Je venais de vaincre le Conseil des 4. Bien que je ne m’étais jamais imaginé le contraire – je n’avais clairement aucune envie de mourir avant d’avoir pu vivre une vie paisible avec la Ayaka du monde réel -, j’avais un peu de mal à y croire. Je me revoyais, lorsque j’étais entré pour la première fois dans ce jeu. Son univers m’avait charmé. Tout semblait si beau, à cette époque. Avant que ce massacre gratuit ne se produisît. Et aujourd’hui, après tant d’efforts et de douleur, je voyais la fin de ce tunnel. Je n’étais plus qu’à un unique combat, contre le maître de la Ligue Pokémon. Dans les jeux vidéo, il s’agit de Blue, le rival du joueur. Mais dans ce jeu, étant donné le très faible intérêt porté à ce personnage, je doute que ce fût le cas. Secoya aimait les mises en scène, et cela ne correspondait pas du tout à son style. Secoya ferait en sorte que ce dernier adversaire fût un cauchemar. J’avais quitté la salle de Peter sans même regarder le PNJ. Et dire que j’aurai pu mourir ici. Dire que j’avais gagné principalement sur un coup de chance, et légèrement sur une erreur de mon adversaire. Comme quoi, même les PNJ les mieux codés feront des erreurs. Un long couloir s’étendait devant moi. Un long couloir que je mis plusieurs minutes à traverser. Ce couloir n’avait strictement aucun intérêt, mais telle était la cruauté de Secoya. Nous faire lambiner alors que notre sort se jouera dans les heures qui suivaient. Nous faire lambiner avant de savoir si nos coéquipiers s’en étaient sortis. Nous faire lambiner aux portes de l’épreuve qui décidera si oui ou non nous sortirons de cet enfer. Au bout de ce qui me parut être une éternité, une grande porte apparut au loin. Je la rejoignis sans savoir à quoi m’attendre. Mais rien ne se produisit. J’entrai alors. Devant moi se trouvait une seconde porte de la même dimension. Mais un panneau virtuel notifiait « Porte fermée. Accès au Maître de la Ligue Pokémon. Entrée autorisée lorsque tous les bêta-testeurs auront atteint la Salle d’Attente ou la mort ». Mes yeux lurent ces quelques mots en un temps record. C’était la porte de la libération. Ou bien celle de la mort, en étant pessimiste. Mais je préférais être optimiste. J’allais farcir le petit cul du Maître, peu importe de qui il pourrait s’agir. — Tu as réussi, résonna une voix vraisemblablement soulagée. Je reconnus la voix de Loser. Il était assis sur un siège, sur les côtés de la pièce. Suffisamment sur les côtés pour qu’ils ne fussent pas visibles en entrant. Encore un détail frustrant. Cinq autres sièges, vides, étaient disposés de chaque côté du sien. — Ravi de voir que toi aussi, ajoutai-je en souriant. Loser se leva. Il me serra dans ses bras, à ma plus grande surprise. — Je n’aurais pas aimé voir ton nom sur la liste, poursuivit-il chaleureusement.— Et le tien n’y sera pas non plus. Puis nous ne dîmes plus rien. Non pas que nous ne souhaitions pas parler, mais nous n’oubliions pas dans quelle situation nous nous trouvions. Nous nous assîmes l’un à côté de l’autre. Nous croisâmes tous deux les mains, comme si cela augmenterait les chances de succès des autres. Mais je me contentai de l’espoir que cela me procurait.
Une demi-heure s’écoula dans un silence à rendre sourd. Une demi-heure pendant laquelle personne n’était sorti de cette pièce. Sg. Pattate avait vraisemblablement besoin de beaucoup de temps pour vaincre le Conseil. À moins que ... Non, je refusais de me livrer à ce genre de pensées. Puis, tandis que je me perdais en suppositions et en prières, j’entendis les portes s’ouvrir. Loser et moi nous levâmes comme un seul homme. Nous étions prêts à l’accueillir, nous étions prêts à le retrouver. Ayaka entra.Loser et moi ne comprîmes pas tout de suite. Puis la signification de l’apparition de ma petite-amie prit tout son sens dans notre esprit. Loser tomba à genoux en hurlant. Il frappa le sol du poing à de nombreuses reprises, si bien que je craignais qu’il ne se cassât un poignet. De mon côté, j’enlaçai Ayaka. Elle, qui arborait précédemment une mine réjouie, vit ses traits virer dans la douleur. Sg. Pattate était mort. Un autre nom à ajouter à la liste. Un autre ami a pleuré. Tous, à tour de rôle, fîmes apparaître la liste des noms et y ajoutâmes le sien. Celui d’un ami dont on ne verrait plus jamais le visage. Celui d’un homme qui ne reverrait jamais la lumière d’un jour réel.
Une heure s’écoula dans un silence devenu torture. Personne n’était entré depuis l’arrivée d’Ayaka. J’étais tout de même heureux que ma petite-amie eût survécu, mais sa défaite m’aurait étonnée. Elle, la meilleure dresseuse de Pokémon de cette aventure, ne risquait pas de perdre. Si une chose était certaine, c’était qu’Ayaka sortirait vivante de cette aventure. C’était à moi de suivre son exemple. Un mécanisme résonna dans un silence mortuaire. Nous nous levâmes tous les trois, prêts à accueillir celui qui, dans quelques secondes, ouvrirait les portes. Nous attendîmes. Personne n’entra. Personne. Les portes demeurèrent closes. Puis une idée me vrilla l’esprit. Je me retournai, scrutant la porte menant au Maître. Le panneau numérique étant désormais décoré d’un panneau « OUVERTE ». Je me figeai sur place. Suivant mon regard, Ayaka et Loser aperçurent également cette porte. « Porte fermée. Accès au Maître de la Ligue Pokémon. Entrée autorisée lorsque tous les bêta-testeurs auront atteint la Salle d’Attente ou la mort ». Ces phrases se répétaient incessamment dans ma tête. « Entrée autorisée lorsque tous les bêta-testeurs auront atteint la Salle d’Attente ou la mort ». Phoebe et PapaRattata avaient perdu. Ils étaient morts. Nous mîmes plusieurs minutes à réaliser vraiment. Nous étions les trois seuls à avoir survécu au Conseil 4. Cette réalité nous frappa de plein fouet lorsque les deux pseudonymes rejoignirent les quinze autres. Secoya devait payer. Secoya allait payer. Je m’en assurerai personnellement. Et le Maître de la Ligue Pokémon allait être le premier à déguster.
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