Il ne faut pas bien longtemps aux deux archers pour retrouver la seule flèche qui s’est perdue dans les broussailles, ensuite ils retournent à la Bergerie dans le but d’aller rejoindre Chloé. Alors qu’ils s’en approchent ils sont accueillis par une bonne odeur de cuisine venant du barbecue, car l’heure ayant tourné la pensionnaire de Djouba a en toute logique décidé de réchauffer leur repas du soir. Jade reconnaît les arômes de la tomate, de l’oignon et de l’ail, ce qui ne la dépayse pas étant donné qu’ils sont des ingrédients très présents dans la cuisine provençale, mais il y a également d’autres senteurs qu’elle n’arrive pas à identifier. Le berger et la jeune femme se séparent puisque tandis qu’elle se dirige d’un pas tranquille vers les deux chênes, là où se trouve son amie, le géant noir entre dans sa maison dans l’intention d’aller y ranger son matériel après avoir récupéré celui qu’il avait prêté à Belette. Cette dernière une fois arrivée vers Hermine lui demande en désignant les deux marmites posées sur la grille, curieuse de savoir ce qui est en train de mijoter à l’intérieur : ― Ça sent super bon, c’est quoi ? ― Bé comme on te l’a dit, c’est le shayaa et le fasouliya. ― Oui ça je m’en doute, mais y a quoi dedans ? ― En fait c’est pas très différent de ce qu’on mange par chez nous, car y a juste quelques petits trucs qui changent. ― Arrête de me faire languir, et dis moi ce que c’est où je soulève les couvercles pour regarder. ― Dans ce cas oublies pas de prendre les maniques, sinon tu vas te brûler. Comprenant que son amie est en train de la taquiner la jeune femme refuse d’entrer dans son jeu, c’est pourquoi elle réplique sur un ton égal : ― T’es pas sympa. Pis de toute façon, je verrai bien quand ça sera dans mon assiette. Djouba qui n’a pas traîné arrive vers elles en tenant un plateau, sur lequel sont posés une bouteille de vin blanc, trois verres et des petits bols contenants des fruits secs. Il n’a probablement pas entendu toute la conversation mais la dernière phrase oui, puisqu’il dit à son invitée : ― Tu as raison Jade fille de Anne-Lise, car la patience est une vertu.
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Une fois leur apéritif terminé les trois convives passent à table, Jade trouve le repas soudanais délicieux et elle apprend enfin que le shayaa est de la viande d’agneau frite dans l’huile, qui est ensuite mitonnée comme elle l’avait deviné avec de l’oignon et de l’ail. Quant au fasouliya, il s’agit de haricots blancs cuits avec une sauce tomate et des épices. Ces derniers faisant toute la différence puisque ce ne sont pas les mêmes que ceux utilisés en France, contrairement aux ingrédients de base qui restent communs aux deux pays. Ces deux plats qui peuvent être servis ensemble ou séparément, sont accompagnés d’un pain lui aussi exotique puisqu’il s’agit de Kisra, présenté sous la forme d’une galette croustillante. Il est frais, et lorsque la jeune femme s’en étonne son hôte lui répond :
― Laurent qui comme tu le sais certainement est notre boulanger, nous fait deux fournées par semaine. Alors de temps en temps je pétris de la pâte, ensuite je la lui amène pour qu’il nous la cuise. Après avoir écouté cette explication elle ne manque pas de le féliciter pour sa cuisine, et il lui répond avec modestie : ― Même si manger est un des plaisirs de la vie, ce qui fait vraiment la qualité d’un repas à partir du moment-où il y a la quantité qui convient, ce sont les personnes avec qui nous le partageons. Par conséquent, tu participes grandement à la réussite de celui qui nous a réunis ce soir, Jade fille de Anne-Lise. La jeune femme rougit sous le compliment qui lui est fait et malgré son envie elle ne pose aucune question, même si elle suppose après avoir entendu le mot quantité, que le berger africain n’a pas dû manger tous les jours àsa faim dans sa vie d’avant. Car elle a compris qu’il n’aime pas évoquer son passé, en tout cas pas celui de cette époque, et c’est pourquoi elle se rabat sur une période qui est moins lointaine en demandant : ― T’es là depuis longtemps, alors t’as connu ma Man quand elle avait mon âge ? Djouba sourit à présent de toutes ses dents, puis il répond : ― Oh oui, j’étais déjà sur le plateau quand elle est venue ici pour la première fois. Je peux par conséquent prédire ce que tu seras dans une vingtaine d’années, puisqu’elle était alors exactement comme toi mis à part pour ce qui est de la teinte de sa chevelure.
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Jade a toujours des doutes sur le fait qu’elle puisse être un jour aussi directive que sa mère, même si elle a admis qu’elles ont à la base le même caractère, vu que c’est ce que tout le monde n’arrête pas de lui répéter. Toutefois dans l’instant présent ce n’est pas ce qu’elle va devenir qui l’intéresse, mais de se renseigner sur le passé de celle qui l’a mise au monde. C’est la raison pour laquelle, elle continue son interrogatoire : ― Mais tu peux me dire comment elle était en ce temps là ? Enfin, si c’est pas classé secret-défense. ― Je ne vois pas ce qu’il pourrait y avoir de secret, à partir du moment où tu fais partie de notre communauté. Car bien évidement ce qui se passe chez nous ne doit pas être raconté ailleurs, non pas que ce soit si choquant que ça, mais parce que nous tenons à notre tranquillité et que par conséquent nous voulons éviter toute publicité. De plus, si elle craignait que tu apprennes quoi que ce soit à son sujet qui pourrait l’embarrasser, en admettant que ce soit possible, jamais Anne-Lise ne t’aurait envoyée ici. Il marque une courte pause, avant de continuer : ―Nous pouvons même au contraire supposer, qu’un des buts de ta venue était que tu découvres qui elle est ou a été, par le ressenti d’autres personnes. Ou si tu préfères grâce à leur objectivité. Par conséquent tu peux me poser toutes les questions que tu veux, et j’y répondrai avec autant de précision que me le permettra ma mémoire. ― Eh bien tout le monde me dit qu’elle était comme moi je suis aujourd’hui, mais j’arrive pas à y croire alors que je la connais beaucoup mieux que vous, puisque moi elle m’a jamais quittée plus longtemps qu’un mois. ― C’est pourtant la stricte vérité. Même si elle n’a fait aucune difficulté pour se mettre nue, à son arrivée elle rougissait dès qu’on la regardait, puis elle s’est habituée tout comme toi progressivement à notre mode de vie. Mais il y a eu une différence notable, car si j’ai bien analysé la situation tu en as marre d’être considérée comme étant une personne faible, et tu veux te dépasser afin de devenir plus forte. Par conséquent tes motivations sont avant tout personnelles, ce qui n’a rien d’un comportement négatif bien au contraire.Alors qu’elle a repoussé ses limites,afin de plaire à un homme.
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Jade réfléchit quelques instants, surtout pour essayer de se rappeler qui parmi les bergers était déjà sur le plateau en 1998, et tout à coup un déclic se fait dans sa tête par rapport à une chose que sa Mamie lui a révélée. Ce qui l’amène à demander : ― C’était David, pas vrai ? Djouba semble tout à coup embarrassé, pourtant il fait preuve de franchise : ― Tu as parfaitement raison. Et si j’ignore qui t’a parlé de lui, ce que je sais par contre c’est que ce n’est pas à moi de te raconter cette histoire. Chloé intervient : ― Déjà t’as promis de répondre à toutes ses questions, mon Nounours, mais en plus maintenant t’en as trop dit pour pas continuer. Pis moi aussi j’ai envie de savoir qui c’était ce type, capable de chambouler une femme que tout le monde affirme être une dure à cuire. ― Tu n’as pas tort, mais là il s’agit tout de même de quelque chose de très personnel. C’est pourquoi je ne pense pas avoir le droit de vous en parler, sans avoir la permission de Anne-Lise. Jade reprend la parole : ― Et mon frère, il a pas le droit de savoir lui ? ― Mais que vient-il faire dans cette affaire, ton frère ? Il n’est même à ma connaissance jamais venu ici. ― Là tu te trompes, car je suis peut-être pas aussi balèze qu’Hermine en maths, mais je sais quand-même compter jusqu’à neuf. Enzo est né le 28 mars 99, par conséquent l’été précédent il était là mais dans le ventre de ma mère, qui soit dit en passant ne connaissait pas encore mon père. Le berger semble encore plus confus, et il réplique : ― Je n’étais pas au courant de ces détails, d’autant plus qu’Anne-Lise n’a jamais montré le moindre signe d’un début de grossesse. Mis à part celui que ses seins sont devenus plus volumineux pendant son séjour, mais nous avons tous mis cela sur le compte de la fin de sa croissance, puisqu’elle n’avait que 18 ans. De plus, comme toutes les pensionnaires elle prenait la pilule. Il médite pendant un longue minute aux implications de ce qu’il vient d’apprendre, puis il continue : ― De toute manière, je ne vois pas pour quelle raison David serait plus concerné que les autres par cette grossesse. Car sans vouloir t’offenser, ta maman a eu de nombreux rapports sexuels cet été là, et avec des partenaires multiples. Par conséquent, n’importe lequel des bergers de l’époque pourrait être le géniteur de ton frère, moi y compris.
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Jade sourit à l’idée qu’Enzo aurait pu naître métis, surtout par rapport à la tête qu’aurait fait son père à elle en le voyant pour la première fois, car cela n’aurait absolument pas collé avec son image de Monsieur très propre sur lui. Surtout vis à vis des voisins. Elle réfléchit à nouveau, puis elle reprend : ― Mon instinct me dit pourtant que c’est David, car ma Mamie qui l’a elle aussi connu a laissé échapper une info du style, ta mère doit penser à lui tous les jours depuis quelques années. J’en déduis que mon frère a commencé à ressembler à ce type à l’adolescence, et peut-être encore plus en devenant adulte. Y aurait pas quelque part une photo de lui, qui me permettrait de vérifier. ― Je pense que ton Papy a détruit toutes celles sur lesquelles il apparaissait.Car il a très mal vécu son départ parce qu’ils étaient très liés, et qu’il le considérait comme son fils. Il s’est senti trahi lorsque David a subitement disparu, en laissant tout derrière lui. Mais j’en ai peut-être une ou deux au fond d’un tiroir, et Alain en a probablement aussi. Mais pas Laurent, car il a été boulanger pendant pas loin de vingt ans avant de devenir berger, par conséquent il n’était pas encore ici en 1998. Si tu arrives quand-même à dormir avec le doute, je ferai une recherche plus tard. Chloé qui semble passionnée par cette discussion, intervient à nouveau en s’adressant à Jade : ― On peut aussi faire l’inverse, car si t’as des photos de ton frangin dans la mémoire de ton smart, ceux qui ont connu David pourront te dire s’il lui ressemble. ― Oui, sauf que mon tel est resté chez mon Papy. Car comme ici y a pas de réseau, je me suis dit que ça servait à rien de le prendre avec moi. ― Tu te rends compte quand-même. Si on m’avait dit y a un mois que j’arriverais à vivre sans aucune connexion, j’aurais aussitôt répondu que j’allais plutôt en crever.
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Cette remarque amène un sourire sur le beau visage de Jade, qui réplique : ― Moi pareil. Mais les photos nous diront pas comment David peut être le père d’Enzo, alors que ma Man s’est faite prendre par tous les bergers de l’époque. Car si j’ai bien compris elle était amoureuse de lui, ça c’est mal terminé entre eux, mais il aurait fallu un sacré coup du hasard pour que mon frère soit justement son fils. C’est Djouba, qui éclaircit la situation : ― Ça je pense pouvoir l’expliquer, même si je n’avais pas fait le rapprochement avant de connaître tous les détails de cette histoire. Peu de temps après son arrivée, Anne-Lise est devenue une adepte de la sodomie. Au point qu’elle demandait à ce que nous ne la prenions que par l’anus, avec la bouche en prime quand nous étions deux. Et les fois où elle a eu trois partenaires c’était très probablement David qui entrait dans son vagin, même si avec les années qui ont passées je ne peux rien affirmer, car personne à l’époque n’a fait attention à cette particularité au point de la mentionner. Il ajoute, après une courte pause : ― Car bien entendu, déjà en ce temps là les envies et les besoins des pensionnaires étaient scrupuleusement respectés, par conséquent tout le monde n’y aura vu que du feu. Chloé continue à sa place : ― Donc, si elle a arrêté de prendre la pilule, c’est qu’elle voulait un enfant de David. La question, c’est de savoir si lui était au courant. Jade demande ensuite au berger : ― Mais tu sais pourquoi ça a foiré entre eux ? Car si j’ai bien compris, y(z)’étaient amoureux tous les deux… ― La version officielle c’est que lui voulait qu’elle reste ici, et elle voulait qu’ils repartent ensemble quand elle quitterait le plateau. Mais s’il s’est passé autre chose, il n’y a que Anne-Lise ou peut-être ton Papy ou ta Mamie qui pourront te renseigner. Car moi je n’en sais pas plus.
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Le mystère de la procréation d’Enzo étant résolu, ou en tout cas son hypothèse bien échafaudée, les trois amis parlent de choses et d’autres tout en terminant leur repas. Il mangent après les deux plats principaux du fromage de brebis frais et par conséquent crémeux, ce qui est un vrai régal lorsqu’il est accompagné de pain Kisra, mais également d’un verre de Côtes du Ventoux rouge. L’ambiance est parfaitement détendue et les convives semblent avoir oublié Anne-Lise Pasquier née Roux, ou peut-être pas puisqu’une fois qu’ils ont fini de se restaurer et ont ensuite débarrassé la table, sans que le comportement des deux jeunes femmes ait changé en quoi que soit, le membre de Djouba prend lentement du volume pour finir par se dresser. Alors que Chloé est amusée par ce phénomène auquel elle est habituée,Jade regarde la poutre d’ébène sans oser bouger comme si elle était hypnotisée, et elle devient de la même teinte qu’un pivoine. Car elle ne doute pas un seul instant que les choses ne vont pas en rester là, et qu’il est fort possible qu’elle soit sollicitée, pour faire passer cette raideur subite au pauvre homme qui en est affligé.
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