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Planète Samia

Chapitre 1

Voyeur / Exhibition
Je testais les réglages de mon nouvel appareil photo, me demandant ce que je pouvais bien en faire. J’avais une idée depuis longtemps mais « la bouteille à la mer », lancée il y a deux semaines, n’avait trouvé personne. Peu importe, je trouverais de belles choses à photographier dans la campagne. Chaque saison nous livre de bonnes surprises.
Je comparais mes notes à propos des prises de vue obtenues. Mon téléphone retentit. À l’autre bout, une jeune-femme tenait un portable, peut être pour discrétion, et éprouvait le plus grand mal à engager une conversation.
— Bonjour, heu… Excusez-moi… Heu…
Répondre à une annonce de photographe : « … nue, partiellement, voir habillée, pour essais. Sinon expériences pour improvisation en extérieur de préférence » n’est pas simple, l’écrire non plus.
— C’est à propos de l’annonce ?
Comme la voix ne disait rien – je savais qu’il y avait quelqu’un sur la ligne par des bruits de lèvres hésitantes – j’ajoutai : « Vous savez, ça peut être toute habillée, histoire d’avoir un modèle, de tester… »
— Oui… Lança t-elle. Je verrai sur place… — Très bien, dis-je avant de donner mes coordonnées.
Quelques jours plus tard, presque à l’heure attendue, en milieu de matinée, on sonna à mon pallier. J’ouvris et découvris une jeune-femme timide mais souriante. D’une façon imbécile – je ne voulais pas paraître empressé – je fermai la porte derrière elle. Je l’invitai immédiatement à s’asseoir dans le canapé, devant lequel étaient disposés boissons et fruits sur la table-basse. Un petit album de photographies rurales y était en permanence.
On discutait de n’importe quoi. La jeune-femme venait de la cité voisine, mon quartier étant plus bourgeois, situé au bord de la rivière. Elle effectuait des stages improbables et vivait, pour son bonheur, toute seule, en centre-ville, dans l’un des appartements achetés pas ses parents qu’ils louaient.
Samia avait presque vingt-cinq ans mais était encore timide. Cela freinait, sans doute, une partie de ses décisions. Sa coiffure mi-longue, brune et sa peau mâte, elle était plutôt petite, les yeux brillants, le visage rond et pommettes saillantes. Elle portait une robe assez ajustée, relativement courte, imprimée de grosses fleurs grises et pendue à sa nuque par une bande de tissu.
La mulâtre consultait l’album sur la table-basse respectueusement pour vérifier mes intentions et tisser un lien avec moi. Ce respect se manifestait autant en tournant les pages qu’à poser prudemment son verre à l’écart. Elle buvait un jus d’orange.
— Je crois reconnaître l’église en haut de la colline, à l’entrée du village. — C’est bien elle, oui.
— C’est au bord de la rivière là ? — Oui, vers l’étang. — C’est la forêt… — … Sur la nationale.
Elle avait son menton dans le creux de sa main, coude planté dans la cuisse, l’une sur l’autre, comme pour cacher son sourire et ses pommettes.
— Je voudrais prendre une photo de vous dans cette position. — Une seule alors ! Dit-elle, comme une sorte d’avertissement, de préparation, sur un ton humoristique.
Je pris mon appareil, prudemment ; J’avais encore à me familiariser avec lui. Je manipulais les boutons, regardais les indications, puis portait l’engin à mon œil.
— Voilà… — Et comme ça ? S’avança t-elle en tenant le livre telle une chanteuse lyrique.
Elle comme moi – et j’espérais, au fond, d’avoir à le dire ainsi – que se redresser tout en s’enfonçant dans le canapé était inapproprié. Samia prit une chaise de bar et la posa dans la seconde moitié de la pièce, entre les projecteurs. Elle s’assit toute droite, avec l’album dans la main gauche, ouvert, les cheveux mi longs bruns et libres. Je pris quelques clichés.
— OK. Vous ne dites rien… Dit-elle sèchement, mystérieuse.
Elle décrocha sa robe de son cou puis reprit position en sous-vêtements sobres quoique pas trop ordinaires. C’était du satin noir. Samia se tenait droite et prit un air studieux pendant que je l’immortalisais sur ma carte-mémoire, la sentant très intimidée mais aussi particulièrement attentive à sa pose. Elle regardait comment l’album porté dans la main, celle-ci sur sa cuisse croisée par dessus l’autre.
— Tournez-vous dix secondes, lança t-elle prudemment alors que j’étais sur le point de ranger mon matériel.
Exécutant son souhait, j’entendis des bruits précipités et un peu brutaux, principalement produit par la chaise de bar sur le sol. Samia dit de me retourner. Effectivement, sa pose ne changeait pas grand chose qu’avec ses sous-vêtement, mais cela conférait toute la force que j’espérais secrètement à la scène. La brune avait de beaux seins ronds qui me faisait penser à des religieuses : les petites rondeurs au-dessus des sphères principales. Ses cuisses étaient épaisses sans être lâches ni inutilement longues. Ses bras avaient les muscles nécessaires à une bonne allure, cependant discrets. La cage thoracique se projetait en avant, sans aucune impression de maigreur, bien au contraire. Ainsi, le ventre, derrière l’album de photo et les mains qui le tenaient, ne devait être trop plat mais creux et rebondit à la fois, comme ses hanches.
Mon modèle, un peu glacial, convenait au caractère ironique et paradoxal du tableau. Je pris autant de clichés qu’avec les pauses précédentes et Samia, en confiance, ne demanda pas de me retourner lorsqu’elle descendit de sa chaise en ferment l’album. Tout de même, elle se penchait et retournait régulièrement en enfilant ses sous-vêtements de satin noir, puis sa robe grise à fleurs. J’étais persuadé qu’elle se demandait ce que deviendrait les photos. Je lui montrais au petit écran à quoi elle ressemblait mais cela ne répondait pas à ses questions. Peut être aussi était-elle gênée de se voir nue, en complicité avec quelqu’un d’autre. Dans ma tête, j’effectuais un calcul : si on devait en rester-là, je finirais par trouver ces fichiers négligeables et les aurais égarés. Au pire, je me serais débarrassé d’une carte, à l’avenir peu pratique pour un amateur confirmé et Samia aurait gardé un souvenir. Je lui remis le petit bout de plastique avec les clichés d’elle plus ou moins nue dedans, en espérant son retour.
*
J’avais à me débarrasser de mon ordinateur. Il était trop vieux, pas moyen d’en tirer quelques sous. Je savais qu’une organisation quelconque le récupérerait. Par ailleurs, j’allais traverser le quartier de Samia que je n’avais plus revu depuis une semaine. En voiture, arrivé dans le coin, je me rendis compte qu’il était impossible de s’arrêter : trop de circulation, pas de trottoir libre. J’allais continuer ma route vers l’extérieur de la ville, où l’on me retirerait mon vieil ordinateur de mon coffre, quand j’entrevis une silhouette qui me disait quelque chose. C’était la petite brune aux cheveux relâchés que j’avais photographiée l’autre jour. Samia arrivait au bout de la rue quand j’arrivai à sa hauteur. Je la hélai, la saluai puis lui remémorai qui j’étais et ce que nous avions fait ensemble.
— Je vais déposer mon vieil ordinateur mais je ne sais pas où c’est. — Écoutez, je n’ai rien à faire, je rentrais chez-moi, mais si vous voulez m’emmener, je vous guiderai.
Des automobilistes s’impatientait derrière-moi : je n’avais pas le temps de réfléchir et je n’avais pas envie. J’ouvris la portière côté passager de ma voiture et Samia sauta sur le siège.
L’organisation qui récupérait les objets usagés n’avait ni sa place en ville ni en banlieue de celle-ci : nous fîmes le tour des ruelles et des terrains désaffectés avant de trouver la rue où devait être le bâtiment. La rue était assez longue et longeait les anciens accès aux entreprises et fabriques périclitées depuis. Peu de voitures passaient mais quelques unes sortaient et arrivaient au chemin caillouteux qui mène au centre des dons.
En ramassant le matériel dans mon coffre, Samia, qui rassemblait les câbles d’alimentation, tira par hasard sur la couverture rouge qui recouvrait les accessoires de photographie. Je ne m’en sépare jamais ; on regrette trop souvent de ne pas avoir les moyens de capturer une scène inattendue. La brune claque le coffre de ma voiture – j’avais les mains prise – et nous allâmes vers le hangar où des camions ouverts étaient postés par l’arrière afin d’y être vidés lentement. Nous deux glissâmes entre ces gros véhicules, et montâmes sur un quai, pour entrer véritablement dans les lieux. Il y a avait un amoncellement miraculeux d’objets invraisemblables et des meubles anciens très potables. On nous indiqua une palette où déposer mon matériel. Les bénévoles parlaient entre eux à hautes voix et ne portaient guère attention à qui pénétrait et quittait le bâtiment. Samia et moi étions surpris d’être débarrassés si facilement.
Je m’y était pris un peu tard et j’avais croisé Samia dans la ville. Nous arrivâmes tout-juste pour déposer mon matériel informatique avant que le centre ne ferme. Les bénévoles s’occupaient d’autres choses et la remise en état comptaient parmi leurs activités.
Sur le bord du chemin cabossé se tenaient des ruines d’improbables maisons, peut être de gardiens d’usines : les murs tagués et noircis. L’absence de toit encourage la mauvaise herbe de pousser. Plus loin, des hangars désaffectés aux bardages pliés et pendants s’étalaient jusque dans les arbrisseaux qui conféraient à l’endroit une impression d’infini.
Devant ce spectacle surréaliste, Samia et moi s’attardions et les autres visiteurs évacuaient juste avant que le centre des dons ne ferme. Tous les deux, nous décidâmes de nous retourner vers ma voiture et nous vîmes alors le chemin par lequel nous étions venus ; il semblait se terminer contre un hangar qui longeait la voie d’importance à peine supérieure et barrait notre vue à quelque dizaines de mètre.
— Vous devriez photographier cela, dit-elle dans un sourire, du coin de l’œil, peu sûre de son goût.
Moi-même, sur le champ, je ne suis pas du genre à être interpellé. Je ne crois jamais inutile de prendre une photo et de la modifier après ; en noir et blanc, ça devrait bien rendre : les ruines, les noircissures, la rouille, les tags, les ouvertures, l’absence de toit, etc.
Subitement, sur mon écran, je vis Samia s’approcher du cadavre de la maison, traverser ce qui était la porte, puis la fenêtre. La brune ressortie, sans disparaître du champ de mon objectif. Comme apeurée par le béton à vif, la ferraille acérée et l’herbe piquante. Ceci m’agaçait qu’à moitié, intéressé même, surtout lorsque que je l’aperçus saisir le bas de son pull rouge. Elle l’arracha de ses cheveux noirs et se retrouva en soutien-gorge blanc. Samia descendit la fermeture de sa jupe grise qui rejoignit prudemment ses genoux. En sous-vêtement blancs à dentelles, la jeune-femme laissa ses habits principaux sur la terre sèche et caillouteuse de l’entrée de l’ancienne demeure. La brune, dans mon écran, avait le regard sombre et semblait exprimer comme un désir de danger. Bien que relativement charnue, elle paraissait particulièrement nue et fragile dans ce paysage de destruction. Samia ressentait cela et, après quelque longues secondes de réflexion, elle hissa ses mains dans son dos pour dégrafer son soutien-gorge. La brune dégagea sa poitrine, petite et ronde, et me regarda, dans mon petit écran ; elle m’apparut rude et vraie, plus maigre qu’en réalité. Je n’osais pas lever mon regard et la voir de mes propres yeux, et elle non plus n’aurait pas voulu. J’étais à la fois oublié et indissociable de l’environnement. Je vis la jeune-femme et ses deux bras ballants comme pour prendre un élan. Elle se pencha avec assez peu de grâce, en effectuant un bel arrondi du dos, en emportant, après coup, son slip blanc à dentelles. Samia se débarrassa de ses chaussures beiges. Totalement nue, la brune grimpa sur le rebord rugueux d’une fenêtre depuis bien longtemps disparue. L’arrête de son dos apparut, fesses dans le vide, tête haute. Je pris une photo d’elle, ainsi, de l’arrière. Samia déploya une jambe pour toucher prudemment le sol de ce qui était l’intérieur. La terre dure, sale et vaguement herbeuse accueillit la pointe du pieds de la brune que je photographiai une seconde fois, à moitié de face. Elle traversa la maison sans toit, prit des poses, sans y penser, en tenant des morceaux de fer rouillé. Toujours de face, et nue, elle s’avança vers l’ouverture, assez large, et se voulut plus martiale : mais sur les hanches, jambes écartées, regard vers la droite. Samia enjamba dans cette direction et passa au travers d’une fenêtre pour se retrouver entre deux maisons.
À l’époque, ce n’était déjà, probablement, que des abris améliorés. L’endroit sembla particulièrement malsain et donc intéressant : gris perpétuellement ombragé, inondé d’herbes et de tags. Samia s’appuyait et griffait ces murs, d’une façon pas trop appuyée, et poussa une porte coincée et percée par la rouille, ce qui me parut presque risquée, et pénétra l’autre ruine. Celle-ci devait avoir une fonction plus marquée : un tube, une cheminée, rouge d’oxydation, se dressait au milieu du carré de béton ventilé, mais appuyé contre l’arrête interne du mur qui me faisait face. Je m’était avancé sur le chemin du centre de récolte, désormais mort, d’une dizaine de mètres. Samia caressait le tuyau, passait dessous, et s’y adossait.
Après cette cabane, le hangar : une ancienne usine, le bardage défait, bien plus vaste et ouvert. La brune, nue et fragile, le traversait en visitant sommairement ses angles : J’en étais arrivé à la photographier d’assez loin. Si le cliché ne s’insérait pas dans la suite, qui n’avait d’intérêt, selon moi, qu’en entier, on n’apercevrait pas la jeune-femme, totalement nue, au fond du bâtiment, intimidant et peu accueillant. De plus, il offre une ouverture béante, due au vandalisme et au temps, sur la ville, presque entière, ses tours et ses fenêtres grandes comme des yeux de souris.
Je rejoignis donc mon modèle à l’extrémité du hangar, convaincu l’un comme l’autre qu’il en était terminé.
— Qu’y a t-il par là ? Dit-elle à propos d’une colline particulièrement vierge, par rapport au reste, au travers d’une porte ouverte, le panneau, par ailleurs, totalement disparu.
Samia me précéda d’une enjambée vers la bosse verdoyante. La brune s’avança assez vite parce que l’endroit paraissait particulièrement réconfortant, par rapport au paysage précédent, la ville semblant elle-même s’éloigner. Étant plus haut que moi, il me sembla évident de prendre une vue de mon modèle. Samia s’enquérait de ce qu’il y avait au-delà de la butte et un chemin se dessinait, comme si la colline eut été un dépôt en bout de parcours. La brune l’effectuait, plus inquiète et charnelle, comme dans les ruines, jouant avec la ville, qui nous entourait de loin, comme une danse du voile, disparaissant et réapparaissant. La jeune-femme nue tournait sur elle-même au gré de mes clichés, dans les ornières coiffées de hautes herbes.
Tout d’un coup, nous entendîmes un bruit, comme un bouquet d’une mauvaise herbe qu’on aurait traversé soudainement. J’en fus parcouru d’un frisson, pétrifié, et Samia d’une terreur qui faillit presque la faire crier. Sur la hauteur qui longeait la droite du chemin – on n’avait pas remarqué que nous étions sur un flanc de la colline sur laquelle nous croyions être – un homme s’était retourné disparaître de l’autre côté. J’eus tout juste le temps de remarquer qu’il était vêtu d’un costume de velours beige, qu’il était un peu plus âgé et plus grand que moi. Il était évident qu’il avait vu une jeune-femme nue, prendre un certain plaisir, et son photographe.
Malgré cet épisode, sans échanger de mots, Samia et moi continuâmes. À ce moment-là, l’un de nous-deux qui aurait effectué un geste aurait été suivi et approuvé par l’autre. Il nous a semblé qu’un supplément de prudence nous suffirait.
Le chemin montait et descendait. Un moment, les tours et les pavillons parurent si près qu’on aurait presque pu voir des formes passer derrière une fenêtre. Samia, toujours nue, se tenait au sommet d’une colline, faisant face à la ville, moi-même dans le dos de la brune que je photographiais. Elle et moi, avions-nous sans doute succombé à l’idée d’être vue sans voir, avant de voir pour en être sûr.
Le parcours descendait jusqu’à un chemin goudronné menant à la ville, par ses pavillons les plus modestes, la faisant passer pour un village tranquille. Samia traversa le bitume avec curiosité, d’abord de profil, presque normalement, puis de face, jusqu’à s’arrêter en plein milieu. Elle remonta cette route et je la laissais partir – de même que je l’ai laissée improviser comme elle le fait parfaitement – pour l’avoir entière et même un peu dominée dans le paysage rural. Les maisons se firent de plus en plus grosses et si un individu sortait de l’une d’elles, il serait grand comme un morceau sucre.
Sentant ce croustillant danger, Samia prit un chemin équivalent au précédent, une cinquantaine de mètres plus tôt. Nous dûmes grimper sur une colline et comme la ville s’enfonçait, tout en montrant son côté horizontal, mon modèle dénudé dominait tout l’urbanisme. Je prenais des vues de sorte à donner cette impression.
Je me remis dans les pas de mon modèle qui s’avançait sur un plateau que formait cette colline. On cherchait toujours on ne sait quoi qui terminerait remarquablement la série de photographie, maintenant longue, sur ma carte-mémoire.
La petite femme nue, coiffée d’un panache brun agité par le vent, arrivait au bout d’un plateau qui dominait des prés, au bord d’un creux où rebondissait le parcours. Moi qui la voyait de dos, l’ayant observée désormais plus longtemps déshabillée qu’avec ses vêtement, vis aussi, stupéfié, sur un autre morceau du plateau interrompu par l’une de ces dépressions, l’homme en beige qui nous faisait face. Cette fois-ci, c’en était fini, reste à savoir comment : on pouvait presque deviner l’expression de son visage, de même que lui à propos du notre. Nous étions tous statufiés, avec cependant un peu plus de compassion pour la jeune-femme nue entre nous-deux. Dans ce rapport relativement égalitaire, nous imaginions un scénario diplomatique idéal : l’homme nous avait déjà vu, brièvement, sans être vu, enfin presque, tout à l’heure, et nous nous étions fait à cette idée.
L’homme, semble t-il, attendait une explication, mais s’en formaliserait fort bien si celle-ci ne lui parvenait pas. Il attendait donc, comme s’il eut d’un certain ridicule de tourner les talons, d’autant plus qu’il apercevait Samia mesurant la dangerosité du chemin qui tombait dans le creux séparant les deux observateurs. La brune avait trouvé le bon moyen de regarder ailleurs mais cela revenait, de plus en plus, malgré elle, à descendre dans la dépression. J’avais si bien accepté de ne pas aller plus loin, ni plus bas, que je la laissais faire, pas convaincu qu’elle s’exécutait vraiment.
Par une suite de petits glissements, mon modèle dénudé se retrouva dans le creux, sa tête à peu près au niveau de nos pieds. Je ne pus m’empêcher de la trouver belle avec son expression hébétée, scandalisée et faussement naïve. Je me devais de prendre une photo.
Samia accepta que l’homme lui tende la main, et elle sortit du creux. Elle fut surprit, et lui aussi, que je prenne encore un cliché, si bien qu’elle lui tenait encore la main alors qu’elle était à nouveau sur le plateau. Il a fait ce qu’il devait faire ; l’homme nous tourna le dos et s’éloigna faiblement. Par contre, je me sentis obligé de faire l’effort de franchir la dépression, et je rejoignis Samia sur le plat. Naturellement, l’inconnu se retourna ; il était au sommet de la colline segmentée en plateaux. La brune dénudée me fit un léger sourire et marcha devant moi comme tout à l’heure, mais cela revint à rejoindre l’homme en costume beige. L’inconnu, bel et bien plus âgé et plus grand que moi, à sa droite, et elle à gauche. Les deux mains du même côté se rejoignirent l’une dans l’autre,
Longtemps, je n’ai pas su ce qui s’était passé ensuite, ni comment Samia était revenue. Elle ne m’a jamais rien dit, sinon quelques indices quand nous recommençons plus ou moins les mêmes aventures.
Je refis le parcours à l’envers : les chemins, les collines, la route, la ville, le hangar, les ruines. Revenu à l’appartement, avec un dernier cliché de Samia, nue, sa main dans celle de l’inconnu, j’imaginais tous les deux dominaient une butte, face au ciel et tout le reste du monde.
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