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Opération Circé

Chapitre 3

Le texte d'Ulysse

Hétéro
Le lendemain matin, je me donnais un peu de temps pour préparer la visioconférence avec Ēléktra, prévue à 10 heures heure française, soit 9 heures à Athènes. J’avais sélectionné une traduction d’une partie du chant X de l’Odyssée, l’avais envoyé la veille à Ēléktra et relu. Ma première lecture remontait à mon enfance et je l’avais un peu oublié. Le style était en effet assez spécial, mais cela passait malgré tout quand on se mettait dans le bain. Restait à voir quelle partie nous allions altérer. Le texte se présentait ainsi, le narrateur n’étant autre qu’Ulysse :
Nous recommençons à naviguer, contents d’avoir échappé au trépas, mais affligés d’avoir perdu nos compagnons chéris. Bientôt nous arrivons à l’île d’Ééa, où habite Circé à la belle chevelure, Circé, vénérable déesse à la voix mélodieuse : Circé, sœur du puissant Éétès. Circé et Éétès naquirent tous deux du Soleil, qui donne la lumière aux hommes, et de Persée, fille de l’Océan.
Nous conduisons en silence notre navire dans un port commode et sans doute un dieu nous guidait alors ! Nous descendons à terre et nous restons en ces lieux pendant deux jours et deux nuits, le corps accablé de fatigue et l’âme navrée de douleur. Lorsque le troisième jour est ramené par la brillante Aurore, je m’arme d’un javelot et d’un glaive aigu, je m’éloigne de mon navire, et je monte sur un rocher pour découvrir quelques vestiges humains, ou entendre la voix de quelque mortel. Je m’arrête au sommet de cette montagne et j’aperçois la fumée qui s’élevait du sein de la terre, dans le palais de Circé, à travers les arbres touffus de la forêt. Ma première pensée fut de me rendre à l’endroit où je voyais sortir cette épaisse fumée, mais le parti qui me sembla préférable fut de retourner au rivage pour prendre mon repas avec mes compagnons et pour les envoyer ensuite à la découverte.
J’allais atteindre mon navire quand un dieu prenant pitié de moi dans cette solitude, m’envoya sur ma route un beau cerf aux cornes élevées : il sortait des pâturages de la forêt, et il se rendait au fleuve pour se désaltérer, car il était accablé par l’ardente chaleur du soleil. Au moment où l’animal s’élance, je le frappe au milieu du dos et mon javelot d’airain lui traverse le corps. Le cerf, en poussant des cris plaintifs, tombe dans la poussière et la vie l’abandonne. Aussitôt, m’appuyant sur lui, je retire de la blessure l’arme d’airain que je dépose à terre. Je coupe des osiers flexibles, et, les ayant tressés, j’en forme un lien de la longueur d’une forasse pour attacher les pieds de l’animal, que je charge sur mes épaules et que je porte jusqu’au navire en m’appuyant sur mon javelot. Je n’aurais pu transporter ce cerf énorme sur mon épaule et en le tenant d’une seule main, car c’était un animal d’une grandeur immense.
Je le jette devant mon vaisseau, et j’adresse à mes compagnons ces flatteuses paroles : « Non, mes amis, nous ne descendrons point, malgré nos chagrins, dans les sombres demeures de Pluton avant que le fatal jour de la mort soit arrivé ! Hé bien ! puisqu’il nous reste encore des viandes et du vin, songeons à prendre quelque nourriture, et ne nous laissons point accabler par la faim. »
Mes compagnons s’empressent d’obéir à cet ordre ; ils rejettent en arrière les manteaux dont ils s’étaient couverts, et regardent avec étonnement le cerf étendu sur la plage de la mer stérile. Quand ils ont pris plaisir à le contempler, ils baignent leurs mains et préparent le repas. Pendant tout le jour et jusqu’au coucher du soleil, nous goûtons ces chairs délicates et nous savourons un vin délectable. Lorsque l’astre du jour a terminé sa course et que les ténèbres ont enveloppé la terre, nous nous couchons sur les rives de l’Océan. Mais dès que la fille du matin, Aurore aux doigts de rose, a brillé dans les cieux, je réunis tous mes guerriers et je leur dis : « Ô vous, compagnons d’infortune, écoutez-moi. Nous ne savons plus retrouver ni le couchant, ni le lever du jour ; nous ignorons même où le soleil, flambeau des humains, passe sous la terre, et jusqu’aux lieux où cet astre se lève. Voyons donc quel parti nous avons à prendre.
Quant à moi, je pense qu’il n’en existe plus, car, en gravissant une montagne escarpée, j’ai vu l’île environnée par l’immense surface des eaux. La terre où nous sommes est basse et du milieu s’élèvent des tourbillons de fumée à travers les arbres touffus de la forêt. »
A ces mots leur âme est brisée par la douleur. Ils se rappellent les actions funestes du Lestrygon Antiphate et les cruautés du terrible Cyclope qui dévore les humains. Mes compagnons poussent des cris perçants et laissent couler de leurs yeux des torrents de larmes. Mais les pleurs ne donnent aucun secours aux malheureux affligés.
Alors je divise en deux parties mes guerriers aux belles cnémides, et je donne un chef à chacune d’elles. Moi, je commande la première troupe et le divin Euryloque marche à la tête de la seconde. J’agite aussitôt les sorts dans un casque afin de savoir quelle troupe irait à la découverte : le sort qui paraît le premier est celui du magnanime Euryloque. Ce héros s’éloigne suivi de vingt-deux Achéens qui nous quittent les yeux baignés de larmes, nous qui poussons de longs gémissements ! Ces guerriers découvrent, au sein d’un vallon, les palais de Circé bâtis en pierres polies et situés sur un tertre élevé. Autour de cette demeure étaient des loups sauvages et des lions que la déesse avait domptés en leur donnant de funestes breuvages. Ces animaux, loin de se précipiter sur mes compagnons, se dressent au contraire pour les caresser de leurs longues queues.
Ainsi, des chiens fidèles flattent leur maître quand il revient d’un festin ; car il leur rapporte toujours quelques mets friands : de même ces lions et ces loups aux fortes griffes caressent mes guerriers qui sont cependant effrayés à la vue de ces monstres terribles. La troupe d’Euryloque s’arrête sous les portiques de la déesse à la belle chevelure, et écoute Circé, qui, dans l’intérieur du palais, chante d’une voix mélodieuse en tissant une toile immense et divine, une toile semblable aux magnifiques travaux délicats et éblouissants des divinités célestes. Polytès, l’un des chefs, et celui de tous mes compagnons que j’honorais le plus, parle en ces termes : « Ô mes amis, j’entends une femme, déesse ou mortelle, chanter avec délices dans l’intérieur de ce palais en tissant une grande toile (les parois en retentissent). Hâtons-nous donc d’appeler cette femme. »
Il dit, et tous mes compagnons élèvent la voix. Circé accourt aussitôt, ouvre ses portes brillantes, nous invite à la suivre, et tous mes guerriers entrent imprudemment dans le palais. Mais Euryloque, soupçonnant quelque embûche, reste seul sous les portiques. Circé les introduit, et les fait asseoir sur des trônes et sur des sièges ; puis elle môle du fromage, de la farine d’orge et du miel nouveau avec du vin de Pramne, et elle ajoute ensuite à cette préparation des plantes funestes afin que mes compagnons perdent entièrement le souvenir de leur patrie. Quand elle leur a donné ce breuvage, qu’ils boivent avec avidité, elle les frappe de sa baguette et les enferme dans l’étable, car mes guerriers étaient alors semblables à des porcs par la tête, la voix, les poils et le corps, mais leur esprit conserva toujours la même force. Malgré leurs gémissements, ils sont enfermés dans une étable.
Circé leur jette pour nourriture des glands, des faines et des fruits du cornouiller, seuls mets que mangent les porcs qui couchent sur la terre.
Aussitôt Euryloque accourt vers le sombre navire nous annoncer le triste destin de nos malheureux compagnons. Il veut parler, mais il ne peut proférer une seule parole, tant son âme est émue par la douleur. Ses yeux sont noyés de larmes et son cœur est plongé dans la tristesse. Après l’avoir interrogé plusieurs fois, Euryloque nous raconte enfin le malheur de nos compagnons :

— Nous traversions la forêt, dit-il, comme tu nous l’avais ordonné. Bientôt nous découvrons, au sein d’un vallon, de beaux palais bâtis en pierres polies et situés sur un tertre élevé. Une femme, déesse ou mortelle, chantait d’une voix mélodieuse en tissant une grande toile. Mes compagnons l’appellent à haute voix : elle accourt aussitôt, ouvre ses portes brillantes, et nous invite à la suivre. Tous les Achéens entrent imprudemment dans cette demeure, mais moi, soupçonnant quelque ruse, je reste sous les portiques. Maintenant tous mes compagnons ont disparu ; aucun d’eux n’est sorti du palais, et pourtant je suis resté longtemps à les attendre l’œil fixé sur la demeure.
A ces mots je suspends à mes épaules un long glaive d’airain enrichi de clous d’argent. Je saisis mon arc et mon carquois et j’ordonne à Euryloque de me conduire par le même chemin. Mais ce héros, embrassant mes genoux de ses deux mains, laisse échapper de ses lèvres ces rapides paroles :
— Fils de Jupiter, ne m’entraîne point malgré moi vers ce palais ; laisse-moi plutôt sur ce rivage. Je sais que tu ne reviendras plus.
Mais je lui réponds aussitôt :
— Euryloque, tu peux rester ici pour manger et pour boire. Quant à moi, je pars, car la dure nécessité m’y contraint.
En achevant ces paroles, je m’éloigne du navire et des bords de la mer. J’allais arriver au vaste palais de l’enchanteresse Circé, lorsque, sur ma route, Hermès au sceptre d’or se présente à moi sous les traits d’un jeune homme à la fleur de l’âge et brillant de grâce et de fraîcheur. Le dieu me prend la main et me dit :
— Malheureux, pourquoi gravis-tu seul ces montagnes, toi qui ne connais point ces contrées ? Tous tes compagnons, retenus auprès de Circé, sont comme de vils troupeaux enfermés dans des étables. Viens-tu pour les délivrer ? Oh ! alors je crains bien que tu ne puisses t’en retourner toi-même, et que tu ne restes où sont tes autres compagnons ! Mais écoute : je veux te préserver de ces maux et te sauver. Prends cette plante salutaire, qui écartera de toi le jour sinistre , et rends-toi au palais de Circé. Maintenant je vais t’apprendre tous les pernicieux desseins de la déesse. Circé te préparera d’abord un breuvage dans lequel elle jettera des charmes funestes qui seront impuissants, car cette plante salutaire te préservera de tout malheur. Écoute-moi encore : lorsque Circé t’aura touché de sa longue baguette, saisis à l’instant ton glaive aigu et fonds sur elle comme si tu voulais la tuer. Circé, toute tremblante, désirera s’unir à toi ; mais ne refuse point de partager sa couche, afin qu’elle délivre tes amis et qu’elle t’accueille favorablement. Fais-lui jurer alors par le serment des dieux qu’elle ne tramera pas quelque ruse contre toi, de peur que, t’ayant désarmé, elle ne t’enlève à la fois et tes forces et ton courage.
En disant ces mots, Hermès me donne une plante qu’il vient d’arracher du sein de la terre, et il m’en fait connaître la nature ; sa racine était noire, mais sa couleur était blanche comme le lait : les dieux la nomment moly. Les hommes ne peuvent arracher cette plante, mais tout est possible aux immortels. Hermès quitte l’île ombragée d’arbres et dirige ses pas vers l’Olympe.
Moi, je me rends aux demeures de la déesse, l’âme agitée de mille pensées. Je m’arrête sous les portiques, et j’appelle l’enchanteresse, qui entend ma voix : elle accourt aussitôt, ouvre ses portes brillantes et m’invite à la suivre ; moi, j’entre dans le palais, le cœur accablé de tristesse. Circé m’introduit. Elle me fait asseoir sur un trône magnifique orné de clous d’argent, place une escabelle sous mes pieds, apprête un breuvage dans une coupe d’or, y mêle des plantes funestes en méditant au fond de son âme d’affreux desseins, et me présente la coupe. Je prends ce breuvage, mais il ne me charme point. Alors Circé, me frappant de sa baguette, me dit :
— Va maintenant dans l’étable rejoindre tes autres compagnons !
A peine a-t-elle prononcé ces mots que je tire mon glaive aigu et que je me précipite sur la déesse comme si je voulais la tuer. Soudain Circé poussant un grand cri se baisse, embrasse mes genoux, et m’adresse ces paroles entrecoupées par les sanglots :
— Qui donc es-tu ? Quelle est ta ville et quels sont tes parents ? Je suis vraiment frappée de surprise, car tu as bu ce philtre sans en être charmé. Cependant nul homme jusqu’à ce jour n’a pu résister aux effets de ce breuvage, soit qu’il l’ait pris, soit même qu’il l’ait approché de ses lèvres (tu portes donc dans ta poitrine un cœur indomptable ?). Serais-tu cet ingénieux Ulysse qui devait venir dans cette île à son retour d’Ilion, comme me l’avait annoncé Hermès, le dieu au sceptre d’or ? Eh bien donc, remets ton glaive dans le fourreau, et partageons la même couche. Unissons-nous enfin et chassons la défiance de nos âmes.
Je réponds aussitôt à la déesse :
« Circé, comment oses-tu m’ordonner de calmer ma colère ! Tu as changé mes compagnons en porcs, et maintenant tu veux que je reste dans ta demeure, que je partage ta couche pour m’enlever à la fois mes forces et mon courage lorsque tu m’auras désarmé ! Non, je ne veux point m’unir à toi, déesse perfide, à moins que tu ne me jures de ne point méditer contre moi quelque mauvais dessein.
A ces mots elle me fait le serment que je lui demande, et je consens alors à partager la belle couche de la divine Circé. Quatre nymphes résident dans ce palais et servent la déesse avec zèle : elles sont filles des fontaines, des forêts et des fleuves qui se précipitent dans la mer. L’une d’elles étend sur des sièges de superbes tapis de pourpre et les recouvre encore d’un riche tissu de lin. Une autre dresse devant les sièges des tables d’argent sur lesquelles elle place des corbeilles d’or. La troisième mêle dans un cratère d’argent un vin suave aussi doux que le miel et distribue des coupes d’or. La quatrième enfin allume le bois desséché sous le large trépied et fait tiédir de l’eau. Lorsque l’onde limpide a frémi dans l’airain brillant, la nymphe me place dans un magnifique bassin. Elle, puise ensuite une eau tiède et pure qu’elle répand sur ma tête et sur mes épaules, pour délasser mon corps de la fatigue qui l’accablait.
Après m’avoir baigné dans l’onde et parfumé d’essences, la nymphe me revêt d’une tunique et d’un manteau, me place sur un siège enrichi de clous d’argent, et pose une escabelle sous mes pieds. Une esclave, portant une belle aiguière d’or, verse l’eau qu’elle contient dans un bassin d’argent pour que je puisse me baigner les mains. Puis elle dresse devant moi une table polie sur laquelle l’intendante du palais dépose des mets nombreux qu’elle m’offre avec largesse. Alors la déesse m’invite à goûter les charmes du repas, mais mon cœur s’y refuse. Je reste assis, occupé d’autres soins, car je pressentais encore de nouveaux malheurs.
« Ulysse, pourquoi rester ainsi comme un homme privé de la parole ? Pourquoi te ronger le cœur de chagrin, et refuser ces aliments et ce breuvage ? Soupçonnerais-tu encore quelque embûche nouvelle ? Ne crains rien, divin héros, puisque je t’ai fait le plus terrible des serments. »Je lui réponds aussitôt :« Circé, quel est l’homme juste et équitable qui goûterait avec plaisir les aliments et le breuvage avant qu’il ait délivré lui-même ses braves compagnons, et qu’il les ait vus de ses propres yeux ! Si tu m’ordonnes sincèrement, ô déesse, de boire et de manger, délivre-les donc, afin que j’aperçoive mes guerriers chéris.
A ces mots Circé traverse la salle du palais, en tenant sa baguette à la main ; elle ouvre les portes de l’étable, et elle fait sortir tous mes compagnons qui sont semblables à des porcs âgés de neuf ans. La déesse les enduit tour à tour d’une nouvelle essence, et soudain tombent de leurs membres les poils qu’avaient fait naître les funestes charmes de la puissante Circé. Mes guerriers redeviennent plus jeunes qu’auparavant, et me paraissent plus beaux et plus grands que je ne les avais jamais vus ; ils me reconnaissent aussitôt, me serrent les mains, poussent des cris d’allégresse qui font retentir le palais et touchent de compassion la déesse elle-même. Circé s’approche de moi et me parle en ces termes :
« Noble fils de Laërte, ingénieux Ulysse, retourne maintenant auprès de ton navire rapide, et tire-le sur le rivage ; puis dépose dans des grottes tes richesses, les agrès de ton vaisseau, et reviens en amenant ici tous tes compagnons chéris.»Elle dit, et je me laisse persuader. Arrivé sur la plage, je trouve auprès de mon navire mes compagnons qui soupiraient en versant d’abondantes larmes. Ainsi, lorsque des génisses parquées au milieu d’un champ voient revenir dans l’enceinte des vaches rassasiées d’herbe, elles se précipitent à leur rencontre en pressant leurs mères et en bêlant autour d’elles, sans qu’aucune barrière les puisse retenir : ainsi, lorsque mes compagnons m’aperçoivent, ils m’entourent en versant des torrents de larmes, et ils sont aussi joyeux que s’ils revoyaient leur patrie, l’âpre Ithaque, où jadis ils reçurent le jour et passèrent leur enfance ! Bientôt ils prononcent ces rapides paroles entrecoupées par les sanglots :
— Oui, ton retour, fils chéri de Jupiter, nous cause autant de joie que si nous revoyions l’île d’Ithaque. Mais raconte-nous maintenant la fin de nos autres compagnons.
C’est ainsi qu’ils parlent, et moi je me hâte de leur répondre :
— Amis, commençons par tirer le vaisseau sur le sable du rivage, déposons dans des grottes nos richesses et nos agrès et préparez-vous tous à me suivre si vous voulez revoir nos compagnons qui mangent et boivent dans les demeures sacrées de la divine Circé, où rien ne manque à leurs désirs.
A peine ai-je prononcé ces paroles que mes compagnons se préparent à exécuter mes ordres, mais Euryloque les retient en leur adressant ce discours :
— Ah, malheureux ! où courez-vous ? Vous avez donc soif de nouveaux malheurs, puisque vous voulez pénétrer dans les demeures de Circé ! Mais cette déesse vous changera tous en porcs, en loups, en lions, et vous serez contraints de garder son vaste palais ! Le Cyclope a déjà dévoré nos amis lorsqu’ils pénétrèrent dans sa grotte pour accompagner l’audacieux Ulysse, qui, par son imprudence, les a tous fait périr !
A ces paroles je me demande si je ne dois pas envoyer sur la plage la tête d’Euryloque, bien qu’il soit mon proche parent, mais tous mes compagnons me retiennent en me disant :
— Illustre fils de Jupiter, laissons Euryloque en ces lieux pour qu’il garde le navire, mais toi, conduis-nous dans les demeures sacrées de la divine Circé.
Au même instant ils s’éloignent tous du rivage de la mer, et Euryloque suit aussi mes pas, car il redoutait mes terribles menaces.
Pendant ce temps, Circé baigne mes compagnons et les parfume d’huiles odorantes ; puis elle leur donne de superbes manteaux et de riches tuniques. En entrant dans le palais, nous trouvons nos amis fidèles occupés à prendre leur repas. Quand ils se sont tous regardés, ils se racontent leurs aventures et poussent des gémissements qui font retentir la divine demeure. Alors Circé, la plus noble des déesses, me dit :
« Fils de Laërte, ingénieux Ulysse, et vous, braves guerriers, ne parlez plus de vos douleurs. Je sais tous les maux que vous avez supportés sur la mer poissonneuse, et toutes les souffrances que de cruels ennemis vous ont fait éprouver sur la terre. Maintenant prenez donc de ces mets et buvez de ce vin jusqu’à ce que vous ayez recouvré le courage qui vous animait lorsque, pour la première fois, vous abandonnâtes l’âpre Ithaque, votre chère patrie ! Vous êtes abattus et sans force, vous songez toujours à vos pénibles voyages et votre âme ne se livre pas à la joie parce que sans doute vous avez beaucoup souffert !
Nous nous laissons persuader par la déesse, et nous restons en ces lieux une année entière, goûtant avec plaisir des mets abondants et savourant un vin délicieux. Mais lorsque, dans la marche du temps, l’année fut accomplie ; quand les mois eurent succédé les uns aux autres, et que les longues journées furent terminées, mes compagnons chéris m’appelèrent et me dirent :
« Malheureux, ressouviens-toi de ta patrie, puisque les dieux ont résolu de te sauver et de te ramener dans les lieux chéris de ta naissance ! »J’écoutai favorablement leurs paroles, et durant le jour nous mangeâmes encore avec délices des viandes succulentes et nous bûmes joyeusement un nectar délectable. Quand le soleil eut terminé sa course et que les ténèbres se furent répandues sur la terre, mes braves et fidèles compagnons s’endormirent au milieu du sombre palais.
Je monte aussitôt sur la magnifique couche de la divine Circé, j’embrasse ses genoux ; et la déesse consent à écouter ces rapides paroles :
— Circé, lui dis-je, daigne accomplir la promesse que tu m’as faite : renvoie-moi dans mes foyers. Tel est mon seul désir et celui de mes braves compagnons, qui sans cesse déchirent mon cœur par leurs gémissements quand tu t’éloignes de nous!
a plus noble des déesses me répond aussitôt :
— Généreux fils de Laërte, ingénieux Ulysse, toi et tes guerriers vous ne resterez point malgré vous dans ma demeure. Mais vous avez encore un autre voyage à faire. Il faut que vous descendiez dans les sombres demeures de Pluton et de la terrible Proserpine pour y consulter l’âme du Thébain Tirésias, de ce devin aveugle dont l’intelligence est encore dans toute sa force. Proserpine accorde seul à Tirésias (quoiqu’il soit mort) un esprit pour tout connaître. Les autres habitants de cet empire ne sont que des ombres errantes.
Ces paroles me brisent le cœur. Je pleurais, étendu sur ma couche, et je ne voulais plus vivre ni revoir la lumière du soleil. Mais, après avoir soulagé mon âme en versant d’abondantes larmes et en me roulant sur le lit de la déesse, je prononce ces paroles :
— Ô Circé, qui m’enseignera cette route ? car nul, jusqu’à présent, n’est arrivé, sur un sombre navire, dans les ténébreuses demeures de Pluton !
La déesse me répond aussitôt :
— Noble fils de Laërte, ne te mets pas en peine de trouver un guide. Dresse toi-même le mât de ton vaisseau, déploie les blanches voiles et assieds-toi : le souffle de Borée dirigera ton navire. Lorsque tu auras traversé l’Océan, tu trouveras une petite île et le bois de Proserpine où croissent de hauts peupliers et des saules qui perdent leurs fruits ; alors tu tireras ton navire sur cette plage baignée par les eaux de la mer, et tu pénétreras dans les fangeuses demeures de Pluton. Là se précipitent dans l’Achéron, le Pyriphlégéton et le Cocyte, le Cocyte qui s’échappe des eaux du Styx. Un rocher s’élève à l’endroit où ces fleuves mugissants se réunissent. Noble héros, quand tu seras près de ces bords, tu creuseras un fossé d’une coudée en tous sens. Autour de ce fossé tu feras des libations à tous les morts : la première sera faite avec le vin et le miel, la seconde avec un doux nectar, et la troisième avec de l’eau; puis tu répandras sur ces libations de la blanche farine. Implore ensuite les ombres légères des morts, en leur promettant, quand tu seras dans Ithaque, de leur immoler une génisse stérile, la plus belle que tu posséderas dons ton palais, et de brûler sur un bûcher des offrandes précieuses. Tu sacrifieras en outre au seul Tirésias un bélier entièrement noir, celui qui l’emportera sur tous ceux de tes troupeaux. Quand tu auras adressé tes prières à la foule célèbre des morts, immole en ces lieux mêmes un agneau et une brebis noire, en tournant leur têtes du côté de l’Erèbe, puis détourne tes regards et dirige-toi vers le courant du fleuve : c’est là que les âmes des morts arriveront en foule. Commande à tes compagnons de dépouiller et de brûler les victimes immolées par l’airain cruel, et d’implorer le formidable Pluton et la terrible Proserpine. Toi, tire le glaive aigu que tu portes à la hanche, et ne permets pas que les ombres des morts approchent du sang avant que tu n’aies consulté Tirésias. Dès que ce devin sera venu, ô Ulysse, il t’indiquera ta route, te dira la longueur du voyage, et comment tu reviendras dans ta patrie à travers la mer poissonneuse.
A peine a-t-elle achevé ces paroles, que brille dans les cieux Aurore au trône d’or. Circé me couvre d’une tunique et d’un manteau et elle-même jette sur son beau corps une robe blanche, parure élégante, faite d’un tissu délicat ; elle entoure ses reins d’une magnifique ceinture d’or, et elle place un voile sur sa tête. Moi je parcours le palais en tous sens, je réveille mes compagnons et j’adresse à chacun d’eux ces douces paroles :
— Ne vous livrez plus au doux sommeil! Partons, amis, c’est la vénérable Circé qui me l’ordonne.
Aussitôt ils s’empressent d’obéir à mes ordres. Mais je ne les emmenai point tous, car Elpénor, le plus jeune d’entre eux, Elpénor, qui n’était point vaillant à la guerre ni sain d’esprit, s’était éloigné de ses amis pour respirer la fraîcheur dans les demeures sacrées de la déesse. Il s’endormit la tête appesantie par les vapeurs du vin ; dès qu’il entendit le bruit que faisaient mes compagnons, il se réveilla en sursaut, et, dans le trouble de son esprit, au lieu de descendre par l’escalier, il se précipita du haut du toit : par cette chute, les vertèbres du cou furent rompues, et son âme s’envola vers les sombres demeures.
Quand les autres guerriers sont réunis, je leur adresse ce discours :
— Vous croyez sans doute partir pour votre chère patrie, mais Circé nous a désigné une autre route, et nous devons nous rendre dans le ténébreux empire de Pluton et de la terrible Proserpine afin de consulter l’âme du Thébain Tirésias.
A ces mots ils sont brisés par la douleur ; ils s’asseyent tous en gémissant et ils s’arrachent leurs belles chevelures : mais les larmes ne donnent aucun secours aux malheureux affligés ! Nous, tristes et versant des pleurs, nous retournons alors près de notre vaisseau, qui était resté sur les bords de la mer. La divine Circé, qui s’y était rendue, attache dans notre navire un agneau et une brebis noire, puis elle se dérobe facilement à nos regards. Qui pourrait en effet suivre des yeux un immortel qui ne veut point être vu ?

Mélanie lut également le texte et me proposa de participer à la réunion avec Ēléktra, arguant qu’on aurait plus d’idées à trois. J’acceptai avec plaisir.
— Bonjour Ēléktra, fis-je, alors qu’elle venait de se connecter en visio. Beau temps à Athènes ?— Oui, un beau soleil de Grèce et un ciel bleu Méditerranée. Bonjour Alexandra, bonjour Mélanie.— Ici la grisaille parisienne, comme d’habitude ! répondis-je. Tu as reçu l’extrait sur lequel nous souhaitons travailler ?— Oui, pour tout te dire, Alexandra, je ne l’avais jamais lu en français.— Appelle-moi Alex, Ēléktra.— D’accord.— L’idée serait de moderniser le concept des transformations faites par Circé et d’y introduire des changements de sexe, d’homme à femme et de femme à homme.— Ok, je vois…— Il y a plusieurs possibilités : soit Circé change les hommes d’Ulysse en femmes et non en porcs, soit on ne touche pas à cette première métamorphose et c’est dans le séjour d’un an que que cela se produit.— La première version impose une réécriture assez radicale, répondit Ēléktra. La seconde est plus marginale et un ajout. Avec l’histoire du serment fait à Ulysse par Circé, il ne peut y avoir stratagème de sa part.— Oui, fis-je, il n’y a de plus aucun consentement dans la première version si Circé les transforme en femmes. De plus que fait-on d’elles ? On les parque dans un harem ?— Tout cela milite pour la deuxième version, dit Mélanie. Ne modifions rien jusqu’à ce que Circé les invite à rester.— D’accord, fit Ēléktra, l’année qu’ils vont passer avec Circé va être l’occasion de métamorphoses volontaires, comme si Circé voulait les faire profiter de son art.— Excellent, faisons cela, dis-je. Je vous propose d’écrire le nouveau texte et de vous le soumettre. Premier jet pour dans trois jours ? Ok pour vous les filles ?— Ok, fit Ēléktra.— Ok aussi répondit Mélanie.
J’avais un cours à donner à la fac l’après-midi et ne me mettrais en écriture que le lendemain. Une fois le soir venu, je passai une nuit étrange où une très belle femme vînt à moi en rêve.
— Alors jeune mortelle, on s’intéresse à mes pouvoirs et à mon histoire ? Je suis très honorée de voir qu’une « opération » porte mon nom.

J’étais très surprise de me trouver face à la Déesse Circé et ne sus quoi lui répondre.
~ Ne sois pas timide, parle-moi.~ Je… Je…~ Ah, je vois, tu es toi-même une métamorphosée ! Je reconnais là le travail de ma copine d’Amazonie. Tu es une belle femme, Alexandra.~ Merci… Circé !~ C’est moi qui te remercie, avec cette époque moderne où les gens ne lisent plus les classiques, on m’a un peu oubliée, et par ton projet tu vas refaire parler de moi. Cela me plaît, et puis nous autres Dieux et Déesses n’existons que quand les humains pensent à nous, parlent de nous, nous prient… L’histoire est hélas pleine de divinités disparues et puis le dieu supposé unique nous a fait un tel mal en nous traitant de faux dieux et en éloignant les hommes et les femmes de nous. Tu ne peux pas savoir le nombre de copains et de copines que j’ai perdues depuis des millénaires, j’en suis encore et toujours très triste. ~ Je suis désolée pour vous et suis vraiment très honorée que vous appréciez notre projet.~ Je crois que nous allons bien nous entendre. Accepte-tu que je guide ta plume pour cette nouvelle histoire ? Ou plutôt tes doigts car je pense que tu vas écrire sur cette machine abominable que vous appelez ordinateur !~ Euh, oui, enfin je veux dire oui pour les deux points.~ Mais cela sera notre secret. Je crois que tu es familière de ce genre de situation, vu ton deuxième employeur, secret.~ Euh, oui, oui, vous pouvez compter sur moi…~ Je n’en doute pas. Tu sais, je pense que mon Ulysse aurait fait un très bon agent chez vous. J’ai lu ta traduction du manuscrit de Jéromine. J’aurais aimé la connaître.~ Vous n’êtes pas la seule, Circé.~ Tu peux me tutoyer, dans la tradition grecque, les héros tutoient les dieux et les déesses.~ Il en sera fait selon ta volonté.~ Merci Alex, tu es une chique fille. Je pense que tu étais aussi un chic garçon. À bientôt Alex, je serai là auprès de toi quand tu écriras. Je te souhaite une bonne fin de nuit.~ Merci Circé.
(à suivre)
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