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Le Radiateur

Chapitre 1

Hétéro
     Trois semaines que la chaudière de l’immeuble était hors-service, et jamais réparée. Nous étions début janvier, elle avait rendu l’âme une semaine avant Noël, autant dire que les services de réparation avaient bien mieux à faire que de remplacer une pièce qui chauffait toute une résidence !     Impossible de sortir de son lit, de la douche – fort heureusement l’eau chaude marchait toujours – et il fallait se vêtir d’au moins deux gros pulls en laine pour avoir un peu chaud en intérieur. Ajoutons à cela l’aérateur qui était directement relié à dehors, et la moindre petite chaleur était perdue.     Le thermomètre que j’avais placé dans ce qui me servait de salon peinait à dépasser les 10°C. C’était particulièrement difficile de travailler, immobile, à taper sur l’ordinateur avec les doigts gourds et gelés, en les réchauffant tant bien que mal avec un mug de tisane ou de thé brûlant.     Pour tout arranger, nous n’avions aucune nouvelle des plombiers ; le concierge restait vague quand on lui en demandait et il n’avait pas changé le papier de prévention de réparation depuis le début du problème. Tout ce que nous savions, c’était que la pièce défectueuse ne se vendait plus de nos jours et devait être usinée. On pouvait en avoir pour encore longtemps.
     Je revenais du boulot, dans le froid glacial et venteux, sans même l’espoir de pouvoir me retrouver au chaud à l’intérieur. Mon programme était : boisson chaude, travail et couvertures sur les épaules et les genoux. Chaque jour passant, j’avais l’impression d’être la caricature d’un vieux.     Ce n’était pas faute d’avoir essayé plein d’astuces pour soulager ma peine : demander à passer chez des amis par exemple ; mais les amis, aussi sympathiques soient-ils, ne pouvaient pas m’accueillir tout le temps et surtout, pas vraiment la nuit. Mais cela me faisait relativiser : au moins je ne vivais pas dehors. Je n’étais pas tant à plaindre que ça.
     Après avoir déposé mes affaires et lancé la bouilloire, je descendis dans le couloir de l’entrée pour récupérer le courrier. C’est alors qu’une femme entra de la rue et se dirigea elle aussi vers les boîtes.
— Bonjour.— Bonjour.
     Elle était splendide et superbement habillée. Enfin, pour ainsi dire. Mais son manteau noir cintré illustrait une silhouette élancée autant qu’élégante. Ne l’ayant jamais vue auparavant, j’osai lancer la conversation :
— Vous êtes là depuis longtemps ?— Hum ? Oh, ça fait bientôt trois mois. Et vous ?— Un an. J’habite au deuxième.— Vraiment ? fit-elle étonnée. Quelle porte ?— Celle de gauche, pourquoi ? Vous êtes de celle de droite ?— Non, moi c’est au troisième, porte gauche aussi ! Je suis juste au-dessus de vous !— Ah ! Je comprends mieux, c’était donc votre déménagement et votre crémaillère, tout le bruit !
     En effet, trois mois plus tôt il y avait eu un boucan infernal pendant quelques jours, ce qui m’avait souvent empêché de travailler correctement, ainsi que la pendaison de crémaillère qui avait eu lieu la veille d’une réunion matinale très importante au bureau. J’avais maudit ces voisins, mais en voyant de qui il s’agissait, je l’ai volontiers pardonnée.
— Oh, je suis désolée si ça vous a gêné, mais j’avais laissé un mot pour prévenir la soirée.— Ce n’est pas grave, c’est normal. Et donc… vous aussi, vous avez perdu le chauffage avec la chaudière.— Oui, comme tout le monde. Mais j’ai pris un radiateur électrique chez mes parents, ça aide.— Vous avez un radiateur !
     Cette nouvelle m’avait fait dire ça d’instinct, sans me contrôler. La chose me paraissait tellement hors du commun, après tout ce temps ! Elle commença à s’engager dans l’escalier, le courrier à la main, et je l’épaulai tout en continuant la conversation.
— Eh bien vous avez de la chance ! ajoutai-je.— Vous savez, ce n’est pas grand-chose. Ça ne chauffe pas l’appartement non plus. Et vous, rien ?— Rien du tout ! Mes parents habitent loin, je ne les vois pas souvent. Et en acheter un… Vous connaissez le truc : il est acheté, et deux jours après la chaudière est réparée, c’est toujours comme ça.— Je comprends. Vous voulez venir ?— Quoi, chez vous ?— Non, chez le Pape !
     Une telle invitation alors que nous ne nous connaissions que depuis cinq minutes, plus d’un serait surpris ! Mais une si belle femme, qui dégageait quelque chose de très attirant, et en plus au caractère très familier, on ne s’excusait pas.
— Vous êtes sûre ? Je veux bien, mais vous ne me connaissez pas.— Allez ! Vous n’êtes pas méchant, ça se voit. Et puis de toute façon je sais où vous habitez, ainsi que votre nom, alors si vous faites quoi que ce soit de mal…— Mon nom ?— Sur votre boîte aux lettres !
     Quel sourire malin ! Et quel œil aiguisé, aussi ! C’était bête de ma part de ne pas avoir regardé son nom comme ça !
— Alors, vous venez ? Ou vous préférez rester vous geler chez vous ?— Eh bien, oui je viens ! Laissez-moi juste déposer ça.— Pas de souci, je vous attends.
     J’ouvris la porte pour y déposer mon courrier, tandis que la jeune femme m’attendait aimablement sur le palier. Mon eau avait bouilli, mais tant pis. Me voilà ressorti et nous montâmes un étage de plus.
— Je m’appelle Éliane.— Moi c’est Julien.— Je sais.
     Ah ! Déjà oublié, ou bien n’était-ce que par réflexe ? Quoi qu’il en soit, ma réponse l’avait amusée ; elle n’était pas difficile, et ça faisait plaisir de voir quelqu’un d’aimable comme elle !     Éliane ouvrit sa porte et je lui emboîtai le pas. La différence de température était déjà perceptible, bien que très légère. Je pendis mon manteau à côté du sien et nous allâmes dans le salon. En tenue plus décontractée, je pus voir la silhouette gracieuse de la jeune femme.     N’ayant eu aucune relation sexuelle depuis très, très longtemps, je confessais un fâcheux réflexe de visionnage des femmes, notamment envers leurs courbes. Dire que je la désirais sur l’instant serait exagéré, mon manque n’en était pas à ce point. Mais cette personne disposait d’un corps qui n’avait d’égal que son visage. Et tout cela animé d’un bel esprit, il ne pouvait s’agir que de la femme parfaite, ce n’était pas possible autrement…
     Mon hôtesse me proposa à boire, et je choisis un chocolat dans les différentes options. Tandis qu’elle se dirigeait vers sa cuisine, je la suivis avant d’être arrêté par son immense bibliothèque. Il n’y en avait qu’une, dans laquelle étaient rangés plein de supports culturels. Des DVD, des CD de musique, beaucoup. Des comédies, des drames, du polar, des films de guerre aussi, des séries… Et beaucoup de cinéma ancien, en noir et blanc, d’avant-guerre. De l’allemand notamment : Fritz Lang la majeure partie du temps.     Dans le côté papier, je trouvai aussi de tout y compris de l’érotique, ce qui me fit sourire. On pouvait trouver Sade à trois livres des poèmes de Rimbaud. Mais il y avait aussi des dictionnaires bilingues Français-Allemand et des méthodes grammaticales.
— Vous êtes prof d’Allemand ?— Traductrice !
     Je n’avais jamais aimé cette langue, sa sonorité. Je préférais les idiomes du Sud : l’Italien, l’Espagnol… bien que j’eusse toujours été une bille en langues étrangères.     Mais Éliane en était passionnée : dans sa musique, elle avait de nombreux auteurs de de l’autre côté du Rhin. Mais elle avait aussi énormément de CD de métal. Un style que je ne détestais pas, mais sans être vraiment fan. En fait, c’était très étonnant de voir cette différence entre de la musique aux accords et aux sons violents, et cette femme habillée de façon très classieuse, tirée à quatre épingles dont rien, et je dis bien rien, ne pouvait laisser présager ce goût musical. Comme quoi, ne jamais se fier aux apparences !
     Éliane revint avec une tasse qu’elle me tendit. Nous allâmes nous asseoir sur son canapé pour échanger. Elle me dit avoir beaucoup voyagé quand elle était plus jeune, entre ses 18 et 20 ans, car elle avait à l’époque un copain qui travaillait dans une agence de voyages, et donc qu’il leur dégotait des bons plans pas chers. Elle me parlait de tant de pays, de villes et de monuments à la suite que je me perdais : la cathédrale Saint-Basile finissait à Rome, l’Alexanderplatz se retrouvait en Autriche, le Danube s’écoulait maintenant en Inde… Tout cela allait trop vite pour moi qui n’étais pas bon non plus en géographie. Cependant, elle me faisait rêver avec toutes ces destinations exotiques.
     Mais une chose était sûre : ça faisait un bien fou d’être assis quelque part où il ne faisait pas froid ! Il n’y avait certes pas de quoi enlever les pulls, mais au moins nous étions à l’aise sans trembloter.     Mon hôtesse me posa ensuite ses propres questions quant à moi : mon travail, mes occupations, tout ça.
— Vous êtes propriétaire ? me demanda-t-elle.— Non, encore locataire. Mais je commence à voir avec lui s’il ne peut pas me le vendre. Maintenant que ma situation est plus stable, il est temps de s’implanter.— C’est une bonne idée. Ça fait toujours ça de moins à payer !— Et vous ?— On peut se tutoyer, hein, y’a pas de souci. Je préfère. J’ai acheté.— D’accord…
     Que c’était plaisant d’être avec ce genre de personne ! J’avais toujours préféré les filles et les femmes avec un tel caractère, sans trop de prise de tête et familières. Moi qui dans le passé avais été d’une timidité maladive et même malaisante, ça m’aidait à l’époque pour mieux briser la glace.      Pour tout dire, j’étais déjà sous le charme. Non seulement du fait de sa grande beauté tant physique qu’intellectuelle, mais outre cela Éliane me faisait me sentir bien, il demeurait dans son appartement une convivialité assez hors du commun.      Notre conversation durait, nous rîmes aux éclats… En somme nous passions un bon moment tous les deux, et je me demandais même si en l’espace de seulement quelques heures je ne venais pas de me faire une véritable amie.
     Mais l’heure tournait, la nuit était déjà tombée dehors et même s’il faisait bon dans cet appartement grâce au chauffage, je devais aller bosser.
— Éliane, c’est très sympa de m’avoir invité, mais je ne veux pas m’imposer. Tu as peut-être un copain… ou une copine !— Ne t’en fais pas pour ça, j’attends personne ; je suis seule. Et je ne suis que garçons.
     Non ? Une jeune femme comme elle de quoi… même pas trente ans, célibataire ? Aussi belle, intelligente et sociale, et personne pour partager sa vie ? Soit elle était très difficile à atteindre ou dans ses goûts, soit c’était un choix de vie volontaire. Ça ne me regardait pas de toute façon ; pour le moment du moins.     Après l’avoir remerciée, Éliane m’accompagna à la porte et me l’ouvrit. Nous nous fîmes la bise en nous saluant tandis que je m’engageai dans l’escalier. Ce fut un moment très sympathique, qui me manqua au moment-même où je remis un pied dans mon appartement. Ah, la joie du froid…
     J’avais perdues là-bas trois heures de travail, bien que l’on ne puisse pas parler de « perte » d’un point de vue personnel. Le rattraper me fit donc coucher tard, très tard. Et une fois dans la couette glacée, malgré une douche brûlante pour compenser, je repensai à Éliane. À sa beauté digne des contes les plus oniriques ; son sourire ravageur, sa courbe svelte et nette. Pour la première fois depuis longtemps, une femme me donna une « vraie » érection pour ce qu’elle était ; ma voisine n’avait pas besoin d’être nue pour me séduire et me donner envie.     C’est alors que je me mis à dire, d’une voix très basse et souriante : « Tu ne m’en voudras pas, Éliane… Ça ne fait de mal à personne. », et ma main à caresser doucement ma verge, en m’imaginant arriver chez elle et l’embrasser, tels des amants. La caresser vigoureusement sur tout le corps, sur les fesses, sur les seins… Y donner des baisers aussi, les pétrir… Puis éveiller sa vulve avec les doigts et avec la langue avant d’enfin la lui honorer et nous faire du bien tous les deux, dans plein de positions.
     Mon manque de sexe s’accompagnait d’une certaine déraison : cette femme et moi ne nous connaissions que depuis même pas douze heures, elle n’avait rien d’allumeuse ni de « chaudasse » et pourtant je la voyais déjà comme une folle maîtresse. Certainement qu’elle devait aimer la luxure – pas moins que d’autres en tous cas – mais était-elle aussi désespérée que moi ? Peut-être pas. Presque deux ans sans avoir batifolé ; et n’étant pas de nature à consommer sans connaître, autant dire que les applications hors de prix – et bien souvent arnaqueuses – n’étaient pas mes salvatrices. Quant à mes quelques amies… Soit elles étaient en couple, soit pas intéressées, soit je n’avais pas proposé mais ça n’allait pas être possible de toute façon. Éliane, elle, était une nouvelle femme dans ma vie, célibataire et avec un contact très facile. Et en plus, elle habitait à une vingtaine de marches de chez moi !
     Cette délicieuse masturbation m’avait fait jouir comme jamais depuis longtemps. Je jetai ensuite mon mouchoir avant de dormir, un grand sourire aux lèvres, à continuer de m’imaginer être nu à ses côtés, sous sa couette.
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