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Piégé par la fille du patron

Chapitre 1

Trash
  Trente-cinq mille dollars. La somme restait modeste en soi, mais suffisante pour lui attirer de sérieux ennuis. Le terme représailles semblait plus approprié si on considérait la nature de son employeur, Savva Saratov, un oligarque à la réputation sulfureuse. Mis en cause dans de multiples affaires, ses avocats, des procéduriers capables de trouver la moindre faille dans un dossier d’accusation, l’avaient toujours sorti du pétrin.
 Toujours est-il que l’argent détourné initialement n’avait pas rapporté le montant prévu. Malheureux au jeu, Feodor avait « emprunté » des sommes supplémentaires pour se refaire. La chance l’avait déserté et le total dû atteignait désormais un nombre à cinq chiffres.Feodor se voyait par avance plongé dans les eaux froides de la Volga, deux balles de gros calibres dans la nuque.
  — Bonjour Feodor, vous me paraissez bien soucieux.
  La belle Tatiana Saratov encadrait sa silhouette gracieuse à l’entrée du bureau.
  — Bonjour mademoiselle Saratov, je ne vous avais pas entendue.
  Sans répondre, la brune de dix-neuf ans prit place à côté de lui. Son parfum capiteux, acheté dans le magasin le plus prestigieux de Saint-Pétersbourg, ajoutait encore à son charme. Épuiser la liste de tous les superlatifs restait insuffisant pour décrire son pouvoir de séduction sur la gent masculine. On murmurait qu’elle avait repoussé les avances de quelques représentants du gratin local.Sa conduite familière en paraissait d’autant plus surprenante. Jusqu’à présent, elle l’avait superbement ignoré. Sa présence s’avérait très sporadique, juste de quoi justifier son salaire considérable en tant que membre du conseil d’administration. Placé comme il l’était, Feodor pouvait contempler à loisir la fille de son patron, insigne honneur doublé d’un plaisir rare qui lui faisait oublier — momentanément — ses tracas.La régularité des traits, la fermeté de ses chairs et ses courbes parfaites, tout donnait à penser à un profil de statue grecque taillée dans le marbre blanc.
  — Vous me prenez pour une jeune allumeuse mondaine ?  — Heu, je…  — Parce qu’en fait, j’ai l’œil sur tout ce qui touche aux affaires de mon père. Par exemple, il serait mécontent qu’un larbin tente de lui dérober de l’argent.  — …  — Mais qui aurait cette témérité suicidaire, n’est-ce pas ?  — Je ne sais pas…  — Ce que je sais, c’est que trente-cinq mille dollars ont disparu de la réserve de devises, ajouta-t-elle en se rapprochant de lui.
  Il sentait la chaleur de ce corps juvénile irradier contre son épiderme tandis que le visage s’éclairait d’un sourire.
  Les longs doigts manucurés tapotaient nerveusement sur la surface du bureau entre les dossiers et le café qui refroidissait sans que Feodor songe à le boire.
  — Qui est assez débile pour tenter un coup pareil ? Non seulement il défie mon père mais il me prend pour une conne de première.
  Le sourire virait à l’aigre. Les lèvres chargées s’entrouvraient pour laisser voir les dents blanches au milieu desquelles la langue dardait, passant sur la lèvre inférieure retroussée en une moue que Feodor aurait trouvée délicieuse en d’autres circonstances.
  — Et tout indique que c’est toi, grosse merde.
  Était-ce un effet de l’insulte, du tutoiement soudain ? Toujours est-il que Feodor sentait la température monter ; tout le contraire de son café dont la couleur noire aux reflets marronnasse suscitait des idées cafardeuses. Un goût bizarre, comme celui d’une sorte de mousse pourrie, lui envahissait la bouche. Il éprouvait l’impression de mâcher une saloperie tirée d’une poche de vase molle et croupie.
  — Mais, je n’ai…  — Putain arrête ! Ferme ta gueule ! Je sens que tu vas me sortir une connerie.
  Le ton n’admettait aucune réplique. En un sens, tant mieux. Feodor était trop occupé à ravaler sa bile pour ouvrir la bouche.
  — Alors, écoute-moi bien, tu es un larbin ici, un insignifiant, une sorte d’erreur merdeuse, et compte sur moi pour te le rappeler.
  L’univers entier semblait se réduire aux dimensions de ce bureau. Feodor n’existait plus que dans ce point de temps et d’espace. Les propos acerbes se déversaient sur lui avec une effarante régularité, éructés par cette jolie bouche aux lèvres brillantes de gloss.
  — Si tu ne veux pas que je mange le morceau, tu as intérêt à m’obéir sans restriction.  — Ne dites rien et je ferai ce que…
  Une gifle cinglante lui coupa le souffle en même temps que la parole.
  — C’est moi qui impose mes conditions. Les voici grosse merde, tu te soumets sans discuter et je ne raconte rien à mon père. Les choses se feront dans cet ordre. J’ai la possibilité de combler le bête trou que tu as laissé dans le stock de devises. Si j’agis dans l’immédiat, personne ne s’en apercevra.
  L’expression sur le visage de son interlocuteur, mélange de peur tempérée d’espoirs incertains, réjouit Tatiana. Elle mit provisoirement fin au tourment de Feodor et lui tendit une feuille de papier.
  — Tiens, prends ce stylo et marque ce que je vais te dicter.
  Désireux d’apaiser le courroux de l’irascible jeune fille, Feodor commença à écrire :« Moi, soussigné Feodor Elkine, reconnais avoir dérobé trente-cinq mille dollars de devises à mon employeur, monsieur Savva Saratov. »Une main impatiente se saisit du document. Après relecture, Tatiana exigea une signature, juste sous son index qu’elle appuyait en bas à gauche du feuillet.Feodor signa distraitement, obnubilé par ce doigt à l’ongle soigneusement lustré d’un vernis dont la couleur indécise entre le mauve et le bleu nuit lui provoquait quelque transport intérieur.
  — OK, je vais régler ton problème de suite et conserver cette confession en lieu sûr. Inutile de te préciser quel usage je pourrais en faire en cas de comportement inapproprié.
  Le silence de Feodor parut satisfaire Tatiana qui s’assit sur le bureau après en avoir jeté à terre ce qui l’encombrait.Dans cette position, la jeune fille dominait son souffre-douleur, augmentant ses complexes. Feodor pouvait détailler Tatiana dans des conditions inédites. La taille fine, la chute de reins et la courbure de la lourde poitrine l’hypnotisaient.
  — Mets-toi à genoux.
   Le ton n’admettait aucune réplique et Feodor se retrouva le visage à hauteur de la ceinture. Tatiana lui fit signe de se reculer et déplia ses jambes soulignées dans le pantacourt.
  — Retire mes chaussures.
  Feodor s’empara des souliers en cuir noir lustrés avec soin et entreprit de les délacer. Un verni du même ton que les mains rehaussait les pieds. La couleur sombre mettait en valeur leur blancheur. De quoi relativiser l’odeur assez forte qui s’en dégageait, conséquence de la chaleur estivale associée au port de ces chaussures démunies du moindre orifice pour laisser les pieds respirer.Tatiana suivait les opérations avec attention, un mauvais sourire au coin des lèvres.
  — Marcher toute la matinée dans ces chaussures m’a échauffé les pieds. J’ai besoin d’un massage, une tâche toute trouvée pour un larbin comme toi. Allez, vas-y.
  Le contact avec les pieds lui fit monter un grand frisson le long de la colonne vertébrale. Une sueur tiède lui humidifiait la racine des cheveux tandis qu’il entreprenait une palpation maladroite. Les mouvements saccadés et indécis déplurent à la donzelle.
  — Même pas capable d’exécuter un travail de larbin. Applique-toi ou tu auras des problèmes.
  Les mains tremblantes humectées de la transpiration des pieds, Feodor s’efforça de recouvrer son calme et de donner plus de précision à ses gestes.Tatiana semblait se détendre et prenait ses aises sur le bureau tandis que son valet de pieds continuait à œuvrer, le corps courbaturé et le sang à la tête.Sur ordre de sa tourmenteuse, il procéda également au massage des chevilles avec la même application. Après ces préliminaires, Tatiana rompit le silence pesant.
  — Maintenant, on va passer aux choses sérieuses. Tu vas me briquer tout ça.
  Devant l’air interrogateur de son soumis, Tatiana précisa d’une voix méprisante :
  — Avec la langue, imbécile. Tu la sors et tu nettoies à fond.
  Bien que d’aspect soigné et plaisants à regarder, ces pieds moites et odorants rendaient la tâche peu agréable. Feodor hésita un instant, suffisamment pour que Tatiana lui porte un coup de pied sur la tête.
  — Alors, tu te bouges oui ou merde ?
  Le ton de la voix et l’expression du visage incitaient à obéir sans discuter. Feodor sortit la langue en une mimique peu assurée qui amusa beaucoup Tatiana. Son rire cristallin envahit l’espace confiné, ajoutant à l’humiliation de Feodor qui entreprit de lécher la peau veloutée des pieds. À présent, il pouvait en apprécier toute l’odeur doucereuse tandis que ses papilles se chargeaient de leur saveur écœurante. Le cuir et la chaleur avaient œuvré et la sudation abondante charriait tout ce que Feodor refusait de voir en ces instants de désarroi.La transpiration salée disparaissait graduellement sous les coups de langue hésitants. Lécher la sueur des pieds de cette peste de dix-neuf ans lui retournait l’estomac tant cette pensée lui était honteuse.Seule la texture douce des pieds atténuait le désagrément de cette tâche labiale.
  — Pas mal, j’ai enfin trouvé quelque chose dans tes cordes mais nettoie bien de partout.
  Tatiana écarta légèrement les orteils comme si elle voulait faire circuler l’air vicié entre eux.
  — Entre les orteils aussi, tout doit être parfaitement propre.
  Le rouge aux joues, Feodor s’exécuta et entreprit de curer les interstices sur les ordres de sa nouvelle maîtresse.Les espaces collants dégageaient une odeur à la fois rance et piquante, renforçant l’aspect dégradant de la besogne.Sa tâche terminée, Feodor vit Tatiana se livrer à une vérification minutieuse de ses pieds dont elle explora les recoins avec un soin maniaque. Elle prenait un malin plaisir à inspecter les zones les plus inaccessibles, se délectant à l’avance de ce qu’elle pourrait faire subir à son toiletteur en cas du moindre oubli.Satisfaite de son examen de détail, elle obligea Feodor à la rechausser, ce qu’il accomplit avec fébrilité. La lubrification par la salive abondante rendit l’affaire aisée, le laçage des souliers constitua pour lui une besogne plus ardue du fait de sa position et de l’exiguïté du lieu.Tatiana redescendit du bureau d’un bond, avec une souplesse qui surprit Feodor.
  — Je vais de suite corriger ta connerie, je voudrais t’éviter des ennuis, un larbin comme toi, ça ne court pas les rues.
  Elle se saisit du café et considéra un instant le breuvage froid avec une moue dégoûtée.
  — Et tu comptes boire cette pisse ?
  Sans attendre de réponse, elle poursuivit :  — Un café crème, c’est ça qu’il te faut !
  Elle se racla la gorge et expédia un gros crachat dans le gobelet. La salive épaisse surnageait à la surface en un agglomérat filamenteux.
  — Tiens, bois ! ordonna-t-elle en lui tendant le récipient.
  Feodor abaissa les paupières pour s’épargner la vue de cette expectoration qui l’écœurait plus que tout.
  — Tu as raison, fermes les yeux pour mieux apprécier l’arôme, dit la jeune fille d’un ton ironique.
  Malgré ses efforts pour faire passer le breuvage directement dans sa gorge, la langue plaquée au plancher de la bouche, il eut l’impression de sentir le crachat s’écouler dans son œsophage.
  — C’est bien, larbin, maintenant, nous allons partir sur de nouvelles bases concernant nos relations, et tu vas même y trouver ton compte.
  Sur cette phrase sibylline, elle quitta le bureau et disparut dans le couloir administratif.Rendu à sa solitude, Feodor prit la mesure du désastre. Seul point positif, cette fille perverse nourrissait des projets le concernant. Ceci constituait son unique chance de survie. Mais sous quelles conditions ?
À suivre.
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