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Né de père inconnu.

Chapitre 1

Divers
Ce n’est pas facile de se construire dans la France d’après-guerre quand on ne sait pas d’où on vient. C’est exactement ce que j’ai vécu. Je m’appelle Ernest et je suis né en 1945.
Enfant, quand j’ai demandé à ma mère qui était mon père, elle a éludé la question. Puis un jour, quand elle a jugé que j’étais assez grand, et surtout pour calmer mes interrogations, elle m’a dit qu’elle avait eu une courte relation avec un soldat américain venu libérer la France et qu’il était parti très vite sans prévenir. Elle m’avait donné un nom et une photo que j’ai gardée religieusement durant des années.
J’ai longtemps vécu avec cette illusion et J’en étais fier jusqu’à ce qu’un jour je puisse m’offrir un voyage aux USA. Officiellement, je partais en vacances, mais en réalité J’y allais pour tout autre chose. J’avais passé le demi-siècle et mes enfants étaient grands. Avec ma femme, on a pris l’avion, direction Los Angeles. Mon but était le bureau de liaison de l’USAF sur Wilshire Boulevard. J’espérais y trouver des renseignements sur mon père, retrouver sa trace, et pourquoi pas le rencontrer.
Ça faisait longtemps que je prévoyais un tel voyage. Depuis la naissance de mes enfants, en fait. Jouer avec eux, les voir grandir, ça avait progressivement réveillé chez moi ce désir de connaître mes origines, ou du moins ça l’avait grandement renforcé car j’ai toujours secrètement rêvé de me retrouver en face de mon père biologique. Depuis ce moment, je n’ai cessé de me renseigner comme je le pouvais, mais sans succès ; nous n’étions pas à l’air d’Internet à l’époque et, en plus, il me fallait travailler. Je n’avais que très peu de temps pour moi. C’est lors d’un voyage à Paris où j’ai rencontré une femme par hasard, fille elle aussi d’un soldat américain, que j’ai eu un début de piste.
Cette femme m’avait raconté que son père avait dû partir précipitamment, du jour au lendemain. Mais sa mère, qui semblait avoir plus d’infos sur lui que la mienne n’en avait sur mon père, a fini par retrouver sa trace. Ma nouvelle amie me raconta qu’il y avait un bureau de liaison à Los Angeles, et qu’un département pour les enfants nés comme nous d’unions franco-américaines existait. J’ai donc préparé ce voyage, mais ça a pris du temps. Un tel voyage coûtait cher, et avec ma femme qui m’a toujours soutenu, on avait nos enfants.
C’est donc une fois que mes enfants ont été grands que je pouvais m’absenter, et surtout me payer ce voyage, que je suis parti. Après un vol interminable, je n’avais qu’une hâte en descendant de l’avion : prendre un taxi direction Wilshire Boulevard. Mais il était préférable d’aller à l’hôtel d’abord pour se reposer et se laver. Je misais beaucoup sur ce voyage, trop selon mon épouse qui m’avait mis en garde sur la possibilité de revenir bredouille.
Le lendemain, j’étais devant le bureau de liaison, anxieux. Dans ma main droite, je tenais mon dossier avec les maigres infos que j’étais parvenu à avoir. Ma femme me tenait l’autre main pour me donner du courage. Nous sommes entrés, et ma femme a tenu le rôle d’interprète, n’étant pas certains d’avoir un niveau d’anglais suffisant. Nous y sommes restés plusieurs heures. Après avoir exposé mon histoire et ma démarche, ils ont fait des copies des documents que j’avais, ont pris mes coordonnées et m’ont dit qu’ils me recontacteraient. Ayant eu de nombreuses demandes de ce type depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, et compte tenu qu’il allait falloir fouiller dans les registres de l’époque, ils m’ont bien signifié que ça allait prendre du temps. Je suis sorti de cet entretien plein d’espoir, mais également inquiet qu’ils ne m’annoncent une mauvaise nouvelle.
Comme nous étions là pour quinze jours, on en a profité pour jouer les touristes et on s’est bien amusés. La veille de notre départ, nous sommes retournés au bureau de liaison, mais ils n’avaient aucune nouvelle. Moi qui espérais tant revenir avec des infos, c’était raté.Ce n’est que plusieurs mois plus tard qu’un courrier est arrivé chez moi. Dans ce courrier, il était mentionné qu’il leur avait été impossible de retrouver mon père. Le nom que je leur avais donné était inconnu au bataillon et la photo correspondait à celle d’un vieux journal des années 40 n’ayant aucun rapport avec l’armée américaine. A ce moment-là tout s’effondra.
C’est là que je suis allé voir ma mère qui fut surprise de savoir que j’étais allé aussi loin pour retrouver mon père. Devant tant de détermination, elle m’avoua m’avoir menti. J’étais furieux car durant tout ce temps j’avais vécu dans le mensonge. Je me suis mis à envisager toutes les possibilités. Je savais que ma mère et ses parents était juifs, mais elle m’avait élevé de manière laïque. C’est pour ça que je n’avais pas été circoncis et que j’avais mangé du porc régulièrement durant mon enfance. Ma mère ne voulait pas que je sois différent des autres. Je savais aussi que ses parents avaient été embarqués par les Allemands deux ans avant ma naissance. Ma mère m’avait eu à dix-neuf ans. Pour m’avoir menti, elle avait dû vivre des horreurs, mais je voulais savoir. J’étais même prêt à envisager qu’elle ait couché avec un soldat allemand pour sauver sa vie ou que sais-je encore. Vu les circonstances de l’époque, j’étais prêt à lui pardonner, mais je voulais savoir. Devant son mutisme, je suis reparti fâché, et nos rapports complices depuis toujours se sont dégradés.
Durant les années qui suivirent, je ne suis quasiment plus allé la voir. Nos rapports étaient devenus tendus jusqu’à ce qu’en 2002, ma mère tombe malade. Ça sentait la fin et j’ai arrêté de jouer au con. Je suis allé la voir dans sa chambre d’hôpital où elle avait été admise ; elle n’allait vraiment pas bien. Durant des années, elle avait été tout pour moi et j’avais toujours été tout pour elle. Elle ne s’était jamais mariée et n’avait pas eu d’autres enfants. Elle avait bien eu quelques relations passagères, mais pas assez sérieuses pour que ça donne quelque chose. Peut-être avait-elle vécu un évènement traumatisant qui l’avait poussée à ne pas aller plus loin ? Je me suis excusé, on a parlé ; mais comme elle était très fatiguée, le docteur m’a demandé de la laisser. C’est en partant qu’elle me glissa dans la main un petit bout de papier.
Je suis reparti, et c’est dans la voiture que j’y ai lu ces quelques mots : « Sous le vieux chêne dans mon jardin, tu trouveras un début de réponse. » Depuis aussi longtemps que je me souvienne, elle avait toujours vécu dans la même maison avec un petit jardin. C’était une masure qui appartenait à un couple qui l’avait logée. Ce couple ayant perdu leur fils à la guerre, ils nous avaient recueillis au point qu’ils nous considèrent comme de la famille. Je les avaient toujours vus comme mes grands-parents. Quand ils sont morts, j’avais quinze ans, et ma mère a hérité de la maison. Dans ce jardin, il y avait un chêne, aujourd’hui centenaire, et je me souviens qu’elle avait planté des fleurs autour de lui à une certaine époque. Je connaissais ma mère : peut-être y avait-elle caché autre chose ? Des informations sur mes origines, peut-être, enterrées dans le jardin ? Par respect pour elle, j’ai décidé alors de ne me lancer dans cette nouvelle quête qu’après son décès.
Ce n’est que quelques semaines plus tard, le jour de son enterrement, qu’une jeune femme qui travaillait à la maison de retraite m’approcha. Elle avait sympathisé avec ma mère et était présente pour lui rendre hommage. Elle était là également pour me donner une enveloppe contenant une lettre ainsi qu’une petite clé. Ce n’est qu’une fois rentré chez moi que je l’ai lue.
« Mon cher petit,Je sais que tu as toujours voulu savoir qui était ton père, et c’est légitime. La vérité, c’est que cette histoire, je ne veux plus en en entendre parler. Elle fut traumatisante et je n’ai plus le courage de l’affronter en face de nouveau.Tu trouveras une boîte enterrée au niveau des racines du vieux chêne, dans le jardin. Tu y trouveras un début de réponse.Même à distance et à l’écrit, je n’ai pas le courage de tout te dire tellement j’ai honte de ce que j’ai vécu.J’espère que tu me pardonneras,Ta maman qui t’aime. »
Visiblement, mon histoire devait être chaotique. J’étais à la fois pressé de savoir mais aussi inquiet de ce que j’allais découvrir. C’est avec ma femme et mon fils aîné que nous sommes allés chez ma mère. Nous avions prévu de vendre sa maison après l’avoir vidée, mais avant il me fallait creuser. Mon fils et moi avons creusé tout le parterre de fleurs autour du tronc sur une certaine épaisseur quand mon fils trouva la fameuse boîte, et c’est tous les trois que nous en avons examiné le contenu.
C’était une boîte en fer à la peinture écaillée, verrouillée par un cadenas. J’ai alors sorti la petite clé qui accompagnait la lettre et j’ai ouvert la boîte. Dedans, j’ai trouvé une vingtaine de cahiers, chacun étant estampillé d’une année. En prenant le premier et en feuilletant les premières pages, j’ai vite compris que c’était une sorte de journal intime car j’y ai lu des évènements que j’avais vécus. Comprenant ça, j’ai de suite regardé les dates, mais malheureusement le premier commençait en 1946. Ayant confiance en ma mère, on se les est distribués et on les a lus tous les trois.
A la fin de la lecture, je n’avais rien appris de plus que je ce savais déjà, si ce n’est que ma mère avait fait beaucoup de sacrifices pour me garder avec elle. C’est alors que je commençais à désespérer que ma femme m’interpella. Dans le tout premier, une phrase avait retenu son attention. Elle venait d’arriver en ville et avait trouvé refuge dans une pension.
« J’ai enfin trouvé un travail. Avec des efforts, je vais pouvoir élever mon petit Ernest. J’ai eu peur de devoir l’abandonner, mais tout semble s’arranger. Il ne me reste plus qu’à trouver un logement et je pourrai enfin gommer de ma vie ce qui s’est passé au Bois Brûlé. »
« Le Bois Brûlé », ce nom ne me disait rien. Heureusement, mon fils a fait des recherches pour moi sur Internet qui commençait à se démocratiser, et il a découvert un lieu-dit de ce nom à plusieurs centaines de kilomètres de la ville, dans un trou perdu. C’est comme ça qu’avec ma femme nous y sommes allés, en espérant ne pas se tromper.
Une fois dans le village, on s’est dirigés vers la mairie. A côté de l’hôtel de ville, il y avait une stèle avec des noms gravés dessus et une phrase : « A nos chers disparus, victimes de la barbarie. » En regardant les noms, j’ai tout de suite vu « Simon et Rachel Weber » : mes grands-parents qui s’étaient volontairement sacrifiés pour sauver ma mère, d’après ce qu’elle m’avait dit.
Une fois dans la mairie, nous avons eu la chance de croiser le maire. Un homme un peu plus âgé que moi, visiblement. Quand je lui ai exposé la raison de ma venue, il nous a guidés dans son bureau.
— Alors comme ça, vous vous appelé Ernest Weber. Il y a un lien avec Simon et Rachel dont les noms sur gravés sur le monument aux morts ?— Oui : c’étaient mes grands-parents. — Vos…. vos grands parents ? Vous êtes le fils de Sarah Weber ?
Le fait qu’il connaisse le nom de ma mère était bon signe : j’étais sur la bonne voie.
— Oui, et d’après ce que j’ai appris, ma mère aurait vécu ici quelque temps.— Je me souviens de ce qui s’est passé. A l’époque, je devais avoir six ou sept ans. Les Weber avaient fui leur maison à cause des Allemands et s’étaient réfugiés dans la ferme du vieil Hyppolite. Il leur offrait le gîte et le couvert en échange de travaux à la ferme. Malheureusement, quand les Allemands sont arrivés, vos grands-parents ainsi que le père du vieil Hyppolite ont été fusillés dans la cour de la ferme. Tout le monde au village savait que leur fille, Sarah, qui devait avoir dix-sept ans à l’époque, était là, mais personne n’a rien dit. On n’a jamais su ce qu’elle était devenue jusqu’à ce qu’avec mon frère aîné nous la croisions en 1945. Elle nous a demandé de l’aider à s’enfuir. A l’époque, je ne comprenais pas, mais on l’a aidée. Elle a pris son bébé de quelques mois à peine avec elle, une valise bouclée à la va-vite, et on est partis avec elle car Hyppolite revenait. Nous n’avions pas le droit de venir jouer là-bas à l’époque, et Hyppolite était un homme ronchon depuis qu’il avait perdu son père. Je suppose que cet enfant, c’était vous ?— Sûrement. Je dois trouver cette ferme. Je ne sais pas qui est mon père. Il est sûrement mort, d’ailleurs, mais je veux savoir.— …. Vous allez sûrement être déçu. — Pourquoi ? Vous savez quelque chose ?— …. Non, mais… Hyppolite, sûrement. Le seul qui aurait pu vous renseigner est mort en 1986 à l’âge de 83 ans. Même si son fils et son petit-fils ont repris la ferme, je doute qu’ils aient des informations.
Le maire me montra sur une carte où était cette ferme et nous y sommes allés. J’avais senti de la gêne dans la voix du maire. J’étais certain qu’il savait quelque chose qu’il n’a pas voulu me dire. C’est avec empressement que nous nous sommes dirigés vers cette ferme. Quand nous sommes arrivés, un jeune homme, approximativement la vingtaine, sortait de la maison ; il est, de suite, venu nous voir.
— Messieurs-dame, bonjour. En quoi puis-je vous aider ?— Bonjour. Je me présente : je m’appelle Ernest Weber, et je suis à la recherche de mon passé. Ma mère aurait vécu ici durant quelques années à la fin de la seconde guerre mondiale.— Ah, oui… Ça ne date pas d’hier. Celui qui aurait pu vous aider, c’est papy, mais il est mort. Je doute que Papa en sache davantage sur les évènements de cette époque. Attendez, je vais l’appeler.
Le jeune homme nous fit entrer et nous proposa un café. Pendant qu’il était parti téléphoner à son père, ma femme me tenait la main pour me soutenir. Depuis la pièce à côté on entendait ce que ce jeune homme disait à son père.
— Salut, papa. Dis-moi, je t’appelle car un homme est arrivé à la ferme pour en savoir plus sur ce qui s’est passé ici durant la guerre. — ….— Il dit être à la recherche de son passé.— …— Il s’appelle Ernest Weber, et… Allô, Papa, je ne t’entends plus.— …— Oui… Comment ça ? Quelle boîte ?— …— Dans la vieille armoire ? OK, je vais aller voir.— …— Ah ouais… quand même… OK, je comprends… A tout à l’heure.
Il partit très vite en direction d’un hangar et en rapporta une boîte.
— J’ai eu mon père au téléphone. Curieusement, votre nom semblait lui être connu. Il s’est passé des choses graves ici durant la guerre, et mon père a précieusement conservé des documents d’époque. Il m’a dit de vous donner ça. Ce sont des cahiers qu’il a trouvés un jour dans la vieille grange en ruines. Ce serait un genre de journal intime d’une jeune fille ayant vécu ici.— Une jeune fille ? Ma mère ?— Ça, je ne sais pas. Mon père doit le savoir ; d’ailleurs il arrive. Il semble vouloir vous parler. — Merci… Je pourrais être seul ? — Oui, bien sûr. Je vais vous installer dans le bureau de papa. En attendant, je vais faire visiter la ferme à votre femme.— Merci.
J’étais seul face à cette boîte. Quand je l’ai ouverte, j’y ai vu des cahiers ressemblant à ceux que j’avais trouvés chez ma mère. J’ai de suite reconnu son écriture.
Je pris le premier qui portait la date 1942. Ma mère y décrivait ce qu’elle avait vécu. Avec ses parents, ils avaient fui leur maison. Comme les Allemands persécutaient les Juifs, ils ont fait route vers un petit village de campagne. Là-bas, ils ont rencontré un homme – un certains Raoul – d’un âge avancé, accompagné de son fils Hyppolite qui approchait la quarantaine. Ils ont été accueillis, et en échange de travaux à la ferme, ils ont eu droit au gîte et au couvert. Ils n’étaient pas riches, et c’était là tout ce qu’ils pouvaient offrir.
En 1943, elle y décrivait leur vie toute simple mais relativement heureuse. C’est au début de l’année 1944, alors que ma mère avait dix-sept ans, que les Allemands ont débarqué pour une chasse aux sorcières. On raconte qu’ils se seraient « invités chez l’habitant » et que certains n’hésitaient pas à abuser des jeunes filles du village. Ce serait l’une d’elles, pour tenter d’éviter de passer à la casserole, qui aurait parlé de ma famille. Les Allemands sont arrivés, ont trouvé mes grands-parents, les ont alignés avec le vieux Raoul puis les ont abattus devant Hyppolite.
En lisant ces pages, je voyais des lettres partiellement effacées par des gouttes ; des larmes, sûrement. Ma mère se retrouva donc seule avec Hyppolite dans la ferme isolée de tout où elle restait souvent cachée car les Allemands débarquaient parfois pour piller les récoltes ou le bétail. Quand Hyppolite lui apportait son repas, cachée dans la grange, ma mère décrivait la colère que semblait ressentir son hôte. Cette impression fut confirmée quand il lui dit directement : « Sans vous, mon père serait encore là. Estime-toi heureuse de ce que je te donne. » Cet homme avait promis à son père de veiller sur elle, mais à contrecœur. Autant dire qu’il pouvait changer d’avis à tout moment. Ce n’est que durant l’été 1944, alors que ma mère venait de fêter ses dix-huit ans, que commença « l’enfer », comme elle le mentionne.
Plus ça allait, moins il y avait à manger à cause des Allemands qui venaient se servir. Depuis sa cachette, quand Hyppolite avait de la visite, elle entendait ce qui se passait. Les Allemands avaient investi la mairie et n’hésitaient pas à prendre ce qu’ils voulaient. Les rares familles qui s’en sortaient étaient celles dont les femmes avaient accepté de coucher avec l’ennemi en échange de nourriture ou d’un meilleur traitement. Bref, la situation de ce village agricole était plus que mauvaise.
C’est quelques pages plus loin que j’ai lu une phrase qui m’a glacé d’effroi : « Hyppolite ne me donne quasiment plus à manger. Je ne veux pas que la mort de mes parents n’ait servi à rien. J’espère que, d’où ils sont, ils me pardonneront pour ce que je me prépare à faire pour convaincre Hyppolite de me garder et de me donner à manger. »
Au toucher de la page suivante, elle semblait avoir été mouillée par des gouttes. Quand je l’ai tournée, j’y ai lu : « Je viens de passer un marché avec Hyppolite. Il accepte de me donner un peu plus en échange de gâteries. J’espère que ça lui suffira et qu’il ne me demandera pas de sacrifier ma vertu. » A la lecture de cette phrase, j’ai eu les larmes aux yeux. J’imaginais ma mère, cette innocente jeune fille, obligée de sucer ce type pour obtenir à manger. Je commençais à redouter et à deviner l’identité de mon père biologique. Il me fallait savoir, alors j’ai continué ma lecture. Plus loin, je lisais « Malgré notre accord, Hyppolite me donne toujours aussi peu. Il menace même de me livrer. Plusieurs fois je l’ai vu avec le visage amoché : les Allemands ont dû le frapper. Si je veux survivre, je vais sûrement devoir commettre l’irréparable. »
J’avais peur de la suite car la page suivante avait visiblement fait l’objet d’une averse lacrymale. C’est avec appréhension que je l’ai tournée pour y lire : « Hier, Hyppolite m’a déflorée. Il était tout heureux d’être mon premier et m’a juré de prendre soin de moi si j’acceptais de me laisser faire à chacune de ses visites. J’ai peur de la suite… » C’est la larme à l’œil que j’imaginais ma mère allongée dans la paille de la grange, les cuisses écartées, avec ce sale type allongé sur elle en train de profiter d’elle. Je commençais à comprendre pourquoi elle ne m’avait rien dit : elle avait honte d’avoir dû s’offrir à ce sale type. Quand j’ai appris qu’elle m’avait menti, j’étais prêt à tout envisager, même être le fils d’un soldat allemand avec qui elle aurait couché pour qu’il la laisse partir. Je me croyais suffisamment fort pour encaisser tout ça ; il n’en était rien. Selon la date, ces évènements avaient eu lieu un an avant ma naissance ; le débarquement en Normandie n’allait pas tarder. Peut-être que mon père allait faire son apparition, pensai-je naïvement.
Au fur et à mesure des pages, elle racontait que depuis qu’elle couchait avec Hyppolite, elle mangeait mieux, et à sa faim. Au moins, il tenait parole. Les pages n’étaient plus datées. Elle ne relatait les évènements que dans les grandes lignes et ne les datait que si c’était important. A chaque page, j’attendais que quelqu’un vienne pour la délivrer, un héros qui pourrait être mon père ; mais rien, personne ne venait. J’ai vraiment eu la certitude de l’identité de mon père quand j’ai lu cette phrase : « Comme tous les jours, Hyppolite vient de me quitter, le sourire aux lèvres après m’avoir prise. L’automne approche ; c’est la deuxième fois que mes règles ne viennent pas, et cela fait un moment que je suis malade tous les matins. Malheureusement, je sais ce que ça veut dire. J’ignore comment il va réagir quand je vais le lui dire. »
Cette phrase était approximativement datée d’un peu plus de six mois avant ma naissance. Ça y est : je savais, et j’avais envie de tout casser ! Toutefois, je voulais connaître la suite. En lisant le dernier cahier – celui de 1945 – je constatai que nulle part n’était mentionnée la libération du village par les Américains. Ils avaient pourtant dû passer depuis longtemps : Paris avait été libérée à ce moment-là. Ma mère relatait qu’Hyppolite était ravi de devenir papa et qu’il comptait l’épouser. Ma mère mentionnait son dégoût pour cet homme et n’avait aucune envie de ça : elle voulait tenter de partir, mais son état l’en empêchait. Malgré tout, pour la fin de sa grossesse, son geôlier était aux petits soins pour elle. Mais vu la manière dont elle en parlait et le fait qu’il continuait à vouloir coucher avec elle, ces petites attentions ne semblait rien lui faire.
« Février 1945 ; je viens d’accoucher d’un petit garçon. Hyppolite est tout fou et veut l’appeler Gontran. Je trouve ça ridicule. Moi, je veux l’appeler Ernest. Je joue la malade fatiguée, mais en fait je réfléchis à un moyen de partir. Je vais sûrement passer par les bois. J’ignore encore si je vais emporter le bébé avec moi. Parfois, j’entends des enfants non loin. Il va falloir faire très attention si je ne veux pas qu’on me voie. » Ma mère ne semblait pas ressentir grand-chose pour moi. Je m’apprêtai à lire la suite, mais il n’y avait plus rien.
Je me souvenais de ce que le maire nous avait dit : il avait aidé ma mère à partir, et j’étais tout jeune, visiblement. Elle avait sûrement dû partir en catastrophe en laissant ses cahiers. J’étais là à ressasser les reproches que je lui avais faits, et dans ma tête je me dis « Tu es toute pardonnée. » J’étais assis à encaisser ma découverte quand j’ai entendu une voiture arriver. Depuis la fenêtre, j’ai vu un homme en sortir et courir vers la maison. C’était visiblement le père du jeune homme qui nous avait accueillis.
— Bonjour, Madame ; je suis Jules, propriétaire des lieux. Vous êtes Madame Weber, je suppose ?— En effet.— Votre mari est là ?— Oui, il est dans la pièce à côté.— Il est important que je lui parle. Je sais ce qu’il a lu dans la boîte, et ça risque de ne pas lui plaire. Antoine, prépare-lui quelque chose de fort, il va en avoir besoin.
Quand cet homme est entré dans la pièce, j’avais bien compris qu’il était mon frère. J’étais debout face à la fenêtre, lui tournant le dos. Lui comme moi étions mal à l’aise. Il m’a dit que les enfants ayant aidé ma mère avaient raconté à tout le village ce qu’ils avaient vu. Certains les ont crus, d’autres non. Aux yeux des gens, Hyppolite était devenu soit un héros pour avoir caché une jeune fille aux Allemands, soit un salaud pour en avoir abusé et l’avoir gardée avec lui après la libération. Malgré cette réputation, Hyppolite s’était quand même marié et avait eu un enfant, lui. Mais à cause de cette rumeur et du regard des autres, il était devenu irascible et désagréable au quotidien.
Ce frère que je venais de découvrir me révéla que c’était lui qui avait découvert les cahiers en voulant vider la vieille grange qui était à l’abandon. A ce moment-là, Hyppolite était en maison de retraite et avait un début d’Alzheimer. Furieux, il alla lui demander si tout ce qu’il avait lu était vrai. Il était même allé jusqu’à le frapper, mais son père perdait déjà la boule. Il fut « aimablement » reconduit à la sortie, sachant qu’il avait un frère quelque part, un frère qui venait de refaire surface. Cet homme, que je m’interdisais de considérer comme mon père, était loin d’être un modèle de vertu. Il avait l’air sévère, et pas forcément facile à vivre.
J’ai quand même voulu voir sa tombe. Une fois devant, je n’ai pu m’empêcher de cracher dessus. Mon frère n’a rien dit en me voyant faire. Il comprenait ce que je ressentais. En sortant, monsieur le maire qui nous avait vus entrer dans le cimetière est venu nous voir ; il a alors compris que les rumeurs de séquestration sur ma mère étaient vraies. Je l’ai remercié pour avoir aidé ma mère à s’enfuir.
Après ça, nous ne sommes pas restés. Étant encore sous le choc de cette journée, c’est ma femme qui a conduit au retour. Mes enfants avaient appris ce que j’avais découvert. Il m’a fallu du temps pour véritablement m’en remettre, grâce à leur soutien. C’est plusieurs mois plus tard que j’ai finalement recontacté mon frère. Visiblement, lui comme moi avions envie de faire fi du passé et d’apprendre à nous connaître. Avec le temps, on a fini par se revoir. Occasionnellement tout d’abord, puis de plus en plus souvent. Je n’ai exigé qu’une chose de lui : qu’il me laisse mettre le feu à cette vieille grange pourrie qui tombait en ruines, dont il ne se servait pas et où ma mère avait vécu recluse. Plus tard, j’ai aussi appris que ce qu’avait fait mon « géniteur » s’était répandu dans tout le village. Sa tombe avait plusieurs fois été retrouvée taguée.
Depuis, avec mon frère, on se voit souvent, et surtout depuis qu’il est devenu grand-père. Moi, je l’étais avant lui, et il est aussi gâteux que moi avec ses petits-enfants, ce qui est source de franche rigolade entre nous. Le voile d’ombre qui entachait mon passé est enfin levé. Même si ce fut une épreuve difficile, aujourd’hui je vis bien, presque soulagé. Je vais souvent me recueillir sur la tombe de ma courageuse maman qui malgré tout m’a gardé et a fait de son mieux pour me préserver durant mon enfance.
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