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Le Voyageur Temporel

Chapitre 1

Gay
Je suis le docteur Gontran-Adam Yiannis, plus connu sous le nom de docteur ou professeur GAY. J’ai pris cette habitude d’anticiper la “blague”’ facile avec mes initiales depuis que je donne des cours à la faculté de physique. Il se trouve que je suis effectivement gay alors je commence ma présentation devant les premières années de cette manière :

— Bonjour, je suis le professeur Gontran-Adam Yiannis. Mes initiales sont le G, le A et le Y et, oui, je suis homosexuel. Est-ce que ça pose un problème à quelqu’un ?

En général, à ce moment là, j’ai droit à un silence gêné que j’utilise à mon avantage et poursuis :

— Parfait ! Vous êtes à l’Université maintenant. Vous devez observer un comportement mature. J’ose espérer que vous conserverez ce silence poli durant toute votre scolarité quant à l’orientation sexuelle de vos professeurs et de vos camarades. Vous n’avez aucun mot à dire là-dessus. Je ne tolérerai pas le harcèlement et les discriminations, et le doyen non plus. Ceci étant dit, assez de social pour l’année. Si vous rencontrez des problèmes, vous pouvez vous rendre au bureau Harmonie, bâtiment 8, salle 15, du lundi au vendredi, de 10h à 16h. N’hésitez pas. Il vaut mieux y aller pour rien que de subir ou taire des exactions. On pourra toujours vous conseiller. J’aime bien reprendre le slogan d’une vieille campagne de prévention : Ne rien faire est mortifère. C’est toujours vrai aujourd’hui. Bien. Nous commençons par le thème “Ondes et matière”. À vos polycopiés.

Je suis chercheur, et, comme la plupart, je donne des cours à temps partiel. C’est à la fois une tradition et une nécessité pour transmettre les savoirs aux nouvelles générations. Mes cours sont toujours interactifs. À l’heure actuelle, avec les technologies existantes de la communication et de la diffusion, il n’y a plus aucun intérêt à faire des cours magistraux. Le fameux “contact humain” est bien la seule chose qui reste pour justifier des cours en face à face avec les étudiants.

J’ai cinquante-trois ans et suis ce qu’on appela à l’époque un “jeune prodige”. J’ai obtenu mon bac à treize ans et depuis quarante ans, je n’ai jamais vraiment quitté les bancs de la faculté. Je trouve le contact entre étudiants et professeurs particulièrement stimulant pour faire avancer la recherche. Je me permets, depuis que j’ai commencé l’enseignement, il y a trente ans, des licences éducatives qu’on m’accorde au vu de mes performances académiques et doctorales.

D’abord, je soumettais quelques fois à mes étudiants des questionnaires hors programme dans lesquels je leur demandais de commenter des extraits de mes recherches. J’expliquais mes travaux avec pédagogie et les interrogations que je posais ne visaient à tester aucune connaissance sinon à les aider à se donner un cadre pour réfléchir et poser leurs réflexions. De là, je tirais de leurs commentaires naifs une source d’inspiration féconde pour mes recherches.

Devant mon succès, on m’accorda la création d’une unité d’enseignement créditée dans le cursus de physique, appelée “Commentaire de recherche actuelle” qui m’est, encore aujourd’hui, très précieuse. J’y donne des conseils et astuces pour poser des réflexions constructives sur des sujets difficiles, hors champs de ses connaissances (il est rare que mes recherches soient abordables pour mes étudiants : tout l’art de cette matière est de permettre tout de même la réflexion).

Il ne me suffit pas d’apprendre à mes étudiants à commenter mes travaux. Je leur montre aussi, ensuite, comment leurs commentaires m’ont été utiles dans mon travail de recherche et passe un long moment alors, à faire de la didactique scientifique.


Je n’ai pas fait d’émules parmi mes collègues, certainement car cet enseignement est très personnel : il dépend directement de ma méthodologie de recherche singulière. Beaucoup de confrères ont du mal à appréhender comment je m’y prend pour mes questionnaires aux étudiants, pour exploiter les réponses et interagir ensuite en permanence avec eux dans la conduite de mes recherches pourtant très avancées. C’est un échec qui me ronge mais je n’arrive toujours pas à m’expliquer et je dois me contenter de ma complicité avec mes étudiants, sans pouvoir transmettre l’art de mon cours de “Commentaire de recherche actuelle”. Les processus cognitifs que je mets en œuvre sont trop intuitifs et j’échoue tristement, jusqu’à présent, à les formaliser.

Je donne aujourd’hui un cours de “Commentaire de recherche actuelle” à des étudiants doctorants. Ce ne sont pas d’habitude ceux qui me font le plus progresser, notamment car à force de spécialisation et avec le passage des années, beaucoup perdent de leur ouverture d’esprit et de leur originalité naive. Ils ont été formatés à certaines façons de penser et formés à des méthodes où ils sont devenus très performants, mais ce travail peut bien être réalisé par des machines. Je n’ai donc pas besoin d’eux pour cela. Non, moi je cherche l’inventivité, la créativité de mes étudiants, peu importe s’ils ne maitrisent pas leur sujet. Ça, on peut toujours le corriger. Mais, sans cette inventivité, cette créativité qui se forme et se conserve en osant oser sans cesse, il n’y a rien que mes étudiants peuvent m’apporter que ne peut déjà m’apporter l’intelligence artificielle récente.

Il y a un jeune doctorant qui, cependant, me surprend. Il est fantasque, se disperse beaucoup mais connecte des choses entre elles que peu oseraient mettre en rapport et de là, il a des raisonnements originaux et féconds. J’ai n’ai jamais vu une telle verve scientifique et décide de lui proposer un mentorat.

J’apprends qu’il s’appelle César Ionescov et qu’il a rejoint mon université récemment pour y faire sa thèse, ce qui explique que je ne le connaissais pas. Il accepte avec enthousiasme ma proposition et nous nous voyons en dehors des cours, autour d’un café, pour une discussion en tête à tête prolongée.

Une symbiose intellectuelle s’opère entre nous. Nous trouvons chacun en l’autre quelqu’un qui nous comprend enfin. Nous sommes euphoriques en pensant aux bonds scientifiques que nous pourrons réaliser en unissant nos forces et décidons de nous revoir chez moi.

C’est simplement car j’ai à domicile du matériel de travail qualitatif : tableaux à craie, bibliothèque, ordinateurs et tablettes de dernière génération, une salle de recherche privée, profitant d’un calme absolu, de l’odeur et d’une vue sur un jardin fleuri, des bureaux spacieux et des sièges confortables.

En fin de semaine, je l’invite donc à me rendre visite et nous passons un samedi entier à discuter, blanchir des tableaux noirs, écrire des textes en format numérique et effectuer des simulations par ordinateur. Tant et si bien que le soir venu, je lui propose de dormir dans ma chambre d’amis afin qu’on puisse rapidement poursuivre notre collaboration le lendemain. Nous remettons le couvert dimanche et il part de chez moi Lundi matin. Ce manège s’installe dans la durée et nous passons une année entière à unir ainsi nos cerveaux.

Après une année ensemble, il est clair qu’on ne peut pas qualifier notre relation de mentorat de professeur à étudiant. César est bien trop talentueux. Il s’agit plutôt d’une collaboration à pied d’égalité. Il est plus vif, je suis plus expérimenté, mais la relation est équilibrée et aucun de nous deux n’a d’ascendant intellectuel sur l’autre. Nous nous complétons et nous émulons mutuellement avec perfection.

Pour fêter notre anniversaire de partenariat, nous prenons l’initiative d’aller le soir au restaurant pour une première rencontre personnelle. Après ce que nous avons vécu ensemble, nous avons envie d’apprendre à nous connaître un peu sur ce que nous sommes en dehors du travail.

À ce moment-là, j’ai cinquante-quatre ans et il en a vingt-quatre. Entre autres nombreux travaux, César a beaucoup avancé sur sa thèse et devrait l’avoir terminée dès l’année prochaine, où nous serons collègues docteurs.

Je me rends à mon rendez-vous comme d’habitude, en chemise, cravate et pantalon de costume. J’aime être bien habillé au quotidien. Lui se rend au rendez-vous comme à son habitude, en T-shirt et jogging. Nous ne nous formalisons jamais entre nous. Nous sommes chacun dans nos vêtements de confort.

Je commande une entrecôte de bœuf à la milanaise et il commande une salade composée. Je suis plutôt viandard et il est très légumes. Nous partageons aussi un pichet de vin rouge.

Pendant que nous attendons d’être servis, nous commençons à discuter :

— Alors, César, lancé-je, moi, tu me connais un peu car j’ai une réputation et qu’on écrit des articles sur moi mais, toi, je te connais à peine. Allez, tu veux bien me raconter un peu d’où tu viens ?

Il rit et répond :

— Ah, d’où je viens ! Bien sûr que tu me connais. Tu sais comment je réfléchis. Tu peux comprendre comment je raisonne. C’est une connaissance bien plus intime que tu as de moi que celle, factuelle et froide, de mes lieux de passage et des événements de ma vie.

Je souris et poursuis :

— Certes ! Mais tu sais, tu n’as pas développé ton caractère et ta façon de penser spontanément. Tu es comme tu es car tu as vécu, entre autres, des situations particulières à des endroits particuliers.— Peut-être. Mais, au final, je suis ce que je suis aujourd’hui. Mon moi du passé n’est plus moi et l’histoire que j’ai vécue est celle d’un autre, qui a évolué jusqu’à moi. Si tu savais ce que j’ai traversé, tu serais tenté de me réévaluer à la lumière de choses qui ne me caractérisent plus vraiment. C’est pourquoi, je pense, que tu me connais d’autant mieux que tu n’es pas encombré de préjugés liés à la “connaissance” de mon histoire.

C’est un point de vue intéressant mais je ne le partage pas. C’est, à mon sens, une pirouette pour s’esquiver. Il a peur, au contraire, que je le connaisse trop bien. Je respecte son choix cependant, et n’insiste plus.

— Bien. Qu’est-ce que tu fais en ce moment, quand tu n’étudies pas, ne travaille pas ta thèse ou ne fais pas de la recherche avec moi ? lui demandé-je.— Oh, je mange, je dors, je marche un peu. Une vie ennuyeuse pour qui ne partage pas notre amour de la science.

Je souris poliment mais soupire tristement à l’intérieur de moi. Je reconnais le profil de l’étudiant absorbé, solitaire, qui va souffrir de cette condition ou en souffre déjà et risque de gâcher son potentiel avec la dégradation prévisible de son état de santé et mental au cours du temps. J’ose le bousculer et lui demander :

— J’apprécie beaucoup que nous passions nos week-ends ensemble mais, moi, j’ai cinquante-quatre ans. J’ai vécu. Toi, tu es encore jeune. Je comprends ton enthousiasme pour les sciences, je le partage et je suis aussi ainsi, depuis l’enfance. Tu vas encore dire que j’aime trop les proverbes mais, seul, on va plus vite, ensemble, on va plus loin. Il te faut une vie sociale ou tu ne tiendras pas longtemps.

César se gratte la tête. Il fait toujours ça quand il est contrarié et son sourire et son assurance forcés ne prennent pas sur moi quand il réplique :

— Je te pensais moins étriqué. Que manque-t-il à ma vie ? Rien ! J’ai la vie sociale dont j’ai besoin, les contacts intellectuels qui nourrissent mon esprit. Je ne vais pas forcer mes relations pour mieux correspondre à ce que la société normative attend de moi.

Je m’emporte. Je sais reconnaître certains signes et ce qu’il me dit, c’est de la foutaise :

— Bon sang, César. Tu es frustré. Je le sais. Excuse-moi de te le dire comme ça, mais, il faut que tu baises. Installe une application sur ton téléphone pour ça, si tu as du mal. Même les vieux comme moi s’y mettent aujourd’hui. Vraiment, il n’y a pas de honte.

Il rougit et baisse la tête, gêné. Qu’est-ce qui m’a pris ? Je deviens un vieux con. Je n’avais pas à me mêler de ça. C’était complètement déplacé. Je m’en veux de m’être laissé tenter par le rôle du donneur de leçons à deux balles. Avec ma fierté d’ancien, j’ai pourtant du mal à reconnaître mon erreur et un silence long et pesant s’installe entre nous sans que je n’ai le courage d’un mea culpa, ou au moins, de changer de sujet pour une conversation légère qui désamorcerait la situation.

— Mais… bredouille-t-il, la voix rauque. C’est avec toi que je veux passer du temps.

Il est toujours rouge, la tête baissée, se gratte la tête et ne semble pas savoir où se placer. Oh non. Je comprends. Il est amoureux de moi.

— Enfin, César… lui dis-je, avec un ton doux. J’ai trente ans de plus que toi. Je pourrais être ton père.

Il a les larmes aux yeux. Je suis embarrassé et ai de la peine pour mon ami. J’ajoute, me confiant un peu :

— Tu sais, je suis un coureur. J’ai eu des tas d’hommes dans ma vie. Dans mes relations, je cherche un contact physique intense, je le réalise et je coupe les ponts. Je suis un homme d’une nuit, parfois quelques-unes, mais je ne fais jamais durer longtemps et concentre tout sur le sexe. C’est ce qui me plaît. Je fréquente une quarantaine d’hommes différents chaque année. Je ne peux pas te faire ça. Tu mérites quelqu’un qui reste avec toi, qui vit l’amour comme tu le vis.

Il pleure et baisse toujours la tête, incapable de faire face à la situation et comme tétanisé. Allez, va, ce n’est qu’un chagrin d’amour, mon grand. Tu en auras d’autres. Je viens vers lui et le prend dans mes bras. Il me serre fort, geinds un moment puis je met fin à l’étreinte. Elle ne peut pas durer éternellement. On est servi, on mange un peu puis il décide lui-même d’apaiser les choses, ce qui me soulage. Je suis trop lâche et je n’aurais rien osé s’il n’était pas intervenu.

— Je pense à nos recherches, Gontran, me dit César, avec une nostalgie bizarre, comme si notre partenariat s’achevait là. Je pense à la physique expérimentale et à ce que nous pourrions réaliser à force d’ingénierie. Les scientifiques contemporains ont tellement fait de théorie déconnectée du réel. On dit qu’on fait de la recherche mais moi, je nous considère plutôt comme des artisans. Tu te rends compte que nos engins de manipulation de la matière, si on arrivait au bout, nous permettraient de voyager dans le temps !— On ne peut pas voyager dans le temps, n’arrivé-je pas à réprimer, maladroit, alors que César a besoin de rêver. Si les multivers existent bien, on pourra voyager dans des univers parallèles, presque semblables aux nôtres, mais notre passé est derrière nous et nous ne le changerons jamais.

César se lève brusquement. Il a les traits tirés et une moue dépitée quand il lâche :

— Excuse-moi, Gontran. C’est trop. Je dois me reposer, prendre du temps seul pour repenser à tout ça. Je m’en vais.

Il marque une pause et je comprends qu’il voudrait que je le retienne mais je ne peux pas. Je sais que s’il reste encore, je vais lui faire du mal. Il a bien raison. Il doit se reposer, prendre de la distance, guérir de son chagrin et alors seulement nous pourrons nous revoir, peut-être. J’ai mal au cœur et malgré mon âge avancé, je n’ai pas les clés pour réagir à cette situation. Je reste sans rien faire, sans rien dire. Il me regarde un moment puis s’en va. Je suis à la fois soulagé et j’ai honte de moi.

***


La semaine suivante, je reprends les cours. J’ai une boule dans le ventre cependant. Je suis triste, et ce n’est pas courant chez moi alors je ne sais pas le cacher et mes étudiants s’en rendent compte. Je donne cours sans passion. Une étudiante, charmante au demeurant, vient même me voir à la fin d’un cours :

— Professeur GAY, vous allez bien ?

Je sais qu’ils m’appelent tous ainsi entre eux, mais je suis tout de même choqué qu’elle ose m’appeler avec mon sobriquet en face à face. Mais, elle dit cela d’une voix affectueuse. Je comprends que c’est une façon de montrer qu’elle m’aime bien, de mettre de la familiarité dans notre discussion car elle veut parler à l’homme et pas au professeur, et je ne lui en tiens pas rigueur.

— Merci, c’est gentil de te préoccuper de moi et j’en suis touché mais ça va aller, ne t’inquiète pas.— Vous savez, professeur, on vous aime bien. Je viens au nom de plusieurs camarades. On s’inquiète pour vous. Vous avez pas l’air d’avoir le moral alors on tenait à vous dire que vous êtes un professeur génial et que si on peut faire quoi que ce soit, on est là.

Je suis sincèrement touché. J’en ai une petite larmichette à l’oeil. Je suis populaire et j’ai déjà eu droit à des marques attendrissantes de respect et d’affection mais c’était toujours en fin d’année, souvent chez les doctorants qui ont fait tout leur cursus à mes côtés et partent à l’étranger. Ce n’est qu’une deuxième année. Cela me rend heureux et je retrouve la joie d’enseigner. Les jours suivants, je redonne cours avec ma bonne humeur habituelle.

Le premier week-end, je ne contacte pas César. Je préfère lui laisser le temps. La semaine qui suit, on doit se voir de toute façon, pour un entretien au sujet de sa thèse, avec le reste du jury. Je suis décidément trop lâche sur cette affaire. Mais, il ne vient pas à l’entretien et je m’inquiète pour de bon. Je tente de le contacter, en vain. Un mois passe et je suis toujours sans nouvelles. Je relativise et me dit que sa retraite lui est probablement bénéfique et qu’il fait bien de rester loin de moi pour se protéger. Peut-être a-t-il même quitté la faculté et pris un nouveau départ.

Un jour, alors que je commençais à tourner la page pour ne pas me laisser abattre et être là pour mes étudiants, j’ouvre la boîte mail universitaire et y découvre le message suivant avec effroi :

Chères étudiantes, chers étudiants,Chères et chers collègues,

J’ai appris ce matin, par le Centre Régional des Œuvres Universitaires, la découverte du corps sans vie de César Ionescov, doctorant parmi nous, dans sa chambre en résidence étudiante. Son décès daterait d’il y a au moins un mois. Ce sont des voisins qui ont alerté la conciergerie en signalant une odeur épouvantable provenant de l’appartement 401. César Ionescov vivait seul, sans famille et sans amis, et est mort dans l’isolement et l’indifférence. Cela doit tous nous interpeller. Prenez soin de vous et de vos camarades.

Une minute de silence sera observée aujourd’hui à 12h30 sur le parvis universitaire.

Cordialement,

Alfred Alambar,Directeur Président de la faculté


Je m’effondre. Je ne peux pas retourner à la faculté dans mon état et prend congé. Je me replonge avec nostalgie dans nos travaux sur le déplacement dans des univers parallèles. Je repense à notre dernier échange et pense, songeur : si je ne peux pas empêcher sa mort dans ma dimension, je peux peut-être le sauver ailleurs. Il mérite tant de vivre. Il avait tant d’ambition. Je l’ai tué. Je pleure.

Je travaille une année entière sans relâche mais sans César, je ne peux pas y arriver. J’aimerais lui dire tant de choses aujourd’hui. Je regrette. Je comprends son souhait de rêver, d’imaginer que le voyage dans le temps est possible. J’aimerais tellement rattraper les choses.

Soudain, alors que je travaille dans mon salon, je sursaute et voit devant moi, une copie de moi avec César, tous les deux à poil. Je perds la tête, pensé-je. Mais alors, ils me regardent et l’un m’explique :

— Salut, autre moi, me dit, amusé mon alter-ego. On a réussi le voyage avant vous ! Excuse-nous de la tenue, on a oublié de prendre l’option effets personnels et valise à l’astroport spatio-temporel. Je plaisante. On a pas réussi à transporter aussi du matériel. Peut-être la prochaine fois. Où est César ?

J’hésite encore. Je suis peut-être en train de rêver, mais mon alter-ego me connaît bien. Il me secoue.

— Tu ne rêves pas, Gontran ! Nous aussi, jusqu’à la dernière minute, on n’y croyait pas. Mais on y est arrivé ! me dit-il, les yeux brillants, heureux.

Il fait comme chez lui et consulte mes dossiers.

— Aïe. Vous faites fausse route, mon ami. C’est étonnant. Le chemin que tu as emprunté, c’est une impasse que j’avais prise mais naturellement, César nous a fait retourner sur la bonne voie. Mais, où est-il ?

Il me regarde et à mon expression, il comprend que quelque chose s’est passé. Je dis :

— Il est mort et je suis responsable.

Je leur raconte ce qu’il s’est passé. Je suis content de revoir César mais c’est étrange. Il me disait dans notre dernière conversation que son soi du passé n’était pas vraiment lui, et je me rends compte que son soi du futur a changé aussi. J’en oublie que ce ne sont pas des voyageurs du temps mais d’une dimension parallèle. Enfin, qu’est-ce que ça change ? Ils ont presque vécu la même vie. Déjà que c’est difficile d’envisager le voyage à travers les dimensions, s’ils ont réussi, ils n’ont pu aller que dans un univers sensiblement le même que le leur. Et pourtant. Il y a une différence de taille. César est mort chez moi, chez eux, il est vivant.

— Bon, me lance mon alter-ego, fébrile. On est désolé pour toi, autre moi, mais on a à faire. On doit construire un transporteur ensemble, si tu l’acceptes. Déjà, on ne sera pas trop avec ton aide, ce n’est pas parce qu’on a réussi une fois que la seconde sera facile. Ensuite, notre plan est de réunir un maximum de Gontran et de César dans toutes les dimensions parallèles proches, pour unir nos forces, améliorer notre machine à voyager à travers les dimensions et agrandir le champs des possibles. Tu ne voudrais pas rater cette aventure formidable ? Console-toi. On est pas uniques. Tu ne verras plus jamais le César de ta dimension mais tu nous a nous, et plein d’autres que nous allons rejoindre. Allez, courage, c’est génial ce que nous vivons là. Nous allons changer les mondes. Allez, c’est parti.

Je puise dans mes réserves un peu de force et de volonté. Je me raccroche à l’espoir de, qui sait, retourner dans le passé et empêcher la mort de mon César. Je sais que c’est impossible mais ce n’est pas grave. Je ne me vois pas tenter autre chose, quand bien même je dois pousser le rocher de Sissiphe et ne jamais y parvenir. Je me fous de leurs voyages à travers les mondes. Je veux changer le mien.

Il est plus difficile que prévu de reconstruire le transporteur qu’ils ont bâti chez eux, et nous mettons trois ans pour y parvenir. Mais, enfin, nous sommes transportés.

Contrairement à notre attente, nous ne sommes pas projetés dans le salon d’un Gontran d’une réalité parallèle mais en pleine forêt feuillue près d’une rivière, dans le froid et la neige d’un hiver difficile. Proche de nous, par chance, se trouvent quelques baraques en bois tressé. Nous ne sommes donc pas livrés à nous mêmes. Une femme, petite et trappue, avec un visage carré, des épaules larges, un épais duvet et des poils au menton, une mâchoire remarquablement large et un nez imposant, vêtue d’une peau de bête, nous fixe avant de nous adresser quelques mots que nous ne comprenons pas. Ça ressemble vaguement au basque, de ce que je connais.

Nous ne savons pas encore ce qui est arrivé mais j’ai bien peur que l’avenir nous apprenne que nous nous sommes déplacés quelque part dans une temporalité parallèle proche de la préhistoire. Si tel est le cas, nous sommes coincés ici, me résigné-je. Notre “téléportation” ne déplace pas notre machine de voyage avec nous, ni rien d’autre. Nous sommes complètement nus et frigorifiés. J’appréhende la suite de nos aventures avec inquiétude.
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