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Natasha & Franck

Chapitre 28

Travesti / Trans
L’horizon se chargeait de nuages, gris et lourds. Les premiers éclairs crépitèrent. Je regardais l’orage arriver. Le vent soulevait le sable ; je mis mon bras gauche en avant pour me protéger des grains de sable qui tournoyaient et venaient piquer ma peau. Anne et Vixen me poussèrent à l’intérieur de la station essence.
Extérieurement, c’en était une ; mais une fois à l’intérieur, je fus projeté dans un endroit bien différent. Obscur. Au point que je dus attendre que mes yeux s’habituent pour découvrir le lieu dans lequel nous venions d’entrer. Je me retournai pour me concerter avec mes deux acolytes. Anne avait disparu. Seule Vixen était là, tout aussi déboussolée que je l’étais.
   ─ On dirait une grotte, chuchota-t-elle en soulevant les mains en signe d’incompréhension.
La dernière syllabe ricocha sur les parois et se mélangea aux sons qui animaient l’espace qui nous entourait. Un mélange de gouttes d’eau suintant, ruisselant ou tombant sur la roche, un lointain tambour, comme si la grotte s’étirait sur des centaines de mètres et que quelqu’un frappait une peau à l’autre bout, des murmures qui sautaient de rocher en rocher. Je percevais même le bruissement de multitudes de pattes d’insectes se déplaçant sur le sol poussiéreux.
Nous avançâmes malgré l’inquiétude grandissante, car sans réelle alternative. Les rochers semblaient produire une lueur bleutée nous permettant de percevoir à peu près normalement notre environnement proche. Des fougères poussaient dans les interstices et autres anfractuosités de la roche. Certaines pendaient au-dessus de nos têtes et une eau claire s’écoulait le long des tiges. Je laissai quelques gouttes tomber dans le creux de ma main devenue brune et calleuse comme si j’avais travaillé la terre pendant des années. Je portai le liquide à ma bouche. Quel bonheur ! Cela faisait déjà un long moment que j’endurais la soif.
Nous reprîmes notre lente progression dans cet étrange tunnel. Parfois un recoin s’ouvrait sur le côté, comme une alcôve. La troisième sembla s’ouvrir comme une fenêtre juste avant de passer devant. Je regardai Vixen qui ne comprenait pas mieux que moi la situation. La paroi de l’alcôve s’ouvrait sur la mer. Une mer agitée. Le vent échevelait les vagues en contrebas, leur dessinant comme une longue crinière d’écume. Un bateau se débattait dans le courant mais ne semblait pas en danger. Je m’approchai du rebord, Vixen tentant de m’en dissuader. Je ressentais le vent sur mon visage, et l’odeur d’iode emplissait mes narines.
   ─ Viens, il faut continuer.
L’avancée dans la galerie souterraine continua. À plusieurs dizaines de mètres sur la gauche, un autre recoin s’ouvrait sur un paysage de campagne. Une bâtisse était noyée dans le brouillard dans lequel un immense arbre accrochait ses branches nues comme des doigts squelettiques s’agrippant à un linceul. Je scrutai l’obscurité et parvins à discerner deux silhouettes se tenant l’une contre l’autre dans l’encadrement de la porte de la grange. Le décor me semblait familier. Mais où l’avais-je vu ? Les personnages de ce « tableau » s’approchaient. Ils se déplaçaient bizarrement ; quelque chose dans leur démarche clochait. Quand ils furent assez près, je compris enfin : la scène se jouait à l’envers. La scène que je voyais ainsi, je ne l’avais en fait jamais vue : c’était Alexandra qui me l’avait racontée, et les deux personnes devant moi étaient ses aïeuls, Morgane et Seamus.
   ─ Attends-moi, lança Vixen qui s’était attardée devant la scène.
Nous progressions sans rencontrer de nouvelle alcôve. Notre pas était tout de même lent ; nous tentions à chaque instant de déterminer quels sons nous parvenaient. Étaient-ce toujours les-mêmes ? Non, il y avait un nouveau bruit : une respiration bruyante, rauque, animale.
Une grotte dans la grotte. Vixen et moi nous figeâmes. Un ours y dormait. Entre ses pattes avant, un corps était allongé à même le sol. Une femme aux longs cheveux bruns. Nue. Il ne semblait pas y avoir de blessure, de morsure ; en tout cas, pas sur la partie visible de son corps.
Vixen se colla sur la paroi opposée de la galerie, espérant qu’ainsi l’ours ne nous repèrerait pas s’il se réveillait et que nous pourrions continuer sans encombre. L’animal leva la tête et huma l’air violemment. Il reposa son museau sur le sol, souffla, projetant de la poussière sur le visage de la femme. Elle se réveilla et nous fixa avec intérêt. Je reconnus Natasha, qu’un seul pagne rouge ceint autour de la taille habillait. Elle sourit et s’assit en tailleur.
   ─ Approchez, je vais vous raconter une histoire : le chibre de la jungle. Voici l’ours Balloches. Je ne sais pas où est partie Baizhera, la panthère noire. L’avez-vous croisée en chemin ? Elle est adorable : ne craignez rien si vous la trouvez. Par contre, méfiez-vous du tigre, Chair Glan : il est fourbe et cruel !

J’allais m’asseoir face à Natasha mais Vixen m’en empêcha. Elle voulait retrouver quelqu’un. Ou la sortie, peut-être.

─── ∞∞∞∞∞∞∞∞ ───

Marie fit une troisième tentative. Cette fois-ci elle obtint une réponse. À entendre la voix, son interlocuteur n’était pas spécialement heureux d’être sorti du sommeil à une heure aussi matinale.
   ─ Désolée de te sortir du lit.   ─ Oh ! Je te salue, Marie…   ─ Excuse-moi, mais je n’ai pas le temps de plaisanter. J’ai besoin de tes services. C’est urgent et d’une importance… prioritaire !   ─ Oh ! Eh bien cela a le mérite d’être clair et précis. Que puis-je faire pour toi ? Il ne me semble pas que ce soit pour une partie de jambes en l’air.   ─ Non, absolument pas. Rien n’a changé depuis notre dernière entrevue. Ce service n’est pas pour moi.
Marie expliqua la situation sans trop dévoiler le fond de l’histoire. Quelque chose lui disait qu’il serait préférable qu’il ne connaisse pas l’existence de cet enregistrement, qu’il ne soit pas au courant du malaise de Natasha. Elle avait seulement besoin qu’il les aide à la retrouver.
   ─ Ah, mais il y a un petit problème…   ─ Quoi ? Tu n’as pas supporté notre séparation et tu voudrais qu’on couche ensemble pour accepter de rendre service, c’est ça ?   ─ Oh non, Marie ! Je ne suis pas aussi mesquin.   ─ Alors ?   ─ Eh bien… je ne travaille plus pour l’ambassade. Je suis actuellement en France.   ─ Ah merde !   ─ Comme tu dis.   ─ Désolée de t’avoir sorti du lit, je vais te laisser te recoucher alors.   ─ Attends, je n’ai pas fini… J’ai peut-être quelqu’un qui pourrait faire le job. Laisse-moi le temps de retrouver ses coordonnées. Je te rappelle pour te tenir au jus !   ─ Merci, Tristan, c’est vraiment sympa. Excuse-moi encore pour… le ton de mes réponses. Nous sommes vraiment à cran.   ─ Pas de souci, je comprends. Je te rappelle… Porte-toi bien en attendant.

─── ∞∞∞∞∞∞∞∞ ───

Lorsqu’elle s’aperçut qu’elle n’était plus suivie, Valérie s’empressa de trouver un endroit où elle pourrait se reprendre, où laisser passer l’effet de la décharge. Elle ne parvenait pas à se stabiliser sous quelque forme que ce soit. Elle émettait un sifflement aigu comme un poumon percé, se convulsait, tentant d’adopter un aspect présentable lui permettant de rejoindre les autres sans avoir l’air suspect. Elle avait échoué sur toute la ligne et se sentait minable, épuisée, ne sachant quand elle pourrait reprendre un minimum d’énergie.

─── ∞∞∞∞∞∞∞∞ ───

   ─ Regarde !   ─ Quoi ?   ─ Les parois. Ils y a des peintures. On dirait qu’elles bougent.   ─ Oui, tu as raison. Elles semblent toutes aller dans la même direction.
Je m’approchai de la roche et contemplai les silhouettes mouvantes de plus près. Je souris béatement en regardant ce dessin animé rupestre et me demandai ce qu’il adviendrait si je touchais une de ces étranges créatures. Je posai un doigt sur une forme féline. J’avais une sensation de pelage contre ma peau. Le lion tentait d’avancer, mais quand après quelques efforts il comprit qu’il ne progressait plus, il tourna la tête vers moi et ouvrit sa gueule. La roche se disloqua, trou noir béant d’où sortit un rugissement qui me fit reculer de dix mètres. J’atterris le cul par terre et le dos contre la paroi d’en face. Jamais je n’avais eu une telle frousse. Je mis quelques minutes pour reprendre mes esprits.
Durant toutes ces minutes, les créatures dont j’avais ainsi bloqué la progression me grimpaient sur le paletot, telles des fourmis partant à l’assaut de la montagne obstruant leur passage. Je ne tarderais pas à être submergé. Je les sentais me piétiner, m’escalader. Mes jambes étaient entièrement recouvertes, mon torse était déjà à moitié noyé par cette somme de graffitis, et cette marée noire grouillante s’était lancée dans la dernière ascension. Déjà les premières créatures s’agrippaient à mon cou. Bientôt l’une d’elles, partie en éclaireur, s’infiltrerait par ma bouche et ses congénères les plus intrépides la suivraient avant que la kyrielle ne s’engouffre dans leur sillage.
Elles s’immobilisèrent. Je demeurais encore avec le visage crispé par la peur avant de réaliser que le lent reflux qui s’opérait avait débuté lorsque de nouveaux murmures avaient empli la caverne. Il s’agissait en fait plus de souffles saccadés, comme des bâillements en pointillés. En y prêtant plus attention, leur rythme était trop régulier pour n’être que quelques chuchotements. À vrai dire, cela avait tout l’air d’incantations. Vixen me tendit une main pour m’aider à me relever.
   ─ Viens, dépêche-toi ! On dirait que notre hôte s’impatiente.   ─ Je ne vois pas ce qui te laisse l’imaginer ; mais puisque tu le dis…
Nous avancions d’un pas décidé. Le couloir défilait sans plus rien pour nous distraire, pour perturber notre progression. Puis, après avoir marché d’un bon pas pendant une bonne quinzaine de minutes, nous aperçûmes sur notre droite une nouvelle fenêtre. Quelle stupéfaction ! L’océan se déchaînait de plus belle en contrebas : nous étions revenus à notre point de départ. L’abattement fit place à la colère. Tout cela n’avait aucun sens.
   ─ Je vous attends. Il faut que nous parlions…
Vixen me regarda, se demandant si cette phrase venait de moi. Mais je ne m’étais pas encore lancé dans un numéro de ventriloque et lui fis remarquer que cette voix semblait sortir de la bouche d’un vieillard, sans toutefois parvenir à décider si le vieillard en question était un petit vieux ou une petite vieille.
Nous devisions pour savoir s’il fallait revenir sur nos pas pour trouver une bifurcation que nous avions loupée, ou continuer et reprendre notre exploration depuis le début. Un puissant rugissement et des bruits de pas lourds venaient face à nous.
   ─ Chair Glan ?!   ─ As-tu vraiment envie de connaître la réponse ? s’inquiéta Vixen.    ─ On peut faire demi-tour, je crois.
En rebroussant chemin, peut-être découvririons-nous un passage indécelable à l’aller. Malgré l’envie de mettre le plus de distance possible entre la créature qui venait de rugir et nous, il ne fallait pas nous précipiter : nous risquions encore une fois de rater le passage, et puisque la grotte était circulaire, nous retomberions sur la bête.
Après la chaleur du désert, avec cette marche dans cette grotte à l’atmosphère moite, je suais à grosses gouttes. À mon tour, je ne tarderais pas à pouvoir rugir, tant je commençais à sentir le fauve !
   ─ Là !
Effectivement, une voie s’ouvrait dans la roche que nous avions ratée dans l’autre sens. À notre décharge, le passage était étroit, et la bifurcation en Y le rendait indétectable, surtout à la vitesse à laquelle nous marchions à l’aller. Le chemin surplombait une vaste salle ; des torches éclairaient la voie que nous devions suivre. Un lac occupait une grande moitié de cette salle. Nous dûmes le franchir pour continuer notre chemin. Ce fut l’occasion pour moi de me rafraîchir enfin. Les incantations étaient maintenant bien plus modulées ; cela ressemblait aux mélopées amérindiennes. Un mot revenait régulièrement entre les onomatopées qui rythmaient notre descente : Máttaráhkká. Ce n’était peut-être pas un mot, mais ces syllabes contrastaient avec les autres sons émis.
La large corniche sur laquelle nous marchions descendait en spirale et s’enfonçait profondément. Une fumée s’élevait au centre de cette spirale. Je levai machinalement les yeux et remarquai que le plafond de la caverne formait un dôme représentant une voûte céleste. À moins que ce soit vraiment le ciel. Je n’étais plus sûr de moi.
Nous arrivâmes au fond de la grotte. Les escarbilles s’envolaient tels des phénix éphémères vers les étoiles qui semblaient n’avoir rien de factice lorsque les points lumineux se mélangeaient.
Une vieille femme aux cheveux d’un blond presque blanc nous accueillit avec des paroles que nous ne comprîmes pas. Une chose était cependant sûre : la langue qu’elle utilisait n’était pas le norvégien. À ses pieds, un tambour recouvert de dessins primitifs se prélassait devant le feu, comme un chat chauffant ses muscles avant de bondir. Elle nous invita à nous asseoir, ou même à nous allonger si cela se montrait plus confortable.

 ─── ∞∞∞∞∞∞∞∞ ───

La musique de la série X-files surprit tout le monde ; Marie sortit son téléphone de sa poche :
   ─ Numéro inconnu !   ─ Bonjour, je me présente : Svetlana Predatelski. Je suis une amie de Tristan. Il m’a demandé de vous aider à retrouver votre amie.   ─ Bonjour. C’est bien cela. Bien, je ne sais pas trop par quoi commencer pour vous résumer la situation.    ─ Pas la peine. Vous m’expliquerez sur place. J’ai un avion pour Bergen dans deux petites heures : vous me raconterez tout ce dont j’ai besoin de savoir devant un café.
Marie replaça son téléphone dans sa poche et fit part de sa stupéfaction. Elle n’avait pas escompté une aide aussi rapide. La manière de s’exprimer de son interlocutrice indiquait une personne sûre d’elle qui avait l’habitude du commandement, et le ton ferme de sa voix la laissa perplexe quant à la compatibilité avec les membres du groupe. Certes, elle ne venait pas ici pour s’entendre comme larrons en foire, mais elle avait déjà des tensions avec Valérie et préférait s’abstenir de devoir en subir d’autres. D’ailleurs, que faisait donc Valérie ?
   ─ Je vais voir Alexandra et prendre des nouvelles des hallucinations, prévint Marie d’une voix timide, cherchant tant bien que mal à dissimuler ses doutes sur Valérie.
Marie se dirigeait vers la chambre où la rousse veillait sur Franck, non sans jeter un œil de-ci de-là en espérant apercevoir Valérie. Le calme régnait maintenant dans l’hôpital, comme si le boxon déclenché quelques heures plus tôt n’était qu’un mauvais rêve. Marie toqua à la porte puis entra. Elle tira une chaise et s’installa à côté d’Alexandra.
   ─ Il délire encore plus ! Il semble avoir chaud et transpire à grosses gouttes… Je l’ai entendu parler de désert. Maintenant, on dirait qu’il essaye de se débarrasser de petites bêtes qui montent, qui montent le long de son corps.   ─ Patiente, as-tu dit tout à l’heure ? Nous allons recevoir de l’aide dans quelques heures : une amie de mon contact à l’ambassade.    ─ Tu n’as pas l’air plus enchantée que ça…   ─ Un peu inquiète. À la voix, je l’imagine militaire, revêche... Ça risque de faire des étincelles. Vu les circonstances, je ne suis pas sûre que ce soit ce dont nous ayons le plus besoin. J’ai peur d’avoir fait une connerie, finalement.   ─ Alea jacta est !   ─ Sais-tu où est Valérie ?   ─ Pas vraiment. Elle voulait essayer de récupérer le dossier de Natasha en douce, mais ça fait un petit moment qu’elle est partie je ne sais où.   ─ Mais tu n’as pas essayé de l’en dissuader ?   ─ Ben…   ─ Oh, excuse-moi, j’ai du mal à me faire à ses… capacités extraordinaires.
Alexandra et Marie se turent. Alexandra observa Marie qui regardait Franck. Elle vit dans ses yeux une infinie tendresse. Elle y décela aussi une pointe de tristesse. Sans doute aurait-elle préféré ne jamais avoir à se séparer de lui, que Roxanne soit leur fille et non pas sa sœur.
Alexandra posa une main sur la cuisse de Marie, autant pour signifier qu’elle était confiante et que la situation finirait bien par s’arranger que par envie d’établir un contact plus intime avec cette femme qui avait eu cette même attirance pour Franck.
   ─ Tu n’aurais pas une cigarette ?   ─ Non. Désolée, je ne fume pas.
Franck se mit à entonner un chant étrange. Tant dans la mélodie que dans la voix. Une voix grave, gutturale, comme si elle venait de quelqu’un d’autre, de quelque chose d’autre. Une voix monocorde qui s’étendait telle une nappe de givre sur la campagne au petit matin. Puis après cette lente et longue litanie, quelques vocalises sonnèrent comme un vol d’oiseau acrobate, trilles fugaces comme un soleil perçant quelques secondes un épais brouillard.
Alexandra et Marie se regardèrent, consternées. Cela semblait aller au-delà d’une hallucination. Elles n’étaient aucunement effrayées et se contentaient d’assister à la scène, écoutant ce chant qu’elles ne comprenaient point. Alexandra prit son téléphone, et le premier numéro qu’elle trouva fut celui de Sigrid.
   ─ Tu peux venir ? Il se passe quelque chose d’étrange dans la chambre.   ─ Quoi donc ? demanda Sigrid affolée.   ─ Il chante…   ─ Ah ! Et pourquoi est-ce étrange ?   ─ Ce n’est pas du heavy-metal qu’il chante ; ça me rappelle les chants des sorciers indiens en Amérique du Sud. En tout cas, c’est ce que ça m’évoque.   ─ OK, nous arrivons.
Alexandra ne rangea pas son téléphone mais filma la scène ; ça pourrait être utile, après tout.

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La vieille femme parlait tout en jouant du tambour. Elle en caressait plus la peau qu’elle ne la frappait.
   ─ Le temps m’est compté. Je te donnerai plus de détails lorsque toi tu viendras vers moi. En ce moment, ton esprit se promène en toute liberté ; il divague à son gré et vagabonde sans retenue. Alors j’en profite pour te prévenir et t’inviter. Rejoins-moi dès que tu le pourras.    ─ Mais où es-tu ?   ─ Loin encore. J’ai couru pour te trouver, couru si vite pour être sûre d’arriver à temps que mes pieds ont saigné : chaque grain de sable qui les heurte me blesse, mais il est plus important que tu reçoives mon appel. C’est même capital. Je panserai mes blessures plus tard.   ─ Mais qui es-tu ?   ─ Tu le sauras bientôt. Pour l’instant, il te faut te dépêcher. Retrouver ta compagne.
Elle avait posé son tambour et versa dans un godet une mixture qui ne paraissait pas engageante. Elle reprit ses incantations monotones, seulement interrompues par sa respiration profonde et bruyante. À chaque inspiration, elle semblait absorber la fumée qui se dégageait du feu puis la soufflait sur la boisson qu’elle finit par me tendre.
   ─ Bois ! Il te faut recouvrer ta vue, et ton esprit ne doit plus errer en ces lieux. Bois ! Le liquide nettoiera ton corps. Il aidera aussi ton corps à se reposer plus rapidement.
Je pris le récipient et en regardai le contenu. J’étais circonspect.
   ─ Bois ! Ne crains rien ; il n’y a ni bave de crapaud, ni urine de chat ou d’œil de bœuf : ce ne sont que des plantes, dit-elle, goguenarde.
Je portai la boisson à mes lèvres. L’odeur n’était finalement pas si désagréable. Le goût, lui, l’était un peu plus, même si ce n’était pas l’infection que je craignais.
À peine j’eus vidé le verre que tout autour de moi sembla ralentir. Je vis passer une mouche : son vol était décomposé comme éclairé par une lumière stroboscopique. Même Vixen semblait immobile quand elle tenta de me rattraper au moment où je me sentis tomber. Mes jambes s’étaient déjà endormies et ne me portaient plus. Me retint-elle ou m’écroulai-je sur le sol ? Un nuage de sable embrumait mes yeux. Était-ce le marchand de sable ou simplement la poussière soulevée lorsque ma tête reposa sur le sol ? Ma dernière vision fut celle de la vieille femme qui se changeait en renne s’éloignant à toute vitesse alors que tout autour de moi tournait au ralenti.

─── ∞∞∞∞∞∞∞∞ ───

Sigrid entra en trombe dans la chambre, suivie de Kristina qui avait bien du mal à abandonner sa blonde plus de quelques secondes. La Norvégienne n’eut besoin que de quelques secondes pour mettre un nom sur ce que chantais Franck.
   ─ C’est du Joik : il chante du Joik ! Où a-t-il appris ça ?   ─ Qu’est-ce que le Joik ?    ─ C’est le chant traditionnel des Sâmes, plus connus sous le terme de « Lapons ».    ─ Mais Franck n’est pas Sâme, répliqua Alexandra.   ─ Non, justement, c’est ce qui est étrange. La seule explication plausible, c’est que l’esprit d’un chaman est entré en contact avec Franck.   ─ Pardon ?
Le chant cessa et Franck fit quelques mouvements qui tenaient plus d’un ralenti tout droit sorti d’un reportage sportif que d’une gestuelle naturelle. Puis il sombra dans un sommeil profond et apaisé.
   ─ Mais comment sais-tu tout ça ?   ─ Ma mère est Sâme.
Le téléphone de Sigrid sonna ; l’appel venait de sa sœur. Sigrid eut un petit sourire, le genre de sourire qu’on a en se rendant compte que tout est à sa place. Puis elle remit son téléphone dans la poche.
   ─ Ma mère vient d’appeler Ingrid. Elle appelle toujours la petite dernière en premier. Mon grand-père maternel vient d’appeler ma mère. Ma grand-mère est une noaidi, une chamane, et elle veut que nous allions la voir.   ─ Toi et ta sœur ?   ─ Non, nous tous. Dès que nous aurons retrouvé l’ourse, a-t-elle dit.   ─ L’ourse ?   ─ Le langage des chamanes est souvent sibyllin. Peut-être y a-t-il un rapport avec la Grande Ourse ; les Sâmes, encore plus les chamanes, se servent énormément des étoiles dans leurs observations.
Alexandra restait perplexe devant toutes ces explications. Pour elle, toutes ces histoires de chamanisme ou de druidisme sentaient bon le charlatanisme ou, au mieux, surfaient sur la vague du New-Age, mais elle ne tenait pas à blesser les deux frangines et s’abstint de tout commentaire. Kristina, elle, se montra plus réceptive : dans son pays natal, le Brésil, beaucoup de tribus tentaient de vivre selon leurs traditions, et les chamans y avaient encore un rôle prépondérant.
   ─ Sigrid, je peux te taxer une clope ?   ─ Tiens, tu peux garder le paquet.   ─ Plusieurs années de foutues en l’air… commenta Kristina.   ─ Non, je n’ai besoin que d’une seule.
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