’indiquant où se trouvait le bouton magique. La porte de la chambre était sur ma gauche ; l’interrupteur devait donc être à proximité. Je me levai et cherchai à tâtons contre le mur. Le son de mon téléphone revint soudainement, ce qui me fit sursauter.
J’entendis par-dessus la musique une respiration ; peut-être Natasha s’était-elle réveillée ? Non, il s’agissait d’une troisième respiration. Mais avec la musique dans les écouteurs, il était normalement impossible d’entendre un bruit dans la chambre, et encore moins une respiration. Quelque chose déconnait.
Fébrile, je continuais ma recherche sur le mur quand soudain la lumière m’éblouit une fraction de seconde, comme celle d’un stroboscope. Du coin de l’œil, un détail me fit frémir : il y avait quelque chose… quelqu’un dans l’autre fauteuil. Je tentai de me raisonner. Une des filles était peut-être venue s’installer dans la chambre, et c’était certainement elle qui avait éteint la lumière. J’essayai de distinguer dans le noir qui était venu pendant que je me reposais. Mais j’avais beau tenter de suivre un raisonnement logique, tout me disait que quelque chose clochait. Je voulus déglutir ma salive mais ma bouche était aussi sèche qu’une dune de sable en plein soleil un jour de canicule.
Je scrutais l’obscurité, espérant obtenir une réponse logique. A l’endroit qui pouvait correspondre à des yeux, je distinguais maintenant deux lueurs vertes. Non, pas deux lueurs, mais bien deux yeux. Et eux aussi m’observaient. J’avais déjà le dos collé au mur et ne pouvais donc reculer plus, mais c’était pourtant bien ce que je cherchais à faire.
Était-ce une hallucination, ou avais-je plongé dans un rêve ? Un cauchemar, en l’occurrence… Encore un flash. Des éclairs zébraient le ciel et inondaient la chambre de lumière par intermittence. Assise dans l’autre siège, une femme nue aux longs cheveux roux qu’un vent qui leur était propre agitait me regardait. De longs doigts fins retenaient son pied dont seul le talon était posé, en équilibre, sur le rebord du siège. Sa tête reposait sur le genou plié. Mais le plus effrayant était son visage couvert de cicatrices. Des balafres qui n’étaient pas refermées et dont pourtant plus aucune goutte de sang ne coulait. D’autres, moins nombreuses, striaient la peau livide de son corps. Et ses yeux… Ils étaient à la fois emplis de colère et de lassitude.
La chevelure rousse m’avait fait penser à une vision d’Alexandra, déformée et réinterprétée par la fatigue, la douleur et l’angoisse. Mais ces yeux, non, ne pouvaient appartenir qu’à une seule personne. Un feu dévorant brûlait dans ce regard. Valérie. Ou plutôt une espèce de spectre de Valérie. Mais même la notion de spectre ne m’apparaissait pas aussi sûre. Inconsciemment, je touchai mon avant-bras comme pour vérifier que je ne rêvais pas, ou plus. Bien sûr que j’étais complètement éveillé ! Pourquoi et comment était-elle là ?
Cela faisait bien dix ans que je l’avais quittée, et depuis je n’avais eu que quelques nouvelles, brèves le plus souvent, qui s’étaient espacées de plus en plus. Je restais figé, incapable de la moindre réaction. Sa peau en lambeaux, son expression inquisitrice et cette colère m’effrayaient. J’aurais tant souhaité l’arrivée d’un médecin, une infirmière, d’Alexandra, Kristina ou Sigrid, mais j’avais l’intuition que personne ne pourrait entrer. Je fermai les paupières quelques secondes, espérant sans doute qu’elle ne serait plus là quand je les rouvrirais. Elle était pourtant toujours dans la chambre quand j’ouvris à nouveau les yeux.
   ─ Tu ne dis rien ; ne me reconnais-tu pas ?   ─ Bien sûr que je te reconnais. Comment ne le pourrais-je pas, malgré ta peau déchirée ? Tu as toujours dans ton regard cette colère qui venait si facilement. Et ces lèvres minces qui soulignent la colère dans ces yeux.
Elle se leva lentement, se pencha en avant et posa ses mains sur le lit dans une attitude quasi féline, les deux mains décalées, l’une derrière l’autre, tel un fauve avançant précautionneusement d’un pas souple et silencieux avant de fondre sur sa proie. Elle se figea lorsqu’elle remarqua que je fixais avec angoisse ses mains d’une pâleur cadavérique. Ses longs doigts effilés comme des griffes démesurées se teintaient au fil des centimètres d’un rouge de plus en plus vif et sanglant.
   ─ Oh, n’aie aucune crainte : ton amie ne risque rien de moi ; enfin, je crois. En tout cas, pas pour le moment. J’imagine que cela doit dépendre aussi un peu de toi.   ─ Pourquoi es-tu ici, alors ?   ─ Je ne sais pas ; c’est toi qui m’as… invoquée, dirons-nous.    ─ Que t’est-il arrivé ?   ─ Tu parles de ça ? s’assura-t-elle en suivant de son index une des maintes cicatrices qui striaient sa peau.    ─ Entre autres.   ─ Je suis comme tu me vois. Comme tu veux me voir, peut-être ?
Elle pencha la tête sur le côté, se tapota la joue de son index. Elle semblait réfléchir à ce qu’elle allait dire et s’amusait de l’angoisse et de la perplexité qu’elle lisait sur mon visage.
   ─ Chaque ligne sur ma peau est la trace laissée par un chagrin, une séparation, une émotion trop violente, un souvenir douloureux qui ne se referme jamais, toutes ces peines et douleurs que la vie s’ingénie à déposer sur nos parcours pour nous remodeler à sa guise, tel un sculpteur frénétique.
Elle enjamba le lit, sans qu’aucun de ses appuis ne déforme les draps, comme si elle ne pesait rien. Un spectre ne pouvait avoir de poids. Une hallucination non plus. Elle semblait pourtant bien réelle. Elle se tenait devant moi. Presque contre moi. Mais aucune chaleur n’émanait de ce corps.
   ─ Regarde bien celle-là. Ne devines-tu pas ? C’est la blessure que tu as laissée quand tu m’as quittée. Ce n’est pas la plus grosse ; par contre, c’est la plus profonde. Il lui arrive encore de saigner, de temps à autre. Tu peux être fier… en quelque sorte. Certains se sont ingéniés à laisser plusieurs marques. Celles-là ont été laissées par ton prédécesseur, que j’avais surpris au lit avec une autre en revenant trop tôt du boulot un jour où je me sentais mal. C’était mon patron qui m’avait conseillé de rentrer, pensant qu’un peu de repos me ferait du bien…
Elle plaisantait sur l’ironie de la situation. Pour une fois qu’elle avait eu un patron attentionné, il avait causé involontairement bien des dégâts. Elle me racontait tout cela comme si nous venions de faire connaissance. Je me demandai si elle divaguait, comme si elle était une autre personne, puis elle reprit le fil de la discussion comme si de rien n’était.
   ─ Mais ces cicatrices ont vite été refermées ; elles se distinguent à peine. En partie grâce à toi, mon amour. Mais la tienne… personne n’a jamais réussi à l’effacer. Pourquoi es-tu parti ? Te faisais-je déjà peur, comme je le fais encore en ce moment ? Dis-le-moi ! exigea-t-elle en haussant subitement la voix.   ─ Nous avions des caractères trop forts l’un pour l’autre et nous aurions fini par nous déchirer un jour ou l’autre…   ─ Tu as raison sur le fond. Mais il y a forcément autre chose. Tes amies ont toutes un sacré tempérament, certainement plus que moi, même. Et pourtant, d’après ce que je vois, tu n’as pas envie de les quitter. Qu’a donc Natasha de plus que moi et qui fait que tu ne la quittes pas et que tu crains autant de la perdre ?
Je ne pus m’empêcher d’esquisser un sourire à la formulation de la question par Valérie. Elle aussi, mais ses marques sur le visage formaient plus un rictus qu’un sourire.
   ─ Je ne parle pas de ce genre de… plus, s’entend.   ─ Tu sais aussi cela ?   ─ Je te rappelle que je suis le fruit de ton imagination : j’ai donc accès à toute information qui se loge sous ton crâne. J’attends ta réponse !   ─ Tu viens de dire que tu as accès à…   ─ Je veux te l’entendre dire !   ─ Qu’est-ce que ça change ?   ─ Pour voir si tu as les couilles de le dire ! Pour voir si ça m’apaise ! hurla-t-elle. Au moins un peu. Un instant, même un court instant.
Elle avait haussé le ton et la lumière avait baissé inversement, laissant la chambre dans le noir complet quelques instants. Sa voix avait changé. Elle était devenue plus grave, plus éraillée. Elle fronçait les sourcils, et sur son front deux barres obliques plongeaient vers la base de son nez. Elle était furieuse, mais je ne voyais pas en quoi lui avouer que son manque d’intérêt pour le sexe avait été la principale raison de la quitter pouvait l’apaiser.
   ─ Mais vas-y ! Dis-le, putain de merde !
Quelqu’un essaya d’entrer, mais la porte résistait. Forcément, quelqu’un l’avait entendue hurler. Valérie glissa jusqu’à la porte ; je crus un instant qu’elle allait ouvrir. Son bras traversa le bois du battant. Elle me regarda comme si elle était désolée pour ce contretemps. Ses lèvres s’arrondirent et elle souffla sur son bras, comme pour diriger l’air le long de son membre.
   ─ Voilà. C’était une de tes amies ; je lui ai vidé la tête.   ─ Quoi ?    ─ C’est une image, rassure-toi. Elle va aller se rasseoir gentiment, faire un petit somme, et dans dix minutes elle aura tout oublié. Elle aura certainement un mal de tête carabiné, par contre. Alors dépêche-toi de cracher le morceau, parce que si dans un moment je dois recommencer avec ton amie, il se pourrait qu’elle ne supporte pas le choc une deuxième fois.   ─ S’il te plaît, fous le camp, lui répondis-je, les dents serrées.   ─ C’est vraiment une marotte chez toi… Tu m’attires à toi et puis tu me renvoies. C’est la deuxième fois que tu me fais ça. Faut-il que je menace la vie de ta chérie pour que tu me traites un peu mieux ?
     Elle s’approcha doucement du lit et posa le bout d’une de ses griffes dans la main ouverte de Natasha.
   ─ Crois-tu qu’elle pourrait encore jouer si je perçais sa main ?
Je fulminais. J’avais envie de lui sauter à la gorge, de serrer très fort, de l’étrangler, de lui tordre le cou. Mais le temps de franchir la distance, aussi courte soit-elle, Natasha aurait déjà la main transpercée.
   ─ Quel dilemme, n’est ce pas ? Mais vas-y, je t’en prie, essaye. Je te promets de ne pas bouger. J’ai vraiment envie de voir si tu es capable de le faire.
Contre toute attente, à peine eut-elle fini sa phrase que ma main se refermait déjà autour de son cou. Je commençai à serrer, et pourtant son visage restait impassible. Je lisais comme un amusement dans ses yeux. Elle me narguait, tout simplement.
   ─ Oups, murmura-t-elle.
Je fermai un instant les yeux, tournai malgré tout la tête vers la main de Natasha, n’osant cependant pas regarder. Je soulevai à peine une paupière, craignant de constater l’étendue des dégâts. Je l’entendis rire. Elle n’avait pas bougé et la main était intacte. Je soufflai, soulagé.
   ─ J’ai dit « oups » parce que même si tu avais serré ta main longtemps, très longtemps, tu n’aurais pas pu m’étrangler : on ne tue pas ce qui est déjà mort.   ─ Quoi ? Tu es morte ? Mais quand ?   ─ Je ne sais pas. Bientôt, peut-être. Mais ne suis-je pas déjà morte pour toi ?   ─ Arrête de jouer sur les mots, ce n’est pas drôle !   ─ Tu aimais pourtant ça, jouer sur les mots. Tu n’aimes plus ?
Elle se dirigea vers la fenêtre et laissa filer quelques secondes. Elle posa la paume de sa main droite contre le carreau.
   ─ N’est ce pas paradoxal ? Tu te jettes sur moi, prêt à m’étrangler, et lorsque je te dis que je suis morte tu t’inquiètes de savoir ce qu’il m’est arrivé, comme si une infime partie de toi tenait encore un peu à moi.
Elle tapota ses griffes contre le verre, comme pour égrener le temps qui passait, décompter les secondes. Elle se retourna et la lumière accrocha des larmes qui perlaient dans ses yeux.
   ─ Pourquoi ne veux-tu pas dire tout haut ce que je te demande de dire ?   ─ Parce que ça ne t’apaisera pas.    ─ Qui sait ?    ─ OK alors, si tu y tiens tant que ça… Je m’emmerdais au pieu avec toi, tout simplement.   ─ Je sais, dit-elle tristement. Mais pourquoi n’as-tu pas cherché à m’initier à ce que tout ce que toi tu connaissais dans ce domaine ?   ─ Parce que je n’en avais pas la patience. Je voulais… j’aurais juste voulu que tu sois un peu moins coincée…   ─ C’est sûr, passer après Marie, je comprends maintenant qu’il fallait s’accrocher. Mais tu n’as même pas essayé.   ─ Si, mais tu te braquais dès que je te disais quelque chose. Même sur d’autres sujets, toute contrariété prenait des proportions exagérées. Rappelle-toi le concert des Stones…   ─ Quoi ? Mais tu n’as même pas voulu y aller.
Non, effectivement, je n’avais pas souhaité me taper le voyage à Paris : tout simplement parce que je n’en avais aucune envie. Payer une somme exorbitante pour voir des fourmis se déplacer sur une scène à une bonne centaine de mètres devant, très peu pour moi. Encore, si les Stones avaient été un de mes groupes favoris… Je trouvais Mick Jagger vite essoufflé à se trémousser et gesticuler dans tous les sens. Mais c’était ce qui avait créé cette fracture.
   ─ Mais pourquoi ne l’as-tu pas dit ?   ─ Parce que tu ne m’as même pas laissé le temps de te l’expliquer. Tu en as fait une affaire personnelle. Tu criais au téléphone que tu avais l’impression de m’emmerder ; bien sûr, j’ai répondu oui, par pure provocation. Tu m’as demandé si cela signifiait que tout était fini entre nous ; je t’ai demandé de me laisser le week-end pour te répondre car j’étais occupé quand tu m’avais appelé. J’aurais voulu te donner une réponse à tête reposée, pas sur un coup de sang. Tu as insisté, encore et encore. Puisque tu ne voulais pas entendre raison, j’ai réagi comme un taureau : j’ai foncé dans le tas, décidé à tout démolir, à tout piétiner.    ─ Mais pourquoi ? demanda-t-elle entre deux sanglots.   ─ Pour ne pas céder face à toi. J’imagine que, vu ton caractère, je voyais ça comme une capitulation, et cela aurait été comme te laisser me mettre des menottes.
Ses griffes avaient disparu, laissant place à de simples doigts longs et fins qu’elle passait sur son visage pour étaler ses larmes. Certaines cicatrices disparaissaient sous le contact de ses doigts d’albâtre mouillés. Et de cette profonde cicatrice qu’elle avait présentée comme étant celle que je lui avais occasionnée, de fines gouttelettes rouges perlaient qui s’écoulaient lentement le long de son corps. Elle masquait son visage derrière ses mains tandis que j’entendais ses pleurs lancinants qui semblaient parfois l’étouffer dans l’abondance de ses larmes. Ce fut mon tour de m’approcher de la fenêtre. De regarder l’extérieur, le plus loin possible en cherchant je ne sais quoi. Une porte de sortie imaginaire. Je passai une main devant ma bouche, un peu comme pour réprimer une envie de vomir, mais mes doigts essayaient simplement de griffer la peau qu’ils rencontraient.
   ─ Sais tu ce que j’ai dû endurer ensuite à cause de ça ? Non, bien sûr. Puisque je ne valais rien au lit à tes yeux, j’ai cherché un homme qui voudrait bien m’apprendre ce que tu m’avais refusé. Qui me décoince, comme tu dirais.   ─ Et tu as fini par le trouver ?
Je regrettais déjà ma question.
   ─ Oh, bien sûr que oui. Tu n’imagines même pas le nombre de prétentieux qui voulaient initier une oie blanche comme moi. Ils se revendiquaient initiateurs, mais en fin de compte voulaient juste tirer un coup, ne souhaitant finalement que profiter de celle qui s’offrait innocemment et imprudemment à leur prétendue expérience. Mais ce n’était finalement rien, comparé au calvaire qui allait venir. J’ai rencontré un vrai maître qui voulait faire de moi une loque prête à tout pour satisfaire un homme et espérer le garder. J’ai supporté toutes ses turpitudes, je me suis avilie pour qu’il tienne à moi et ne m’abandonne jamais.
Elle reprit son souffle, du moins elle essaya. Une boule faisait la navette entre mon estomac et ma gorge. Je joignis mes deux mains paume contre paume devant ma bouche. Peut-être tentais-je une prière pour qu’elle stoppe avant le pire, que je devinais n’avoir pas encore été raconté. Les éclairs étaient revenus déchirer le ciel. Se pouvait-il qu’elle les déclenche en laissant exploser sa colère ? Ou était-ce ma colère qui éclatait ? Contre moi qui avais entraîné cette descente aux enfers. Elle s’approcha elle aussi de la fenêtre, se plaça juste à ma gauche et fixa l’horizon. Elle voulut prendre ma main dans la sienne, mais je la dégageai et elle déroula la suite.
   ─ Et à chaque fois que j’ai crû avoir atteint le fond, il trouvait le moyen de m’humilier encore plus. Il a commencé par changer ma garde-robe. A la maison, je devais être habillée comme la salope que je devais être à ses yeux puis, de vêtements – même sexy – il ne fut plus question : je devais rester nue comme un animal. Il m’offrait à ses amis quand ils venaient manger à la maison. Puis ils ne vinrent plus manger, mais uniquement pour se vider les couilles. Un jour il a décidé que je devais aller travailler vêtue comme la dernière des traînées. Je débarquais au bureau avec des minijupes qui ne laissaient aucun doute sur le fait qu’aucun dessous ne viendrait réfréner leurs envies les plus folles. De salope, je suis passée au rang de serpillière à sperme… Dois-je continuer ?   ─ Non, s’il te plaît, arrête !   ─ Je suis devenue ce que tu voulais : une bête de sexe. Tu ne veux pas en profiter maintenant, Franck ? C’est dommage, tout ce travail… pour rien.
Elle passa ses deux mains devant son visage, de haut en bas. Les cicatrices avaient disparu. Elle s’était fait un visage de tentatrice, maquillée de cette touche légère, naturelle qui m’avait fait craquer la première fois que je l’avais rencontrée. Ses joues étaient à nouveau couvertes de ces taches de rousseur qui lui donnaient un faux air de candeur, même lorsque ses yeux envoyaient mille éclairs. Elle était plantée là devant moi. Elle m’envoyait des sourires aguicheurs tout en faisant glisser une main le long de ma joue.
   ─ Embrasse-moi, mon chéri, s’il te plaît…   ─ Arrête, Valérie, tout ça n’a aucun sens.
Elle se tourna, m’exhibant son cul qu’elle écartait de ses mains. Elle se mordit la lèvre inférieure en poussant de petits gémissements censés stimuler mon excitation. Ce n’était pas la Valérie que je connaissais, pas celle non plus que j’avais souhaitée. Si, peut-être, mais elle était partie en vrille et il était trop tard maintenant, de toute façon.
   ─ Je sais ce qui te fera craquer, alors. Tu te rappelles quand je refusais que tu m’encules ? Je refusais même que tu y mettes un seul doigt. Viens me bourrer le cul, mon chéri ; il est tout ouvert à ton plaisir. Maintenant tu pourrais y entrer la main entière, peut être même les deux en insistant un peu. Non, je plaisante, pas la peine d’insister. Laisse-moi te raconter ce qu’il me faisait… tellement mon cul s’est élargi après tout ces passages de bites. Il disait qu’il n’arrivait plus à sentir mes sphincters autour de sa queue. Pourtant elle était énorme.   ─ Arrête ! Pourquoi fais-tu cela ?   ─ Ne m’interromps pas, bordel de merde ! Quand il avait introduit sa main entière dans mon cul, il y fourrait ensuite sa queue et se branlait copieusement en m’insultant. Il me traitait de sale pute incapable de le faire jouir… qu’il était obligé de se finir lui-même.   ─ Arrête ! Arrête !!
Je tentai de mettre mes mains devant sa bouche pour la faire taire, l’empêcher de continuer ce flot immonde, mais elle me mordit pour se dégager et frotta son cul contre moi pour essayer encore et encore de me faire succomber.
   ─ Dis-moi qui est ce salaud qui t’a fait subir ça. Je te jure que je m’occuperai de son cas dès mon retour.   ─ Ça ne servirait à rien : il m’a vendue, depuis.   ─ Quoi ? Mais… comment as-tu…   ─ … pu tomber aussi bas ? Grâce à un salaud qui m’a lâchée sur sa route.
Je l’avais bien cherchée, somme toute, celle-là. Elle n’avait pas complètement tort, si on voulait remonter aux origines du problème.
   ─ A qui t’a-t-il vendue ?   ─ Je ne sais pas. Comment veux-tu que je le sache ? Il n’a pas fait les présentations. Il m’a vendue comme un chiot qui a un pédigrée. Comme un boucher vend la viande sur son étal. A un homme qui voyait en moi un morceau de viande fait pour recevoir un autre morceau de viande. Un homme, si on peut lui donner ce nom. Mais, s’il te plaît, ne me laisse pas repartir là-bas, je t’en prie… supplia-t-elle sur un ton qui puait l’agonie.
J’étais intrigué par ses sautes d’humeur. Valérie pouvait hurler de rage et à peine quelques secondes après implorer de l’aide. Que pouvais-je donc bien lui répondre ? La vérité, tout simplement. Pourtant, je n’étais sûr de rien la concernant. Quand je l’avais questionnée sur sa mort, elle n’avait pas répondu ; mais pourrait-on voir le fantôme de quelqu’un qui n’est pas encore mort ? Était-elle réellement un fantôme ? Nous nous étions touchés plusieurs fois depuis son irruption, et le contact était tout ce qu’il y avait de plus concret.
   ─ Je ne maîtrise rien de tout ça. Je ne sais même pas ce qu’il faudrait faire ou ne pas faire.   ─ Essaie au moins de ne pas me renvoyer ; je préfère encore mieux vivre sous cette forme que de retourner là-bas.   ─ C’était quoi, là-bas ?   ─ Il est préférable que tu ne le saches pas. Au point où nous en sommes, je peux bien t’épargner ça maintenant.   ─ Si j’ai pu te faire venir ici, je peux aussi retourner avec toi pour te sortir de… là-bas. Qu’en penses-tu ?   ─ Arrête de fanfaronner : les super-héros n’existent qu’au cinéma, et vu le nombre de personnes susceptibles de t’accueillir à mon retour, laisse tomber. Natasha a besoin de toi vivant. Karen aussi. De toute manière, tu ne sais même pas comment procéder.
Ces dernières révélations me laissèrent comme un goût de bile dans la bouche. Je me tournai encore une fois vers la fenêtre et j’appuyai mon front contre le verre froid. Me vider la tête… Trop d’infos, d’évènements à gérer en même temps. Mon cerveau demandait un temps mort. Sur le parking, une voiture de police se gara. Plusieurs hommes en sortirent et se dirigèrent d’un pas rapide et résolu vers l’entrée. Combien étaient-ils ? Trois ? Quatre ? Pas le temps de les compter ; mon regard se brouillait.
   ─Hé ! C’est quoi ce regard que tu me fais là ?
Trop tard pour expliquer à Valérie que j’étais sur le point d’attraper le regard de quelqu’un d’autre. Les policiers étaient dans le hall et l’un d’eux s’approchait de l’hôtesse d’accueil. Il lui demanda quelque chose que je ne compris pas : je n’avais aucune notion de norvégien. Mais c’était une première : j’entendais aussi ce qu’entendait la personne dont je captais le regard. Et ce qu’elle regardait à l’instant, c’était la liste des admissions. Et le nom : Natasha Esken. Il fallait prendre une décision et agir. Right Now !
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