Une vie est un voyage. Avec de longs chemins sinueux, des plages, des détours et des contours volontaires ou non. Parfois, les turbulences traversées sont, par la force des choses, des instants intenses qui s’approchent de ce que certains pensent être l’éternité.
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Après quatre années d’un mariage heureux, Pierre, le frère de Jean mon mari, avait connu quelques revers professionnels conséquents. Il s’en était mal sorti, et son épouse Christine l’avait quitté un beau matin en embarquant leurs meubles. Inutile de dire que son moral avait été atteint. C’était donc ainsi qu’un soir, la police nous avait avertis qu’il avait été découvert gisant inanimé, dans une rue du centre de notre petite ville de province. Évidemment, Jean et moi, nous sentions très inquiets pour cet homme que nous voyons sombrer jour après jour sans rien pouvoir faire. Nous nous étions rendus immédiatement à l’hôpital où il avait été admis, en urgence absolue. Au bout de quelques jours, il s’était remis de ce qui à mon sens était plus un appel au secours qu’une véritable envie de mourir. Christine son épouse n’était pas seulement venue le visiter lors de ce moment difficile. Et Jean et moi avions donc abordé le retour à la vie normale de ce frère si fragile. Finalement, nous étions tombés d’accord ! Il pourrait passer un peu de temps chez nous, à la maison. Bien entendu, nous avions une grande demeure et il ne nous dérangerait pas beaucoup. Mon mari se sentait plus rassuré de savoir son cadet entouré et c’était donc ainsi que provisoirement nous accueillions un soir de mars ce garçon de deux ans plus jeune que Jean. Il semblait avoir repris un peu du poil de la bête et son arrivée un vendredi soir mettait un peu de joie dans la grisaille de notre quotidien. Il n’était bien entendu, absolument pas question de lui parler de son geste malheureux qui avait failli mal tourner. Nous le recevions donc à bras ouverts. J’avais toujours vu en ce grand garçon un peu effacé, un beau-frère sympathique. Alors, même pour un temps indéterminé, je me sentais heureuse de sa présence dans notre nid. Il fallait aussi admettre qu’avant que sa femme ne l’ait quitté, nous ne nous voyons guère qu’une ou deux fois durant l’année, chez ma belle-mère pour les fêtes de fin de Noël et de Nouvel An, parfois pour Pâques. Bien sûr sa présence entrainait aussi quelques aménagements dans notre vie quotidienne et notamment sexuelle. De nature assez expansive dans ces instants si intimes, je devais modérer mes gémissements et si j’oubliais parfois, Jean, d’une main sur la bouche savait me rappeler que mon petit beau-frère couchait à deux pas de nous. Alors notre belle union avait pris un peu de plomb dans l’aile. À trop vouloir se cacher, on arrivait à se perdre pour de bon. Au bout de quelques semaines, nos rapports s’espaçaient, sans que nous en ayons spécialement conscience. Puis de plus en plus souvent, nous avions des crises et des disputes plus ou moins cachées. Bref, nous couple prenait l’eau et pâtissait de cette promiscuité. Pourtant, je faisais bien des efforts, Jean également, mais les événements empiraient. Alors un après-midi, de juillet, Pierre s’était pour une fois rendu seul chez Maryse, ma belle-mère. J’en profitais pour affronter clairement avec mon mari le problème. — Jean… tu ne crois pas qu’il est temps que nous ayons une conversation sérieuse ?—… une… conversation… tu veux dire au sujet de Pierre ? Bien sûr… je vois bien que notre couple va mal. Mais je ne peux pas le renvoyer chez maman. Elle est trop âgée pour supporter sa présence et puis… ici, je sais qu’il ne pourra pas renouveler sa « connerie » et ça me rassure.— Nous avons déjà parlé de tout cela. Ce qui m’inquiète moi, c’est que nous n’avons plus vraiment d’intimité toi et moi ! Et c’est ce qui risque bien de nous détruire… de briser notre amour, je veux dire. Tu vois, le fait de ne plus pouvoir exprimer clairement ce que je ressens… ça me mine de l’intérieur et j’ai de moins en moins envie de faire l’amour !— Tu n’as donc plus envie de moi ?— Pas de toi, mais de te laisser faire sur moi des caresses qui vont être trop frustrantes… tu me connais non ? Tu sais combien j’aime pouvoir gémir, crier quand tu me prends. Et j’ai l’impression que désormais baiser en silence, c’est un peu comme manger du pain sans sel.— Tu… Carole…— Oui ! Nos étreintes n’ont plus cette saveur, ce piquant qui m’entrainait vers des orgasmes profonds.— Tu… tu ne jouis donc plus quand je te prends ?
— Ben… je suis désolée, mais c’est un peu vrai… c’est même très surement ce qui nous emmène vers une faillite de notre mariage ! À tous les coups… j’ai peur de ce qui pourrait arriver. J’avais alors lu dans les yeux de cet homme que je chérissais plus que tout au monde, une sorte de désarroi. Il ne savait pas comment gérer cette situation, avec d’un côté, une partie d’un identique sang coulant dans les veines de son frangin et la femme que j’étais restée pour lui ! Je me sentais d’un coup minable de l’avoir ainsi poussé dans ces derniers retranchements. Il fallait bien cependant que l’abcès soit percé… une question de survie pour notre mariage. — Je t’assure que je ne sais pas, comment faire ! Je ne veux pas te perdre Carole, et si jamais il arrivait malheur à Pierre…— Je comprends mon amour, je sais ! Mais nous allons tout droit dans le mur… tu pourrais… je ne sais pas moi, lui parler… il est grand tout de même.—… tu… tu ne voudrais pas le faire toi ? — Ne me dis pas que c’est ça ton plan ! Que ce soit moi qui dise à ton propre frère que… nous avons une vie aussi et qu’il la perturbe gravement !— Tu as un bon feeling avec lui. Toi, il t’écoutera… Je risque moi d’être trop brutal, tu sais manier les mots plus en douceur… Cette fois c’était moi qui me prenais une sorte de gifle en pleine figure. Jean avec son air de ne pas y toucher, me renvoyait le bébé. Le malaise qui s’instaurait entre nous reposait désormais sur mes seules épaules. Une façon toute masculine de me dire qu’après tout, si je ne supportais plus Pierre, je n’avais qu’à lui faire savoir. Mais mon mari avait su aussi mettre à profit ce temps de répit que celui-là de la visite à leur mère. Et ses arguments étaient des plus solides. C’était là, sur la table de la cuisine, sans fioritures que nous avions refait des gestes amoureux, sans nous contenir. Lors de cet échange, je mesurais avec joie ce que les cris avaient de spontané. Les soupirs non retenus, qui fusaient dans l’endroit où, sans me dévêtir totalement, il me caressait, me montait, me ramenaient à des sentiments plus mitigés envers lui. Il calmait cette sourde colère qui m’envahissait, étouffant dans l’œuf le vent de rébellion qui se levait dans mon cerveau. Quel orgasme que celui qui m’avait secoué là, en faisant l’amour à l’arrache sur le plan de travail entre la plaque de cuisson et l’évier ! Et j’étais encore sous la douche quand des pas dans le couloir m’annonçaient le retour de mon beau-frère. Jean avait lui, filé à son bureau depuis un bout de temps. Le peignoir que j’avais passé à la hâte ne masquait que l’essentiel de mes formes. À ma sortie de la salle de bain, il était là. Une réplique de mon mari, avec juste quelques rides de moins. Il s’était servi un café et avait déposé à l’endroit même où… mes fesses avaient vu le loup, quelques minutes auparavant, un énorme bouquet de roses ! Il se tenait là et ses yeux si semblables à ceux de son frère qui me fixaient… avaient de quoi me déstabiliser. — Ah ! Carole, ça va ce matin ?— Oui ! C’est plutôt à toi Pierre de me dire si tu te sens mieux. Cette visite à belle-maman ?— Oh ! Tu la connais aussi bien que moi. Elle ne semble pas remarquer seulement que Christine n’est plus là. En fait elle vit sans se préoccuper de Jean et de moi… Tiens, c’est pour toi.— Wouah ! Merci Pierre ! Elles sont magnifiques, mais il ne fallait pas.— Ben, je vous cause suffisamment de dérangement à Jean et toi pour que j’aie une petite attention pour toi. Je ne suis pas dupe, tu es de plus en plus taciturne depuis que je vis sous votre toit. Je ne vous remercierai jamais assez mon frère et toi de ce que vous faites pour moi. Il me regardait et nous étions sous le coup de l’émotion, tous les deux. En approchant les fleurs de ma main, il avait sans doute involontairement frôlé mon avant-bras. C’était comme si un coup d’électricité venait me chatouiller tout le corps. Le frissonnement que je venais d’avoir ne lui était pas passé inaperçu. Il ne cessait de me scruter du regard. Un énorme soupir franchissait sa gorge et il avait failli parler, se retenant à la dernière seconde. Pour quelle raison avais-je moi aussi baissé le menton ? Puis pourquoi m’étais-je empressée de fouiller dans un placard, à la recherche d’un vase ? Une façon de me protéger d’un éventuel danger dont je pressentais l’imminence ? Et ce récipient convoité, sur l’étagère, je n’étais pas assez grande pour l’attraper. — Attends ! Je vais t’aider.—… ? Il se tenait derrière moi, et ses bras passés de part et d’autre de ma tête avançaient vers le réceptacle pour les roses. Je ne pouvais guère me dérober, puisque le placard me l’interdisait. Et en se penchant pour descendre l’objet, il se collait littéralement à moi. Son souffle dans mon cou, je sentais du coup son cœur qui battait dans sa poitrine. En voulant esquisser un mouvement de repli, je n’arrivais qu’à me fourrer encore plus contre la poitrine de Pierre. Du reste le geste pour me retourner et filer me propulsait cette fois le visage contre celui de mon beau-frère. Il ne reculait toujours pas, ses deux mains maintenant le vase cette fois dans mon dos, m’encerclaient les épaules. Et si cette bouche qui était censée lui parler s’ouvrait alors, ce n’était pas vraiment pour discuter. Pierre avait soudainement porté ses lippes contre les miennes et m’embrassait furieusement. Mais l’idiote du village, c’était toujours et encore moi. Parce qu’au lieu de le repousser comme la raison l’aurait voulu, eh bien non ! Je m’enferrais dans une vraie pelle. Baiser aux saveurs incroyables ! Il réitérait de suite l’infraction, fort de ma reddition spontanée. — Pierre !— Carole…— Pierre, qu’est-ce que tu fais ?— Ce que j’ai envie de faire depuis des années…— Arrête ! Tu te rends compte ! Tu es le frère de Jean…— Tu… tu es belle, j’ai vraiment envie de toi… tu… attends ! Embrasse-moi encore, oui encore un peu… comme tes lèvres sont douces. Il a bien de la chance mon frère.— Ce n’est pas bien… nous ne devrions pas… faire ça !— Oh, juste un peu, juste une caresse ou deux. Si tu savais combien de fois j’ai pu les imaginer tes seins… j’en étais un peu jaloux de ces nuits que vous passez là tout près, dans votre lit. Et j’ai si souvent écouté pour savoir comment tu gémissais, comment tu criais en jouissant… mais jamais un bruit, jamais rien. À croire que Jean ne te touche pas… plus. C’est le cas ?— Mais non ! Qu’est-ce que tu vas imaginer ? Oh, arrête ! Tu me fais dire n’importe quoi et puis ce n’est pas sérieux cette histoire. Ne m’embrass… Plus moyen de parler. Ses lèvres soudées aux miennes ne permettaient plus à aucun son de franchir nos gorges. Et ses mains, qui de mes seins, en glissant sur ma peau, venaient d’aborder, cette plage située sous mon nombril. Il savait comment s’y prendre le bougre. Le feu allumé là par son frère plus tôt avant son retour avait pourtant été circonscrit de belle manière. Pourquoi alors est-ce que la flamme s’était rallumée au fond de ce ventre trop silencieux depuis quelque temps ? Pour la première fois de ma vie, des mains étrangères à celles de Jean me tripotaient et je ne me révoltais nullement. Qu’est-ce qui pouvait se passer dans ma tête pour que je ne bougeasse point de la sorte ? Alors il allait de plus en plus loin. Il n’avait pas trouvé d’obstacle majeur sur le chemin de son index qui folâtrait maintenant avec ces deux grandes lèvres qui n’étaient couvertes par rien. Et plus ce doigt allait bas, moins je ressentais le besoin de le refouler. Enfin, il s’introduisait dans ce couloir seulement visité un peu plus tôt dans la matinée. Et l’effet était tout aussi bon. Mon bassin ondulait dans une danse qui devait donner à penser à son hôte qu’il pouvait se servir. Les phalanges allaient et venaient dans un mouvement d’ascenseur de plus en plus rapide. Mes cris… mes soupirs, pourquoi aurais-je dû les retenir ? C’était si bon, si bien fait. Pierre me doigtait de plus en plus vite et le bruit de la fermeture éclair de sa braguette me rappelait à une réalité dangereuse. Il était le frère de mon homme. Le désir tenace qui me taraudait le ventre ne me quittait pas, malgré la poussée en avant de mes deux pattes. — Non ! Non, Pierre ! Tu ne peux pas faire… on ne doit pas faire cela à Jean.—… oh ! S’il te plait. Regarde dans quel état tu m’as mis.— Tu t’y es mis tout seul mon pauvre Pierre… ne me colle donc pas tout sur le dos.— Mais… nos embrassades, et puis je suis sûr que tu en avais envie… pourquoi ne veux-tu pas aller jusqu’au bout ? C’est de la torture…— J’ai un mari, ton frère en plus. Tu crois qu’il mérite que toi et moi nous le trompions ? Il nous fait confiance tu le sais bien.— Mais ce n’est pas moi qui vais le lui dire, et je suppose que tu ne lui raconterais pas non plus… alors où est le mal.— Le mal ? Mais il est déjà dans le simple fait que nous en ayons eu l’idée. Et puis… que tu m’aie caressée aussi c’est déjà, dans l’esprit, lui faire du mal. Je ne veux pas le tromper. Pas comme ça, pas comme deux chiens !— Comme tu y vas… Je suis aussi amoureux de toi, et c’est ce qui te fait peur ?— Non ! C’est juste ton problème. Moi j’aime Jean et il me suffit. Nos problèmes, ou ce que tu assimiles comme tels sont simplement du fait de ta présence. Tu as bien vite compris que j’étais bridée, que je n’osais plus crier depuis que tu vis chez nous. C’est pour cela que ton frère et moi avons moins de moments tendres…— Tu… tu sous-entends que je détruis votre amour ? C’est bien ce que tu veux dire par ces mots ?— Ben… dit crument, c’est exactement ce qui se passe…— Mais… Pierre était livide, presque chancelant. J’étais partagée entre lui demander de partir, et l’aider à se remettre. Au clocher de l’église du village, midi sonnait déjà. — Mais… bon sang, remets-toi Pierre ! Ton frère va rentrer pour le déjeuner… il ne doit pas te voir dans cet état… et tu as intérêt à tenir ta langue.—… ! Il s’éclipsait vers la chambre d’ami qu’il squattait depuis sa venue chez nous. À son retour, Jean comme à son habitude était de bonne humeur pour le déjeuner. Nous le primes tous trois en silence, et mon mari me jetait de fréquents coups d’œil. Il me questionnait du regard. Il devait être persuadé que j’avais parlé à son frérot de ce qui me tenait à cœur. Mais devant lui, il ne faisait aucune allusion, alors même que je le sentais angoissé. Lui et moi n’avions pas échangé dix paroles durant tout le repas. Et le baiser sur le bout des lèvres que nous nous donnions juste avant se départ pour son bureau masquait toutes ses appréhensions.
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L’après-déjeuner et tout l’après-midi s’avéraient être une torture pour moi. D’un côté, je faisais tout pour éviter de croiser mon beau-frère et puis au fond de moi, le souvenir récent de ces baisers échangés me relançait. La peur et le désir, curieux mélange détonant qui ne me lâchait plus. Un ouf de soulagement accompagnait le retour en début de soirée de Jean. Finalement Pierre ne s’était pas manifesté. Mais à plusieurs reprises j’avais perçu du bruit dans sa chambre et ça m’avait rassurée… au moins n’avait-il pas fait une vilaine bêtise. Bien que je me demandais si l’erreur n’était pas de mon fait ! Ces pelles roulées en l’absence de mon mari, ce lâcher-prise qui n’était pas désagréable, tout m’indiquait clairement que je m’étais trouvée à deux doigts de tromper Jean. Et le pire de l’affaire, je n’en éprouvais pas de vrais remords. Plus j’y songeais, et plus je me traitais de folle. Pas d’avoir su résister, non, mais bien plutôt de n’avoir pas cédé. Et ma mine renfrognée avait de suite éveillé l’inquiétude chez l’homme de ma vie. — Ça va Carole ? À midi tu ne m’as pas desserré les dents, et là… on dirait que tu me fais encore la gueule ! J’ai fait ou dit quelque chose de mal ?—… ? Mais non ! Il n’y a rien bon sang ! Qu’est-ce que vous avez tous aujourd’hui ?— Ah ? Tous ? Je vois ! Tu as donc parlé à Pierre ! Vous vous êtes embrouillés et tu n’oses pas me le dire. Il était bizarre aussi durant le déjeuner. J’ai bien senti que quelque chose clochait… tu ne veux pas m’en parler ?— Il n’y a rien à dire Jean. Il ne s’est rien passé… pas ce que tu imagines en tout cas !— Donc j’ai raison… et bien puisque tu t’enfermes dans ton mutisme, lui saura bien me raconter… je vais lui parler, il devra bien m’écouter… je ne vais pas regarder mon couple foutre le camp sans broncher. J’aime mon frère, mais vois-tu Carole, je t’aime davantage et je tiens à toi. Ça m’a travaillé toute la journée. Il est temps que lui et moi ayons une petite mise au point ! Il s’engageait dans le couloir menant aux chambres. Il se retournait soudain et je fis un pas vers lui. — Attends Jean !—… ?— Je veux juste que tu saches… je t’aime tellement… Il se raidissait comme si je venais de proférer une quelconque menace. Où avait-il l’impression qu’une de celles-là planait au-dessus de nos têtes ? Il me sembla qu’il affichait une peur au fond des yeux. — Je… je t’aime tant aussi… je reviens, mon amour ! Cette fois, il s’engouffrait dans le corridor et les trois coups qu’il donnait dans la porte de la chambre d’ami me glaçaient d’effroi. Qu’est-ce que mon beau-frère allait bien raconter à mon homme ? J’avais le ventre noué. Il le demeurait tout le temps que les deux frères eurent un entretien à huis clos. Puis mon mari revint vers moi… Il n’avait rien d’un mec en colère. Dans ses yeux brillait conne une lueur rieuse. J’attendais le visage baissé une volée de bois vert, une engueulade mémorable. Rien de tout cela n’éclatait pourtant. Jean se contenta de me passer la main sur la joue. Il remonta ma caboche d’une main douce et ses lèvres vinrent se poser là où son frère… bizarre comme sensation. Pas désagréable, au contraire ! Puis il s’écartait de moi et gardait son sourire pour me lancer simplement. — Je ne vous en veux pas ! Je crois même que ça donne des idées ?— Quoi ? Qu’est-ce que t’a raconté Pierre ? Dis-moi…— Ben… tout ! Qu’il se demandait s’il ne nous dérangeait pas trop… puis il m’a dit aussi pour…— Il t’a parlé des baisers ? Ce n’est pas possible !— Les baisers ? Quels baisers ? Vous vous êtes embrassés ? Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Tu m’as trompé avec… mon frère ? Je n’ai pas bien entendu là, Carole ?— Mais non… personne n’a trompé personne. Mais il était si triste et puis… c’est arrivé sans que rien ne le laisse présager.— Raconte-moi donc ta version… non, attends une petite seconde… Pierre ! Pierre non de Dieu, viens ici ! Cette fois j’avais gagné le pompon, décroché le cocotier. Mon beau-frère n’avait sans doute rien raconté de ce qui avait failli arriver et moi, grande gourde j’avais tout balancé. Jean avait depuis un instant une attitude plus du tout souriante. Il affichait une espèce de rictus qui me foutait les jetons. Le visage de Pierre s’encadrait dans l’embrasure de la porte. — Tu m’as appelé Jean ? Pourquoi tu cries de la sorte ? — Qu’est-ce que vous avez foutu ? Vous vous êtes embrassés, Carole et toi ? Donne-moi donc ta version… tu dragues ma femme dans mon dos ? Dire que je te tendais la patte pour que tu ne sombres pas. Et c’est comme ça que tu me remercies ?—… Attends… Carole n’a rien fait… j’ai… c’est moi qui ai déconné.— Jean… il ne s’est rien passé. Crois-moi, c’était seulement un baiser… pardon Pierre, je croyais que tu lui avais raconté… — Merde alors… tous les deux mon frère et ma femme… je ne veux pas y croire, si je ne me retenais pas je te casserais la gueule.— Ça t’avancerait à quoi ? Je n’ai trompé personne et puis… ça fait si longtemps que je te dis que je suis un peu à côté de mes pompes. Mais tu n’entends pas et tu fais comme si rien ne pouvait arriver.— Carole… j’avais confiance en toi.— Tu m’emmerdes Jean ! Tu arranges tout à ta sauce. Je n’ai rien fait avec ton frère et si tu veux tout savoir, eh bien oui… franchement j’aurais pu et sans doute que j’aurais dû le faire. Au moins ta colère serait justifiée. C’est trop facile ça, de mettre tout sur le dos des autres.— Ne vous mettez pas en rogne… à cause de moi ! Je vais partir… je prendrai une chambre d’hôtel, voilà tout. Désolé Jean de n’avoir pas été correct avec ta femme… mais il est vrai aussi que parfois… je me dis que tu ne la mérites pas vraiment.— Espèce de…— Jean ! Ou tu te calmes ou c’est moi qui pars. Tu me connais, et tu vas t’assoir là et m’écouter. Tu as aidé ton frère et il vit ici depuis un bon moment. Alors, ne t’étonne pas non plus que les sentiments des uns et des autres évoluent, au fil du temps. Ce n’est pas un drame non plus, c’est un baiser et puis je fais de mon corps ce que je veux, que ça te plaise ou pas. Alors tu me parles gentiment, sinon, je fais ma valise… tu sais, nous en avons discuté maintes et maintes fois. Je n’ai plus envie de toi, parce que quelque part un blocage s’est mis en travers de nos ébats depuis…— Oui… je sais. Il n’y a vraiment rien d’autre qu’un baiser ?— Est-ce que j’ai l’habitude de mentir ? Ma parole devrait te suffire. Par contre… ce palot, pour tout te dire ne m’a pas laissé totalement de marbre… Je crois que si je n’étais pas amoureuse de toi… tu serais sans doute cocu à l’heure qu’il est.—… Carole ! Ne dis pas une chose pareille… je te promets Jean… je resterai à ma place désormais.— Tais-toi Pierre… s’il me plait à moi de dire ce que je pense, ton frère doit l’entendre… Je veux qu’il comprenne et intègre bien le fait que je ne suis pas sa propriété. Un mariage ne donne pas des droits exclusifs pour toute une vie… Et puis il suffit de vous regarder, vous êtes si ressemblants.— Bon Pierre… nous en avons assez dit ou fait pour ce soir… nous reparlerons de tout cela à tête reposée demain. Tous les trois ! Nous n’allons finalement pas nous battre. Merci, Carole, de m’avoir ouvert les yeux. Ça peut faire du bien de se remettre en question… Je vais me coucher. — Tu ne veux pas diner ? Tout est prêt.— J’ai un peu l’appétit coupé… mais rien ne vous empêche, Pierre et toi de…— Attention, ne me donne pas le bâton pour te battre Jean !
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Personne n’avait diné et c’était bien à « l’hôtel du cul tourné » qu’avait débuté notre fin de semaine. Une éclaircie lors d’un petit déjeuner morose, où nous étions tous trois réunis au tour de notre table. Pierre se retirait ensuite dans sa chambre, n’osant sans doute pas trop faire de bruit ou se faire trop voir. Jean et moi partagions donc l’espace quotidien sans nous affronter. J’avais juste tressailli lorsque je ne sais pour quelle raison, il avait tenté une approche discrète. Une de ses pattes se voulant caressante sur mon épaule. — On ne va pas se faire la gueule tout le week-end, si ?—… ! Arrête Jean ! Je ne suis pas d’humeur !— Carole… je… t’aime.— Bien belle façon de me le prouver hier soir ! — Je regrette ce qui s’est dit, je ne voulais pas cela… et puis… c’est mon frère malgré tout. Mais sache que je t’aime plus que tout.— Tu mériterais une bonne leçon. Je te jure que parfois… si je ne me retenais pas…—… ? Dis-moi ! Tu ferais quoi ?— Si j’avais couché avec lui… ça n’aurait pas été pire. Je devrais peut-être le faire !—… Tu veux dire me tromper ? Là c’est toi qui vas trop loin !— Ben… il n’est pas si mal ton frangin. Et puis si tu le regardes bien, il te ressemble… en plus jeune. En mieux conservé aussi sans doute.— Qu’est-ce qui te prend ? Ne dis pas des choses que nous pourrions tous regretter, Carole.— Et alors ? Tu ne m’en as pas fichu à la figure des propos méchants, toi hier soir ? Je pourrais me venger et coucher avec lui… et pour que ce soit encore plus vexant pour toi… à un moment où tu serais là, et pourquoi pas devant toi pour faire bonne mesure.— Mais… tu vas finir à la fin ? La rage qui grâce à mon sommeil s’était estompée revenait au grand galop. Mais il se trouvait aussi que mes paroles résonnaient dans mon cerveau. Elles y portaient un écho bizarre, lequel me renvoyait de bien étranges signaux. Mon ventre s’allumait d’un grand feu. Une chaleur que je connaissais suffisamment bien pour l’avoir si souvent ressentie avec ce même Jean qui bavait presque de colère devant moi. Mes mots dépassaient mes pensées ? Pas si certaine que ce fut bien la vérité ! Petit à petit une idée bizarre imprégnait mon esprit. Moi la petite bourgeoise sage, j’arrivais à me dire que… ce que j’imaginais pouvait être possible. Mais comment expliquer à Jean que mes paroles n’étaient pas aussi en l’air qu’il pouvait le penser ? Cette idée m’avait trotté dans le crâne toute la journée. Et le soir dans notre chambre, alors qu’il s’essayait à un rapprochement discret, j’avais joué de nouveau le refus. — Non ! Jean ! Tu es allé trop loin ! Ne me touche pas.— Elle va encore durer longtemps ta mauvaise humeur ?— Jusqu’à ce que tu comprennes ou…— Oui ? Ou quoi ? — Que tu me donnes ce qui me fait le plus envie maintenant. Ce qui aussi serait le meilleur moyen pour que tu me prouves ta confiance !— Mais il me semble que tu l’as ! Je ne vois pas où tu veux en venir.— Je ne ferai plus l’amour avec toi si tu ne me donnes pas ce que je souhaite. Écoute…— Bon alors qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que tu veux me demander ? Parle bon sang… ne me laisse pas dans cet état… Je m’étais lovée dans ses bras, contre son torse nu. J’accentuais bien le contact, mais sans le caresser, seulement pour le rendre dépendant. Je savais comment le faire craquer… enfin je voulais le croire. Lui amorçait déjà les grandes manœuvres et contre ma cuisse battait sa queue tendue, prête à l’emploi. Mais je persistais à refuser qu’il me tripote les endroits « sensibles, donc vulnérables ». Il revenait à la charge du bout de ses doigts voyageurs. Nouveau refus de ma part et là, il haletait. — Bon, dis-moi ce que tu attends de moi ! J’ai bien saisi que si tu n’as pas ce que tu demandes… je dormirai sur la béquille… parle ! Je t’écoute. Alors, j’avais approché ma bouche de son oreille et lui avait murmuré mes mots, mes phrases et il avait mis une fraction de seconde à réagir. D’abord abasourdi par ce que je lui susurrais, il s’était d’un coup redressé, s’asseyant dans le lit, explosant comme un diable surgissant de sa boite. — Quoi ? Tu es folle ? Tu… Il s’étranglait littéralement. Un instant j’avais craint de prendre une calotte. Mais non. Il me scrutait avec des quinquets qui lui sortaient des orbites. Puis d’une voix pâteuse, il reprenait. — Tu n’es pas sérieuse là ! C’est pour me punir, hein ! Dis-moi que c’est bien pour me punir.— Non ! Jean, j’ai envie de cela et j’assume tout ce que je viens de te dire.— Mais… c’est de Pierre que nous parlons là ! Mon propre frangin… enfin, tu ne peux pas me demander ça.— Pourquoi ? Tu t’imaginais bien hier soir que c’était déjà arrivé. Alors… cette fois c’est moi qui le veux. Mais avec toi… ici dans notre chambre ! Tu as bien entendu.— Je… non c’est au-dessus de mes forces… tu ne peux pas vouloir ce genre de truc.— Non ? Eh ben mon chéri… tu ne me toucheras plus tant que je n’aurai pas obtenu satisfaction. Pas une seule caresse, pas un seul baiser, avant que ce ne soit fait. À toi de voir. Et je peux aussi aller coucher dans le salon si tu persistes dans ton refus.— Carole… pas avec Pierre ! Je veux bien essayer avec qui tu voudras, mais pas lui !— C’est à prendre ou à laisser mon cher mari. C’est lui ou je ne ferai plus rien avec toi. — Pourquoi ? Pourquoi me fais-tu cela ? Ce n’est pas possible mon amour.— Arrête ! Il est temps de dormir et si tu veux refaire l’amour avec moi… ce sera ce que je veux où… rien ! Bonne nuit. Je m’étais tournée de mon côté et il maugréait encore, alors que je partais pour le royaume du sommeil. À mon réveil, il n’était plus dans notre lit. Une bonne odeur de café flottait dans la cuisine. Sur la table, une corbeille avec des croissants. Jean était donc allé à la boulangerie. Son frère n’était pas levé. Je venais de me verser un café lorsqu’il arriva. — Je te sers aussi Pierre ? Ton frère a eu l’extrême bonté d’aller nous chercher des viennoiseries…— C’est sympa ça ! Vous avez bien dormi tous les deux… moi comme un bébé.— Ben… moi aussi, je l’avoue. Et toi Jean ?— Bof ! Tu devrais bien le savoir, il me semble ! Après ce que tu m’as demandé…— Vous vous êtes encore disputés ? À cause de moi, de ma présence.— On peut dire ça oui ! Mais ma petite femme s’est mis en tête une bien curieuse solution pour régler le problème… Les deux frères, les yeux dans les yeux ne parlaient plus. Il fallait absolument rompre ce silence pesant qui devenait étouffant. J’allais le faire, mais Jean me devançait. — Figure toi, Pierre, que si tu n’as pas encore couché avec ma femme, elle, elle serait heureuse que ça arrive !— Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes Jean ! Je… je n’ai jamais…— Toi, je ne sais pas. Par contre pour moi, c’est l’ultimatum que Carole m’a donné hier soir. Ou tu deviens un partenaire… un complice pour te dire le mot exact employé par la dame… Ou j’accepte un trio ou je fais ceinture, au lit ! Tu ferais quoi, toi à ma place ?… je… c’est vrai Carole ? Tu… non je ne veux pas croire cela !— Tu as pourtant bien tort. Ce sont exactement ces mots… tu deviens notre complice, son amant en ma présence et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Tu cherches l’erreur ! Si Christine t’avait proposé un truc pareil, tu aurais eu quelle solution, quelle réponse ? J’aimerais t’entendre, tu as bien quelque chose à dire sur ce sujet, non ? Je restais assise entre ces deux hommes qui s’affrontaient du regard. Mais il n’y avait aucune agressivité dans le comportement de mon mari. Il s’adressait d’un ton neutre à son frère, bien que la voix fut plus éraillée que d’ordinaire. L’autre plissait les paupières, comme si les mots de son ainé ne parvenaient pas à se frayer un chemin dans l’esprit de Pierre. Puis les deux visages venaient de se tourner dans ma direction, et du coup, me surprenaient par leur air interrogateur. Ils attendaient quoi au juste ? Des paroles rassurantes ? Ou la confirmation de ce que j’avais raconté cette nuit ? Rire ou pleurer ? Un bien curieux dilemme, et je ne pouvais m’en prendre qu’à moi. À ces propos tenus une nuit de colère, celle de la veille pour être exacte. Deux paires d’yeux me fixaient comme une bête curieuse. Je sentais les souffles qui s’accéléraient chez ces deux mâles, frères de sang espérant une réponse à leurs interrogations. Jean visiblement venait de retourner la situation et pensait sans doute qu’il arriverait à me décontenancer ainsi. Mais il ne faisait que renforcer, mon sentiment de rogne contenue et de froide colère qui me nouaient les tripes. — C’est à prendre ou à laisser… et c’est valable pour les deux. Toi Jean parce qu’à m’imposer trop longtemps ton cadet à la maison tu as ouvert la boite de Pandore, et toi… Pierre, parce qu’en voulant à tout prix m’embrasser, tu aurais dû savoir que ça risquait d’arriver cette situation.— Mais… tu ne veux pas en discuter avec ton homme… ? Moi, je peux partir ce matin, si ça peut arranger les choses entre vous !— Tais-toi ! Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai dit à Jean. Et si tu quittes cette maison, je pars également… pas avec toi, mais je file, c’est dit, c’est décidé.— Alors, je n’ai donc moi, d’autres choix que d’être cocu ? Et par mon propre frère en plus ? C’est profondément injuste !— J’ai fait un choix ! Soit, vous le respectez et tout continuera comme avant… enfin plus tout à fait puisque nous formerons un ménage à trois, ou je quitte tout et refais ma vie ailleurs, avec quelqu’un d’autre. Voilà, la balle est dans ton camp, dans le vôtre à tous les deux, je devrais dire, c’est bien compris Jean ? Et toi Pierre ? Tu saisis l’enjeu de ce qui se trame là, autour de ce petit déjeuner dominical ? Aucun n’avait rétorqué quoi que ce soit.
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Les deux hommes quittaient la table, alors que je desservais celle-là. Un long moment, je les avais entendu discuter, sans pour autant hausser le ton, dans l’atelier de Jean. Puis c’était d’abord Pierre qui s’était rapproché, alors que j’étais plongé dans la préparation du repas. Il était à trois mètres, de quoi avait-il peur ? Que je lui saute dessus ? Que je le viole ? Cette idée m’avait soudain fait rire. — Tu as besoin de quelque chose Pierre ? — Ben… avec Jean on se posait la question de savoir comment tu envisageais ce genre de… enfin le truc auquel tu penses !— Appelle un chat un chat, tu veux ! C’est un plan à trois, voilà tout… et puis il suffit que lui me donne son aval et ce sera à moi de… jouer ! Mais il pouvait aussi venir là et entendre, même s’il n’avait pas de question à poser lui ! Tu piges ?— Oui… mais je crois qu’il fait un gros effort et que c’est son amour propre qui en pâtirait si… tu ne peux ou ne veux pas revenir sur ta décision ?— Tu devrais être content pourtant… tu es le grand gagnant de cette histoire, il me semble. Ne me déclarais-tu pas ta flamme l’autre soir ? Il faut savoir et assumer ses paroles autant que ses actes… pour moi, c’est les deux ou personne désormais.— C’est vraiment ce que tu veux que je lui transmette ? — Oui Pierre ! Je ne suis pas une girouette. Mais il est grand et sait ce qui lui reste à faire, dire. Un petit oui pour un grand plaisir… pour moi ! C’est sans doute aussi cela me montrer qu’il m’aime. Et puis… je ne l’ai jamais trompé et ce partage… avec toi, ce serait aussi une marque d’amour, le signe que j’aime toute sa famille.—… ? Je vais donc lui transmettre ton message.— Tu peux aussi lui dire qu’il n’a pas besoin de parler pour me donner sa réponse. Il lui suffit de revenir avec ou sans toi, et de m’embrasser… amoureusement ! Je comprendrai que ça veut dire oui et que j’ai le feu vert. Je m’occuperai du reste et vous dirai quoi faire. C’est aussi simple qu’un bonjour.— D’accord… je fais ta course…— Je pense qu’au fond de toi, tu devrais être satisfait !— Tu veux la même réponse de ma part que celle qu’il devrait te donner ?— Pourquoi pas ? Mais tu l’avertis auparavant et tu me la donnes quand il est présent, pour éviter toute incertitude. Je suivais alors la silhouette qui ressortait par la porte-fenêtre donnant sur l’atelier. Et bon sang qu’il avait la même allure que son frère. J’en étais tout excitée et mouillée sans trop pourtant l’avoir voulu. Cette manière d’amener les choses, d’attendre une réponse sans mot, je ne l’avais nullement préméditée. L’idée m’en était venue spontanément et ça me remuait sacrément les tripes. Je reprenais le cours de la confection de mon frichti. Le premier à repasser le nez par la double porte vitrée, c’était mon mari. Je n’avais fait aucun cas de son retour. D’une main alerte, je déposais une à une les trois assiettes et les couverts. Telle une statue de sel, il me fixait depuis le bout de la table. Et quand j’en fis le tour pour aller prendre des verres, il attrapait mon poignet. — Carole…— Jean ? Tu… Aucun autre mot ne devait franchir mes lèvres. Sa bouche y était collée et je m’empressais de répondre à cette pelle qui m’avait surprise alors même que je l’attendais. Elle durait un long moment et il me libérait en me repoussant ans brusquerie. Dans mon dos, Pierre me recevait aussi dans ses bras. Et ceux-ci se refermaient autour de ma taille. Ainsi enfermée dans cet étau, j’avais eu du mal de me retourner. Une autre embrassade, tout aussi langoureuse de la part de son frère et j’avais donc le consentement espéré, bien que provoqué. Au moment où je rouvrais les yeux, ayant savouré ce baiser tout autant que le précédent, je m’apercevais que Jean avait les poings serrés et les paupières closes. Alors, je faisais en signe d’apaisement, pour ne pas dire d’allégeance, la seule et unique avancée possible. Tout en gardant la main de Pierre dans la mienne, j’en attrapais aussi une de Jean, les obligeant à se rapprocher le plus possible, tout contre moi… Et d’une voix tremblante, comme si elle sortait d’une gorge inconnue, je leur murmurais… — Merci, merci les garçons… merci de votre amour pour moi. Je ferai tout pour ne pas vous décevoir, je vous le promets. Rien n’avait troublé le déjeuner. Seul le bruit des couverts frappant les assiettes avait entrecoupé le silence qui régnait en maitre sur notre repas. Nous étions tous perdus dans des pensées dont personne ne voulait faire état. Dès le dessert englouti, Pierre avait voulu se lever pour débarrasser la table des reliefs de notre mangeaille. — Laisse Pierre ! Je m’en occupe. Jean et toi, vous pouvez passer au salon ! Je vais vous apporter des cafés et un pousse ! Un cognac vous ira ?—… Fais comme tu veux…— Oui… j’arrive dans une minute. Jean… attend une seconde. Il avait l’air tétanisé. Surpris aussi par ma demande. Son frère avait obéi sans discuter et mon mari restait là. — Puisque vous êtes tous les deux d’accord… n’est-ce pas, autant battre le fer pendant qu’il est chaud ! Qu’en dis-tu ?— Dis-moi… que doit-on faire.— Tu vas au salon et tu mets un peu de musique… des slows. J’arrive dès que je suis prête…— Et… comment…— Chut ! Vis le moment présent sans te préoccuper de ce qui va se passer dans quelques minutes, tu n’es de toute façon plus le maitre du jeu… fais-moi confiance. Je suis certaine que tu vas adorer et qu’ensuite, tu seras le premier à en redemander…—… Quelques minutes, après, le temps de servir deux tasses et deux cognacs, je déposais sur la table du salon, le plateau sur lequel je transportais le tout. Jean avait mis la télé en sourdine et la platine était allumée. Ni lui ni son frère ne bronchaient. — Bon, messieurs… je reviens dans quelques instants… d’accord ?—… euh… oui ! Où vas-tu ? D’un doigt en travers des lèvres j’adjurais Jean de se taire. En quelques enjambées, j’avais gagné la salle de bain et d’une patte tremblante, je m’étais totalement dévêtue. Une nuisette relativement aérienne, voire même provocante ressortie de l’armoire de notre chambre, venait recouvrir ma nudité. Et lentement, dans cette tenue plutôt ténue, je revenais vers les deux garçons qui sans un mot, suivaient sans entrain, les images du petit écran. — Jean… tu nous mets un peu de musique ? La télécommande au bout des doigts éteignait le téléviseur et des notes agréables venaient nous caresser les oreilles. — Alors ? Pas un de vous deux ne va me faire danser ?—… si ! Vas-y Pierre…— Honneur à toi mon frère… Carole est ta femme !— Ben… venez tous les deux. On va bien arriver à se mettre d’accord sur un rythme, un tempo… c’est l’intention qui compte pas le résultat… ne soyez pas timides, bon sang. Deux grands gaillards se remettaient sur leurs quilles et m’entouraient. La ronde étrange formée par ces trois corps qui se mouvaient sur le tapis avait quelque chose de spécial. Il m’appartenait d’apprivoiser ces deux mecs qui étaient devenus mon seul univers depuis plusieurs semaines. Jean et ses réticences, Pierre et son prétendu amour pour moi me serraient contre eux et nos têtes se joignaient joue contre joue. Dans mon dos les mains moites de ces hommes, dont mon intention était bien qu’ils devinssent « mes » hommes. Finalement le plus fragile en cet instant, mon mari se laissait bercer par les notes, et par cette chaleur humaine qui émanait de cet assemblage insolite. Et c’était vers lui que je tournais mon visage. Mes lèvres rencontraient les siennes et Pierre, s’il nous cramponnait toujours, était une fraction de temps exclus de ce baiser. Mais il prenait place dans mon dos cette fois, et se frottait le ventre sur ma croupe tendue en arrière. Nos pas s’essoufflaient, et les gestes se hasardaient de plus en plus sur des parties de mon corps enveloppées par le déshabillé équivoque que je portais. Les attitudes devenaient plus osées, les mains, autant celles de Pierre que de Jean circulaient sur mon vêtement avec un soupçon d’hésitation. À quel moment m’étais-je retournée ? Difficile de m’en souvenir, mais une autre langue remplaçait celle qui folâtrait allégrement dans ma bouche. Curieusement Jean ayant repris la place de son frère sur mon côté pile avait une érection dont je pouvais juger de la dureté. Sa trique enfermée dans son pantalon se pressait contre mon derrière. Il exerçait une pression suffisante pour que mon ventre soit propulsé vers celui de son cadet. Et Pierre aussi arborait au niveau de la braguette une bosse conséquente. Tout avait ensuite été très vite. Ces pattes sur moi ouvrant des chemins, qui bien que mille fois empruntés restaient délicieux à explorer. J’avais enfin à ma disposition deux sexes qui n’avaient rien à s’envier l’un l’autre. Et j’usais de celui de Jean et de Pierre sans discrimination. Chacun recevait sa ration de caresses. Manuelles ou buccales, toutes leurs montraient combien mon désir était insatiable. Jean en hôte particulier eut cependant la primeur de la première possession. Mais son complice de l’instant ne se trouvait pas mis hors-jeu. Ma bouche devenait un home accueillant pour sa poupée hyper tendue. En clair, je pompais, léchais, me laissais prendre par celui qui en avait envie. Mon corps en redemandait. Nos accouplements durèrent la presque totalité de la nuit. Au petit matin, deux frères, repus et ivres de fatigue encadraient mon corps, serré entre les leurs. C’était là que je m’endormais, entourée de l’affection de mes deux amants. Mon mari et son frère ne devaient pas être bien longs à sombrer aussi dans un sommeil réparateur. Nous n’avions guère remué durant ces heures d’absence. Mais au réveil, nous renouvelions nos bouquets changeants et l’unique invitée à ce festin royal s’appelait bien Carole ! Puis au fil des jours, des semaines et des mois, au gré de nos fantaisies, un véritable ménage à trois s’était instauré. J’avais toujours à disposition une queue en état de marche, une bite pour me donner un plaisir sans faille. Les jours heureux s’étaient mis en place tout seuls et mon mari était devenu un accro de ces parties fines. Chacun y trouvait son bonheur finalement.
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Celui-ci a pris fin au cours d’un hiver enneigé, par un stupide accident de voiture. Raconter ici que l’un de mes deux hommes était parti… n’a absolument aucun intérêt. Celui des deux qui reste… me couve comme le lait sur le feu. Mais il nous manquera toujours ces instants d’un bonheur délicat qui nous ont suivis de longues années… et dans mon cœur, les deux frères sont indissociables. L’amour qu’ils m’ont porté reste la plus belle des histoires de ma vie. Les choses désormais sont redevenues plus « normales », mais je regrette vraiment ce temps béni. Nous n’avons jamais voulu remplacer la partie de nous qui nous fait défaut désormais.